II. LE MALAISE DE LA GENDARMERIE

A. UNE ACTIVITÉ SOUS TRÈS FORTE TENSION

Les statistiques d'activité de la gendarmerie en 2000 (101 000 000 heures dont plus de la moitié consacrée à la défense civile) n'enregistrent pas de variation majeure par rapport à l'année précédente. Toutefois l'année 2001 devrait être marquée par un surcroît de charges lié à l'implication de la gendarmerie dans le cadre du passage à l'euro et du plan Vigipirate. Au-delà de ces facteurs de caractère conjoncturel, les données chiffrées ne doivent pas dissimuler les profondes mutations auxquelles l'Arme se trouve confrontée dans l'exercice de ces missions depuis au moins une décennie.

Ces évolutions reflètent pour une large part les transformations de la société française : urbanisation, augmentation de la population dans certaines zones autrefois consacrées aux seules activités agricoles ou, au contraire, désertification de territoires entiers. Si le cadre d'action de la gendarmerie s'est modifié, l'échelle de ses interventions s'est également élargie et doit prendre en compte de plus en plus la dimension internationale : renforcement de la sécurité intérieure au sein de l'Union européenne ou opérations de maintien de la paix.

1. Les facteurs conjoncturels de l'accroissement des charges

. L'implication de la gendarmerie dans le passage à l'euro fiduciaire en 2002

Le passage à l'euro et l'importance des transferts de fonds qu'il suscitera soulèvent un problème majeur de sécurité publique. C'est pourquoi la gendarmerie, aux côtés de la police nationale, connaîtra une mobilisation exceptionnelle des derniers mois de 2001 jusqu'à la fin février 2002, mais surtout entre le 15 décembre et le 15 janvier, période au cours de laquelle ses moyens sont déjà traditionnellement très sollicités.

La contribution de l'Arme portera principalement sur quatre types de missions :

- les escortes de transports de fonds ; certaines seront partagées avec la police (transferts entre la Banque de France et les centres forts des transporteurs de fonds, escortes de train entre les centres nationaux de stockage et les centres départementaux de stockage), d'autres prises en charge exclusivement par la gendarmerie (acheminement de toute la monnaie vers les départements et collectivités territoriales d'outre-mer et acheminement des billets vers les succursales de la Banque de France).

- les surveillances particulières au profit de succursales de la Banque de France et des centres forts des transporteurs de fonds.

- la sécurité publique générale (surveillance de quelque 50 000 établissements -banques, postes, Trésors publics...- mais aussi des commerces sensibles -buralistes- ou des personnes vulnérables).

- les missions de police judiciaire (protection contre le faux-monnayage et lutte contre le blanchiment d'argent sale).

Par ailleurs, un plan d'action « formation euro » fixe l'obligation pour tous les personnels de la gendarmerie de recevoir une formation à l'euro avant fin 2001 sous trois formes :

- formation générale sur le calendrier de mise en place et sur les pièces et billets pour pouvoir renseigner les usagers ;

- formation spécifique avec mise en condition opérationnelle organisée par le groupement de sécurité et d'intervention de la gendarmerie nationale (GSIGN) à Versailles et par le centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) à Saint-Astier pour les personnels effectuant les escortes ;

- formation à la lutte contre le faux-monnayage pour les unités spécialisées en police judiciaire, en commun avec leurs homologues de la police nationale.

Enfin, la gendarmerie s'est dotée de matériels spécifiques : véhicules Expert, 206, Land Rover blindées, casques, masques à gaz et gilets pare-balles supplémentaires pour les personnels de la gendarmerie départementale ; moyens de communication Rubis et GPS destinés à assurer un suivi constant et précis des convois par la chaîne de commandement gendarmerie.

Au plan opérationnel, les missions d'escorte de pièces ont débuté dès le mois de juin 2001. A la fin du mois d'octobre 2001, près de 10 000 gendarmes auront été employés sur les missions d'escorte, de garde, de sécurité des transbordements, de sécurisation des itinéraires ou de pilotage des convois.

A la fin des opérations -vers la mi-février 2002, lorsque la remontée des francs aura été assurée- 65 000 gendarmes auront, au total, participé aux diverses missions liées à la mise en place de l'eurofiduciaire.

Le coût global est estimé à 13,20 millions d'euros pour l'équipement et à 18,7 millions d'euros pour le fonctionnement (dont 14,8 millions d'euros pour le versement d'une indemnité forfaitaire exceptionnelle de 230 euros à 65 000 militaires de la gendarmerie afin de compenser le surcoût d'activité lié à la mise en place de l'eurofidiciaire).

. La mobilisation de la gendarmerie dans le plan Vigipirate

Le plan Vigipirate renforcé ne s'est pas traduit par la mise en place de moyens spécifiques dans la mesure où les missions de sécurité intérieure constituent la vocation première de la gendarmerie. Il s'est accompagné, en reanche, d'une mobilisation accrue des personnels et du renforcement du dispositif de sécurité autour de certains lieux « sensibles ».

Ainsi la gendarmerie participe plus particulièrement au côté d'autres formations :

- à la sécurité des aérodromes (300 en zone de gendarmerie nationale) et des emprises aéroportuaires nationales. La gendarmerie des transports aériens (1 060 personnels) a renforcé les mesures de sécurité sur les 30 sites aéroportuaires où elle est présente. Elle est, par ailleurs, soutenue dans cette mission par des personnels du groupement blindé de la gendarmerie mobile et, ponctuellement, par les gendarmes du GSIGN et de la Garde Républicaine. La surveillance des autres aérodromes est assurée par les personnels des compagnies de gendarmerie départementale.

- à la sécurité extérieure des centrales nucléaires (19 sites sur le territoire national) et à la recherche du renseignement dans le aires spéciales de surveillance. Les pelotons de surveillance et d'intervention (20) des zones concernées, assurent une surveillance continue de ces sites et maintiennent une réserve d'intervention (250 gendarmes par jour).

- à la sécurité extérieure et intérieure de sites nucléaires de l'armée (8 sites). La gendarmerie de l'air (1 027), la gendarmerie maritime (1 175) et la gendarmerie de la sécurité des armements nucléaires effectuent de manière continue la surveillance de ces sites militaires.

- à la sécurisation des lignes SNCF et des transports urbains dans le cadre de contrats locaux de sécurité (14) et notamment dans les départements : Oise, Seine et Marne, Essonne, Nord-Pas de Calais.

