III. LE MULTILATÉRALISME MIS À L'ÉPREUVE

A. LES NÉGOCIATIONS MULTILATÉRALES RELANCÉES PAR L'ACCORD DE GENÈVE DU 31 JUILLET 2004

Si l'on excepte les avancées enregistrées sur la question de l'accès aux médicaments 8 ( * ) , les négociations du cycle engagé avec l'adoption du programme de développement de Doha n'ont pas connu d'avancée jusqu'en juillet 2004. En effet, l'échec de la conférence Cancun a fait apparaître des dissensions profondes entre les membres, sur l'ampleur de la libéralisation à réaliser dans les domaines agricole et industriel, comme sur le principe d'encadrer la mondialisation (sujets de Singapour). Les membres peinaient également à donner une dimension concrète à la vocation de développement du cycle de Doha, entre pragmatisme et générosité. La poursuite des négociations a cependant permis d'aboutir à un accord cadre le 31 juillet 2004 à Genève.

L'accord cadre adopté par les membres de l'OMC le 31 juillet 2004 a le mérite de consacrer la bonne volonté de l'ensemble des membres de l'OMC et de relancer une dynamique de négociation , même s'il reporte sine die la conclusion du cycle de Doha fixée au départ à la fin de 2004.

Cet accord prévoit notamment, en matière agricole, un traitement parallèle de toutes les formes de subventions à l'exportation -suppression des restitutions européennes mais aussi des crédits-exports américains sous certaines conditions- ainsi que différentes mesures de réduction des soutiens internes. Enfin, il fixe en termes généraux les modalités de réduction des droits de douane agricoles. C'est dans ce cadre que doivent maintenant se poursuivre les négociations. Cet accord-cadre ouvre la voie à une conclusion du cycle lors de la prochaine Conférence ministérielle qui se tiendra à Hongkong en décembre 2005.

Il est notoire que les subventions à l'agriculture des pays développés sont l'objet d'une critique croissante, alimentée par leur absence d'évolution tendancielle à la baisse (en 2002, le niveau de soutien à l'agriculture des pays développés était le même qu'à la fin de années 1980).

Les sept millions d'agriculteurs européens, qui seront bientôt quinze après l'élargissement, sont individuellement moins soutenus que les deux millions de « farmers » américains , même si le total des subventions à l'agriculture est plus élevé dans l'Union européenne qu'aux Etats-Unis.

Mais surtout, les subventions allouées de part et d'autre de l'Atlantique ne sont pas de même nature. Les subventions américaines sont par nature plus perturbatrices pour les marchés mondiaux que les soutiens européens . Alors que la politique agricole commune européenne a été profondément réorientée depuis dix ans vers des soutiens économiquement plus neutres, et encore récemment avec la réforme de la PAC décidée en juin 2003, les soutiens internes américains ont pour effet de maintenir ou d'accroître sur les marchés extérieurs les surplus de production et d'alimenter la dépression des cours mondiaux. C'est particulièrement le cas des « marketing loans », qui incitent le producteur américain à mettre sa production sur le marché à bas prix plutôt qu'à contrôler l'offre. La dépression prolongée des cours du coton trouve une partie de son explication dans le régime de soutien américain.

L'accord du 31 juillet 2004, et notamment son volet agricole, en organisant un effort parallèle de l'Union européenne et des Etats-Unis en termes de subventions agricoles, pourrait contribuer à désamorcer progressivement la critique croissante des pays en développement sur ce point et permettre ainsi aux négociations commerciales multilatérales d'avancer plus rapidement sur d'autres fronts.

S'agissant des services auxquels le texte adopté à Genève le 31 juillet consacre une annexe, ce qui a l'avantage de présenter un parallélisme au moins formel avec les autres volets de négociation du cycle, les pays n'ayant pas encore fait d'offre initiale sont encouragés à en déposer une avant mai 2005. En insistant sur la qualité des offres et en refusant toute exclusion sectorielle a priori, le texte préserve les conditions d'une relance des négociations sur le commerce des services. Une mention particulière est faite des intérêts offensifs des pays en développement, qui doivent être pris en compte dans la rédaction des offres (et notamment le « mode », c'est-à-dire les mouvements temporaires de fournisseurs contractuels de services).

S'agissant des sujets de Singapour , le texte consacre l'exclusion de trois des quatre thèmes de négociation envisagés à l'agenda de Doha : l'investissement, la concurrence et la transparence dans les procédures de passation des marchés publics ; il est donc désormais acquis qu'aucun de ces sujets ne pourra faire l'objet d'un travail préalable à l'ouverture de négociations à l'OMC pendant le cycle de Doha. Le Conseil général a décidé cependant de l'ouverture de négociations sur la suppression des obstacles techniques aux échanges , avec deux nouvelles garanties pour rassurer les PED (prise en compte des capacités de mise en oeuvre et dispense de réaliser des investissements d'infrastructure au dessus de leurs moyens, prise en compte de la situation particulière des PMA).

Les principales échéances fixées dans le texte sont :

- mai 2005 : remise des offres services révisées ;

- juillet 2005 : remise du rapport du Conseil commerce et développement sur le traitement spécial et différencié, examen des progrès de mise en oeuvre par le Conseil général.

Par ailleurs, le Conseil général a donné son accord à la tenue d'une conférence ministérielle à HongKong en décembre 2005 9 ( * ) .

* 8 L'accord intervenu par consensus à l'OMC le 30 août 2003 autorise les pays ne disposant pas de capacités suffisantes dans le secteur pharmaceutique à recourir aux licences obligatoires à des fins d'exportation.

* 9 S'agissant de la réforme de l'Organe de règlement des différends, des sessions de négociation ont repris à l'automne 2003, avec pour objectif de parvenir à un compromis en mai 2004. La persistance de divergences a conduit le Conseil général, fin juillet 2004, à repousser sine die le terme de la négociation qui se prolongera désormais en dehors du cadre de l'engagement unique.

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