II. LA DÉFENSE DE LA FRANCOPHONIE EN FRANCE ET DANS LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES
Dans une
allocution qu'il a prononcée devant le Sénat, le 3 mai 2000,
M. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de la
francophonie, a rappelé que la langue française serait d'autant
plus respectée qu'elle jouirait, en France d'un statut respectable, et a
invité nos concitoyens à faire preuve de « civisme
francophone ».
On ne saurait exprimer mieux le caractère indissociable de la
défense de la francophonie extérieur et du combat pour la langue
française en France, dans la vie quotidienne, dans le monde des
affaires, et dans les différents aspects de la culture et de la science.
Or, beaucoup de nos compatriotes ne donnent malheureusement pas l'impression
d'avoir compris le sens de ce combat pour la francophonie.
L'application inégale de la « loi Toubon » donne
trop d'exemples d'une certaine indifférence à l'égard de
la défense du français et de l'usage de notre langue, d'autant
plus grave qu'elle est souvent le fait des
« élites » économiques, financières,
administratives, scientifiques, voire culturelles.
La défense de la place de notre langue dans les institutions
internationales, et particulièrement dans les institutions
européennes, requiert aussi une attention vigilante et des
réactions vigoureuses, car le plurilinguisme et, à travers lui,
le pluralisme du monde, font l'objet d'un travail de sape régulier,
jusque dans des domaines où il semblait le mieux et le plus
traditionnellement implanté.
A. LA POLITIQUE EN FAVEUR DE LA LANGUE FRANÇAISE EN FRANCE
La politique en faveur de la langue française doit poursuivre le double objectif d'assurer l'emploi de la langue française en France et de conserver au français son rôle de langue de communication internationale. Sa mise en oeuvre et son suivi sont assurés par la Délégation générale à la langue française.
1. La regrettable dispersion des missions de la DGLF
La
délégation générale à la langue
française est traditionnellement chargée de la défense de
la langue française en France, et de celle de son statut de langue
internationale dans les organisations internationales. Ces deux missions
paraissent à votre rapporteur suffisamment stratégiques et
absorbantes pour qu'on ne charge pas en outre la DGLF de la préservation
des langues régionales, qui est, au demeurant, un objectif parfaitement
légitime, mais qui ne se saurait en aucun cas se situer sur le
même plan.
A cet égard, il ne peut que s'opposer vigoureusement à cette
dispersion des missions de la DGLF, commencée il y a quatre ans, et
qu'est venue consacrer la modification de sa dénomination par le
décret n° 2001-950 du 16 octobre 2001. Dorénavant
intitulée « délégation générale
à la langue française et aux langues de France »
-DGLFLF-, celle-ci se voit assigner comme mission supplémentaire, de
contribuer « à préserver et valoriser les langues de
France ».
a) Le caractère stratégique des missions traditionnelles de la délégation
La DGLF
assure traditionnellement le secrétariat du conseil supérieur de
la langue française, placé auprès du Premier ministre.
Elle est en outre chargée :
-
du suivi de l'application de la loi du 4 août 1994 dite
« loi Toubon »
sur l'emploi de la langue
française ; à ce titre, elle rédige un rapport annuel
au gouvernement et au Parlement sur l'application de la loi ;
-
de la promotion du plurilinguisme dans les services publics
, et du
contrôle de l'usage du français par les agents publics ;
-
de l'enrichissement de la langue française
, par le
contrôle qu'elle exerce sur les dix-huit commissions
spécialisées de terminologie, placées chacune sous la
tutelle d'un ministère ; elle assure en outre le secrétariat
de la commission générale de terminologie et de néologie
qui examine les propositions des commissions spécialisées et
transmet les termes retenus au Journal officiel, après accord de
l'Académie française et du ministre
intéressé ;
-
de la défense de la place du français
dans les domaines
scientifique, technique et économique ; à ce titre, elle a
mis en place, en 1996, un dispositif de soutien à
l'interprétation simultanée dans les colloques internationaux qui
se tiennent en France, et apporte son soutien pour la création ou le
développement de revues de synthèse dans les sciences
exactes ;
-
des actions de sensibilisation à la défense de la langue
française
orientées vers des milieux spécifiques, mais
aussi vers le grand public à travers une manifestation comme
« le français on l'aime ».
