2. Une situation qui génère des revendications
a) Des protagonistes organisés
Devant l'absence de réponse de l'administration, les différentes parties se sont organisées.
Rassemblés au sein d'une coordination, la Coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines (CADCO), les protagonistes sont nombreux.
Dans différentes instances, sont rassemblés pêle-mêle les pupilles et anciens pupilles, des adoptés, ainsi que des mères ayant accouché sous X et désireuses de retrouver l'enfant abandonné, des parents adoptants ainsi que des personnes nées par assistance médicale à la procréation.
Ces associations, outre un travail de communication auprès des institutions, mettent à la disposition de leurs membres un service de conseils dans les recherches, d'assistance psychologique, de groupe de paroles, etc.
b) La multiplication des rapports d'experts
Sensibilisés à ces questions par des dossiers de plus en plus médiatisés, les pouvoirs publics se sont penchés sur le phénomène. Ainsi, depuis 1990, les rapports proposant une évolution de la législation en vigueur se sont multipliés.
Dès cette date, le Conseil d'Etat, dans un rapport relatif « au statut et à la protection de l'enfant » , avait plaidé pour la création d'un conseil national pour la recherche des origines familiales.
En 1996, un groupe de travail, sous la présidence de M. Pierre Pascal, a travaillé sur l'accès des pupilles et anciens pupilles de l'Etat à leurs origines, et se prononçait également dans le sens de la création d'une instance de médiation.
En mai 1998, un rapport parlementaire, adopté sous la présidence de M. Laurent Fabius, recommandait lui aussi l'instauration d'une structure publique ayant pour objet de conserver l'information et d'accueillir les demandes des enfants. Il préconisait aussi, pour sa part, la levée de plein droit du secret à la majorité de l'enfant.
Enfin, un an plus tard, le rapport de Mme Dekeuwer-Defossez proposait, lui aussi, la création d'une instance de médiation.
Le souci d'une évolution était présent, réclamée par les demandes toujours plus pressantes des personnes en quête de leurs origines, demandes largement relayées par les rapports d'expertises. De surcroît, les exigences posées par le droit international ont agi dans le même sens.
3. Les exigences du droit international
a) Les conventions sur les droits de l'enfant font-elles de l'accès aux origines un droit de l'homme ?
Le 20 novembre 1989, fut signée la convention internationale des droits de l'Enfant, qui est entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
L'article 7 de cette convention stipule que « chaque enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents » .
Sur le fondement de cette disposition, et rappelant qu'au titre de l'article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » , les associations de personnes à la recherche de leurs origines ont exigé l'abrogation des dispositions assurant le secret de la filiation aux mères qui le désirent, ou prôné tout du moins, leur non-application.
Pourtant, le texte de cette convention est lui-même assez sibyllin puisque rien ne définit précisément la valeur du droit rendu très relatif par la présence d'une expression modératrice : « la mesure du possible » .
L'interprétation de votre rapporteur, qui semble être l'interprétation la plus communément admise, est qu'il s'agit là d'une sorte de « droit faculté ».
Dès lors qu'une telle réforme est conciliable avec d'autres droits, et notamment le droit des mères au secret, le législateur peut, et même dans une certaine mesure doit, faciliter les démarches des personnes à la recherche de leurs origines.
Le principe posé par le droit international est ici prudent : il ne semble pas s'agir d'un droit absolu, mais d'un droit relatif et contingent, qui est, par ailleurs, la voie choisie par le présent projet de loi (cf. II) .
b) L'affaire Pascale Odièvre : le droit français à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)
Non pas née d'une mère ayant accouché sous X, mais abandonnée avec secret sur ses origines au cours de sa première année, Mme Pascale Odièvre a saisi la Cour européenne des droits de l'homme pour violation par la France de l'article 8 de la convention dont ses juges ont la garde, article qui pose le droit au respect de la vie privée et familiale :
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
« Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
Votre rapporteur, qui ne saurait en aucun cas présumer de la position des juges internationaux, formule néanmoins deux observations :
En premier lieu, l'affaire soulevée par Mme Odièvre n'est pas exactement assimilable à la question de l'accouchement sous X. En effet, la loi autorise des parents à abandonner leur enfant en demandant le secret de son état civil jusqu'à la fin de la première année de l'enfant. Cette procédure, contestée, est en principe abrogée par le présent projet de loi. Or c'est de cette situation que ressort Mme Odièvre.
En second lieu, votre rapporteur s'interroge sur le sens à donner au respect de la vie privée. Un tel principe n'a-t-il pas pour objet de protéger tant la vie de l'enfant que la vie privée de la mère ayant choisi le secret ?
En une telle matière, l'exemple international montre les limites auxquelles se heurte le droit. C'est pourquoi la position médiane adoptée par le texte est la plus satisfaisante : faciliter la rencontre des volontés mais ne rien imposer.