3. Des réponses plus ou moins satisfaisantes pour désengorger la justice administrative
Plusieurs chantiers ont été menés en 2006 ou seront poursuivis ou mis en oeuvre pour désengorger la justice administrative. Certains méritent d'être encouragés, d'autres appellent une plus grande réserve.
- Des initiatives à encourager
Le Conseil d'Etat mène des actions de prévention des contentieux auprès des administrations pour réduire la pression des affaires nouvelles . Dans ce cadre, il a engagé un dialogue avec les administrations à l'origine des contentieux de masse pour les sensibiliser à l'intérêt de rechercher un règlement amiable, notamment dans le cadre des recours gracieux. Le SJA prône une solution plus ambitieuse passant par l'instauration d'un filtre obligatoire (recours administratif préalable) avant l'introduction d'une instance dirigée contre une administration.
La définition d'un grand nombre d'indicateurs de performance (6 sur 10) consacrés à la lutte contre les délais de jugement excessifs constitue également une initiative louable. Cette démarche témoigne de la volonté d'évaluer la capacité des acteurs de la justice administrative à remplir cet objectif. L'élimination des affaires en stock les plus anciennes est identifiée comme une cible prioritaire à cet égard. Les trois niveaux de juridictions administratives ont d'ailleurs progressé dans ce chantier, ce contentieux devant représenter en 2006 150 ( * ) 5 % au Conseil d'Etat (contre 6 % en 2004), 27 % pour les cours administratives d'appel (contre 43 % en 2004) et 27 % pour les tribunaux administratifs (contre 29 % en 2004).
La publication de l'ordonnance n° 2004-637 du 1 er juillet 2004 relative à la simplification de la composition et du fonctionnement des commissions administratives et à la réduction de leur nombre 151 ( * ) a opéré un recentrage des magistrats administratifs sur leurs activités juridictionnelles . Cette réforme est entrée en vigueur depuis la publication en juin dernier de deux décrets d'application 152 ( * ) . Ainsi, la présence des magistrats administratifs a été supprimée dans 29 commissions administratives. Votre commission des lois se réjouit de cette avancée .
Elle souhaite néanmoins la poursuite de ce chantier , la participation à des commissions administratives représentant encore une lourde charge pour les magistrats administratifs, évaluée pour 2007 par le Conseil d'Etat à environ 28 ETPT 153 ( * ) , soit 1 % des ETPT du programme Conseil d'Etat et autres juridictions administratives.
Enfin, la possibilité nouvelle pour toute partie estimant excessive la durée d'une procédure devant une juridiction administrative de saisir le chef de la mission permanente de l'inspection des juridictions administratives 154 ( * ) instituée par le décret n°2005-1586 du 19 décembre 2005 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative (article R.112-2 de ce code) constitue une mesure opportune.
- Des pistes de réformes en vue d'une rationalisation de la procédure contentieuse qui appellent des réserves
Les allègements de procédure peuvent constituer un utile moyen de raccourcir les délais de jugement, à condition de ne pas les systématiser dans toutes les matières et de les circonscrire rigoureusement .
* Le recours au juge unique, un dispositif qui doit demeurer l'exception
Depuis 1995, plusieurs matières (situation individuelle des fonctionnaires, pensions, aide personnalisée au logement, redevance audiovisuelle, actions indemnitaires dont le montant est inférieur à 8.000 euros) peuvent être confiées à un juge statuant seul, en audience publique après audition du commissaire du gouvernement 155 ( * ) .
Le décret n° 2005-911 du 28 juillet 2005 -en consacrant la possibilité pour le juge de statuer seul , par voie d'ordonnance, sur les affaires ne présentant pas de difficultés sérieuses- a opéré un premier élargissement du recours au juge unique . Cette réforme concerne les requêtes relevant d' une série formées devant toutes les juridictions ainsi que les affaires les plus simples soumises à la procédure d'admission des pourvois en cassation devant le Conseil d'Etat 156 ( * ) .
En 2005, 18.000 affaires ont été jugées à juge unique, soit près de 11 % des litiges réglés au cours de l'année par les tribunaux administratifs. Les domaines plus particulièrement concernés sont le contentieux de la fonction publique, des impôts locaux et des pensions.
Une nouvelle extension des matières ressortant à la compétence du juge unique est annoncée depuis l'année dernière par le Gouvernement .
Cette perspective inquiète fortement les magistrats administratifs traditionnellement attachés à la collégialité de la formation de jugement . Les deux syndicats de magistrats administratifs ont lancé un vaste mouvement de grève le 7 juin dernier par crainte d'un transfert au juge unique des litiges impliquant des justiciables particulièrement fragilisés tels le contentieux des étrangers (notamment relatif au refus de titre de séjour) ou des personnes handicapées.