Depuis quatre ans, elle participe en outre au programme d'action gouvernemental
pour l'entrée de la France dans la société de
l'information, en veillant à ce qu'aucun obstacle technique ne freine la
présence du français sur les nouveaux supports. Elle veille
également à la bonne application de la circulaire du Premier
ministre du 7 octobre 1999 qui rappelle que la traduction éventuelle des
sites de l'internet des administrations et des établissements publics de
l'Etat doit se faire dans au moins deux langues autres que le français.
Sa seconde priorité porte sur la défense du français et du
plurilinguisme dans les organisations internationales, et tout
spécialement dans l'Union européenne.
Ces missions revêtent un caractère stratégique pour notre
pays.
b) La confusion des enjeux
Votre
rapporteur s'était déjà alarmé, l'an dernier, des
conséquences d'une extension des missions de la délégation
qui la conduit à s'occuper, de plus en plus, de la sauvegarde et de la
valorisation des langues de France.
Alors que la défense de la place du français sur notre territoire
comme dans les institutions européennes et internationales demande de
notre part une vigilance et une vigueur accrues, cette dispersion des objectifs
et des énergies lui paraît particulièrement
préoccupante.
Enfin, quelque légitime que soit l'attention que l'on doit porter
à nos langues régionales, qui appartiennent en effet à
notre patrimoine, il ne lui paraît pas opportun de placer leur
défense sur le même plan que la défense du français,
dont le statut international et le caractère universel ne peuvent qu'en
sortir affaiblis.
L'analyse des effectifs et des crédits de la DGLF semble devoir
confirmer ses craintes.
Les
effectifs
de la DGLF, qui compte 23 agents permanents et
7 vacataires à temps complet, n'ont pas été
renforcés, et ne semblent pas devoir l'être dans un proche avenir.
Pour réaliser ses missions, la DGLF dispose de trois enveloppes de
crédits
:
- des crédits de fonctionnement (imputés sur les chapitres
34-97-67 et 34-97-66) qui se sont élevés à
248 273 euros (1 628 567 francs) en 2001 ;
- des crédits d'intervention (chapitre 42-20-80) qui se sont
élevés à 1 432 669 euros
(9 397 692 francs) en 2001 ;
- des crédits déconcentrés (chapitre 43-30-20) qui se sont
élevés à 304 898 euros (2 millions de
francs) en 2001.
Le ministère de la culture a indiqué à votre rapporteur
que les enveloppes de crédits d'intervention et de crédits de
fonctionnement pour 2002 ne lui avaient, à ce jour, pas encore
été notifiées, mais qu'il espérait, toutefois, une
reconduction de ces dotations.
En revanche, le projet de budget pour 2002 prévoit une
mesure
nouvelle de 106 706 euros
(700 000 francs) de
crédits déconcentrés, au titre de
« l'enveloppe pour les langues régionales
notifiée aux directions régionales d'action culturelle sous forme
globalisée ».
Ce même chapitre budgétaire avait déjà
bénéficié, en 2001, d'une mesure nouvelle de deux millions
de francs.
Votre rapporteur ne saurait approuver cette évolution des attributions
de la DGLF, dans laquelle il voit une inquiétante dérive, car
celle-ci ne dispose pas des moyens supplémentaires lui permettant de
mener à bien de nouvelles missions, tout en poursuivant sa
nécessaire action en faveur de la langue française.
2. Le bilan de la loi Toubon
Six ans
après son entrée en vigueur, la loi du 4 août 1994 permet
en particulier d'assurer la protection du consommateur dans des conditions
satisfaisantes en apparence.
Deux circulaires sont venues rappeler le contenu des obligations qu'elle
crées :
- une circulaire du Premier ministre du 7 octobre 1999 relative aux sites
internet des services des établissements publics de l'Etat rappelle que
l'usage du français pour la rédaction des pages internet
constitue une obligation légale, et que le recours à des
traductions en langues étrangères doit se faire en au moins deux
langues autres que le français ;
- deux circulaires signées le 28 septembre 1999 par le ministre de
l'équipement, des transports et du logement, et la ministre de la
culture concernent les transports et le tourisme. La première rappelle
que l'obligation d'emploi du français s'applique sur tout le territoire
français aux transporteurs et gestionnaires d'infrastructures de
transport qu'ils soient publics ou privés. La seconde concerne l'emploi
du français par les agents publics, en particulier dans leurs relations
avec l'Union européenne.
a) L'information des consommateurs
Les
dispositions relatives à la protection du consommateur sont dans
l'ensemble bien appliquées, grâce à l'action des services
de la direction générale de la concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes (DGCCRF), de la direction des douanes et
des droits indirects (DG-DDI) et à la vigilance des associations
agréées de défense et de promotion de la langue
française.