Par ailleurs, depuis la mise en place du plan Vigipirate renforcé, les personnels de l'escadron de protection et d'intervention de la gendarmerie nationale ont été amenés à intervenir plus fréquemment pour des missions préventives et, notamment, des fouilles de sites (chiens spécialisés).

Enfin, la gendarmerie départementale est intervenue à de nombreuses reprises en protection des biens et des personnes pour de nombreuses fausses alertes à la bombe, alertes à la poudre blanche, dégradation de biens publics et vols de bouteilles de gaz. L'augmentation du nombre d'enquêtes judiciaires suite à des signalements suspects est elle aussi significative.

2. Les tendances structurelles à l'alourdissement des missions dans un contexte marqué par l'aggravation de la délinquance

Depuis plusieurs années, le champ d'action de la gendarmerie s'est élargi à de nouvelles missions. La part prise par l'Arme dans la sécurité des zones sensibles et dans les opérations de maintien de la paix apparaissent comme deux volets très différents des profondes évolutions qui concourent à façonner un nouveau visage de la gendarmerie. Dans le même temps, la gendarmerie doit poursuivre ses missions traditionnelles, essentielles, en particulier pour la sécurité des zones rurales. Il lui faut ainsi trouver un nouvel équilibre entre des responsabilités désormais très diverses.

a) Les responsabilités de l'Arme dans les zones sensibles

L'alourdissement des charges a pour arrière-plan l'augmentation en 2000 du nombre de crimes et délits constatés en particulier dans la zone de compétences de la gendarmerie (+ 9,45 %). Les statistiques font apparaître en particulier une recrudescence des affaires de stupéfiants (+ 15,5 %) et des vols (+ 10,36 %).

 

Police nationale

Gendarmerie nationale

Total tous services

Faits constatés

1999

2000

Variation

1999

2000

Variation

1999

2000

Variation

Total des crimes et délits

2 678 907

2 798 906

+ 4,48 %

888 957

972 943

+ 9,45 %

3 657 864

3 771 849

+ 5,72 %

Délinquance de voie publique

1 475 185

1 467 671

- 0,51 %

424 096

469 838

+ 10,79 %

1 899 281

1 937 509

+ 2,01 %

Les éléments dont on dispose pour le premier semestre 2001 ne laissent pas d'inquiéter : ils montrent en effet une hausse des infractions de l'ordre de 9,5 % en moyenne, dont 17,7 % dans la zone de gendarmerie.

L'évolution de la délinquance dans la zone de compétence de la gendarmerie s'explique dans une large mesure par l'augmentation de la population, passée en dix ans de 11,9 millions d'habitants à 13 millions d'habitants, soit une progression de 8,7 % entre 1990 et 1999.

Du fait de l'urbanisation progressive de certains espaces ruraux, la gendarmerie se trouve confrontée, dans ses zones de compétence traditionnelles, aux formes, relativement nouvelles pour elle, d'une criminalité propre aux villes et à leurs banlieues.

. Le dispositif de la gendarmerie départementale dans les zones sensibles

La gendarmerie compte 946 brigades en zone périurbaine, soit 26 % des brigades territoriales réparties en trois catégories :

- 85 brigades territoriales très sensibles ;

- 100 brigades territoriales sensibles ;

- 761 brigades périurbaines normales.

Ces unités présentent plusieurs traits communs :

- en premier lieu, elles représentent plus de la moitié des crimes et délits constatés par la gendarmerie.


 

BT périurbaines très sensibles

BT périurbaines sensibles

BT périurbaines normales

Moyenne nationale des BT

Crimes et délits totaux constatés par militaire

59

44

28

26

Crimes et délits de voie publique constatés par militaire

39

27

15

13

Ensuite, elles disposent d'effectifs renforcés . Ainsi, si le ratio général effectif/population en zone de gendarmerie est de un gendarme pour 1000 habitants, il a été relevé à 1 pour 900 pour les brigades périurbaines normales et à 1 pour 800 pour les brigades périurbaines sensibles et très sensibles.


 

Nombre

Effectif professionnel

Effectif non-professionnel

Total

BT périurbaines très sensibles



85



1 838



266



2 104

BT périurbaines sensibles

100

1 774

280

2 054

BT périurbaines normales

761

8 603

1 339

9 942

Total BT périurbaines

946

12 215

1 885

14 100

Les renforcements d'effectif ont pour une très large part reposé, depuis 1998, sur des redéploiements ou sur la substitution de sous-officiers par des gendarmes adjoints dans les unités les moins chargées. Alors que ce processus atteint aujourd'hui ses limites, les unités périurbaines enregistrent encore un véritable déficit d'effectifs.

Par ailleurs, la rémunération d'une partie des personnels des unités périurbaines tient compte des contraintes particulières liées aux missions de sécurité dans les zones sensibles. D'une part, la nouvelle bonification indiciaire au titre de la politique de la ville se traduit par l'attribution de 30 points d'indice supplémentaires pour les commandants de brigade, 20 points pour les autres gradés et 10 points pour les gendarmes. En outre, les militaires de la gendarmerie devraient prochainement bénéficier de l'avantage spécifique d'ancienneté attribué aux personnels après trois ans de service dans une unité compétente dans un quartier difficile.

Toutefois, ce dispositif apparaît limité : d'une part, il ne procure qu'un avantage comparatif modeste par rapport aux rémunérations obtenues dans les autres unités, d'autre part, il ne s'applique pas à l'ensemble des unités sensibles dans la mesure où la carte des zones périurbaines, définies par la gendarmerie avant tout sur des critères opérationnels, dépasse celle de la politique de la ville qui ouvre droit à des avantages spécifiques.

L'organisation de la gendarmerie a dû tenir compte de certaines spécificités de son action dans les zones périurbaines.

Ainsi la coordination des unités s'effectue dans le cadre des bassins de délinquance pour lesquels sont instituées des zones d'intervention opérationnelle prioritaires. Elle privilégie la capacité de regroupement et la mutualisation des moyens.

La spécificité des zones périurbaines a également justifié la création d'une nouvelle structure, la brigade départementale de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ). Quarante unités de ce type ont été créées à ce jour. Elles réunissent chacune 6 militaires : 1 adjudant, 1 maréchal des logis chef et 4 gendarmes comprenant au moins un formateur relais antidrogue et une femme. Ces personnels sont tous volontaires et rigoureusement sélectionnés. Les brigades départementales de prévention de la délinquance juvénile ont avant tout une vocation préventive fondée sur un contact régulier avec les jeunes et le partenariat avec d'autres acteurs institutionnels. Quatre brigades comptent dans leurs rangs des officiers de police judiciaire habilités à l'exercice des attributions liées à cette qualité. Dès lors, dans ces unités, les activités de police judiciaire -de 60 à 80 % du temps de travail- tendent à supplanter les missions de prévention. Cette évolution traduit à la fois un besoin spécifique pour lequel les structures traditionnelles ne sont pas toujours les mieux adaptées mais aussi une dérive au regard du rôle initial des BPDJ.

