2. Un coût croissant pour l'Etat
- Une accélération des dépenses au titre des frais de justice
L'activité contentieuse très soutenue depuis 2002 a entraîné une hausse mécanique des frais de justice -frais postaux (90 %), frais de papier (6 %), frais de traduction (3 %) et autres frais (1 %). Corrélativement à l'explosion du nombre de recours, la hausse des tarifs postaux intervenue le 1 er juin 2003 a accentué l'inflation de ce poste budgétaire. Ces dépenses 147 ( * ) ont en effet fortement progressé (+ 41 % entre 2002 et 2005).
Après plusieurs années de sous-évaluation de la dépense réelle 148 ( * ) , le Gouvernement a réévalué le montant de la dotation allouée aux frais de justice pour la porter à 7,6 millions d'euros (+2,2 millions d'euros par rapport à la dotation prévue en loi de finances initiale pour 2005). Le projet de loi de finances pour 2007 révise ce montant à la hausse de 1,2 million d'euros , soit un total de 8,8 millions d'euros . Le Conseil d'Etat a estimé réaliste cette prévision de dépenses.
Toutefois, force est de constater que cet abondement dépasse seulement de 8 % la consommation constatée en 2005. Compte tenu de l'accélération du rythme des dépenses constaté depuis 2003 (jamais inférieur à 10 %) et dans le contexte d'une activité contentieuse dense, il est à craindre que la somme allouée cette année soit insuffisante pour financer les besoins réels. Or, la suppression du caractère évaluatif de ces dépenses qui, aux termes de la LOLF, revêtent désormais un caractère limitatif impose que l'évaluation en loi de finance initiale soit fixée au plus près de la consommation effective.
Cette analyse rejoint d'ailleurs celle de notre collègue M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial au nom de la commission des finances des crédits de la mission Conseil et contrôle de l'Etat qui, comme il en fait état dans sa note de présentation, doute « de la sincérité budgétaire » de ce poste.
b) Des mises en jeu de la responsabilité de l'Etat pour non respect du délai de jugement raisonnable de plus en plus fréquentes
En 2005, comme en 2004, le solde des dépenses d'indemnisation du fait de la mise en cause de la responsabilité en raison du non respect du délai raisonnable de jugement a été négatif. Telle est la raison pour laquelle, cette dotation a été doublée en 2006 pour atteindre 748.000 euros. Le montant de la consommation des crédits ouverts en 2006 s'élève actuellement à 443.500 euros .
Le projet de loi de finances pour 2007 prévoit de maintenir la même dotation qu'en 2006 . Le Conseil d'Etat a jugé cette dotation suffisante pour couvrir la réalité des besoins.
Toutefois, le contexte actuel est peu propice à la maîtrise des dépenses d'indemnisation des requérants pour non respect du délai raisonnable . Outre qu'elle est mieux connue des justiciables, l'évolution de la jurisprudence en matière de délai de jugement excessif leur devient de plus en plus favorable. L'accroissement du nombre d'affaires traitées et, partant, de la multiplication des mises en jeu de sa responsabilité à ce titre, ne fait que renforcer cette évolution.
Une jurisprudence extensive
S'appuyant sur une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt Kudla contre Pologne du 26 octobre 2000), le Conseil d'Etat a, pour la première fois en 2002, considéré qu'un délai de jugement trop long dans les juridictions administratives (supérieur à deux années pour une affaire simple) était constitutif d'une faute du service public, sur le fondement de laquelle les justiciables pouvaient faire valoir le préjudice d'avoir été privés du droit d'accès à un tribunal pendant une période anormalement longue (arrêt garde des sceaux contre Magiera du 28 juin 2002). Dans un récent arrêt (SARL Potchou et autres, 25 janvier 2006), le Conseil d'Etat a fait une interprétation extensive de cette action en responsabilité, en acceptant de faire droit à une demande alors que l'affaire était encore en instance à la date de la décision. Les requérants avaient saisi la justice administrative en 1987 à propos d'un litige fiscal simple, l'affaire avait été mise en délibéré en 1996 et jugée par le tribunal administratif compétent de Nice en décembre 2004. Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision. Le Conseil d'Etat a alloué 18.000 euros à chaque requérant alors que le jugement en appel n'avait pas été rendu à la date du 25 janvier 2006. |
Ces dernières années, les crédits ouverts destinés à financer les condamnations prononcées pour durée excessive de jugement et rattachés aux frais de réparation civile se sont accrus fortement, avec une accélération en 2006.
Evolution des dépenses d'indemnisation
en
matière de délai de jugement excessif
(en euros)
2003 |
2004 |
2005 |
2006* |
|
Condamnations par le CEDH - nombre de dossiers - montant des indemnisations |
47 325.984 |
37 262.064 |
24 219.060 |
22 172.367 |
Condamnation par les juridictions administratives - nombre de dossiers - montant des indemnisations |
1 5.779 |
5 30.934 |
6 26.676 |
9 91.657 |
Règlement amiable - nombre de dossiers - montant des indemnisations |
1
|
4 53.000 |
28 149.000 |
11 77.660 |
Total - nombre de dossiers - montant des indemnisations |
49 338.263 |
46 345.998 |
58 394.736 |
42 341.684 |
* Données partielles jusqu'au 31 juillet 2006
Source : Conseil d'Etat
Le stock actuel d'affaires enregistrées depuis plus de trois ans dans les juridictions administratives est encore important, en dépit des efforts menés en faveur d'une accélération des délais de jugement : au 31 décembre 2005, ce nombre s'élevait à 27.202 pour les tribunaux administratifs, 4.543 pour les cours administratives d'appel et 218 pour le Conseil d'Etat, soit 31.963 affaires au total. Sur la base de ces statistiques, le Conseil d'Etat a estimé le coût financier maximal pour l'Etat à 147 millions d'euros.
En dépit de la récente modification du code de justice administrative destinée à accélérer le règlement du contentieux de la méconnaissance du droit à un délai raisonnable 149 ( * ) , il n'est pas certain que le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2007 couvre la consommation réelle.
* 147 Qui figure sous l'action 6 « soutien » du programme 165.
* 148 Cette sous-évaluation est patente depuis 2001. Ainsi, en 2003 et en 2004, on constate un écart entre les dotations initiales et la consommation réelle respectivement de près de 2 millions d'euros (soit 30 % de la dépense réelle) et d'un peu plus de 3 millions d'euros (soit plus de 40 % de la dépense réelle).
* 149 En effet, depuis le 1 er septembre 2005, le Conseil d'Etat est compétent pour juger en premier et dernier ressort du contentieux relatif à la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement par le juge administratif (article R. 311-1, 7°, du code de justice administrative). Ce dispositif tend à éviter qu'un nouveau contentieux ne se noue sur la durée de l'instance en responsabilité elle-même.