L'année 2000 est toutefois marquée par un recul du nombre de
contrôles effectués par les services de la DGCCRF. Le nombre de
ses interventions, passé de 7 824 en 1998 à 9 573 en
1999, est retombé à 6 584 en 2000. Cette évolution
s'explique par les différentes crises en matière de
sécurité alimentaire qui ont fortement mobilisé ses
agents. La progression de la proportion des infractions à la loi
connaît en parallèle une légère progression qui
montre que la vigilance ne doit pas se relâcher.
Le rapport de la DGLF insiste particulièrement sur les
interactions
de plus en plus fortes entre les dispositions de la
loi
Toubon
relatives à la protection des consommateurs d'une part, et la
jurisprudence de la Cour de
Justice
des communautés
européennes
et les articles du traité de l'Union sur la libre
circulation, de l'autre.
En effet, alors que la réglementation française impose
explicitement un étiquetage en langue française des produits
vendus en France, le droit communautaire et en particulier l'article 14 de
la directive 79/112 modifiée par la directive 97/4 n'impose que
l'étiquetage « dans une langue facilement comprise par le
consommateur ».
Or, saisie d'une question préjudicielle par la Cour d'appel de Lyon, sur
la compatibilité de ces dispositions respectives, la Cour de Justice des
communautés européennes, s'appuyant sur une jurisprudence
récente, a répondu que les articles 30 du Traité et
14 de la directive 79/112 s'opposent à ce qu'une réglementation
nationale impose l'utilisation d'une langue déterminée pour
l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la
possibilité qu'une autre langue facilement comprise par les acheteurs
soit utilisée ou que l'information de l'acheteur soit assurée par
d'autres mesures ».
Votre rapporteur tient à exprimer ici sa très vive
préoccupation, et souhaite qu'une réflexion soit entamée
pour
éviter que la jurisprudence européenne ne permette de
contourner le respect des dispositions de la loi Toubon,
et en particulier
de son article 2 qui résulte de la volonté expresse de la
représentation nationale.
Loi
n° 94-665 du 4 août 1994 relative
à l'emploi de la
langue française
Article
2 « Dans la désignation, l'offre, la présentation, le
mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des
conditions de garanties d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans
les factures et quittances l'emploi de la langue française est
obligatoire ».
Il regrette que les autorités françaises ne fassent pas preuve de
toute la détermination nécessaire dans la défense de notre
langue en ce domaine comme elle en ont fourni une nouvelle preuve à
l'occasion de la discussion du
projet de loi relatif aux « mesures
urgentes de réformes à caractère économique et
financier
».
L'article 14 du projet de loi initial comporte une disposition autorisant les
émetteurs de titres de capital et de titres de créances à
établir leur note d'information au titre de l'appel public à
l'épargne dans une
langue usuelle en matière
financière
, ajoutant que si cette langue n'était pas le
français, le prospectus doit être accompagné d'un
résumé en français.
Ce dispositif était particulièrement choquant puisqu'il revenait
à présenter en quelque sorte, le recours à la
« langue usuelle en matière financière »
-l'anglais pour ne pas le nommer- comme la règle, le recours au
français n'étant que l'exception.
l'Assemblée nationale, par une rédaction astucieuse, a
corrigé le caractère trop flagrant de cet abandon. La
rédaction qu'elle a adoptée prévoit en effet que ce
document est rédigé en français, mais assortit
aussitôt ce principe d'une exception autorisant précisément
ce recours à cette fameuse langue usuelle. Il ne s'agit là que
d'un ajustement cosmétique qui ne saurait aucunement satisfaire votre
rapporteur.
Aussi celui-ci avait-il cosigné un amendement prévoyant que ces
notices d'information devaient être rédigées en
français, tout en acceptant qu'elles puissent être
accompagnées d'un résumé dans une langue usuelle en
matière financière.
