EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi en première lecture du projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 29 janvier dernier.
Composé initialement de 15 articles, ce projet de loi en compte désormais 36, l'Assemblée nationale en ayant ajouté 22 et supprimé un.
Il comporte un important volet consacré à l'urbanisme, ayant pour objet d'aménager certaines dispositions de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, sans attendre la mise en harmonie de ce texte avec les lois du 25 juin 1999 relative à l'aménagement et au développement durable du territoire, du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, annoncée par le Premier ministre dans son discours de politique générale le 3 juillet dernier.
Il comprend, par ailleurs, des dispositions relatives à la sécurité des ascenseurs, rendant obligatoires la mise aux normes du parc ancien, l'entretien des ascenseurs par un prestataire qualifié et leur contrôle technique périodique.
Enfin, le projet de loi comporte diverses dispositions relatives, d'une part, à la participation des employeurs à l'effort de construction, d'autre part, aux organismes d'habitations à loyer modéré.
L'Assemblée nationale a ajouté un titre V portant dispositions relatives aux pays, afin d'en simplifier la création et le fonctionnement.
Le projet de loi a été renvoyé au fond à la commission des Affaires économiques qui désigné comme rapporteur notre excellent collègue Dominique Braye.
Votre commission des Lois a souhaité, quant à elle, se saisir pour avis des dispositions relatives à l'urbanisme (articles premier à 6 ter du titre premier) et aux pays (articles 20 à 22 du titre V) qui ont trait à des domaines relevant traditionnellement de sa compétence de fond.
La loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains a opéré une réforme importante du droit de d'urbanisme qui n'a pas répondu suffisamment aux attentes des élus locaux. Le présent projet de loi, sensiblement enrichi par l'Assemblée nationale, vise à lever les principaux points de blocage créés par ce texte. Les propositions de votre commission des Lois tendent à poursuivre la décentralisation en matière d'urbanisme, à adapter les règles d'urbanisme en zone de montagne afin d'assurer un équilibre entre développement et protection, et à sécuriser le fonctionnement des pays.
I. LA LOI DU 13 DÉCEMBRE 2000 : UNE RÉFORME IMPORTANTE DU DROIT DE L'URBANISME QUI N'A PAS SUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE LES ATTENTES DES ÉLUS LOCAUX
La loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et aux renouvellement urbains a procédé à une réforme attendue du droit de l'urbanisme, qui s'est toutefois traduite par de nombreux blocages et quelques incohérences.
Centrée sur une logique de densification urbaine, elle n'a sans doute pas suffisamment pris en compte la diversité des territoires et les attentes des élus locaux.
Ces derniers se sentent parfois désemparés et démunis devant des règles nombreuses, complexes et parfois ambiguës, auxquelles il leur a été imposé de s'adapter dans des délais très brefs.
A. UNE REFONTE NÉCESSAIRE DES DOCUMENTS D'URBANISME
Très attendue, la réforme du droit de l'urbanisme opérée par la loi du 13 décembre 2000 a permis de rénover les instruments de planification à la disposition des élus locaux en faisant prévaloir une logique d'aménagement et de projet sur une logique strictement foncière.
1. Une réforme attendue
Dans une étude réalisée en 1992 (« L'urbanisme, pour un droit plus efficace »), le Conseil d'Etat avait souligné la triple crise dont souffrait le droit de l'urbanisme : crise de confiance dans une réglementation qui n'assurait plus de façon satisfaisante le respect des principaux équilibres dont elle avait la charge ; crise de légitimité de règles pesantes qui ne remplissaient plus l'objet pour lequel elles avaient été élaborées ; crise, enfin, de l'image de l'urbanisme.
Le rapport de notre ancien collègue Louis Althapé (« Simplifier et décentraliser, deux défis pour l'urbanisme 1 ( * ) »), au nom du groupe de travail de la commission des Affaires économiques et du Plan présidé par notre collègue Pierre Hérisson, avait parfaitement situé les enjeux du droit de l'urbanisme pour les prochaines années.
Pour jouer efficacement son rôle dans l'aménagement de l'espace et le développement des territoires , le droit de l'urbanisme doit en effet faire l'objet d'une simplification et s'inscrire dans une logique territoriale pleinement assumée par les acteurs décentralisés. Une telle perspective peut parfaitement se conjuguer avec les missions de l'Etat qui, recentré sur sa vocation principale, doit veiller au respect du droit et à la prise en compte des objectifs d'intérêt national dans les décisions locales.