Une circulaire ministérielle d'avril 2001 a cherché à recentrer l'activité des brigades sur leur rôle préventif, mais elle maintient, en matière judiciaire, l'audition des mineurs victimes et la participation à certaines enquêtes (recherches, renseignements, contact avec la population dans le cadre d'une enquête).

. Une pression particulière sur la gendarmerie mobile

Le Conseil de sécurité intérieure du 19 avril 1999 a décidé de réorienter l'action d'une partie des forces mobiles (escadrons de gendarmerie mobile -EGM-, compagnies républicaines de sécurité) au profit des zones urbaines et périurbaines les plus sensibles.

Les escadrons ne sont placés ni sous réquisition, ni sous le régime de la demande de concours. Ils agissent sur ordre du ministère de la défense pour assurer, dans les zones sensibles fortement urbanisées, des missions de deux types : d'une part, la surveillance générale ; d'autre part, les services d'ordre ou d'intervention ponctuelle de sécurité publique. Aux neuf escadrons engagés dans les départements de la Gironde, de l'Isère, de Loire-Atlantique, de l'Oise, du Pas-de-Calais, du Bas-Rhin, de Seine-et-Marne, des Yvelines, du Val d'Oise, se sont ajoutés, en 2001, trois escadrons en Eure-et-Loir, dans l'Hérault et le Var.

Le cadre et les conditions d'emploi des escadrons ont été clarifiés en 2000 : les unités peuvent être employées au-delà des missions de sécurisation à titre exceptionnel pour des opérations de maintien de l'ordre ou, en soutien, pour assurer les tâches et servitudes liées au fonctionnement de la justice ainsi qu'à la police des étrangers.

Bien qu'il soit toujours difficile d'apprécier l'impact d'une action principalement préventive, la présence des escadrons dans les zones concernées a généralement suscité la satisfaction des élus et de l'opinion.

Cependant, la fidélisation soulève encore deux interrogations :

- en premier lieu, la répartition des escadrons -2/3 en zone de police nationale, 1/3 en zone de gendarmerie- provoque un déséquilibre de la présence policière et une progression de la délinquance dans les zones de gendarmerie. Du reste, les préfets de l'Isère et de l'Oise ont choisi de conserver le principe initial d'une répartition par moitié entre chacune des deux zones.

- ensuite, la nouvelle charge liée à la fidélisation interdit aux personnels de bénéficier des jours de repos et permissions auxquels ils peuvent prétendre. La réduction de la durée de la mission ramenée de 6 à 4 mois devrait cependant permettre de mieux répartir la charge sur l'ensemble des unités et de limiter l'usure des personnels.

D'une manière générale, la fidélisation aggrave le suremploi de la gendarmerie mobile observé depuis plusieurs années.

Le nombre de jours de déplacement est ainsi passé de 204 en 1999 à 214 en 2000 et, sans doute, 224 en 2001 -alors qu'une saine gestion conduirait à limiter ce nombre à 180. Cette évolution apparaît préoccupante à plusieurs titres :

- elle réduit -en particulier lors de la période estivale- le nombre d'escadrons disponibles pour exercer, à la demande du gouvernement, des missions de sécurité publique. L'affectation de trois unités supplémentaires en fidélisation aura ainsi pour effet de supprimer de fait les capacités de réserve gouvernementale de la gendarmerie mobile ;

- elle fait peser une pression constante sur les personnels dont les droits statutaires à repos et permission sont sérieusement affectés ;

- enfin, les conditions d'emploi pèsent sur le temps consacré à la formation , indispensable pourtant pour préserver la capacité opérationnelle des unités, en particulier dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre. Alors que chaque escadron bénéficie en principe de quatre semaines de neutralisation pour la formation à la résidence ou en camp entre mi-septembre et mi-juin, aucune unité n'a pu en pratique consacrer plus de vingt jours à la formation. L'instruction, investissement capital pour le maintien de la capacité opérationnelle, a ainsi été reléguée au rôle de variable d'ajustement .

Bilan de la formation (en jours/escadron) effective par les régions de gendarmerie mobile

Légion de gendarmerie mobile d'Ile de France

20

Légion de gendarmerie mobile de Bordeaux

16

Légion de gendarmerie mobile de Rennes

19

Légion de gendarmerie mobile Lyon

19

Légion de gendarmerie mobile de Marseille

16

Légion de gendarmerie mobile de Metz

15

Légion de gendarmerie mobile de Villeneuve d'Ascq

17

A la suite d'un audit réalisé en 2000, certaines améliorations ont été apportées à compter du 1 er mars 2001 à l'organisation et à l'équipement de la gendarmerie mobile :

- l'articulation des escadrons de gendarmerie mobile a été modifiée. En effet, face aux nouvelles menaces de troubles à l'ordre public, caractérisées par une dispersion et une mobilité accrues de petits groupes violents et parfois coordonnés, les escadrons articulés jusqu'à présent en trois pelotons adopteront désormais une structure quaternaire ;

- les équipements des personnels ont été renforcés par des bâtons de protection à double poignée latérale -en remplacement du FAMAS- et par de nouveaux moyens de mobilité.

Ces adaptations ne paraissent cependant pas à la mesure des difficultés rencontrées par la gendarmerie nationale.

b) Le poids des responsabilités hors de nos frontières

Au 1 er août 2001, la gendarmerie comptait 1.028 militaires à l'étranger. Les contingents les plus importants (158 en Bosnie, 215 au Kosovo) témoignent de l'engagement croissant de l'Arme dans les opérations de maintien de la paix.

Cette ouverture sur l'extérieur représente une chance pour le rayonnement du modèle français de sécurité, mais aussi une charge supplémentaire à l'heure où la progression des effectifs suffit à peine à satisfaire les besoins de sécurité intérieure. Or, ces nouvelles missions risquent de peser davantage encore à la suite de la mise en place d'une force de police européenne dont le principe a été arrêté par le Conseil européen de Feira, au Portugal, en juin 2000.