Il avait cependant accepté de se rallier au dispositif proposé
par la commission des finances du Sénat. Celui-ci pose le principe d'un
recours à la langue française et n'autorise de dérogation
à cette règle que pour des produits très techniques, qui
ne peuvent s'adresser qu'à des investisseurs professionnels.
Il avait cependant tenu à indiquer que cette position se situait
à l'extrême limite des concessions possibles et que, si
l'Assemblée nationale revenait sur ce texte, il saisirait le Conseil
constitutionnel.
Ce recours va être déposé.
b) La protection des salariés et les pratiques linguistiques des entreprises
Les
informations dont dispose la DGLF sur l'application de l'obligation d'emploi de
la langue française dans les contrats de travail, le règlement
intérieur, les conventions et accords collectifs de travail sont
très partielles. Elles ne permettent pas de connaître
l'état réel de la situation, notamment pour ce qui concerne les
documents comportant des dispositions dont la connaissance est
nécessaire au salarié pour l'exécution de son travail.
Le suivi des offres d'emploi dans la presse est plus aisé. Si les
manquements sont rares, de
nombreuses annonces rédigées en
langue étrangère contournent en réalité la loi
,
par exemple en ne faisant pas figurer explicitement le pays dans lequel
l'emploi est à pourvoir. En outre, quelques annonces, bien que
rédigées en français, portent mention de l'exigence de
l'anglais comme langue maternelle, ce qui pourrait constituer, selon les
services du ministère de l'emploi et de la solidarité, une
discrimination en raison de l'origine.
De façon plus choquante encore, il apparaît que de plus en plus de
grandes sociétés françaises ou ayant un
établissement en France font de l'anglais leur langue de travail, dans
leurs relations commerciales avec leurs clients ou fournisseurs
étrangers, mais aussi parfois dans leur fonctionnement interne. La
dimension culturelle de ce choix linguistique est rarement prise en compte, ce
qui risque de susciter des dysfonctionnements dans l'entreprise, mais aussi une
démotivation des salariés.
Il s'agit certainement d'un domaine dans lequel il conviendrait que la DGLF
renforçât sa vigilance, en développant sa collaboration
avec les services de l'inspection du travail.
c) Les domaines scientifiques et techniques
Les
revues et les publications publiées par des personnes publiques
respectent en règle générale l'obligation consistant
à disposer au moins d'un résumé en français des
contributions rédigées en langue étrangère.
En ce qui concerne les manifestations et colloques internationaux
organisés en France par des personnes françaises, des
difficultés persistent pour assurer la présence minimale du
français qu'impose la loi. Les associations agréées de
promotion de la langue française se mobilisent de plus en plus sur cette
question et, pour la première fois, une condamnation a été
prononcée à l'encontre d'un établissement d'enseignement
supérieur qui n'avait pas mis à la disposition des participants
à une manifestation qu'il organisait une version française des
documents de présentation des programmes et des bulletins
d'inscription.
B. LA DÉFENSE DU FRANÇAIS DANS LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
1. Le français doit conserver son rang au sein de l'Union européenne
Votre rapporteur tient à insister sur l'absolue nécessité de ne pas se résigner au recul du français dans les institutions européennes : la consolidation de son rôle comme langue officielle et plus encore comme langue de travail de l'Union est en effet la condition impérative du maintien d'une vision pluraliste de l'Europe. Ajoutons que si son usage au sein de l'Union venait à s'estomper, le français perdrait un des fondements importants de son influence dans les autres organisations internationales et sur la scène mondiale.
a) L'érosion de l'usage du français comme langue
Or le
rapport présenté par la DGLF montre que si le statut et la place
du français restent solides dans les réunions formelles et les
textes officiels de l'Union, son rôle comme langue de travail tend
à s'éroder : on déplore en particulier une diminution
de son usage comme langue de première rédaction des documents de
travail. Les administrations françaises relèvent d'ailleurs que
les documents de travail que leur envoient la commission ou le conseil sont
souvent rédigés en langue anglaise ; que les documents que
les institutions communautaires remettent avant ou pendant les réunions
ne sont pas toujours disponibles en français ou le sont plus tardivement
que la version anglaise.
Ces retards qui s'expliquent en partie par une saturation des services de
traduction, ont, semble-t-il, commencé de se réduire, grâce
à une réorganisation des services et à une augmentation
des postes de la division française. Il convient de ne pas
relâcher notre vigilance en ce domaine, car des retards trop
fréquents dans la parution des documents en français ne
pourraient qu'ancrer davantage l'habitude chez leurs utilisateurs de recourir
systématiquement à la version anglaise disponible
immédiatement.
