C. LA NÉCESSITÉ DE CONFORTER L'EMPLOI ARTISTIQUE ET DE PÉRENNISER LE RÉGIME DE L'INTERMITTENCE
Dans sa « Contribution au débat sur la création culturelle en France » 6 ( * ) , le groupe de réflexion créé par votre commission, en 2004, avait insisté sur la nécessité de conforter l'emploi artistique et de pérenniser le régime de l'intermittence, les objectifs avancés étant de :
- maintenir le régime d'assurance chômage des artistes et techniciens dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle du régime général tout en lui apportant d'importants correctifs afin que son application soit plus conforme à son objectif initial ;
- inventer de nouveaux moyens institutionnels visant à structurer l'emploi artistique.
Dans cette perspective, votre commission avait notamment avancé les propositions suivantes :
- requalifier le champ des professions relevant de l'intermittence à partir des résultats de l'expertise ;
- professionnaliser les carrières artistiques et réfléchir à l'accès aux professions concernées ;
- remettre à plat les formations et mettre en place une meilleure orientation et information des jeunes sur les débouchés professionnels ;
- réaliser des études régulières sur l'évolution de l'emploi artistique, en lien avec une évaluation rigoureuse et transparente des politiques publiques de la culture, mission pouvant être confiée à un observatoire spécifique.
Les conclusions et propositions de ce rapport, publié en juillet 2004, ont été pour partie relayées par l'action du Gouvernement. Votre commission se réjouit que la concertation entre les pouvoirs publics et les professionnels ait permis de continuer d'avancer sur ces différents points cette année.
1. L'information et l'orientation des jeunes
D'après une enquête publiée en février 2005 7 ( * ) par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, plus de 70 % des jeunes, parents et enseignants déclarent être mal ou très mal informés sur les métiers et leurs débouchés professionnels. Les défauts de notre système d'orientation sont à l'origine d'un gaspillage individuel et collectif auquel il est urgent de remédier.
Afin de mieux appréhender les débouchés professionnels des jeunes comédiens , la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS) a confié au Jeune Théâtre National la réalisation d'une étude portant sur l'insertion professionnelle des étudiants de l'ensemble des neuf écoles signataires de la plate-forme de l'enseignement supérieur pour la formation du comédien. Les conclusions de cette étude seront rendues publiques d'ici la fin de l'année 2005. Un premier rapport d'étape permet cependant d'établir qu'environ 70% des jeunes comédiens sortant des écoles supérieures exercent un emploi dans la durée au sein des institutions du secteur concerné (théâtres nationaux, centres dramatiques, scènes nationales, théâtres privés...).
2. La formation des comédiens
Deux évolutions positives ont été enregistrées ces deux dernières années dans le domaine de l'enseignement supérieur du théâtre :
- la signature de la plate-forme de l'enseignement supérieur pour la formation du comédien ;
- la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui prévoit que les établissements d'enseignement supérieur des disciplines du spectacle vivant peuvent être habilités par le ministère chargé de la culture à délivrer des diplômes nationaux.
Ces orientations ouvrent la voie à la mise en oeuvre de mesures permettant d'assurer la reconnaissance d'un enseignement supérieur de qualité de l'art dramatique et de structurer l'offre d'enseignement supérieur sur l'ensemble du territoire .
La création, dans un avenir proche, de diplômes nationaux, notamment d'interprètes, dans le domaine du spectacle vivant s'inscrit dans le contexte général des transformations de l'ensemble de l'offre d'enseignement supérieur liée aux évolutions européennes, de la mise en oeuvre de la validation de l'expérience professionnelle et de la loi sur la formation tout au long de la vie.
La DMDTS mène, depuis quelques années, une politique visant à renforcer, à mieux structurer et à harmoniser l'offre publique de formation supérieure à finalité professionnelle dans ce domaine.
Il s'agit de mieux préparer les jeunes à l'entrée dans les métiers du spectacle et de leur ménager des conditions d'insertion moins précaires, de favoriser les évolutions de carrière et l'accès aux nouveaux dispositifs de la formation tout au long de la vie, de faciliter la mobilité européenne et de permettre les reconversions éventuelles et les deuxièmes carrières.