En ambassade

12

Renfort sécurité au profit des représentations diplomatiques françaises (dont Algérie : 99)

448

En coopération militaire technique

86

En mission OTAN

190

En mission ONU

188

En prévôté temporaire

6

En prévôté permanente

75

Divers

23

TOTAL

1028

. L'engagement de la gendarmerie au Kosovo

Les missions classiques de la gendarmerie -et, en particulier, l'expérience acquise par la gendarmerie mobile en matière de maintien de l'ordre- la destinent à jouer un rôle privilégié dans les opérations de rétablissement et de maintien de la paix dont le nombre s'est multiplié au cours de la dernière décennie.

L'engagement de la gendarmerie au Kosovo -quelque 158 militaires- illustre les différents modes d'action de l'Arme dans ce type d'opérations. Elle intervient au sein de la KFOR, de la MINUK, mais aussi de la mission française d'appui au tribunal pénal international.

- Le dispositif déployé au sein de la KFOR

Le transfert de compétences de l'OTAN à l'ONU et la priorité reconnue aux missions de maintien de l'ordre a conduit à réorganiser le détachement gendarmerie a sein de la brigade multinationale Nord.

Au sein de la KFOR, la gendarmerie est représentée par 9 officiers et 129 sous-officiers répartis entre diverses composantes : d'une part, des experts intégrés aux Etats-majors (6 officiers et sous-officiers), d'autre part, un détachement de manoeuvre. Celui-ci comprend trois éléments distincts :

1° Un escadron de gendarmerie mobile chargé d'assurer en priorité des missions de maintien de l'ordre, mais aussi certaines missions secondaires telles que la recherche de renseignement, la sécurisation, l'îlotage, les contrôles routiers et les escortes de convois. Dans le cadre des interventions de maintien de l'ordre, cette unité est placée sous les ordres d'un officier supérieur de gendarmerie responsable du commandement des unités de maintien de l'ordre de la Brigade multinationale Nord, dont fait également partie la compagnie de réserve opérationnelle de l'armée de terre.

2° Un peloton de gendarmerie de surveillance et d'investigation.

3° 15 sous-officiers intégrés dans les brigades prévôtales adaptées aux unités de l'armée de terre déployées au Kosovo et en Macédoine 5( * ) .

- Le dispositif déployé au sein de la mission de police civile de l'ONU

Les personnels -78 officiers et sous-officiers- expérimentés et aptes à travailler en langue anglaise, sont insérés dans l'état-major principal et les différents détachements de police. Ils ont d'abord vocation à assumer l'ensemble des missions de police sur le Kosovo avant d'exercer les missions traditionnelles de police civile internationale (contrôle, formation et Conseil des polices locales).

- L'engagement au profit du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie

La gendarmerie met à la disposition du tribunal pénal deux experts en police scientifique et technique, ainsi qu'une équipe de gendarmes spéléologues dans le cadre de missions de courte durée (enquêtes sur les crimes de guerre).

Comme en témoigne la part prise par la gendarmerie au Kosovo, les opérations de maintien de la paix intègrent de plus en plus, au-delà des aspects proprement militaires, les missions liées à la sécurité intérieure , indispensables dans la perspective de restauration de l'Etat de droit.

Ces évolutions ont conduit à mieux définir les liens entre la gendarmerie et l'armée de terre . Le rôle respectif des deux forces a pu, en effet, donner lieu à des interprétations divergentes. Il obéit désormais au principe mis en avant dans la doctrine interarmées, d'emploi des forces en opérations : « le bon effet, par le moyen adéquat, dans le meilleur cadre espace-temps ». La complémentarité des dispositifs gendarmerie et réserve de terre doit répondre à un usage gradué des forces :

- l'armée de terre représente le dispositif de puissance qui, après avoir contribué au contrôle global du terrain, empêche le retour à l'affrontement général et à des agressions de haute intensité ;

- la composante gendarmerie est déployée au plus tôt dans le sillage du dispositif militaire de puissance pour assurer la restauration de la sécurité publique (protection des personnes et des biens, maintien de l'ordre, police judiciaire et renseignement d'ordre général).

Les phénomènes de foule peuvent poser des problèmes de frontières délicats. S'ils relèvent en priorité des unités de gendarmerie, plus familières que l'armée de terre du maintien de l'ordre, il est apparu nécessaire de doter les unités de l'armée de terre de capacités d'autoprotection afin de contenir les foules en attendant les unités policières spécialisées. Par ailleurs, les risques de dérive liés à l'emploi d'armes à feu doivent provoquer le désengagement de la gendarmerie et la mise en place d'un dispositif « armée de terre » mieux à même de répondre à un niveau de violence de haute intensité.

. Une force de police européenne

Le Conseil européen de Feira, réuni en juin 2000, a décidé la mise en place d'une force de police professionnelle de 5.000 hommes dont 1.000 seraient projetables dans un délai de 30 jours.

Le Conseil européen de Nice, en décembre 2000, a retenu deux concepts génériques d'emploi des forces de police :

- le renforcement des polices locales par des actions de formation, d'entraînement, d'assistance, de contrôle et de conseil ;

- la restauration de la sécurité publique en substitution des polices locales défaillantes et la réactivation des organes judiciaires.

Une conférence ministérielle d'engagement de capacités en matière de police s'est réunie à la fin du mois de novembre sous présidence belge. Notre pays a confirmé à cette occasion sa contribution globale de l'ordre de 810 personnels -gendarmes et policiers.

Dans ce cadre, la gendarmerie prévoit de mettre à la disposition des capacités globales de l'Union européenne 600 officiers et sous-officiers dont 300 devraient être plus spécialement dévolus à un engagement dans le cadre de la capacité de déploiement rapide ;

- les 300 gendarmes au titre du déploiement rapide interviendront sous la forme d'escadrons de gendarmerie mobile. Disposant de dotations propres articulées en un groupement opérationnel polyvalent, elles agiront en complète intéropérabilité avec des forces de statut comparable (carabiniers italiens, guardia civil espagnole, garde républicaine nationale portugaise, maréchaussée néerlandaise). Les délais d'intervention de cette capacité de réaction rapide pourront être très courts, comme le montre de manière anticipée le déploiement d'un escadron de gendarmerie mobile sous préavis de 24 heures au Kosovo ;

- en fonction de la situation, les 300 autres militaires pourront intervenir en unités constituées ou dans le cadre de détachements d'experts. Ils pourront être déployés à toutes les étapes de la gestion d'une crise, depuis la phase de coercition jusqu'à la phase de reconstruction, et participer aux missions de renforcement des polices locales.

