CONCLUSION
Rien,
sans doute, ne serait plus grave que de sous-estimer le malaise actuel de la
gendarmerie et de ne lui apporter que des réponses de circonstance.
L'insatisfaction des personnels n'a en effet rien d'un mouvement
d'humeur : elle apparaît récurrente depuis la crise de 1989.
Le souhait d'une meilleure prise en compte des contraintes particulières
auxquelles sont soumis les militaires de la gendarmerie n'avait pas
réellement été entendu. Depuis lors, le feu couve sous la
cendre.
Au-delà même des aspects indemnitaires, les attentes des
personnels traduisent aussi le souci d'une plus
grande reconnaissance du
travail accompli
par des femmes et des hommes sollicités toujours
davantage au service de la sécurité de nos concitoyens.
Comment s'étonner que ces tensions s'exacerbent au moment où la
mise en oeuvre des 35 heures accroît encore l'écart entre les
conditions militaires et civiles.
Il apparaît aujourd'hui indispensable d'engager une réflexion
approfondie sur l'évolution de l'Arme et de ses missions et d'accorder
les moyens à la priorité reconnue à la
sécurité comme valeur fondamentale de la République.
Il importe en conséquence d'apporter une
réponse durable
aux attentes légitimes des personnels.
Pour votre rapporteur, cette réponse doit combiner trois
éléments :
- la
prise en compte des contraintes particulières
auxquelles
sont soumis les militaires de la gendarmerie sous la forme d'une
contrepartie financière significative ;
- l'augmentation du nombre de personnels
professionnels
;
- la réaffirmation du
statut militaire
de la gendarmerie.
Le projet de budget pour 2002 n'apparaît pas, malgré certains
aspects positifs, à la mesure des enjeux que soulève le malaise
actuel au sein de l'Arme.
EXAMEN EN COMMISSION
La
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a examiné le présent avis lors de sa
séance du 7 novembre 2001.
A la suite de l'exposé du rapporteur pour avis, M. Michel
Caldaguès a souhaité que les contraintes particulières
auxquelles se trouvait soumise la gendarmerie puissent être
comparées avec celles que supportaient les trois armées. Il a
estimé, par ailleurs, que les rémunérations des officiers,
issus de la même école, ne connaissent pas d'écarts trop
amples en fonction des armes auxquelles ils appartiennent. En outre, il s'est
vivement inquiété des conditions dans lesquelles serait
constituée la force européenne de police, alors même que
les effectifs de la gendarmerie apparaissent notoirement insuffisants pour
répondre aux besoins de sécurité intérieure.
M. Serge Vinçon a attiré l'attention sur la très forte
mobilité de la délinquance et sur les risques de transfert de la
criminalité vers les zones rurales où les dispositifs de la
gendarmerie auraient été excessivement allégés. Il
a rappelé la situation souvent difficile des personnels logés
hors des casernes, ainsi que la part importante des loyers non acquittés
par la gendarmerie. Il a également souligné que la gendarmerie
mobile était de plus en plus sollicitée. Il a observé que
la réévaluation des rémunérations devait
bénéfier à l'ensemble des militaires.
M. André Dulait a interrogé le rapporteur pour avis sur la
situation des réserves de la gendarmerie, ainsi que sur les conditions
de recrutement des civils. M. Philippe François, rapporteur pour avis, a
précisé, à cet égard, qu'au 1er juillet 2001, 8.829
engagements pour servir dans la Réserve étaient en cours de
validité. Il a également indiqué que les créations
d'emplois de personnels civils pour 2002 représentaient 45 postes au
lieu des 167 emplois prévus par la loi de programmation 1997-2002.
M. André Vallet s'est fait l'écho du malaise que connaissait
aujourd'hui, d'après lui, la gendarmerie. Il a souligné, en
particulier, le poids des tâches indues que représentait notamment
la charge des transfèrements. Il a rappelé, en outre, la part
encore excessive consacrée par les militaires aux activités
purement administratives. Il a jugé, par ailleurs, urgent compte tenu de
l'état très dégradé des infrastructures, la mise en
place d'un plan de rénovation d'ensemble des logements et des bureaux.
Il a relevé également que la situation des gendarmes ne pouvait
pas connaître un trop grand écart par rapport à celle des
policiers, notamment sur le plan des rémunérations. Il a
estimé, enfin, que la constitution d'une force de sécurité
européenne, dont il a approuvé le principe, ne devait pas
conduire à prélever des effectifs sur le territoire national,
alors que la délinquance progressait, en particulier dans les zones de
compétences de la gendarmerie.