Dans le contexte d'une augmentation de la demande de justice, le renoncement à la collégialité constitue une solution incontournable pour permettre un jugement des affaires dans un délai raisonnable. Toutefois, le recours au juge unique doit être privilégié pour les affaires les moins complexes et dépourvues d'enjeu à l'égard des droits et libertés fondamentaux . Le secrétaire général du Conseil d'Etat, M. Patrick Frydman, a assuré à votre rapporteur pour avis que l'extension envisagée ne viserait qu'un contentieux très ciblé et répétitif dans des domaines où la jurisprudence était stabilisée et bien établie comme par exemple le permis à points 157 ( * ) .
En tout état de cause, il ne serait pas acceptable, au risque de porter atteinte au droit à un procès équitable, de rendre insusceptibles d'appel les nouvelles matières auxquelles le recours au juge unique serait étendu 158 ( * ) .
* Un pouvoir de filtrage des pourvois critiquable
Une autre piste de réforme envisagée par le Gouvernement relative à la possibilité pour le président d'une formation de jugement du tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel de rejeter par ordonnance les requêtes manifestement insusceptibles de prospérer 159 ( * ) est également préoccupante .
Les représentantes de l'USMA ont fait valoir à votre rapporteur pour avis que ce pouvoir de filtrage exorbitant risquait d'aboutir à une justice « d'abattage » arbitraire et risquait de creuser le fossé entre les justiciables les plus fortunés et les justiciables les plus démunis. Le représentant du SJA a estimé que ce dispositif faisait une place trop grande à la subjectivité. Le champ d'application de ce dispositif, indépendant des matières mais déterminé par la nature des moyens présentés dans la requête, donc très étendu, ne fait que renforcer la pertinence de ces observations. Ainsi, les justiciables ne disposant pas de moyens suffisants pour se faire assister par un avocat (par exemple les étrangers) pourraient se voir refuser l'examen de leur requête, alors même que le bien-fondé des moyens invoqués aurait mérité un débat.
* Une procédure contentieuse en matière de titre de séjour qui doit respecter le droit à un procès équitable
Enfin, s'agissant plus particulièrement des nouvelles règles envisagées par le Gouvernement en application de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration en matière de recours à l'encontre d'un titre de séjour 160 ( * ) , il paraît essentiel que la procédure contentieuse ne soit pas trop raccourcie afin de laisser au justiciable le temps de présenter tous ses arguments. Ainsi, comme l'ont relevé les représentants de l'USMA, le délai de quinze jours au-delà duquel il n'est plus possible de présenter un mémoire complémentaire annoncé par le requérant que le Gouvernement prévoit d'instaurer, un peu court, mériterait d'être allongé.
* 150 Pour 2006, il ne s'agit encore que d'une prévision. Voir annexe Conseil et contrôle de l'Etat - page 24.
* 151 Ratifiée par la loi de simplification du droit de 2004.
* 152 Décrets n° 2006-662 et n° 2006-665 du 7 juin 2006 - Voir II - B - 4.
* 153 Y compris la participation à des juridictions spécialisées.
* 154 Destinataire des décisions allouant une indemnité en réparation du préjudice causé par une durée excessive, celui-ci peut en outre faire des recommandations aux chefs de juridiction concernés et saisir l'autorité compétente de toute proposition de mesure visant à remédier aux dysfonctionnements constatés.
* 155 Loi n° 95-125 du 8 février 1995 du 8 février 1995. Article R. 222-13 du code de justice administrative qui fixe cette liste.
* 156 Ces affaires pourront être réglées par voie d'ordonnance dès lors qu'une décision « tête de série » a été rendue par la juridiction elle-même ou par le Conseil d'Etat et que toutes les questions de qualification juridique ou d'appréciation des faits ont déjà été tranchées.
* 157 En 2005, les tribunaux administratifs ont été saisis de plus de 10.500 requêtes en cette matière.
* 158 Le décret n° 2003-543 du 24 juin 2003 a supprimé la voie de l'appel au profit du seul pourvoi en cassation pour la plupart des litiges relevant des matières susceptibles d'être jugées à juge unique (article R. 222-13 du code de justice administrative).
* 159 Seraient ainsi visées les requêtes à l'appui desquelles les moyens de légalité externe sont manifestement infondés, les moyens sont inopérants ou encore ne seraient pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
* 160 Cette loi a prévu que les décisions qui refuseraient la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour à un étranger ou lui retireraient son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour pourraient être assorties d'une obligation de quitter le territoire français susceptible d'exécution d'office passé le délai d'un mois imparti à l'étranger pour quitter le territoire. Compte tenu des enjeux soulevés par une telle mesure, le législateur a précisé que le recours contentieux exercé à son encontre dans le délai d'un mois suspendrait l'exécution de l'obligation de quitter le territoire et a prévu que le tribunal administratif devrait statuer dans le délai de trois mois.