L'expérience tend à montrer qu'un déploiement de quatre à six mois pour les unités intégrées et d'une durée de six mois à un an pour les personnels détachés en qualité d'experts apparaît satisfaisant.

Outre son implication dans la force de police européenne, la gendarmerie pourrait jouer un rôle pilote dans le domaine de la formation en matière de restauration de la sécurité publique. Avec le Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier, elle dispose en effet d'une structure qui pourrait devenir le lieu d'entraînement au maintien de l'ordre des autres forces de police européenne dans la perspective de la mise en place de la force de police européenne.

D'ores et déjà, des contingents de plus en plus nombreux des forces de police de statut militaire bénéficient d'une formation en France.

B. LES RISQUES D'UNE CRISE

L'accroissement des missions pèse de manière d'autant plus lourde que l'augmentation des effectifs de la gendarmerie n'a reposé que sur des volontaires et que les gains espérés des restructurations du dispositif atteignent aujourd'hui leurs limites. Aujourd'hui, il n'est plus possible de faire l'impasse sur l'augmentation des effectifs professionnels.

1. La fragilité des moyens

a) Le volontariat, seule ressource supplémentaire reconnue à la gendarmerie

L'augmentation des effectifs dont bénéficie la gendarmerie provient du recrutement de volontaires. La loi de programmation 1997-2002 prévoit ainsi le remplacement des 12 014 gendarmes auxiliaires issus du service national, par 16 232 gendarmes-adjoints volontaires. Ainsi, paradoxalement, depuis la mise en oeuvre de la professionnalisation, la gendarmerie, à la différence des armées, a vu ses effectifs de non professionnels s'accroître. C'est dire l'importance de cette nouvelle ressource pour l'Arme. Il y a là pour elle un double défi quantitatif et qualitatif. Si le premier est en passe d'être relevé, le second, en revanche, présente davantage d'incertitudes.

. Le défi quantitatif en passe d'être relevé

Destinés à remplacer progressivement les appelés du service national, les gendarmes adjoints sont recrutés pour une durée d'un an sur la base d'un contrat renouvelable quatre fois.

La gendarmerie doit donc désormais prendre en charge une tâche nouvelle : recruter des jeunes sur le marché de l'emploi dans un contexte concurrentiel.

Les conditions matérielles déterminent pour une large part le caractère attractif du volontariat. A cet égard, à la lumière de l'expérience acquise depuis la mise en place du volontariat, la gendarmerie a aménagé dans un sens plus favorable la situation faite aux gendarmes auxiliaires. Si la rémunération de base (5 046 F nets) reste inférieure à celles accordées aux adjoints de sécurité (police nationale) et aux agents locaux de médiation (collectivités territoriales principalement), qui, les uns comme les autres, perçoivent le SMIC, les gendarmes adjoints sont nourris, logés et habillés.

Il n'existe cependant pas toujours d'organismes d'alimentation à proximité de l'unité dans laquelle ils sont affectés. C'est pourquoi la gendarmerie étudie aujourd'hui la généralisation de la prime d'alimentation -aujourd'hui réservée aux seuls volontaires mariés. Par ailleurs, la seule garantie de l'hébergement et non du logement pour le militaire professionnel peut aussi constituer une contrainte. Dès lors, les nouvelles opérations de construction et de réhabilitation de casernes prévoient désormais la réalisation d'un module d'hébergement individuel (une chambre et une salle d'eau privatives représentant une surface de 14 m²). En outre, les gendarmes-adjoints mariés ou chargés de famille peuvent bénéficier du logement militaire ou des aides de droit commun en matière de logement.

La perspective d'intégration des gendarmes-adjoints dans les cadres professionnels de la gendarmerie représente également un facteur incitatif décisif. De son côté, du reste, l'Arme a tout intérêt à faire fructifier l'expérience acquise par les intéressés. C'est pourquoi, si les volontaires désireux de devenir sous-officiers de gendarmerie doivent naturellement satisfaire aux épreuves de sélection habituelles, il est apparu souhaitable de prendre en compte, parmi les critères de recrutement, la manière de servir et les appréciations portées par les échelons de commandement sur le gendarme adjoint. Parallèlement, un dispositif de préparation aux tests d'entrée en école de sous-officiers de gendarmerie a été mis en oeuvre en janvier 2001 au profit des gendarmes adjoints titulaires du diplôme de gendarme adjoint et ayant obtenu un premier renouvellement de contrat.

Ceux qui n'auront pas été retenus en qualité de sous-officier ou qui souhaitent choisir une autre orientation professionnelle pourront, pour leur part, bénéficier des congés de reconversion dès lors qu'ils auront accompli quatre ans de service, conformément aux dispositions de la loi du 19 décembre 1996 relatives aux mesures d'accompagnement en faveur des militaires.

Les opérations de recrutement des volontaires ont commencé à la fin de l'année 1998. Au 1 er janvier 2001, 11 791 contrats avaient été signés sur 34 600 candidatures présentées. Le taux de sélection s'est amélioré au cours des dernières années.

 

Candidatures déposées

Contrats signés

Taux de sélection

2000

14 007

5 466

½

2001 (1 er semestre)

6 700

2 241

1/3

Le taux de renouvellement des contrats constitue un indicateur précieux de l'intérêt suscité par le volontariat. En outre, il influe sur le flux de recrutement dans la mesure où un taux élevé réduit les besoins en incorporations.

Le taux de renouvellement apparaît aujourd'hui encourageant puisqu'il dépasse 70 %.

. Les aspects qualitatifs

Le renforcement du taux de sélection contribue à l'amélioration de la qualité de ressource. Cependant, le niveau scolaire des gendarmes-adjoints demeure inférieur à celui des gendarmes auxiliaires.

 

Gendarmes auxiliaires

moyenne 1997-2001 (en %)

Gendarmes adjoints

moyenne 1999-2000 (en %)

niveau inférieur au baccalauréat

23,41

49,37

titulaire du baccalauréat

49,31

45,39

niveau supérieur au baccalauréat

27,28

6,24

La qualité des gendarmes adjoints constitue un enjeu essentiel : ils sont en effet investis de responsabilités importantes (ce que traduit le choix d' « adjoint » de préférence à l'ancienne formulation d' « auxiliaire »).

