B. LES INONDATIONS
Les graves inondations survenues en novembre 1999 dans plusieurs départements du sud de la France, ayant entraîné la mort de 35 personnes et des dégâts considérables ( 3,5 milliards de francs pour l'indemnisation des dommages ), ne peuvent malheureusement pas être analysées comme des événements totalement exceptionnels .
Le rapport public 1999 de la Cour des comptes , comporte un développement sur la prévention des inondations en France . Il rappelle que celles-ci constituent le risque naturel prédominant dans notre pays, en raison de l'importance de son réseau de cours d'eau (plus de 275.000 kilomètres), du peuplement sur les rives (11.600 communes et 2 millions d'habitants) et de son exposition aux deux grands types de crues (crues de plaine et crues torrentielles).
Ainsi, en 18 mois (de janvier 1999 à juin 2000), en dehors des effets des tempêtes de décembre 1999, on a enregistré 12 inondations de grande ampleur ayant provoqué la mort de 51 personnes .
L'actualité plus récente montre, hélas, que les inondations frappent régulièrement de nombreuses parties du territoire.
Le rapport de la Cour des comptes souligne, en premier lieu, que l'insuffisance des dispositifs juridiques successivement mis en place (plans de surfaces submersibles, suivis des périmètres de risque puis des plans d'exposition aux risques, avant les plans de prévention des risques naturels prévisibles) a eu pour effet, jusqu'à présent, de freiner sensiblement notre connaissance du risque d'inondation.
Certes, la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a entendu unifier des procédures jusqu'alors disparates en matière de prévention des risques naturels.
Les plans de prévention des risques naturels (PPR) constituent des documents portant servitude d'utilité publique, annexés aux plans d'occupation des sols.
Elaborés par les services de l'État pour les zones à risques (inondations, avalanches, mouvements de terrain...), les plans de prévention des risques fixent des normes de construction, définissent des mesures de prévention et prescrivent, si nécessaire, la réalisation d'aménagements.
La Cour des comptes remarque d'abord que le retard pris pour se doter d'un instrument juridique unique de prévention (1995) ne permet pas d'espérer une connaissance suffisante des risques sur l'ensemble du territoire avant un certain nombre d'années , d'autant que, les plans de prévention des risques élaborés à ce jour sont encore trop peu nombreux (2.500 communes en sont dotées et, au total, 5.000 communes devraient en bénéficier d'ici 2005).
Selon le rapport de la Cour des comptes, en dépit de la nette accélération du rythme d'élaboration des plans relatifs aux inondations, des carences subsistent dans la conception de ces plans et " dans la sensibilisation de la population ".
Votre commission des Lois avait, d'ailleurs, souligné l'an dernier 3 ( * ) que, " pour l'essentiel, les obstacles (semblaient) provenir d'une information insuffisante des élus locaux (...), l'État ne paraissant pas les associer de manière satisfaisante à la politique de prévention ".
La Cour des comptes souligne qu'aucun plan de prévention n'a été prescrit pour des villes fluviales importantes comme Lyon, Toulouse, Bordeaux, Rouen et Orléans.
Elle relève aussi que, sous l'empire de la législation antérieure, une centaine de plans de surfaces submersibles, couvrant environ 2000 communes, ont été établis, mais que 85 % d'entre eux, antérieurs à 1975, " n'ont donc pas suivi les évolutions urbaines et hydrologiques ".
La Cour des comptes considère que " la situation générale de méconnaissance de ce risque en Île-de-France, à l'exception principalement des Yvelines et, depuis peu, de la Seine-et-Marne, est alarmante " et qu'" à Paris (...), la protection n'est pas assurée contre une crue de type 1910 ".
Elle souligne la rareté des analyses économiques du risque d'inondation et l'absence de méthodologie générale adaptée au niveau national, rappelant qu'une étude limitée à l'échelon local ne peut suffire au regard de ce risque, qui doit être traité au niveau des grands versants.
Il apparaît que les études réalisées ne comportent pas de comparaisons chiffrées entre, d'une part, le coût des ouvrages de protection et des dispositifs de prévention envisageables et, d'autre part, la charge financière prévisible des inondations éventuelles, compte tenu de leur probabilité d'occurrence.