La politique ainsi menée va dans le sens souhaité par votre commission d'une professionnalisation des carrières artistiques.
3. La priorité donnée à l'emploi culturel en 2005
a) Les mesures de soutien à l'emploi dans le spectacle vivant
Le secteur du spectacle vivant a vu ses crédits augmenter de 27 % entre 1999 et 2004 , contre une hausse de 10 % pour l'ensemble du budget de la culture. Cette évolution s'est poursuivie en 2005 , de sorte que sa part dans le budget du ministère chargé de la culture est passée de 24 à 31 %, pour s'élever à 753 millions d'euros .
En 2005, il a bénéficié, de 20,5 millions d'euros supplémentaires dont 18 millions d'euros de mesures nouvelles (dont 9 millions sur crédits déconcentrés), auxquels il faut ajouter 2,5 millions d'euros de redéploiement de crédits.
Les mesures nouvelles ont porté en priorité sur les actions susceptibles de bénéficier directement à l'emploi, qu'il s'agisse d'emplois à durée indéterminée (relèvement de la part des emplois permanents et des structures pérennes) ou déterminée (allongement de la durée des contrats, prise en compte des heures supplémentaires, meilleure déclaration des heures réellement travaillées).
D'après une enquête réalisée par le ministère chargé de la culture, au minimum 15 millions d'euros ont ainsi été affectés à la politique de soutien direct à l'emploi . Ceci s'est concrétisé par la création de 306 contrats à durée indéterminée, de plus de 280 000 heures de travail sous contrat à durée déterminée et d'un allongement de la durée moyenne des contrats.
b) La réflexion sur le financement public et l'emploi dans le spectacle
Le ministre de la culture et de la communication, M. Renaud Donnedieu de Vabres, a confié à M. Alain Auclaire, chargé de mission à l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles, un rapport sur le thème suivant : « Le financement public et le financement dans le spectacle ». Celui-ci a été présenté lors du Conseil national des professions du spectacle (CNPS) du 29 mars 2005 - auquel a participé le président de votre commission - et la réflexion a été poursuivie dans un second rapport présenté en septembre dernier.
Ce dernier prend en compte :
- l'examen des questions d'emploi par les services de l'Etat et des collectivités territoriales ;
- l'adaptation des procédures d'instruction, de paiement et d'évaluation des subventions ;
- l'amélioration des outils de gestion ;
- l'information et la formation des partenaires sur la gestion des emplois et sur l'utilisation des formules d'aide à l'emploi.
Il s'agit de faire en sorte que les financements publics s'inscrivent dans une politique de soutien à l'emploi , afin à la fois de favoriser le recours aux emplois permanents lorsque cela s'avère possible, de consolider la situation des personnes régulièrement employées sous contrat à durée déterminée et de réserver l'intermittence aux activités et aux fonctions qui le justifient pleinement.
M. Alain Auclaire suggère, notamment, que la priorité accordée à l'emploi par le ministère chargé de la culture et les collectivités publiques s'exprime à travers des objectifs précis, « tels que par exemple, la maîtrise de l'entrée dans les métiers, la consolidation des emplois permanents ou de saison, la prise en compte des profils de métiers dans la composition des équipes, un meilleur accompagnement des parcours professionnels de formation continue ».
Votre rapporteur demandera au ministre de préciser les suites qu'il envisage de donner aux propositions de ce rapport ainsi que les réactions des collectivités territoriales.
La commission soutient cette démarche, qui s'inscrit dans les propositions avancées dans son rapport précité. Elle avait, en effet, suggéré « de lier les subventions publiques au respect des dispositions légales (conditions d'emploi en particulier) et à la transparence des contrats ».
c) La redéfinition du champ des conventions collectives et du périmètre des professions relevant de l'intermittence
Il existe à l'heure actuelle une vingtaine de conventions collectives dans le champ culturel. Ce nombre important, outre qu'il ne facilite pas les négociations dans les secteurs concernés, n'empêche pas l'absence de couverture de certains domaines ou les chevauchements, dans d'autres.
Un travail approfondi permet désormais d'envisager l'élaboration de six conventions collectives nationales , destinées à se substituer à celles existantes et à couvrir l'ensemble du champ (spectacle vivant, production audiovisuelle et cinématographique, édition phonographique, entreprises de prestations techniques) ainsi que deux accords professionnels spécifiques concernant les personnels non permanents des radios d'une part, et de la télédiffusion d'autre part.