D'une part, rappelons-le, les adjoints sont susceptibles de servir cinq ans dans la gendarmerie. D'autre part, ils ont vocation à recevoir une affectation dans les unités opérationnelles de la gendarmerie départementale, en particulier dans des brigades peu chargées, en substitution de sous-officiers expérimentés qui peuvent ainsi être redéployés vers des unités périurbaines. De telles opérations de substitution ne sont possibles que parce que les adjoints -à la différence des auxiliaires- disposent de la qualité d'agent de police judiciaire adjoint (APJA) 6( * ) . En outre, ces compétences pourraient être étendues en matière de lutte contre l'insécurité routière et alignées sur celles des agents de la police municipale (pouvoir d'injonction, de relevé d'identité et d'immobilisation du véhicule) afin de constater la quasi-totalité des infractions au code de la route, à l'exception notable du contrôle d'alcoolémie 7( * ) .

Appelés à assumer des responsabilités souvent plus importantes que les gendarmes auxiliaires, les gendarmes adjoints possèdent cependant un niveau de qualification initial inférieur. Dans ces conditions, la formation de ces personnels, après leur recrutement, apparaît une priorité.

La formation initiale a d'abord été fixée à quatre mois et demi : une période en école (Châteaulin, Tulle ou Montargis) de dix semaines, puis une formation complémentaire en unité de six semaines. Pendant cette deuxième phase, le gendarme adjoint est placé sous la responsabilité d'un sous-officier d'active « tuteur ».

Cette période de formation a cependant été jugée insuffisante. C'est pourquoi le stage en école a été porté à douze semaines . D'autres adaptations sont envisagées : ainsi, au terme des huit premiers mois de service en unité, les gendarmes adjoints qui renouvelleront leur contrat pourraient bénéficier d'une formation complémentaire en école de quatre semaines. La mise en oeuvre de ce nouveau module de formation destiné à préparer les volontaires à l'exercice de compétences accrues d'agent de police adjoint, dépendra toutefois des capacités d'accueil des écoles de formation.

b) Les nouveaux modes d'organisation et leurs limites

Alors que la loi de programmation 1997-2002 prévoit la suppression régulière de postes de sous-officiers, la gendarmerie a été appelée, dans le même temps, à procéder à des créations ou à des renforcements d'unités, en particulier dans les zones sensibles ainsi qu'à répondre à des opérations interarmées. Ces deux orientations requièrent des personnels professionnels. L'Arme a donc dû chercher de nouvelles voies pour dégager les ressources dont elle avait besoin.

. Les redéploiements d'unités

La gendarmerie a tiré aujourd'hui les leçons de l'échec du plan de redéploiement de 1998, élaboré sur un mode directif et sans réelle concertation. Certes, les redéploiements se poursuivent aujourd'hui, mais à un rythme très ralenti et sur des bases mieux fondées.

Dans les zones de police nationale, ils répondent à une logique de rationalisation difficilement contestable : ils visent en effet à ne conserver qu'une seule brigade territoriale par circonscription de sécurité publique (CSP), voire par district de sécurité publique lorsque plusieurs circonscriptions de sécurité publique sont contiguës.

Au sein de la zone de gendarmerie, le principe d'une brigade par canton a été réaffirmé par les pouvoirs publics. Dans tous les cas, le projet de dissolution est soumis à un examen au cas par cas, sous l'égide du préfet et en étroite concertation avec les élus concernés.

Bilan des dissolutions de brigades territoriales en 2001 : 9

5 brigades territoriales en zone de police nationale :

. Graville (Seine-Maritime)

. Harfleur (Seine-Maritime)

. Néris les Bains (Allier)

. Saint Cyr l'Ecole (Yvelines)

. Marly le Roi (Yvelines)

2 brigades territoriales et 2 postes permanents en zone de gendarmerie nationale :

. Chateauneuf Val de Bargis (Nièvre)

. Prunelli di Fiumorbo (Haute Corse)

. Ravine des Cabris (La Réunion)

. Plateau Caillou (La Réunion)

Bilan des créations de brigades territoriales en zone de gendarmerie nationale en 2001 : 5

. Méry sur Oise (Val d'Oise)

. Ravine des Cabris (La Réunion)

. Plateau Caillou(La Réunion)

. Tuamotu Centre (Polynésie française)

. Marignier (Haute-Savoie)

. Le redéploiement des effectifs

Dans l'impossibilité de dégager les ressources d'effectifs nécessaires par la dissolution d'unités, la gendarmerie s'est trouvée, dès lors, contrainte de procéder à des redéploiements « secs » de personnels ou à des redéploiements avec substitution des sous-officiers de gendarmerie par des gendarmes adjoints.

Ces substitutions ont concerné :

- en 1999 : 886 sous-officiers en gendarmerie départementale ;

- en 2000 : 1 350 officiers (dont 615 en gendarmerie départementale, 670 en gendarmerie mobile, 65 à la Garde républicaine) ;

- en 2001 : 197 sous-officiers (dont 167 en gendarmerie départementale et 30 à la Garde républicaine).

Ces mouvements ont toutefois montré leurs limites. D'abord, un effectif réduit à 5 professionnels + 1 adjoint expose la brigade à de sérieuses difficultés de fonctionnement. En outre, l'augmentation des effectifs des unités les plus chargées peut entraîner un déplacement de la délinquance vers les zones rurales. A la lumière de l'expérience, la gendarmerie reconsidère d'ailleurs la réduction du nombre de militaires dans les petites brigades.

Les modifications du dispositif de la gendarmerie se sont accompagnées d'une révision des méthodes d'intervention afin de mieux conjuguer les forces des différentes brigades. La sectorisation mise à l'oeuvre depuis 2000 repose ainsi sur la coordination des moyens de plusieurs brigades implantées dans un périmètre rapproché. L'expérience est entourée d'une double garantie : maintien de conditions d'accueil satisfaisantes pour le public, délai d'intervention n'excédant pas trente minutes.

S'il est nécessaire de poursuivre dans la voie d'une meilleure utilisation des moyens de la gendarmerie, il serait illusoire de penser que les progrès dans le domaine de la sécurité peuvent être obtenus sans l'augmentation d'effectifs professionnels.

2. L'insatisfaction croissante des personnels

La conjonction de l'accroissement des charges pesant sur la gendarmerie, d'une part, de la réduction du temps de travail dans la société civile, d'autre part, ne peut que susciter aujourd'hui un climat de tension au sein des unités dont les conséquences ne sauraient être sous estimées.

Un constat s'impose : les personnels supportent de moins en moins les perturbations que provoque leur travail sur leur vie familiale.