M. Michel Caldaguès est alors revenu sur certaines tâches indues
que devait assumer la gendarmerie et il a souhaité que puisse être
portée à la connaissance du Parlement une nomenclature
précise des différentes missions confiées à l'Arme
et du temps qui leur était consacré.
M. André Boyer a, pour sa part, insisté sur l'importance de la
coordination de l'activité des brigades dans le cadre de la
sectorisation afin de mieux répartir la charge de travail entre les unes
et les autres. Soulignant que ce mode d'organisation apparaissait, à
terme, comme le meilleur moyen de préserver le maillage territorial, il
a appelé de ses voeux une mise en place plus rapide de la sectorisation.
M. Xavier de Villepin, président, a d'abord regretté la
réduction du nombre d'emplois de sous-officiers. Il a estimé, par
ailleurs, très positive la mise en place du plan Vigipirate, mais s'est
inquiété des risques d'affaiblissement de l'efficacité du
dispositif si celui-ci devait s'inscrire dans la durée. Il a
relevé, en outre, que l'évolution des effectifs de la gendarmerie
ne pouvait être considérée isolément d'une vision
plus large, soucieuse d'ajuster les créations d'emplois d'agents publics
en fonction des priorités de notre pays, parmi lesquelles devait figurer
la sécurité intérieure. Enfin, il a souhaité rendre
hommage à l'ensemble des militaires des armées et de la
gendarmerie pour leur dévouement au service de la Nation.
*
* *
Au cours
de sa séance du 22 novembre, la commission a examiné l'ensemble
des crédits du ministère de la défense.
M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que le projet de
budget de la défense pour 2002 prend en compte, au titre III et de
façon positive, les exigences de la professionnalisation. Il
prévoit à cet effet un abondement substantiel des crédits
liés à la condition militaire, ainsi qu'à
l'entraînement des forces. Cependant, a-t-il déploré, le
projet n'apporte aucune marge de manoeuvre pour tout ce qui relève des
crédits d'équipement.
La condition militaire, et notamment les mesures catégorielles en faveur
des sous-officiers, sont un des aspects positifs des crédits du titre
III. Ils permettent également d'améliorer les normes
d'entraînement des trois armées, qui constituaient un sujet de
préoccupation depuis plusieurs années.
Le titre V, en revanche, n'est plus à la hauteur des besoins. Si l'on
excepte le nucléaire, judicieusement préservé et
renforcé, ce titre, pour ce qui est des forces classiques, s'inscrit
dans la logique des diverses encoches qui ont affecté plusieurs
annuités de l'actuelle programmation. Il rend par ailleurs
irréaliste la transition avec le niveau de la première
annuité telle que définie dans le projet de loi de programmation
2003-2008.
Enfin, le niveau des crédits de paiement du projet 2002 n'est
guère compatible avec l'état des engagements
réalisés depuis 1998 qui auraient justifié, au contraire,
a souligné M. Xavier de Villepin, président, écarter
l'octroi d'une marge de gestion accrue pour les armées. Les
autorisations de programmes, pour leur part, n'augmentent pas de façon
suffisante. Pour l'armée de terre, notamment, certaines commandes ne
pourront être passées au moment prévu, entraînant de
nouveaux retards.
Concluant une programmation 1997-2002 qui aura, au fil des encoches et des
annulations, manqué de l'équivalent budgétaire d'une
annuité, ce projet de budget de la défense pour 2002, a
estimé M. Xavier de Villepin, président, est d'autant plus
critiquable -en dépit des efforts importants consentis sur le titre III-
qu'il intervient à un moment où la situation internationale
requiert une disponibilité accrue de nos forces dont on sait qu'elles
seront, à moyen terme, confrontées à des lacunes
capacitaires importantes comme, notamment, le transport aérien ou les
hélicoptères de transport de troupe.
Autant de raisons qui, a conclu M. Xavier de Villepin, président, le
conduisaient à émettre un avis défavorable à
l'adoption de ces crédits.
M. Jean-Pierre Masseret n'a pas contesté les préoccupations
exprimées dans le constat formulé par M. Xavier de Villepin,
président. Il a toutefois estimé, d'une part, qu'une
appréciation rigoureuse des crédits devait tenir compte des
conséquences de la décision de professionnaliser nos forces et
que, d'autre part, l'actuelle loi de programmation militaire avait
-après certes une revue de programmes- à peu près atteint
ses objectifs, ce qui ne s'était pas produit souvent dans le
passé.
