C. LA PRISE EN COMPTE DE LA PÉNIBILITÉ DE LA PROFESSION DE CHAUFFEUR ROUTIER

La présente mission permet aussi de mieux connaître les mécanismes de cessation précoce ou anticipée d'activité des chauffeurs routiers du secteur privé. Il s'agit d'un domaine généralement méconnu, qui constitue désormais une dépense non négligeable pour les finances publiques.

Votre commission ne sous-estime pas la pénibilité du métier de conducteur liée à la durée élevée du temps de travail, au risque d'accidents du travail supérieur à celui des autres secteurs d'activité, aux horaires décalés et à la fréquence du travail de nuit. Elle observe toutefois que ces facteurs ont justifié la création de mécanismes de préretraite dont la diffusion est réelle. Le congé de fin d'activité repose en effet sur le principe d'une embauche d'un jeune conducteur pour compenser le départ de trois seniors.

Mais il s'agit de dispositifs très coûteux et évidemment incompatibles avec l'objectif de la réforme des retraites de 2003 tendant à restreindre les possibilités de cessation précoce d'activité. Ils s'inscrivent également en contradiction avec le plan national d'action concerté pour l'emploi des seniors 2006-2010 qui a été présenté par le Gouvernement le 6 juin 2006.

1. Les trois mécanismes existants

Le congé de fin d'activité a été institué par les accords du 28 mars 1997, dans le transport routier de marchandises, et du 2 avril 1998, dans le transport routier de voyageurs.

L'Etat prend en charge 80 % des allocations des conducteurs de plus de cinquante-sept ans et demi, ainsi que les cotisations afférentes (cotisation de vieillesse volontaire et couverture de maladie universelle). Entre cinquante-cinq ans et cinquante-sept ans et demi, les allocations et les cotisations afférentes sont prises en charge à 100 % par les partenaires sociaux.

Le complément de retraite des conducteurs routiers est un mécanisme ancien. Créé dès 1955, il a été étendu en 1997 aux personnes ayant bénéficié d'un congé de fin d'activité. Ce dispositif permet aux anciens conducteurs de bénéficier d'une retraite du régime général à taux plein à soixante ans, quelle que soit leur durée de cotisation. En 2007, le nombre de bénéficiaires du complément de pension (droits directs et bénéficiaires d'une pension de réversion) devrait s'élever à 730 personnes.

L'aide aux conjoints collaborateurs d'artisans bateliers existe depuis le 1 er janvier 2005, l'Etat ayant mis en oeuvre une aide en leur faveur destinée à participer au rachat de trimestres de cotisations sociales au titre de l'assurance vieillesse. Cette disposition modeste n'a concerné que 115 personnes.

2. Un large développement

Le congé de fin d'activité (CFA) est géré par deux fonds paritaires associant les représentants des employeurs et des salariés : le fonds national de gestion des congés de fin d'activité (Fongecfa) pour le transport des marchandises, et l'association de gestion du congé de fin d'activité (Agecfa) pour le transport des voyageurs. Le CFA prévoit des contreparties en termes de créations d'emploi et d'embauches de jeunes conducteurs.

Cette mesure représente un coût financier important, d'autant que depuis 1997 le flux des départs de conducteurs routiers en congé de fin d'activité a triplé, pour atteindre désormais plus de 2.000 personnes par an.

Nombre de congés de fin d'activité des routiers

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Transport routier de voyageurs

0

47

231

133

143

194

200

203

185

Transport routier de marchandises

710

1.691

1.308

1.316

1.520

1.811

1.947

1.857

1.896

Total

710

1.738

1.539

1.449

1.663

2.005

2.147

2.060

2.081

Source : ministère des transports

A la date du 31 mai 2005, le nombre total de conducteurs routiers retraités bénéficiant d'un congé de fin d'activité était de 8.051, dont respectivement 7.327 et 724 pour les activités marchandises et voyageurs.

L'Etat finance aussi l'intégralité du complément de retraite versé aux conducteurs routiers partis à la retraite à soixante ans avec un nombre insuffisant d'annuités de cotisation pour bénéficier d'une pension complète du régime général. Mais les effectifs concernés sont ici plus restreints, environ 730 personnes en 2007, et la participation annuelle de l'Etat nettement plus modeste : 3.400 euros par personne.

3. Un coût de plus en plus élevé pour les finances publiques

Le coût des dépenses engagées par l'Etat au titre de ces deux dispositifs a triplé au cours des cinq dernières années pour atteindre désormais 85 millions d'euros.

Impact budgétaire des dispositifs mis en oeuvre en faveur des routiers

(en millions d'euros)

Années

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Congé de fin d'activité

-

12,00

27,40

27,40

35,70

46,00

60,00

74,90

84,8

Complément de retraite

3,40

3,50

3,40

3,05

2,90

2,97

2,70

2,50

2,4

Source : Ministère des transports

Pour les conducteurs du transport routier de marchandises, l'âge moyen de liquidation de l'allocation de congé de fin d'activité est de cinquante-cinq ans et neuf mois. La proportion de ces allocations liquidées à l'âge de cinquante-cinq ans est de 73,2 % et de 26,8 % entre cinquante-six et soixante ans.

Pour les conducteurs du transport routier de voyageurs, l'âge moyen de liquidation de l'allocation de congé de fin d'activité est de cinquante-six ans. La proportion de ces allocations liquidées à l'âge de cinquante-cinq ans est de 65,3 % et de 34,7 % entre cinquante-six et soixante ans.

Il convient de souligner que ces valeurs moyennes sont très proches de celles des systèmes de retraite de la SNCF et de la RATP. Force est ainsi de constater que la puissance publique a en quelque sorte créé une sorte de régime spécial « synthétique » pour les routiers. Bien que cette profession continue à relever sur le plan juridique du régime général, le résultat atteint est le même.

Cette situation illustre toute l'ambiguïté du thème de la pénibilité en matière d'assurance vieillesse. Elle donne également matière à réfléchir dans la mesure où la loi du 21 août 2003 a invité les partenaires sociaux à engager, dans un délai de trois ans, « une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité ». Ces négociations, débutées le 23 février 2005 et aujourd'hui dans l'impasse pourraient servir de justification, voire d'alibi, à de nouveaux dispositifs de cessation précoce d'activité.

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