Certes, la loi sur la réduction du temps de travail ne peut s'appliquer aux militaires (les militaires « peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu » aux termes de l'article 12 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires). Une instruction du 10 décembre 1979 portant application du règlement de discipline générale des armées a d'ailleurs précisé la portée de cette obligation : « le service des militaires, s'il comporte une part de travail accompli dans le cadre d'un programme déterminé et d'horaires réguliers, s'étend aussi sans restriction de temps et de lieu d'activités liées à la permanence de l'action, aux missions ou aux obligations de présence que le commandement est appelé à prescrire pour l'accomplissement de la mission ».

Si la réduction du temps de travail est exclue, deux voies restent possibles :

- une organisation plus pertinente des tâches afin d'alléger les contraintes pesant sur les personnels mais l'équilibre avec les impératifs du service public de la sécurité apparaît alors délicat ;

- une contrepartie financière aux contraintes spécifiques qui pèsent sur les personnels de la gendarmerie. La déception risque d'être à la mesure des espoirs que les dotations de la loi de finances pour 2002 ne paraissent pas en mesure de satisfaire.

a) L'aménagement des conditions de travail et ses limites

Dès 1999, le ministre de la défense avait décidé la tenue, le 28 février 2000, d'une session extraordinaire du Conseil de la fonction militaire gendarmerie (CFMG) consacrée aux conditions de travail des gendarmes.

Les mesures adoptées alors comportaient une série d'aménagements à l'organisation de la gendarmerie départementale : les plages horaires d'accueil du public dans les brigades ainsi que les conditions des transferts des appels vers les centres opérationnels de la gendarmerie (COG) seraient déterminés en fonction des spécificités locales. Ces nouvelles dispositions se conjuguaient avec une modification des astreintes des personnels. Tout en conservant la position en astreinte immédiate pour une partie des effectifs, une position d'astreinte sans délai était instituée pour les militaires dont la présence n'apparaissait pas immédiatement indispensable pour le service. Cette astreinte sans délai permet à quelques militaires de s'absenter sous réserve de pouvoir être joints et de regagner leur caserne au plus vite après l'appel du commandement et dans un délai fixé par celui-ci. En outre, si les nécessités du service n'y font pas obstacle, les militaires devant effectuer un service de nuit programmé pourront être placés en position d'astreinte à domicile l'après-midi précédant ce service à partir de 16 heures.

Ce dispositif, il convient de le rappeler, avait été complété, grâce à l'augmentation des effectifs décidée par le CFMG de février 2000, par la création de nouveaux pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) et le renforcement des centres opérationnels de groupement par 130 gendarmes. La création de PSIG dans les compagnies qui jusqu'à présent n'en disposent pas, devait permettre aux brigades à faible effectif de bénéficier réellement de l'allègement des astreintes.

Pour la gendarmerie mobile , plusieurs mesures ont été également adoptées : assurance de 8 heures de repos lorsque le militaire est effectivement libéré de toute servitude, attribution de l'intégralité du droit au repos acquis à l'issue de la mission. En outre, les déplacements Outremer et en Corse ouvriront droit, pour la fraction du séjour excédant quatre semaines, à une majoration du repos hebdomadaire, afin d'assurer un repos de 24 heures sur place et de 36 heures à la résidence, par semaine supplémentaire. Enfin, la nouvelle articulation quaternaire des escadrons vise également à introduire un facteur de souplesse ; en effet, l'effectif d'emploi de l'escadron, fixé expérimentalement à 75 militaires, pourra contribuer à réduire les charges individuelles de jours de déplacement.

Ces différentes mesures ont certes apporté un assouplissement apprécié des unités. Cependant, leur impact favorable sur le moral des militaires tend à s'estomper, comme l'ont souligné les rapports des commandants de légion et de région transmis en juin 2001 à la direction générale de la gendarmerie.

En effet, l'allégement des astreintes n'est pas réellement applicable dans les unités les plus chargées, en particulier dans les zones périurbaines. Sauf à peser sur la qualité du service public de sécurité, auquel les militaires de la gendarmerie sont par ailleurs très attachés, l'assouplissement de l'organisation de l'activité ne saurait être systématisé.

Les efforts pour rechercher une organisation plus rationnelle de certaines missions doivent certes se poursuivre. Du reste, la réflexion engagée en novembre 2000 sur « le temps d'activité et d'obligation professionnelles des militaires » (TAOPM) afin de mieux évaluer les surcharges et de favoriser les solutions visant à les réduire a été à l'ordre du jour du Conseil supérieur de la fonction militaire de l'automne. Cependant, compte tenu des limites de l'exercice, les espoirs des personnels portent de manière prioritaire sur une compensation de caractère financier.

b) Une compensation financière très attendue

Les attentes des personnels de la gendarmerie vis-à-vis d'une contrepartie financière se sont particulièrement aiguisées depuis le passage aux 35 heures, le l er octobre 2001, de l'ensemble des personnels civils du ministère de la défense.

Très concrètement, les gendarmes espèrent que les pouvoirs publics pourront annoncer la mise en oeuvre en 2002 d'un treizième mois . Toutefois, le projet de loi de finances pour 2002 n'a aucunement prévu les dotations nécessaires à la prise en charge de cette compensation financière. Ensuite, une revalorisation de cette importance ne manquera pas de provoquer des effets en chaîne au sein des armées et de peser sur les finances publiques. La perspective d'une compensation financière de la disponibilité et des conditions de vie et de travail s'inscrit dans le cadre de la revalorisation de la condition de tous les militaires.

Lors du conseil de la fonction militaire gendarmerie, réuni le 14 novembre dernier, le ministre de la défense a présenté les mesures liées à la réduction du temps d'activité et d'obligation professionnelle des militaires : attribution de 13 jours de temps libre avec extension aux services du samedi du complément spécial pour charges militaires (soit actuellement 219 F par jour pour un sous-officier) qui, en l'état, reste exclusif de toute récupération.

Ce dispositif général a toutefois été adapté pour la gendarmerie compte tenu, en effet, de l'impossibilité de fait d'accorder à la gendarmerie départementale les 13 jours, ces derniers seront remplacés par le versement d'une indemnité journalière compensatoire de 500 à 540 F, soit un total de 6 500 F à 7 020 F.

Ces mesures restent en deçà des attentes des personnels. Dans ces conditions, les réactions des personnels apparaissent difficilement prévisibles.