Cette logique territoriale doit, en substituant une démarche dynamique d'aménagement à une démarche trop exclusivement foncière qui imprégnait le droit de l'urbanisme, répondre au défi d'une urbanisation mal maîtrisée dans des agglomérations qui concentrent trop souvent les maux de notre société. Elle doit aussi assurer les indispensables complémentarités entre les espaces urbains, périurbains et ruraux. C'est donc une dynamique des territoires qu'il importe de promouvoir .
Tout au long de l'examen de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, le Sénat et votre commission des Lois se sont efforcés de faire prévaloir cette dynamique, en particulier dans la rénovation des instruments de planification des politiques d'aménagement et d'urbanisme.
2. Des instruments de planification rénovés
Pour assurer la cohérence des politiques urbaines et d'aménagement, la loi du 13 décembre 2000 a profondément rénové l'architecture des documents d'urbanisme et leur a imposé de respecter de grands principes, d'une part, d'être compatibles les uns avec les autres, d'autre part.
Les grands principes qui régissent le droit de l'urbanisme ont été redéfinis et regroupés autour de trois axes : le respect des équilibres entre le « développement » urbain et la préservation des espaces agricoles, forestiers, naturels et des paysages, auquel a été ajouté le respect des principes du développement durable introduits par la loi du 25 juin 1999 ; les objectifs de mixité urbaine et sociale et de non discrimination ; l'utilisation économe des espaces tant urbains que naturels.
Les directives territoriales d'aménagement ont été conservées. Approuvées par décret en Conseil d'Etat, elles fixent, sur certaines parties du territoire, les orientations fondamentales de l'Etat en matière d'aménagement. Si elles doivent prendre en compte les orientations générales du schéma national d'aménagement du territoire, leurs dispositions s'imposent aux documents d'urbanisme des communes et des établissements publics de coopération intercommunale. La plupart des sept directives prévues entre 1996 et 1999 devraient être soumises à enquête publique cette année.
Les schémas de cohérence territoriale ont remplacé les schémas directeurs. Contrairement à ces derniers, qui portaient essentiellement sur la destination générale des sols, ils doivent déterminer les objectifs d'aménagement et d'urbanisme, à partir d'un diagnostic de la situation et d'un « projet d'aménagement et de développement durable ».
Elaborés par un établissement public de coopération intercommunale ou un syndicat mixte sur un territoire d'un seul tenant et sans enclave dont le périmètre est arrêté par le préfet sur proposition des communes et des groupements qui en sont membres, les schémas définissent les orientations générales de l'organisation de l'espace et de la restructuration des espaces urbanisés et déterminent les grands équilibres entre les espaces urbains et à urbaniser et les espaces naturels et agricoles ou forestiers. Ils apprécient les incidences prévisibles de ces orientations sur l'environnement.
A ce titre, ils définissent notamment les objectifs relatifs à l'équilibre social de l'habitat et à la construction de logements sociaux, à l'équilibre entre l'urbanisation et la création de dessertes en transports collectifs, à l'équipement commercial et artisanal, aux localisations préférentielles des commerces, à la protection des paysages, à la mise en valeur des entrées de ville et à la prévention des risques. Ils déterminent les espaces et sites naturels ou urbains à protéger et peuvent en définir la localisation ou la délimitation.
Les programmes locaux de l'habitat, les plans de déplacements urbains, les schémas de développement commercial, les plans locaux d'urbanisme, les plans de sauvegarde et de mise en valeur, les cartes communales, les opérations foncières et les opérations d'aménagement doivent être compatibles avec eux.
169 schémas directeurs ou schémas de cohérence territoriale étaient approuvés au 30 janvier 2003 ; 2 projets de schéma de cohérence territoriale étaient arrêtés ; 47 projets étaient en cours d'élaboration ; 76 périmètres venaient d'être délimités et 102 schémas étaient à l'étude.
Les plans locaux d'urbanisme , conçus comme les documents stratégiques et opérationnels des communes, ont remplacé les plans d'occupation des sols. Au 1 er juillet 2002, le nombre de communes couvertes par un plan d'occupation des sols ou un plan local d'urbanisme approuvé était estimé à 15.900 et le nombre d'habitants concernés à 54,3 millions , soit 88,7 % de la population.