La perspective d'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et
orientale constitue un des enjeux majeurs pour le statut de notre langue.
Même si deux de ces Etats, la Roumanie et la Bulgarie, sont membres de la
francophonie multilatérale, et si quatre (la Pologne, la Lituanie, la
République tchèque et la Slovénie) ont un statut
d'observateur, l'élargissement risque de se traduire par un nouveau
recul du français.
b) La nécessité d'un rééquilibrage dans les négociations relatives à l'élargissement
Le fait
que les négociations relatives à l'élargissement se
déroulent, pour l'essentiel, en anglais, à l'image des programmes
PHARE et TACIS, n'est pas étranger à cette situation.
Votre rapporteur souhaite que le gouvernement incite la commission à
rééquilibrer sa politique linguistique, en ce domaine, de
façon à éviter que les pays candidats à
l'élargissement ne perçoivent l'Europe comme anglophone. Il est
inadmissible que des pays de tradition francophone, comme la Roumanie et la
Bulgarie, soient contraints de travailler en anglais avec les services de la
commission.
c) Un exemple choquant : le monopole de l'anglais dans les procédures d'EuropeAid
Les
modalités d'organisation du Service EuropeAid
, chargé de
centraliser la mise en oeuvre de l'aide extérieure de la commission
viennent fournir une nouvelle illustration de la facilité avec laquelle
certains services de la commission sont tentés de
céder au
« tout anglais »,
en violation des principes même
de la construction européenne. Créé le 1
er
janvier 2001, par décision de la commission dans le cadre de la
réforme de la gestion de l'aide extérieure, l'Office de
coopération EuropeAid est
chargé de la mise en oeuvre de
l'ensemble des instruments d'aide extérieure de la commission
financés à partir du budget communautaire et des Fonds
européens de développement
, à l'exception toutefois
des instruments de pré-adhésion, des activités
humanitaires, et de la politique étrangère et de
sécurité commune (PESC).
Or, non seulement le document qui décrit la procédure
d'établissement du contrat d'aide passé entre l'autorité
européenne et le consultant est rédigé exclusivement en
anglais, mais il précise en outre à l'article 9 que :
« The language of the contract and of all written communications
between the consultant and the Contracting Authority and/or the project Manager
shall be
English
».
Ce qui signifie en bon français que l'anglais est la
langue dans
laquelle devront être rédigés non seulement le contrat mais
tous les échanges écrits
entre l'autorité
européenne et le consultant.
Autrement dit, nul n'est censé ignorer l'anglais s'il souhaite
obtenir une aide financière de l'Union européenne.
Votre rapporteur attend du Gouvernement français qu'il intervienne
rapidement auprès de la commission européenne pour rectifier ce
dispositif qu'il juge choquant et qui constitue un signe alarmant d'une
volonté rampante d'imposer l'anglais comme langue des relations
internationales de l'Europe
.
2. La réforme du brevet européen
Créée par la Convention de Munich du 5 octobre
1973,
le « brevet européen » n'est pas un instrument de
protection communautaire. Contrairement au projet de « brevet
communautaire » actuellement en discussion, et qui viendrait se
greffer en quelque sorte sur le brevet européen, il relève du
droit conventionnel classique entre Etats et réunit des pays qui ne sont
d'ailleurs pas tous membres de l'Union européenne.
La convention de Munich a institué une organisation européenne
des brevets, un office européen des brevets, et une procédure
unique de délivrance à l'issue de laquelle le brevet
européen prend la valeur d'un brevet national dans chacun des pays
contractants, et est soumis aux règles nationales en vigueur sur le
territoire de ces derniers.
Ses langues officielles sont l'allemand, l'anglais et le français
(article 4). Celles-ci sont dotées d'un statut
privilégié : les demandes de brevet doivent être
déposées dans une de ces trois langues, qui devient par la suite
la langue de procédure et la langue dans laquelle est publié le
fascicule du brevet.
Ces fascicules comportent obligatoirement une traduction des revendications
dans les deux autres langues officielles de l'Office européen des
brevets (article 14 alinéa 7) sachant que ces revendications constituent
le coeur du dispositif de protection, puisque ce sont elles qui
déterminent l'étendue de la protection (article 69), la
description et les dessins ne servant qu'à interpréter les
revendications.