Pour M. Jean-Pierre Masseret, c'est la décision, qu'il a jugée
improvisée, de professionnaliser les forces qui affectait aujourd'hui
les crédits d'équipement. Chacun savait le surcoût que ne
manquerait pas d'entraîner cette réforme qui a quand même
été menée à bien. Dans un cadre budgétaire
global nécessairement contraint, l'incidence de la professionnalisation
ne pouvait que peser sur le titre V.
Cela étant, a poursuivi M. Jean-Pierre Masseret, ce constat ne devait
pas empêcher d'identifier les difficultés capacitaires qui
pouvaient affecter le rôle de nos forces dans le monde ou dans le cadre
d'une défense européenne que la France, à son avis,
était bien seule à vouloir réellement promouvoir.
Prenant ainsi en compte que les objectifs majeurs de la programmation avaient
été atteints en dépit du coût de la
professionnalisation et rendant hommage aux personnels des forces
armées, M. Jean-Pierre Masseret a indiqué que le groupe
socialiste voterait les crédits de défense pour 2002.
M. Michel Caldaguès s'est élevé contre une forme de
chantage moral selon lequel un rejet des crédits de défense
porterait atteinte au moral des armées. C'était bien
plutôt, selon lui, si le Parlement se montrait aveugle et
négligent dans ses analyses que ce moral pouvait être
légitimement atteint. Pour M. Michel Caldaguès, un mauvais budget
légitimait un vote négatif.
M. Michel Caldaguès s'est déclaré inquiet de ce que la loi
de programmation militaire, en s'assignant un modèle d'armée, au
demeurant cohérent, à l'horizon 2015, avait sacrifié le
moyen terme, renvoyant à plus tard les exigences capacitaires
indispensables à bref délai. Ainsi, à l'horizon 2008, ce
constat capacitaire lui apparaissait consternant et directement lié,
notamment, au non-respect de l'engagement, inclus dans la loi de programmation
militaire, de crédits d'équipement constants, alors même
que la plus grande partie de la période couverte par la loi avait
coïncidé avec une relative embellie budgétaire. M. Michel
Caldaguès a estimé que nos forces se trouvaient cruellement
démunies dans de trop nombreux domaines : risque de non-permanence
de notre composante nucléaire navale, de défaut de permanence
dans le transport stratégique -dont la capacité future
dépendait d'une décision allemande- enfin non-permanence du
groupe aéronaval. Que restait-il sinon une situation dramatique, du fait
du non-respect d'une loi de programmation pourtant votée par la
représentation nationale ?
Enfin, M. Michel Caldaguès a contesté le raisonnement tendant
à faire porter à la professionnalisation la responsabilité
de la situation. Elle était la seule réussite de cette
programmation et ce n'est pas elle qui avait conduit à l'état
actuel des crédits d'équipement.
M. Michel Caldaguès a alors indiqué qu'il se joindrait à
l'avis défavorable proposé par M. Xavier de Villepin,
président.
M. Jean-Yves Autexier a relevé l'effort consenti sur l'espace, la
communication, le renseignement ainsi que la réaffirmation d'une
dissuasion indépendante. Il a cependant souligné les
conséquences négatives de la décision, prise, a-t-il
estimé, dans l'improvisation, de mettre un terme au service national. On
recueillait à présent, a-t-il poursuivi, les fruits amers de la
programmation. Celle-ci avait eu deux objectifs : la professionnalisation
tout d'abord, qui dans un contexte de diminution de la croissance ne pouvait
que peser sur les crédits d'équipement. Ensuite, la configuration
de nos forces en vue de leur projection pour des opérations
extérieures : or, celles-ci ne relevaient pas toujours de
l'intérêt national et s'avéraient par ailleurs
excessivement coûteuses. Relevant cependant que malgré une marge
de manoeuvre réduite les objectifs essentiels avaient été
préservés, M. Jean-Yves Autexier a indiqué que le groupe
communiste républicain et citoyen s'abstiendrait sur les crédits
de la défense pour 2002.
M. Jean-Guy Branger a rappelé qu'il y a plus de vingt ans, les
crédits de défense correspondaient à 3,5 % du PIB. A
l'époque, chacun estimait qu'un taux de 4 % était
nécessaire pour le bon fonctionnement et un équipement
adapté des forces armées. Aujourd'hui la part de la
défense dans le PIB était ramenée à moins de
2 % . Cela illustrait, a estimé M. Jean-Guy Branger, un manque
de volonté politique et il relevait de la responsabilité de la
représentation nationale d'expliquer à l'opinion les
conséquences très négatives de cette insuffisance.
La commission a alors émis un avis défavorable à
l'adoption des crédits de défense figurant dans le projet de loi
de finances pour 2002.