Selon la Cour des comptes, " dans la période de 1982 à 1995, les indemnisations versées par les compagnies d'assurances pour les sinistres d'inondations ont représenté un flux annuel avoisinant 1,5 milliard. La comparaison entre le coût annuel de la prévention, de l'ordre du milliard de francs, et le coût complet des dommages, qui pourrait actuellement approcher les 3 milliards par an, compte tenu des dégâts subis par les biens non assurés, publics ou privés, et des pertes indirectes, peut d'autant plus faire douter de l'efficacité de la politique menée qu'une inondation majeure se solderait par un bilan bien plus lourd ".
La Haute juridiction relève que le dispositif juridique en matière de prévention des inondations est " inadapté, confus et obsolète ", qu'il appelle une réforme d'ensemble et qu'elle " ne peut aujourd'hui se concevoir en dehors d'une coopération étroite et d'un financement partagé entre l'État et les groupements de collectivités (...), avec une définition claire de toutes les responsabilités en jeu ".
Une loi du 16 septembre 1807 fait supporter aux propriétaires riverains la charge financière des travaux de protection contre les inondations, tandis que le maire, dans le cadre de son pouvoir de police municipale est chargé d'assurer " le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ", ce qui comprend notamment, selon l'article L. 2212-2 (5°) du code général des collectivités territoriales : " le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents (...), les inondations , (...), de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ".
La Cour des Comptes considère en conséquence que " de cette situation résulte un vide juridique en matière d'initiative des grands travaux de protection contre les inondations . Ceux-ci excèdent manifestement les moyens et capacités des propriétaires riverains et des communes. Or, si l'Etat depuis l'origine, les groupements de communes et autres formes de coopération locale depuis 1973, et enfin les régions depuis 1992 ont la faculté d'intervenir, ils n'ont aucune obligation de s'engager dans la réalisation de tels ouvrages. Autrement dit, personne n'est responsable de l'inexécution d'ouvrages qui pourraient pourtant atténuer les dommages causés par une grave inondation . L'Etat se trouve en situation d'autant plus ambiguë qu'il peut même ne pas en autoriser la construction.
" L'État reconnaît, certes, le rôle essentiel des collectivités territoriales, plus volontiers d'ailleurs que le sien propre . Il encourage ainsi depuis 1994 la constitution d'établissements publics de coopération entre collectivités pour traiter à l'échelle pertinente les actions de prévention des inondations, en leur accordant en priorité ses subventions. De plus, l'article 60 de la loi de finances pour 1999 a déclaré éligibles au fonds de compensation de la taxe à la valeur ajoutée les investissements de ce type réalisés par les collectivités sur des ouvrages ne leur appartenant pas, y compris sur le domaine public de l'État, dont le désir de se désengager de ses obligations de propriétaire est confirmé. La faculté d'intervention tardivement ouverte aux collectivités territoriales pour la défense contre les eaux, la multiplication des structures possibles (groupements, syndicats mixtes, établissements publics, communauté locale de l'eau) et les dernières mesures adoptées ne font en fait que souligner l'inadaptation patente des principes de la loi de 1807, dont l'abandon n'affecterait nullement le droit de propriété de riverains qui n'exploitent plus les cours d'eau. Se trouvent aussi illustrées les difficultés des collectivités territoriales à faire face à ces nouvelles charges sans soutien substantiel de l'État . "
Enfin, la Cour des Comptes souligne la complexité de l'organisation administrative en matière de lutte contre les inondations (5 directions relevant de 4 ministères) et les limites du régime d'assurance, marqué par la déresponsabilisation des assurés (taux unique de la surprime catastrophes naturelles sans prise en compte du degré de vulnérabilité des biens) et par l'indifférence des assureurs (mécanismes de
Votre commission des Lois, partageant la préoccupation de la Cour des comptes, souligne, une nouvelle fois, que l'efficacité de la prévention est liée à une étroite concertation entre l'État et les collectivités territoriales.
* 3 Avis sur les crédits de la sécurité civile pour 2000 présenté par M. René-Georges Laurin
(n° 94 ;1999-2000).