II. UNE ANNÉE DE RÉFLEXION POUR LA SAUVEGARDE DE LA BIODIVERSITÉ ET LA PROTECTION DU PATRIMOINE NATUREL
La ministre de l'écologie et du développement durable a indiqué, au cours de son audition devant la commission, que l'exercice 2004 serait consacré à l'élaboration d'une stratégie nationale en faveur de la biodiversité, et au lancement d'une réflexion sur la modernisation de la politique du patrimoine naturel.
A. L'ÉLABORATION D'UNE STRATÉGIE NATIONALE EN FAVEUR DE LA BIODIVERSITÉ
L'appauvrissement de la diversité biologique mondiale, c'est-à-dire la diversité des gènes, des espèces animales et végétales, ainsi que des milieux qui les abritent, s'accélère au point d'être considérée, aujourd'hui, comme une menace globale d'une importance égale à celle des changements climatiques . De l'avis des experts, la moitié des espèces vivantes que nous connaissons pourrait disparaître d'ici un siècle.
L'importance et l'urgence de cet enjeu appellent une mobilisation mondiale. Celle-ci s'est déjà traduite, en 1992, lors du sommet de Rio de Janeiro , par l'adoption de la Convention sur la diversité biologique , que la France a ratifiée le 1 er juillet 1994.
Pour sa part, l'Europe a affiché, à travers la stratégie européenne pour la biodiversité , son ambition d'inverser la tendance d'ici à 2010.
La France, du fait de la richesse de son patrimoine et des engagements qu'elle a pris au plan international, se doit d'élaborer une politique ambitieuse de conservation de la diversité biologique.
Le ministère de l'écologie et du développement durable a déjà mis en oeuvre, en 1996, un « programme d'action pour la faune et la flore », qui propose une stratégie nationale pour une centaine d'espèces sauvages. Ce document souligne l'importance de la France à l'échelle européenne et même mondiale, pour la richesse de sa faune et de sa flore. Ainsi, par exemple, le seul département des Alpes-Maritimes héberge davantage d'espèces végétales que l'ensemble du Royaume-Uni. La Nouvelle-Calédonie, est, après Madagascar, le deuxième foyer au monde le plus riche en espèces endémiques.
Ce document met également en lumière les fortes menaces qui pèsent sur ce patrimoine. Sur 534 espèces de vertébrés, 109 sont menacées et 38 autres sont en voie d'extinction.
L'engagement international de la France dans le combat pour la biodiversité a été réaffirmé lors du sommet de Johannesburg auquel assistait le Président de la République.
Pour répondre à cette ambition, la ministre de l'écologie et du développement durable a annoncé, le 10 septembre 2003, qu'une stratégie nationale pour la diversité biologique serait adoptée dans le courant de l'année 2004.
Cette stratégie nationale devra être élaborée en concertation avec l'ensemble des administrations concernées, mais aussi avec tous les partenaires intéressés, et en particulier les collectivités locales.
Des groupes de travail ont été constitués au sein du ministère pour définir les objectifs et les orientations de cette stratégie, qui feront l'objet d'une présentation lors de la conférence des parties contractantes à la Convention sur la diversité biologique, qui se tiendra à Kuala-Lumpur, en Malaisie, en février 2004.
La stratégie finale et ses plans sectoriels seront établis d'ici le mois de juin 2004, de façon à pouvoir être présentés, après validation, lors du colloque international d'experts sur la recherche et la biodiversité que la France accueillera à l'automne.
B. LA RÉNOVATION DE LA POLITIQUE DU PATRIMOINE NATUREL
La ministre de l'écologie et du développement durable a également annoncé, le 10 septembre 2003, son intention de rénover et de moderniser la politique de protection, de gestion et de valorisation du patrimoine naturel, en insistant sur les orientations suivantes :
- améliorer la qualité de la connaissance du patrimoine naturel et la validation partagée des données pour permettre le débat et faciliter la prise de décision ;
- faciliter l'identification et l'appropriation collective des enjeux territoriaux , la responsabilisation et l'implication de tous les acteurs ;
- mettre en oeuvre un projet concerté de gestion contractualisée entre les acteurs locaux, inscrite dans les dynamiques de développement des territoires sur la base d'objectifs négociés et lisibles pour chacun, et ce, dans le respect des engagements internationaux de la France ;
- renforcer et simplifier les outils , notamment, techniques, juridiques, fonciers mais aussi financiers et fiscaux de la politique du patrimoine naturel.
Le ministère indique que ce vaste chantier se traduira, en juin 2004, par un colloque national, puis, en fin d'année, à l'issue d'une large concertation, de consultations régionales et d'un débat public, par un plan d'action comportant des mesures législatives.
Un projet de loi sur la rénovation du patrimoine naturel pourrait, en conséquence, être présenté en Conseil des ministres en fin d'année 2004 .
C'est dans ce cadre que s'inscrit la mission que le Premier ministre a confiée à M. Jean-Pierre Giran, député, sur les « parcs nationaux ».