A plus court terme, il est également impératif de prévoir des mesures de valorisation différenciée afin de tenir compte des charges particulières dont son investies certaines catégories de gendarmes. Pour votre rapporteur, une double orientation devrait être privilégiée :

- le renforcement et l'extension de la bonification indiciaire pour l'ensemble des personnels appelés à servir dans les zones dites « difficiles » ;

- la revalorisation des qualifications professionnelles de la police judiciaire. Actuellement un gendarme diplômé OPJ bénéficie d'une revalorisation différentielle de 68,99 F pour une qualification obtenue après deux années de formation juridique, la réussite d'un examen national (marqué par 50 % d'échec) et le suivi d'un stage de qualification. La reconnaissance sous une forme pécuniaire, d'une qualification qui s'exerce dans des conditions souvent difficiles s'impose aujourd'hui.

La mise en place d'une indemnité spécifique pour la gendarmerie constitue sans aucun doute un exercice délicat. L'Arme regarde du côté des policiers qui assurent des missions comparables, mais elle est aussi l'objet d'attention des trois armées qui récusent tout « décrochage » de la gendarmerie s'agissant des conditions de rémunération. Dans ces conditions, d'aucuns prônent le détachement de la gendarmerie des forces armées et sa fusion au sein d'une grande force de police intérieure. Ce serait là, pourtant, une faute majeure. D'abord, parce que les personnels, dans leur immense majorité, restent très attachés au statut militaire. Ensuite, parce que la dualité des forces de sécurité apparaît comme une garantie essentielle dans un Etat de droit.

Sans doute, appelée à exercer sa mission directement au service de nos concitoyens, la gendarmerie doit s'ouvrir davantage vers le monde civil. Mais cette ouverture n'est en rien incompatible avec le caractère militaire de l'institution.

A cet égard, les nouvelles modalités de recrutement des officiers de gendarmerie présentent, pour l'avenir, plusieurs inconnues.

3. Les interrogations soulevées par la réforme du recrutement des officiers au regard de l'indispensable maintien du statut militaire

Depuis 1997, une réflexion a été conduite sur les modalités de recrutement et de formation des officiers de gendarmerie (« Commission Denizot »). Ces travaux inspirés par la volonté de rapprocher davantage la gendarmerie de la société au sein de laquelle elle évolue, ont conclu à l'opportunité de puiser l'essentiel du recrutement parmi des candidats issus du milieu universitaire, sélectionnés par concours au niveau du diplôme de deuxième cycle. Ces propositions devraient se concrétiser à compter du printemps 2002.

Actuellement la gendarmerie compte onze voies de recrutements différentes. Un spécialiste de la gendarmerie, M. François Dieu, a mis en évidence l'hétérogénéité du corps des officiers divisés en quatre classes hiérarchisées : « l'élite militaro-technicienne » (officiers issus des grandes écoles militaires, principalement l'école spéciale militaire de Saint-Cyr), les « transfuges » des armées, le « niveau intermédiaire » (anciens officiers de réserve et sous-officiers de gendarmerie titulaires d'un diplôme de second cycle), la « troupe » (anciens sous-officiers et majors de gendarmerie). Il paraissait opportun de favoriser une plus grande homogénéité tout en ouvrant le recrutement sur le monde civil.

Le schéma de recrutement reposera désormais sur trois grandes voies :

- le recrutement direct se fera par un concours unique autonome, ouvert aux étudiants titulaires d'une maîtrise. Il se substituera aux recrutements opérés aux sorties des grandes écoles -hormis Polytechnique qui demeure une voie de recrutement- ainsi qu'au concours ouvert aux officiers de réserve et aux sous-officiers de gendarmerie titulaires d'une licence. La montée en puissance de cette filière s'effectuera jusqu'en 2006 pour atteindre un volume annuel de 50 officiers (en complément de cette voie sera maintenue la filière « ORT » -officiers de réserve recrutés sur titre- destinée à intégrer environ 5 officiers par an, disposant d'une formation technique et scientifique de haut niveau) ;

- la voie « semi directe » ouverte aux sous-officiers de gendarmerie détenant un diplôme de fin d'études secondaires ainsi que d'une expérience professionnelle avérée (le volume de recrutement annuel a été fixé à 55) ;

- la voie « semi directe tardive » -filière de recrutement au choix des lieutenants parmi les adjudants chefs ou majors de gendarmerie, soit quelque 35 militaires chaque année.

Enfin, la filière de recrutement pour les officiers à carrière courte (officiers sous contrat) réservée à des personnes jeunes et hautement qualifiées, est également maintenue (et son contingent a même été augmenté pour être fixé à un volume annuel de 24 officiers).

Le projet conserve les proportions équivalentes entre recrutement externe (40 %) et interne (50 %), les officiers provenant des armées et des services représentant 10 %.

La modification des voies de recrutement requiert également la réforme de la formation initiale et continue des officiers de gendarmerie. L'école des officiers de la gendarmerie nationale de Melun chargée de la formation initiale et des cours d'application recevra les élèves pour deux années : la première largement consacrée à la formation militaire et d'officier ; la seconde davantage axée sur la formation spécifique et la préparation aux emplois.

L'enseignement renforcera la part dévolue aux disciplines administratives et juridiques et s'ouvrira aux institutions et partenaires de la gendarmerie, en particulier celle de la justice, de l'intérieur et des douanes.

Les nouvelles conditions de recrutement et de formation ne conduiront-elles pas à distendre les liens entre la gendarmerie et l'institution militaire ?

Certaines garanties ont d'ores et déjà été apportées pour prévenir une telle évolution.

Le maintien du recrutement latéral ouvert aux capitaines d'active des trois armées et des services communs manifeste la volonté d'ancrage aux armées.

Ensuite, les officiers seront placés dès le début de leur formation sous statut militaire . Par ailleurs, plus du tiers de la formation initiale devrait être commune avec les armées. Ainsi, dès leur première année de formation, tous les officiers de gendarmerie devraient suivre à Coëtquidan un module complet de formation de niveau « chef de section ». Ils seront également appelés à participer aux côtés des officiers de recrutement direct des autres armées, à un séminaire au cours duquel pourront être débattus les grands problèmes de défense.

En outre, la formation militaire continue restera dispensée dans un cadre interarmées, notamment au niveau du collège interarmées de défense puis du centre des hautes études militaires . Enfin, le ministère de la défense s'est également engagé à accroître la participation des officiers supérieurs de la gendarmerie nationale au sein des états-majors d'armées, interarmées ou interalliés.

Il conviendra sans doute de rester vigilant sur la permanence du lien entre la gendarmerie et les armées. Sous cette réserve, la diversification du recrutement des officiers peut constituer un élément important de l'adaptation de l'Arme à l'évolution de ses missions.

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