Le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, M. Gérard Larcher, s'est engagé à favoriser l'accélération et le bon déroulement des négociations menées par les professionnels, afin de garantir une couverture conventionnelle exhaustive, sans vide ni chevauchement , du champ du spectacle vivant et enregistré.
Au cours de la réunion du CNPS du 29 septembre dernier, il a précisé que ces conventions devraient comporter un certain nombre de « stipulations incontournables » avec pour « éléments prioritaires » : les conditions de recours aux contrats à durée déterminée d'usage, les modalités de transformation de ces derniers en contrats à durée indéterminée, les salaires minima, les conditions de rémunération et le temps de travail. Il a indiqué que le périmètre du contrat à durée déterminée d'usage devra être défini de façon précise et maîtrisée, la liste des cas de recours devant être réduite et justifiée.
Cette réforme devra aboutir avant la fin de l'année 2006 . Après cette date, seules des conventions collectives étendues devraient permettre de recourir à de tels contrats.
4. Le recours au fonds transitoire
Rappelons que le Gouvernement a institué en 2004 un fonds spécifique provisoire, remplacé à compter du 1 er janvier 2005 par un fonds transitoire, dont l'objectif est de remédier aux situations difficiles des artistes et techniciens que les dispositions adoptées en 2003 excluaient du bénéfice du régime de l'assurance chômage.
En dépit des difficultés rencontrées - que votre rapporteur avait dénoncées dans son rapport l'an dernier - ce fonds semble avoir bien joué son rôle « d'amortisseur de crise ».
La plupart des difficultés signalées semblent avoir été résolues et des efforts ont été accomplis pour améliorer l'information des intéressés. C'est ainsi notamment qu'une brochure actualisée a été diffusée en juin dernier.
Au 23 septembre 2005, 11 783 dossiers avaient été pris en compte (en cumulé) pour 19 239 dossiers déposés.
5. Le régime d'assurance chômage : quid à partir du 1er janvier 2006 ?
a) Un rappel des étapes de la réflexion et des négociations
Rappelons qu'en décembre 2004, M. Jacques Charpillon, chef de l'inspection générale des affaires culturelles, a présenté devant le CNPS un rapport ayant pour sujet « l'indemnisation du chômage des intermittents du spectacle : -- Propositions de nouvelle définition du champ des annexes VIII et X », qui a été débattu dans ce cadre.
Par ailleurs, M. Jean-Paul Guillot, président du Bureau d'information et de prévisions économiques (BIPE), a été chargé d'une mission d'expertise destinée à aider l'ensemble des acteurs concernés à construire un système pérenne de financement de l'emploi dans les secteurs du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel.
Le rapport conclut que l'amélioration du régime d'assurance chômage ne produira d'effets que si elle s'inscrit dans une politique ambitieuse de l'emploi culturel au service de la création et de la diffusion, politique qui doit mobiliser l'Etat, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux du secteur et les partenaires interprofessionnels.
C'est dans cette optique qu'un projet de « charte sur l'emploi dans le spectacle » est soumis à la concertation de tous les partenaires concernés depuis le début du mois de mars dernier. Ce document a pour but de :
- clarifier les responsabilités respectives de l'Etat, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux du secteur et des confédérations, en matière de soutien à l'emploi dans le spectacle ;
- définir la place que doit y prendre l'assurance chômage.
En 2005, l'action de l'Etat au regard de ces objectifs s'organise autour de quatre axes : renforcer l'efficacité des contrôles, orienter les financements publics vers l'emploi, aider à la conclusion de conventions collectives et accompagner les efforts de professionnalisation des employeurs et des salariés. Ces actions sont débattues au sein du CNPS, qui tient des réunions régulières depuis le printemps 2004 et auxquelles participe le président de votre commission, M. Jacques Valade.
Le Gouvernement souhaite ainsi créer les conditions permettant aux partenaires sociaux interprofessionnels de définir, d'ici le 1 er janvier 2006 au plus tard, les nouvelles dispositions d'un accord qu'il appelle de ses voeux.