C. UNE RÉFLEXION EN COURS SUR LES PARCS NATIONAUX
Les « parcs nationaux » sont en quelque sorte, le fleuron des outils de protection de la nature et des espaces naturels.
Au terme de six mois de réflexion, qui l'ont conduit à rencontrer un très grand nombre de personnalités représentatives des différents acteurs concernés par les parcs nationaux, M. Jean-Pierre Giran dresse un constat qui peut être très largement partagé, et avance des propositions qui méritent une réflexion approfondie.
1. Le constat : un label envié mais un fonctionnement qui suscite des frustrations
Au terme de sa mission, M. Jean-Pierre Giran estime que la notion de « parc national » rencontre une forte adhésion : ce label, qui vient consacrer et protéger un territoire jugé exceptionnel, est considéré par les habitants comme un atout et une source de fierté, et personne ne songe à demander la suppression des parcs existants.
Les difficultés surgissent en revanche lorsque l'on aborde la conciliation des exigences de protection du patrimoine naturel avec la volonté d'en permettre une fréquentation ouverte : la politique de préservation ne doit pas aboutir à bloquer toute évolution, à constituer une « nature sous cloche ».
Si la compétence des services du parc est très généralement admise, le mode de gestion et de fonctionnement de ces établissements publics est souvent critiqué par les propriétaires privés et les élus locaux, qui se sentent dépossédés d'une grande partie de leurs attributions du fait des règles de protection, et la servitude environnementale est souvent ressentie comme une forme d'expropriation, particulièrement lorsqu'elle va à l'encontre d'usages ancestraux.
M. Giran note également que l'ambiguïté sur les limites du parc que suscite la distinction actuelle entre « zone centrale » et « zone périphérique » doit être levée.
2. Les orientations
Prenant appui sur les trois orientations qui caractérisent l'action des pouvoirs publics, aujourd'hui -la volonté de décentraliser, le développement de la politique contractuelle, et la stratégie de développement durable- le rapport définit quelques principes généraux pour guider l'action :
- concilier l'intérêt national du parc avec son ancrage local , ce qui suppose d'équilibrer représentants du ministère et représentants des collectivités et des usagers, et de trouver une compensation financière aux servitudes environnementales ;
- allier protection et développement durable ;
- concilier une réglementation acceptée en « zone centrale » et une contractualisation responsable en « zone périphérique ».
3. Les propositions du rapport Giran
a) Une redéfinition des missions et du périmètre des parcs
• Clarifier les missions du parc national
Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 331-1 du code de l'environnement ne fixe au parc qu'un seul objectif de protection. Certes, la possibilité de compléter le parc par une zone périphérique, prévue à l'article L. 331-6, permet la création d'une zone intermédiaire propice au développement de politiques d'accueil. En pratique la protection du patrimoine naturel a effacé la promotion du patrimoine culturel.
M. Giran souhaite donc une réécriture de l'article L. 331-1 :
- affirmant la double mission du parc (protection et développement durable) ;
- relevant les exigences pour le classement : l'intérêt du territoire ne doit pas être seulement « spécial » comme aujourd'hui, mais pour tout ou partie, présenter un intérêt « exceptionnel » ;
- faisant référence au patrimoine naturel et au patrimoine culturel ;
- posant pour principe que la protection doit éviter toute altération irréversible de l'aspect, de la composition et de l'évolution du site.
• Unifier le périmètre du parc national
Estimant que le clivage entre zone centrale et zone périphérique n'est aujourd'hui plus d'actualité, M. Giran souhaite que soit réaffirmée la dimension globale du parc, eu égard à une double mission de protection et de développement durable.
La politique de protection resterait une priorité absolue dans le coeur du parc, constitué des zones les plus sensibles et les plus exceptionnelles ; elle incomberait à l'Etat qui pourrait imposer ses décisions, après avoir pris l'avis des communes concernées.
En revanche, une politique contractuelle de développement durable compatible avec la préservation de la nature serait mise en place dans la zone extérieure au coeur. Le parc naturel, du fait de ses capacités d'expertise, et la région, du fait de ses compétences en aménagement du territoire, joueraient un rôle de chef de file dans sa définition et sa conduite. Une charte de l'environnement et du développement durable , soumise le cas échéant à enquête publique, serait proposée aux communes concernées qui resteraient libres d'y adhérer ou non. A l'instar de la charte des parcs naturels régionaux, cette charte serait opposable aux documents d'urbanisme.
A la différence du coeur dont le périmètre serait imposé par l'Etat, un écart pourrait subsister entre le contour optimal du parc (défini de la façon la plus objective et scientifique possible) et son contenu effectif qui dépendra des décisions des communes : ainsi le principe d'adhésion se substituera-t-il au principe d'autorité. Dans ce périmètre, le parc proposera des actions. Enfin, en dehors de son périmètre, le parc national pourra accepter de répondre aux sollicitations des collectivités qui feraient appel à ses capacités d'expertise.