L'organisation européenne des brevets permet :
- aux demandeurs ou aux titulaires de brevets français francophones de
déposer leur demande en français sans être obligé
d'y joindre une traduction ;
- aux entreprises françaises ou francophones de disposer soit de
fascicules complets en français pour les brevets délivrés
en français, soit de la traduction en français des revendications
des brevets délivrés en allemand ou en anglais.
Une disposition de la Convention, l'article 65, ouvre la possibilité
pour les Etats de renforcer leurs exigences en matière de traduction. Il
les autorise en effet à prescrire que le texte des brevets qui ne sont
pas rédigés dans leur langue officielle est réputé
sans effet sur leur territoire si une traduction n'est pas produite dans un
délai de trois mois. Cette faculté est ouverte aux Etat dont les
langues ont le statut de langues officielles de l'Office comme aux autres.
La plupart des Etats ont fait jouer cette clause, et la France également
(article L. 614-7 du code de la propriété intellectuelle).
Toutefois, la volonté de réduire le coût du brevet
européen, sensiblement supérieur au coût des brevets
octroyés par les principaux partenaires commerciaux de l'Europe a
conduit à la rédaction d'un accord consistant dans une
renonciation aux exigences de traduction prévues à l'article 65
précité.
Cet accord a été proposé à la signature des Etats
membres à la conférence intergouvernementale de Londres les 15 et
16 octobre 2000.
CONTENU DE L'ACCORD SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DE LA CONVENTION SUR LA DÉLIVRANCE DE BREVETS EUROPÉEN
Les
Etats parties à l'accord sont convenus des dispositions suivantes :
1. Les Etats ayant une langue officielle en commun avec les trois langues
officielles de l'Office européen des brevets renoncent aux exigences de
traduction de l'article 65 ; les autres Etats y renoncent si le
brevet est délivré ou traduit dans une de ces trois langues
à leur choix, mais conservent la possibilité d'exiger une
traduction des revendications.
2. En cas de litige, le titulaire du brevet fournit à ses frais une
traduction complète du brevet au contrefacteur présumé et
au juge.
3. La signature de l'accord est ouverte jusqu'au 30 juin 2001.
4. L'accord ne peut entrer en vigueur que si huit Etats parties y ont
adhéré, dont l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
Le projet d'accord a suscité une vive inquiétude et votre
rapporteur avait tenu à rappeler
les inconvénients d'un texte
qui prévoit que des titres juridiques, partiellement
rédigés dans une langue étrangère, pourront
créer, en France, des droits et des obligations.
Confronté à cette préoccupation largement partagée,
le secrétaire d'Etat à l'industrie a confié une mission de
concertation à M. Georges Vianes qui a conclu à l'adoption de cet
accord, estimant en outre que celui-ci, « loin de représenter
un abandon de la position de la France et de la langue française dans le
système du brevet européen, la renforce ». Votre
rapporteur ne partage évidemment pas cette vision optimiste.
Il relève que notre collègue, M. Francis Grignon
1(
*
)
, dans un rapport d'information de la
commission des affaires économiques du Sénat, a également
conclu à la nécessité de signer cet accord, mais en
insistant sur un certain nombre de mesures d'accompagnement nécessaires.