Les plans locaux d'urbanisme sont élaborés, après une phase de diagnostic, sur la base d'un projet d'aménagement et de développement durable. Celui-ci fixe les orientations générales de la commune en matière d'aménagement et d'urbanisme. Il peut, en outre : caractériser les îlots, quartiers ou secteurs à restructurer ; identifier les espaces ayant une fonction de centralité ; prévoir les actions et opérations d'aménagement à mettre en oeuvre (notamment, en matière d'espaces et de voies publiques, d'entrées de ville, de paysages, d'environnement, de lutte contre l'insalubrité, de sauvegarde de la diversité commerciale et de renouvellement urbain).
Les plans locaux d'urbanisme fixent les règles générales d'utilisation du sol, délimitent les zones urbaines ou à urbaniser ainsi que les zones naturelles ou agricoles et forestières, et définissent les règles d'implantation des constructions. Les autres règles sont définies en tant que de besoin.
Le contenu potentiel des plans locaux d'urbanisme en termes de réglementation du droit des sols est sensiblement identique à celui des plans d'occupation des sols. Toutefois, ils ne peuvent plus fixer des tailles minimales de terrain en deçà desquelles il est interdit de construire, sauf dans les zones à assainissement individuel, et n'ont plus la possibilité de prévoir de dépassement du coefficient d'occupation des sols. Ils peuvent, en revanche, décider de projets d'actions et d'opérations d'aménagement, notamment sur l'espace public.
Les plans locaux d'urbanisme peuvent prévoir des servitudes spécifiques dans les zones urbaines, notamment : le gel de la constructibilité pendant au maximum cinq ans, dans l'attente de l'approbation d'un projet d'aménagement global sur un périmètre déterminé ; des emplacements réservés pour la réalisation de programmes de logements ; des emplacements réservés pour les voies et ouvrages publics, les installations d'intérêt général et les espaces verts.
La procédure de zone d'aménagement concerté (ZAC) est maintenue ; le plan d'aménagement de zone est supprimé en tant que tel et intégré au règlement du plan local d'urbanisme. Dans les ZAC, le plan local d'urbanisme peut préciser la localisation et les caractéristiques des principales voies de circulation et des espaces publics, la localisation des principaux ouvrages publics, des installations d'intérêt général et des espaces verts, ainsi que la surface hors oeuvre nette (SHON) autorisée par îlot.
Les cartes communales , qui correspondent aux anciennes modalités d'application du règlement national d'urbanisme (MARNU), ont acquis le statut de document d'urbanisme à part entière.
Les petites communes, rurales pour la plupart, souhaitent en effet généralement établir une simple cartographie délimitant les zones constructibles et les zones naturelles, mais n'ont pas besoin de se doter d'un plan local d'urbanisme, qui reste assez complexe à élaborer puis à gérer.
Les cartes communales sont constituées d'un rapport de présentation et d'un ou plusieurs documents graphiques opposables aux tiers, mais les autorisations de construire sont instruites et délivrées sur le fondement des règles générales d'urbanisme. Elles sont élaborées à l'initiative et sous la responsabilité des collectivités locales, qui peuvent demander une mise à disposition des services de l'Etat. Le projet de carte communale est soumis à enquête publique, puis est approuvé conjointement par le conseil municipal et par le préfet.
Les communes dotées d'une carte communale deviennent compétentes pour délivrer les permis de construire dans les mêmes conditions que les communes dotées d'un plan local d'urbanisme. Elles peuvent cependant décider expressément que les permis resteront délivrés au nom de l'Etat.
Les communes dotées d'un plan local d'urbanisme peuvent décider de l'abroger, après enquête publique, notamment pour lui substituer une carte communale, si ce document plus simple et plus souple, leur paraît mieux adapté aux enjeux locaux. Au 1 er janvier 2002, environ 1.300 cartes étaient en cours d'élaboration dans le cadre fixé par la loi du 13 décembre 2000.
3. Une démocratisation des procédures
La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains a généralisé les procédures habituelles que sont les enquêtes publiques et les modes de concertation des habitants.
La population doit désormais être systématiquement consultée par voie d'enquête publique lors de l'élaboration ou de la modification des documents d'urbanisme.
La démocratisation des procédures se traduit également par l'instauration d'un débat au sein du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération locale sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable des plans locaux d'urbanisme et des schémas de cohérence territoriale.
L'information des collectivités territoriales est également enrichie, la délibération prescrivant l'élaboration d'un plan local d'urbanisme étant notifiée au préfet, aux présidents des conseils régionaux et généraux, aux organismes consulaires ainsi qu'aux établissements publics chargés des schémas de cohérence territoriale.
* 1 Rapport n° 265 (Sénat, 1999-2000).