• Répondre au sentiment d'expropriation
Deux propositions tendent à répondre aux sentiments de dépossession des propriétaires privés et des collectivités territoriales :
- la création d'un « Conservatoire national du paysage », ou comme le suggérait le rapport Pisani de 1988, d'un fonds d'intervention pour le patrimoine naturel « permettant à l'Etat d'acquérir à l'amiable si l'occasion se présente des terrains privés qui recèlent une richesse naturelle exceptionnelle ou menacée » ;
- l'instauration au profit des communes dont tout ou partie du territoire s'inscrit dans le coeur du parc, d'un abondement de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour compenser la perte des ressources fiscales (taxe d'habitation, taxe sur le foncier bâti) qu'elles auraient pu espérer d'un éventuel développement qu'interdisent les règles du parc, et pour compenser les charges de gestion propres aux parcs.
b) Un établissement public administratif plus ouvert aux collectivités locales
• Le maintien du statut d'établissement public administratif
Celui-ci résulte actuellement de la combinaison de la loi de 1960, du décret de 1961 et de la pratique.
Il doit être consacré car, tout en maintenant le parc sous la tutelle de l'Etat, le statut d'établissement public permet à des personnes privées de participer à son fonctionnement et laisse une grande liberté dans la fixation des proportions des représentants de l'Etat, des collectivités territoriales, ainsi que des personnalités qualifiées.
En outre, le président du conseil d'administration peut être choisi au sein d'une de ces catégories de membres. Enfin, un établissement public administratif peut participer à un syndicat mixte.
• Un renforcement de la place des élus dans les organes de direction du parc.
Pour remédier au sentiment des élus d'être minoritaires au sein des organes du parc, M. Giran propose de rééquilibrer la composition du conseil d'administration en limitant à 30 % de l'effectif le collège des fonctionnaires, en portant à 40 % celui des représentants des collectivités, et en permettant au conseil d'administration du parc de proposer la nomination de la moitié des personnalités qualifiées.
Les présidents de conseil général et de conseil régional concernés, ainsi que les parlementaires dont tout ou partie de la circonscription se situe dans le parc, seraient membres de droit du conseil d'administration.
En outre, le président du conseil d'administration serait élu par les représentants des collectivités territoriales, et chargé des fonctions de communication, de représentation et d'animation de la politique contractuelle, et percevrait des indemnités de fonction.
La commission permanente serait remplacée par un bureau composé du président, du vice-président et d'au moins un représentant de chaque collège, pour assurer le suivi de la gestion courante.
Enfin, la durée du mandat des membres du conseil d'administration serait égalisée à 6 ans et chacun d'entre eux serait flanqué d'un suppléant.
Le conseil d'administration serait conseillé par un « comité scientifique » et un « comité du développement durable » regroupant les « forces vives » du parc (habitants, usagers, acteurs économiques, associations) et ayant pour mission de valoriser la dimension « culturelle » du parc national.
Pour éviter les conflits administratifs, M. Giran suggère en outre que le directeur du parc soit nommé par le ministre sur une liste de trois noms proposée par une commission de sélection composée majoritairement de membres du bureau et que toute initiative réglementaire soit soumise au préalable à une cellule réglementaire présidée par le préfet et comportant le directeur du parc, le directeur régional de l'environnement, les maires concernés, et le cas échéant, le préfet maritime.
c) Un renforcement des moyens et de l'ancrage local des parcs
Compte tenu de la dimension interministérielle du développement durable, M. Giran souhaite associer d'autres ministères que celui chargé de la protection de la nature, notamment celui de l'agriculture et de la pêche, celui du tourisme et celui de la culture, qui contribuent à la politique des parcs nationaux.
Sans remettre en question le statut des gardes-moniteurs des parcs recrutés dans le cadre d'un corps unique, M. Giran propose d'introduire dans les programmes de leurs concours de recrutement, des épreuves de connaissance du milieu et de l'histoire des parcs existants, et des épreuves qui permettent de mettre en valeur les qualités en matière d'accueil, de développement durable ou de pédagogie.
Il souhaite que soient encouragées les relations entre les parcs et les établissements scolaires ou universitaires de la région.
Il envisage la possibilité de créer un recrutement local pour les agents de catégorie « C ».
d) La promotion d'une politique d'ouverture
Conscient de la nécessité de mieux faire connaître et respecter les richesses du patrimoine naturel que constituent les parcs nationaux, il propose d'instaurer une communication nationale sur l'ensemble des parcs confiée à une entité « Parcs nationaux de France », disposant de la marque et du label, avec le cas échéant, des « journées du patrimoine naturel ».
La coopération internationale mérite également d'être développée grâce à l'attribution de dotations financières spécifiques, et par la création de parcs frontaliers.
e) La démocratisation de la procédure de création
Pour surmonter les blocages qui freinent actuellement la création de nouveaux parcs nationaux, M. Giran propose que la mission de création se déroule dans le cadre d'une structure juridique innovante : un groupement d'intérêt public , à l'image de la procédure mise en place pour le projet de parc des Calanques de Marseille à Cassis.
Ce GIP, dont la durée est limitée à huit ans, a pour mission d'animer et de coordonner les actions de protection et de gestion du site et de préparer la création du parc. Il réunit les représentants de l'Etat et de ses établissements publics, ceux des collectivités territoriales, et le monde associatif.
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