II. LE DÉROULEMENT DES PROGRAMMES NUCLÉAIRES
L'abandon de la composante sol-sol, la fermeture des usines de
production de matière fissile militaire, l'arrêt définitif
des essais nucléaires et le démantèlement des sites
d'expérimentation, la réduction du volume et de la posture
d'alerte des composantes sous-marine et aéroportée ont
entraîné une
forte contraction,
en
très peu
d'années,
de notre force de dissuasion nucléaire
,
ajustée au nouveau contexte stratégique «
dans le
strict respect des principes de suffisance et de
crédibilité
», selon les termes de la loi de
programmation.
Cette diminution unilatérale du format des forces nucléaires et
des moyens consacrés à la dissuasion rend d'autant plus
indispensable la réalisation des deux objectifs assignés à
nos programmes nucléaires :
- la modernisation et le renouvellement des composantes sous-marine et
aéroportée,
- la réussite du programme de simulation indispensable, et l'absence
d'essais en vraie grandeur, à la fiabilité et à la
sûreté des armes futures.
A. LA MODERNISATION ET LE RENOUVELLEMENT DES COMPOSANTES SOUS-MARINE ET AÉROPORTÉE
1. La Force océanique stratégique
Les
objectifs assignés à la force océanique stratégique
arrêtés par la loi de programmation prévoient :
- la réalisation de 4 sous-marins lanceurs d'engins de nouvelle
génération (SNLE-NG) appelés à prendre la suite des
SNLE de type « Redoutable » et caractérisés
notamment par une invulnérabilité accrue du fait de leur
discrétion acoustique,
- le remplacement du missile balistique M 4 en service sur les SNLE de type
« Redoutable » par le missile M 45 doté d'une
tête nucléaire nouvelle, la TN 75,
- puis à échéance plus lointaine, le remplacement du M 45
par un missile plus performant, le M 51, équipé dans un premier
temps de la TN 75 puis, en 2015, de la nouvelle tête océanique
(TNO).
Ces grands objectifs guident toujours la réalisation de nos programmes,
sous réserve de divers aménagements de calendrier.
La force océanique stratégique se compose aujourd'hui de
4 bâtiments
, nombre considéré comme le minimum
indispensable pour assurer, compte tenu des cycles d'entretien, la permanence
à la mer de 2 bâtiments si nécessaire, et ce afin de parer
la neutralisation éventuelle de l'un d'entre eux.
Le premier SNLE-NG, le Triomphant, est entré en service début
1997. Le deuxième, le Téméraire, a été admis
au service actif en décembre 1999. L'admission au service actif des
deux derniers SNLE-NG
est prévue à l'été 2004
pour le Vigilant et a été repoussée de 2008 à 2010
pour le Terrible, dont la commande est intervenue en 2000.
S'agissant des
missiles balistiques
, l'actuelle dotation de missiles M4
ne restera en service que sur l'Indomptable, dont le retrait du service actif
interviendra fin 2003. Les SNLE-NG Triomphant et Téméraire ont
été équipés, dès ou peu après leur
admission au service actif, du missile M 45 et de la tête
nucléaire TN 75 de capacité de pénétration
améliorée. Il en ira de même pour le Vigilant. L'autre SNLE
de génération actuelle, l'Inflexible, qui devrait demeurer en
service jusqu'à l'été 2007 a été
adapté ce printemps pour emporter le missile M 45.
A partir de 2010, la FOST sera dotée d'un nouveau missile, le
missile
M 51
, dont la portée avec un chargement complet en
têtes nucléaires sera de 6 000 km, contre 4 000 km pour le M
45, ce qui permettra d'augmenter les zones de patrouille. Les missiles M 51
seront équipés dans un premier temps de la tête
nucléaire TN 75 et des aides à la pénétration du
missile M45, puis, à partir de 2015, de la nouvelle tête
nucléaire océanique (TNO) et d'un nouveau système d'aide
à la pénétration.
Le calendrier de la modernisation de la FOST, tel qu'il vient d'être
décrit, appelle plusieurs commentaires.
Tout d'abord, il faut rappeler qu'à la suite de la « revue de
programmes », avait été décidée une
importante modification des échéances. La durée du
développement du missile M 51 a été réduite de
manière à pouvoir équiper directement le Terrible
dès son admission au service actif à l'été 2008.
Cet aménagement du calendrier, présentée comme une
opération exemplaire d'optimisation, devait se traduire par une
économie globale de l'ordre de 840 millions d'euros sur les
programmes SNLE-NG, M45 et M51.
Ce calendrier se trouve de nouveau remis en cause, trois ans à peine
après avoir été arrêté, du fait du
décalage de deux ans
, annoncé cette année, de
l'admission au service actif du 4
ème
SNLE-NG, le Terrible.
La première question qui se pose concerne les
conséquences
pour la FOST de ce décalage de deux années
. Sachant que le
retrait du service actif du dernier SNLE de génération actuelle,
l'Inflexible, a été repoussé à un an, jusqu'en
2007, la FOST ne comprendra plus que trois SNLE-NG entre 2007 et 2010. Cette
situation devrait être sans incidence sur le maintien de la permanence
à la mer dans les conditions requises puisque, durant cette
période, aucun des trois bâtiments ne sera immobilisé pour
un entretien de longue durée. En effet, l'indisponibilité pour
entretien périodique et réparation (IPER) du Vigilant, 3è
SNLE-NG admis au service actif, n'interviendra qu'en 2010, lors de
l'entrée en service du Terrible. La situation, avec trois
bâtiments de 2007 à 2010, ne devrait donc pas être
différente de celle que nous connaissons avec quatre bâtiments
dont un en IPER. Il faut toutefois souligner qu'après ce
réaménagement, lié à la contrainte
financière qui pèse sur le budget d'équipement de la
Marine, il ne reste guère de marge de manoeuvre, le respect des
nouvelles échéances devenant impératif.
Deuxièmement,
ce changement de calendrier brise la cohérence
des décisions prises en 1998 visant à optimiser la conduite des
programmes SNLE-NG et M51
. Il est tout particulièrement regrettable
qu'après avoir encouragé l'industriel à
accélérer de deux ans la livraison du M51, on lui impose de
revenir à la date de livraison initialement prévue. En
l'état actuel des choses, l'échéance de réalisation
des essais de M51, dont la logique avait été profondément
revue pour s'adapter au calendrier, n'est pas remise en cause. Mais il est
évident qu'un « trou » de deux ans entre les essais
et le début de la phase d'industrialisation ne pourrait que
désorganiser profondément l'industriel.
Votre rapporteur ne peut donc que déplorer
la perturbation qui vient
à nouveau d'affecter ce programme
, au risque de remettre en cause
une large partie des bénéfices liés au calendrier
« optimisé » défini en 1998.
Il est également regrettable qu'après les difficultés
survenues l'an passé sur la négociation de la deuxième
tranche de développement du M 51 entre EADS et la DGA, le budget 2002
fasse planer un nouvel élément d'incertitude sur le programme en
ne prévoyant pas les 1,2 milliard d'euros d'autorisations de programme
qui doivent y être affectés. Il semblerait que la mise en place de
ces autorisations de programme soit envisagée pour le début 2003,
ce qui ne produirait que quelques semaines de décalage avec
l'échéance contractuelle du 27 décembre 2002. Il en
résultera alors des pénalités pour le ministère de
la défense.
2. La composante aéroportée
La
composante aéroportée de notre force de dissuasion constitue le
complément nécessaire de la composante sous-marine et se
caractérise par une mobilité et une souplesse d'emploi permettant
de diversifier les modes de pénétration. Mise en oeuvre depuis le
sol ou depuis le porte-avions, elle peut contribuer de manière plus
visible à l'exercice de la dissuasion.
La composante aéroportée repose sur trois escadrons de Mirage
2000-N de l'armée de l'air et sur les Super-Etendard modernisés
de l'aéronavale, qui emportent le missile air sol moyenne portée
(ASMP), dont la portée varie de 300 km en haute altitude à 80 km
en basse altitude et qui est équipé de la tête
nucléaire TN 81.
La composante aéroportée sera entièrement
renouvelée à partir de 2007 par l'entrée en service des
Rafale Marine et Air, le remplacement de l'ASMP par l'ASMP
amélioré (ASMP-A) et le remplacement de la TN 81 par la nouvelle
tête nucléaire aéroportée (TNA).
Les tête nucléaires TN 81 commenceront à être
retirées du service en 2007 pour être remplacées par les
TNA.
La livraison du
vecteur ASMP-A
devrait intervenir à partir de
2007, le
lancement du stade de réalisation
ayant
été notifié en décembre 2000. Il
bénéficiera du vecteur à stratoréacteur VESTA, mais
à la suite de la suspension du programme de missile antinavires futur
(ANF), la remise en cause du développement simultané des deux
missiles rendra nécessaires des travaux complémentaires pour
l'ASMP-A. L'ASMP-A se caractérisera par une portée et une
capacité de pénétration des défenses nettement
supérieures à celles de l'ASMP.
L'ASMP-A équipera dans un premier temps un escadron de Mirage 2000-N, le
missile étant adapté à cet appareil. Dès 2008, un
escadron de Rafale Air sera équipé de l'ASMP-A, ainsi que la
flotille des Rafale marine. Le deuxième escadron de Rafale air sera mis
en service en 2015 et le troisième en 2017.
B. LE PROGRAMME DE SIMULATION
La mise en oeuvre du programme de simulation constitue le second impératif pour notre force de dissuasion car il conditionne la garantie de la fiabilité et de la sûreté des armes futures.
1. Les enjeux du programme de simulation
De
l'ensemble des puissances nucléaires reconnues, la France se distingue
en ayant à la fois renoncé juridiquement aux essais
nucléaires, en ratifiant le traité d'interdiction complète
des essais nucléaires, et renoncé matériellement et de
manière irréversible à sa capacité d'effectuer de
tels essais, en démantelant les installations du Centre
d'expérimentations du Pacifique.
Le programme de simulation apparaît dans ce contexte comme indispensable
à la garantie de la fiabilité et de la sûreté des
armes futures, c'est-à-dire de celles qui remplaceront les armes
actuelles sans avoir pu bénéficier des essais en vraie grandeur.
Votre rapporteur souhaite ici rappeler les
principaux enjeux de la
simulation
:
- les armes subissent des phénomènes de vieillissement des
charges qu'il importe de surveiller et dont il faut mesurer les incidences pour
y remédier. En l'absence d'essais, la simulation permettra
d'évaluer les conséquences du vieillissement des charges et
contribuera au maintien de la durée de vie des armes actuelles, telle
qu'elle est prévue jusqu'à leur remplacement ;
- les têtes nucléaires appelées à remplacer les
charges actuelles seront définies à partir des concepts
"robustes" testés lors de la dernière campagne d'essais, qui
toléreront des écarts de modélisation ou de
réalisation, limités par rapport aux engins testés. Mais
seule la simulation permettra de garantir la fiabilité et la
sûreté de ces charges nouvelles, garantie sans laquelle la
dissuasion n'aurait plus la même crédibilité.
- enfin, à plus long terme, les concepteurs des armes qui assureront le
renouvellement appartiendront à une génération n'ayant pas
été confrontée aux essais en grandeur réelle.
Au-delà des données recueillies lors de ces essais, la simulation
leur fournira des calculateurs et des moyens expérimentaux
adaptés (la machine radiographique AIRIX et le laser Mégajoule)
leur permettant de confronter leurs calculs à l'expérience.
C'est à cette triple nécessité que répond le
programme de simulation.
2. La mise en oeuvre du programme de simulation
La
simulation permettra de reproduire, à l'aide d'expériences et de
calculs, les phénomènes rencontrés au cours du
fonctionnement d'une charge nucléaire.
La mise en oeuvre du programme de simulation repose sur de
puissants moyens
de simulation numérique
fournis par des ordinateurs beaucoup plus
performants que ceux actuellement en service, et sur des
installations
expérimentales
permettant de valider les modèles physiques
décrivant les phénomènes essentiels du fonctionnement des
armes nucléaires : la machine radiographique AIRIX pour la visualisation
détaillée du comportement dynamique de l'arme, et le laser
Mégajoule pour l'étude des phénomènes physiques,
notamment thermonucléaires.
La
machine radiographique AIRIX
, située à Moronvilliers
dans la Marne, sera vouée à l'analyse de la dynamique des
matériaux et elle permettra d'étudier le fonctionnement non
nucléaire des armes, à l'aide d'expériences au cours
desquelles les matériaux nucléaires sont remplacés par des
matériaux inertes.
Projet de plus grande ampleur, le
laser Mégajoule
qui sera
installé au Barp, en Gironde, est pour sa part destiné à
l'étude du domaine thermonucléaire. Il permettra de
déclencher une combustion thermonucléaire sur une très
petite quantité de matière et de mesurer ainsi les processus
physiques élémentaires. Le développement du projet doit
s'effectuer en plusieurs étapes, avec tout d'abord la construction d'une
ligne d'intégration laser (LIL) qui devra valider et qualifier la
définition de la chaîne laser de base du laser Mégajoule.
Le
calendrier du programme de simulation
a été
arrêté en fonction de plusieurs critères : d'une part, la
relève des équipes de concepteurs actuels par des équipes
n'ayant pas connu les essais nucléaires, qui implique la mise à
disposition de ces dernières de moyens de simulation, et d'autre part
les échéances de remplacement des charges nucléaires
actuelles.
Dans le cadre du projet
Tera
, le CEA a commencé à se doter
de puissants moyens de calcul, indispensables à la production de
résultats dans un délai raisonnable. La machine Tera 5 terapflops
(5 milliards d'opérations par seconde), sera livrée en cette fin
d'année 2001, deux autres machines devant être livrées
d'ici 2009 pour atteindre une puissance de calcul de 100 teraflops.
En ce qui concerne le
laser Mégajoule
, la ligne
d'intégration laser, en cours de réalisation, devrait être
mise en service en mars 2002. La mise à disposition du laser
mégajoule à pleine puissance a été avancée
pour tenir compte des échéances de départ en retraite des
équipes de concepteurs. Elle est désormais prévue pour
2008, les premières expériences d'ignition et de combustion
thermonucléaire étant prévues pour fin 2010.
S'agissant de la
machine radiographique AIRIX
, une première phase
est désormais achevée avec la réalisation de
l'installation « un axe », opérationnelle depuis
décembre 2000. L'ensemble complet, qui implique la réalisation
d'un second axe, devrait être opérationnel en 2011, le lancement
de cette réalisation ayant été repoussée
au-delà de 2008, ce qui impliquera de réaliser les travaux sur
une durée inférieure à celle initialement prévue.
Ce décalage est la contrepartie de l'avancement du calendrier de mise en
service du laser mégajoule.
L'ensemble du programme de mise en place de moyens expérimentaux de
simulation représente un coût global de 5 milliards d'euros.
Depuis le lancement du programme, environ 750 millions d'euros ont
été engagés pour l'acquisition de ces moyens.
Pour 2002, le programme de simulation mobilisera environ 320 millions
d'euros de crédits de paiement, dont 140 pour le laser
mégajoule.
Votre rapporteur croit devoir souligner une nouvelle fois que la contrepartie
indispensable aux engagements internationaux souscrits par la France et
à ses initiatives unilatérales, réside dans le respect
scrupuleux de l'échéancier et des enveloppes financières
allouées à la simulation par la dernière loi de
programmation militaire. C'est en effet sur la simulation que reposera la
crédibilité de notre dissuasion, puisqu'elle seule permettra
d'évaluer le comportement des armes et d'en garantir la fiabilité.