MESURES D'ACCOMPAGNEMENT JUGÉES NÉCESSAIRES PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES EN VUE DE LA SIGNATURE PAR LA FRANCE DE L'ACCORD DE LONDRES
Veille technologique
: traduire en français, sur le budget
de l'INPI
2(
*
)
, comme cela est
envisagé, les revendications et un résumé
« signifiant » des demandes, à la publication. Les
traductions seraient disponibles sur le site internet de l'Institut national de
la propriété industrielle, dont la base de données peut
être interrogée en langage naturel ;
Sécurité juridique
: prévoir, comme c'est le
cas dans le projet de règlement sur le brevet communautaire, qu'un
contrefacteur présumé qui n'a pu avoir à sa disposition le
texte du brevet traduit en français est présumé ne pas
porter atteinte au brevet et que les dommages et intérêts (ou la
confiscation éventuelle des profits) ne pourraient intervenir
qu'après cette mise à disposition d'un texte en
français ;
Traducteurs et conseils
: le changement de régime
n'entrerait pas en vigueur avant, au bas mot, deux ans. L'Etat doit
impérativement utiliser ce délai pour :
- orienter les traductions visées au sur des
professionnels
français
: traducteurs pour les traductions, conseils pour
l'élaboration du résumé. Ceci implique un effort
considérable d'organisation de ces professions (possible, peut
être, via un groupement d'intérêt économique de
chacune d'entre elles et la mise en place, à l'Institut national de la
propriété industrielle, de procédures d'octroi de ces
marchés à la fois transparentes et accessibles à d'autres
prestataires que les grands cabinets étrangers qui risquent de
« capter » ce marché si les professionnels
français ne font pas cet effort d'organisation. Cette solution est plus
difficile à mettre en oeuvre, notamment pour l'élaboration du
résumé, que la simple sous-traitance à une
société étrangère
3(
*
)
, mais elle est, de loin,
préférable. Elle implique toutefois que les professionnels jouent
le jeu de la mise en oeuvre d'un accord qu'ils ont radicalement
défendu ;
- prévoir des
aides spécifiques pour les traducteurs en
brevets
dans le cas probable où la mesure ci-dessus et
l'accroissement du nombre de dépôts ne suffiraient pas à
maintenir leur volume actuel d'activité.
Votre rapporteur ne peut cependant se féliciter de la signature par la
France de l'accord de Londres, le 29 juin 2001, mais souhaite que, à
tout le moins, le Gouvernement prête toute l'attention nécessaire
aux mesures d'accompagnement préconisées par la commission des
affaires économiques du Sénat.
Il relève que la signature de cet accord a été
accompagnée d'une déclaration précisant que la France
avait l'intention d'accompagner la mise en oeuvre de l'accord de dispositions
nationales lui permettant de prendre à sa charge la traduction
intégrale des brevets qui ne seront pas rédigés en
français.
3. L'année européenne des langues
Etablie
par décision conjointe du Parlement européen et du Conseil de
l'Europe, l'année européenne des langues a été
officiellement lancée à Lund, sous présidence
suédoise les 18-20 février 2001. Son but est de
célébrer la diversité linguistique européenne et de
promouvoir l'apprentissage des langues.
Organisée à des fins d'encouragement et d'information,
destinée au grand public, elle couvre les onze langues officielles de la
Communauté, l'irlandais et le luxembourgeois ainsi que les langues
régionales désignées par les Etats membres.
Les principaux objectifs sont :
- de mieux sensibiliser la population à l'importance de la richesse
linguistique et culturelle et d'encourager le multilinguisme ;
- de mettre en évidence les avantages que procurent, à des fins
personnelles ou professionnelles, des compétences dans plusieurs
langues ;
- d'encourager l'apprentissage des langues tout au long de la vie, la
diversité des méthodes et outils qui viennent en soutien à
cet enseignement.
Les actions communes ont porté essentiellement sur le lancement d'une
campagne d'information par les services de la communication. Le reste des
actions a fait l'objet d'un appel à proposition au niveau de chaque Etat
membre et d'une sélection. Dans chaque pays, un service national de
coordination a assuré la mise en oeuvre des manifestations et
activités. L'enveloppe financière prévue pour le
financement communautaire des projets a été fixée à
8 millions d'euros pour la période qui s'étend jusqu'au
31 décembre 2001.
Plusieurs manifestations ont été organisées en
France :
- Le salon Expolangues (31 janvier/4 février 2001) lors duquel des
rencontres, débats et conférences ont été
organisés pour sensibiliser le public au plurilinguisme ;
- la manifestation nationale de lancement (4 avril 2001), le « bal
des langues », à laquelle étaient invités quatre
cents personnes dont quatre vingt dix jeunes lycéens en provenance de
toute l'Union européenne ;
- les états généraux du multilinguisme (26 septembre 2001)
qui ont réuni au Collège de France des responsables de politique
éducative en provenance de 41 pays du Conseil de l'Europe ainsi que des
acteurs des sphères économique, culturelle et médiatique.
La France, qui a fait de la promotion du plurilinguisme un des axes
prioritaires de sa politique linguistique, ne peut que tirer profit de ces
actions, qui encouragent la généralisation de l'apprentissage de
deux langues vivantes au sein des systèmes éducatifs.