Le 16 juin dernier, à l'invitation du ministre de la culture et de la communication et du ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, en présence des présidents des commissions des affaires culturelles du Sénat et de l'Assemblée Nationale, les confédérations syndicales et patronales, membres de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), ont été réunies. Cette réunion était destinée à ouvrir les discussions sur la politique de l'emploi dans le spectacle dans toutes ses dimensions.
L'attachement au maintien dans la solidarité interprofessionnelle du régime d'assurance chômage des artistes et techniciens a été réaffirmé, comme la nécessité de prendre en compte les spécificités des métiers et des pratiques d'emploi dans le secteur du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel.
Les ministres et les présidents des commissions parlementaires compétentes ont rappelé que l'Etat était particulièrement attentif à ce que les règles régissant les conditions de l'emploi comme de l'assurance chômage soient le fruit de la négociation et que l'Etat était prêt, si nécessaire, à aider à la recherche des accords à venir.
Il a été également convenu que M. Jean-Paul Guillot animerait durant l'été une phase de travail au niveau professionnel, pour éclairer et nourrir, dans le respect des compétences des confédérations syndicales et patronales, la négociation interprofessionnelle en vue de définir le nouveau régime d'assurance chômage des artistes et techniciens, qui doit être opérationnel au 1er janvier 2006.
Les propositions issues de cette phase de travail ont été présentées le 29 septembre dernier aux partenaires de l'UNEDIC lors d'une réunion qui s'est tenue dans la même configuration que le 16 juin.
b) Les pistes ouvertes par le rapport Guillot
Ce travail a fait l'objet d'un rapport sur l'emploi dans le spectacle que M. Jean-Paul Guillot a présenté, le 21 octobre dernier, et dans lequel il avance des pistes pour un nouveau système d'indemnisation du chômage des intermittents (artistes et techniciens) au 1 er janvier 2006.
Pour M. Jean-Paul Guillot, les partenaires sociaux sont d'accord pour faire en sorte que l'indemnisation chômage redevienne un revenu de remplacement en cas de chômage et non un « revenu de complément ». En effet, pour plus d'un indemnisé sur deux (51 %), le poids des indemnités dans le revenu annuel est aujourd'hui supérieur à 50 %. Par ailleurs, la variation de l'allocation journalière n'incite pas à dépasser 620 heures de travail déclaré pour un salaire annuel de 16 250 euros. La grande majorité des partenaires sociaux souhaitent donc que les négociateurs de l'assurance chômage retiennent une formule « simple » valorisant clairement, dans le calcul de l'allocation journalière, à la fois toute la rémunération annuelle perçue et la totalité du temps de travail effectué sur une période de référence de douze mois.
Le rapport suggère que :
- le seuil d'affiliation à l'assurance chômage soit progressivement relevé au fur et à mesure de l'impact positif des conventions collectives et de la politique de l'emploi sur la durée effectivement travaillée et déclarée ;
- un « contrat d'objectif incitatif » permette d'articuler les effets positifs pour l'Unedic des actions engagées sur la politique de l'emploi avec le niveau des cotisations d'assurance chômage ;
- la faisabilité d'une modulation de la cotisation employeur soit étudiée en fonction de la durée des contrats, en liaison avec les incitations définies dans les différentes conventions collectives.
Le rapport prend acte de l'intention des partenaires sociaux d'aboutir, dans le courant de l'année 2006, à huit conventions collectives, couvrant l'ensemble du champ et définissant précisément certains « points critiques », évoqués précédemment, pour la détermination du périmètre de l'intermittence et de la politique de l'emploi. En contrepartie, l'Etat et les collectivités territoriales feraient montre d'une grande vigilance quant au respect des normes sociales et des bonnes pratiques de l'emploi, quitte à exiger dans certains cas le remboursement des aides allouées et/ou à retirer les licences.
Tous les outils étant aujourd'hui en place, votre commission se montre optimiste quant à la conclusion de la nouvelle convention qui doit prendre effet à compter du 1er janvier 2006.
* 6 Cf rapport précité.
* 7 « L'orientation tout au long de la vie : qu'en pensent les Franciliens ? », Observatoire de la Formation, de l'Emploi et des Métiers de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris.