II. LA GESTION DES CATASTROPHES DE GRANDE AMPLEUR

Chacun garde en mémoire les très graves épreuves subies par notre pays depuis un an, à l'occasion desquelles les personnels de la sécurité civile ont dû -avec tant d'autres, professionnels et bénévoles- montrer leurs compétences et leur générosité, qu'il s'agisse des tempêtes exceptionnelles de décembre 1999 ou des inondations importantes survenues dans plusieurs départements du sud de la France 2 ( * ) .

A. LES TEMPÊTES DE DÉCEMBRE 1999

1. Un lourd bilan

Le bilan des tempêtes successives des 26 et 27 décembre 1999, ayant frappé la majeure partie du territoire, est particulièrement lourd, puisque celles-ci ont provoqué la mort de 92 personnes , dont deux sapeurs-pompiers en service. Le nombre des blessés a été évalué à 2000 et le coût des destructions matérielles à plus de 100 milliards de francs .

Le 28 décembre, 3,4 millions de foyers étaient privés d'électricité, 500.000 lignes téléphoniques étaient coupées, plusieurs centaines de milliers de personnes étaient privées d'eau potable, tandis que les réseaux ferroviaire et aérien étaient sérieusement perturbés et les routes coupées en plus de 300 points du territoire.

On rappellera qu'un arrêté du 29 décembre 1999 a constaté l'état de catastrophe naturelle dans 69 départements , quatre régions seulement ayant été épargnées.

Au delà des pertes humaines, les conséquences économiques des tempêtes ont été considérables, spécialement pour les particuliers, les exploitants agricoles et forestiers et, à l'évidence, les collectivités territoriales.

Pour ne s'en tenir qu'à la forêt, près de 150 millions de m 3 de bois, sur un total de 2 milliards de m 3 ont été perdus (soit environ 300 millions d'arbres), les tempêtes ayant, dans certains départements, détruit jusqu'à 80 ou 90 % des forêts.

Les pertes subies concernent, au total, 500.000 hectares.

2. L'organisation des secours

La mobilisation et l'efficacité de l'ensemble des services de l'État et des collectivités territoriales, des entreprises du secteur public et du secteur privé ont été soulignées par tous.

Sept plans ORSEC ont été déclenchés et 150.000 sapeurs-pompiers volontaires et professionnels civils et militaires se sont trouvés sur le terrain.

Les agents de la sécurité civile, dont l'action a été coordonnée par le centre opérationnel et d'aide à la décision (COAD), installé à Asnières au sein de la direction de la défense et de la sécurité civiles du ministère de l'Intérieur, ont naturellement été appuyés par l'armée pour des tâches aussi urgentes que diverses ( 9.000 militaires pour le déboisement des itinéraires forestiers et la sécurisation des cours d'eau, par exemple).

De nombreux policiers et gendarmes (15.000) ont également été requis.

On soulignera que des renforts en personnel et en matériel sont parvenus des services de sécurité civile de l'outre-mer, ainsi que de 17 pays étrangers . C'est ainsi que 500 groupes électrogènes en provenance de l'étranger se sont ajoutés aux 2.500 appareils rassemblés au niveau national.

3. L'aide aux victimes

S'agissant de l'aide aux victimes des tempêtes, le Gouvernement a tenu à affirmer les responsabilités des compagnies d'assurance en la matière.

On rappellera que, selon l'article L. 125-1 du code des assurances, les contrats souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'État et garantissant les dommages d'incendie ou tout autre dommage à des biens situés en France et les dommages aux véhicules terrestres à moteur ouvrent droit à une garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles sur les biens concernés par ces contrats. Cette extension " catastrophes naturelles " est obligatoire et donne lieu au versement d'une cotisation additionnelle par l'assuré.

En outre, si l'assuré est couvert contre des pertes d'exploitation, la garantie doit avoir été étendue aux effets des catastrophes naturelles, dans les conditions fixées par le contrat.

Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, selon le troisième alinéa du même article, " les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ".

Le montant des dommages indemnisés au titre du régime des catastrophes naturelles à la suite des tempêtes de décembre 1999 a été évalué à 3 milliards de francs, tandis que les indemnisations versées dans le cadre des contrats d'assurance en dehors de ce régime a atteint 42 milliards de francs.

Toutefois, devant l'ampleur des difficultés, les pouvoirs publics ne pouvaient pas s'en remettre purement et simplement à l'intervention des assurances.

Tout d'abord, certaines mesures ont été prises pour faciliter les conditions de remboursement par les assurances (extension des délais de déclaration des sinistres, franchise portée à 1.500 francs dans le cadre des contrats multirisques).

Une circulaire du 6 février 1976 organise un régime de secours d'extrême urgence pour aider certaines victimes à faire face aux dépenses de la vie quotidienne. Ce régime prévoit le versement d'une somme forfaitaire aux victimes en graves difficultés, dont le montant s'élève à 1.000 F par adulte et à 500 F par enfant. Le versement de cette prestation est subordonné à l'attribution parallèle d'une aide au plan local.

La dotation initiale pour des aides de cette nature a été, en cours d'exercice, abondée à plusieurs reprises pour atteindre un montant total de 263 millions de francs.

D'autres mesures ont été prises pour les particuliers : prêt à taux nul pour la réparation de biens immobiliers non garantis par les assurances (vérandas, clôtures) ou pour l'acquisition d'un nouveau logement en cas de destruction de l'habitation principale, délais pour le paiement des impôts, voire remises en cas de grande difficulté.

Des commissions d'indemnisation ont été mises en place dans 77 départements afin d'examiner les cas les plus difficiles, dont les travaux seront synthétisés par une commission nationale.

L'État a aussi engagé des moyens financiers à concurrence de 1 milliard de francs pour subventionner la restauration des biens et équipements des collectivités territoriales (panneaux de circulation, réseaux d'assainissement, ponts, parcs et aires de jeux, par exemple).

Le taux moyen de ces concours, fixé à 50 %, a pu atteindre 80 % pour certaines communes (population inférieure à 1.500 habitants ; population inférieure à 10.000 habitants et ayant dû supporter plus de 4 millions de francs de travaux).

L'État a prévu 200 millions de francs de subventions pour la restauration du patrimoine historique et culturel des collectivités territoriales.

Le chapitre budgétaire portant sur les subventions aux services départementaux d'incendie et de secours a été abondé, au total, de 60 millions de francs en 2000.

Un plan national pour la forêt , d'un montant de 2 milliards de francs en 2000, a été adopté au bénéfice des collectivités et des particuliers affectés par les tempêtes. Ce plan comporte diverses mesures fiscales (déduction des revenus professionnels de charges liées à la tempête et non couvertes par les assurances, dégrèvement exceptionnel de taxe foncière sur les propriétés non bâties, extension à tous les travaux d'exploitation forestière du taux réduit de TVA).

Ce plan prévoit, enfin, 6 milliards de francs de subvention sur dix ans pour la reconstitution de la forêt française.

En ce qui concerne l'agriculture , des avances de trésorerie, des délais de paiement, des reports d'annuités et, dans certains cas, des dégrèvements de charges sociales et des prêts bonifiés ont été accordés.

La procédure des calamités agricoles pour l'indemnisation des pertes de fonds et de récoltes a été accélérée.

Pour les autres secteurs économiques , diverses mesures ont également été prévues : indemnisation du chômage partiel ayant touché les entreprises en raison des intempéries, avance sur indemnisation par les assurances, prêts et possibilité de délais supplémentaires pour les déclarations et le paiement des impôts.

4. Les premiers enseignements d'une catastrophe majeure

Sans attendre les conclusions de la mission interministérielle d'évaluation, présidée par M. Gilles Sanson , inspecteur général de l'administration, quelques enseignements paraissent d'ores et déjà pouvoir être tirés.

Comme l'a indiqué devant le Sénat le 18 janvier 2000 son président, M. Christian Poncelet, " nous ne pourrons pas éluder plus longtemps les questions posées par la multiplication des phénomènes naturels qui affectent notre pays (...). Trop d'écoles flambant neuves ont été emportées par la tempête, trop de pylônes électriques se sont effondrés comme des châteaux de cartes ".

Votre commission des Lois s'est interrogée sur l'adéquation du dispositif de réaction aux situations d'urgence et sur la nécessité de renforcer une culture de gestion de crise , dont M. Jean-Pierre Chevènement, à l'époque ministre de l'Intérieur, soulignait, le 9 février 2000 devant le Sénat, qu'elle était " très présente chez nos compatriotes de l'outre-mer, confrontés au retour régulier des cyclones tropicaux ".

Ainsi, d'une part, les services de la météorologie semblent avoir sous-estimé l'intensité des tempêtes et, d'autre part, de nombreuses personnes ont eu le sentiment de n'avoir pas été informées en temps utile des risques encourus et des précautions à prendre le cas échéant.

Chacun a tenu à souligner l'action exemplaire des agents des services publics , et, en particulier, celle des sapeurs-pompiers, et les événements ont démontré l'impératif d'un service public de proximité présent en toutes parties du territoire . Notre collègue M. Jean-Jacques Hyest a cependant fait valoir la nécessité d'une meilleure coordination entre les différents services concernés.

Les tempêtes ont illustré tout l'intérêt de disposer de " pompiers citoyens ", proches de la population et du terrain , et placés sous la responsabilité des maires, même si, par ailleurs, leur action doit être coordonnée avec celle des services départementaux d'incendie et de secours, dont l'utilité n'est pas en cause.

C'est à juste titre qu'a été souligné l'esprit de solidarité dont de nombreux citoyens ont su faire preuve, ce qui constitue, selon l'expression du président Poncelet " la plus belle réponse que les Françaises et les Français pouvaient apporter à ceux qui dénoncent la frilosité et l'égoïsme de nos compatriotes ".

Les événements de l'hiver dernier ont aussi démontré la capacité des élus locaux à faire face à des situations exceptionnelles , organiser la solidarité et mobiliser les énergies.

Comme l'a souligné le président Poncelet, " par le maillage de notre territoire qu'elles assurent, les collectivités locales ont constitué, face aux intempéries, un formidable filet de sécurité . Une fois de plus, les élus ont confirmé leur rôle irremplaçable au service des populations. La décentralisation, c'est bien le service public de proximité ".

Enfin, l'État a certes, comme cela était son devoir, adopté un nombre non négligeable de dispositions pour venir en aide aux personnes et aux secteurs économiques les plus durement frappés.

Toutefois, comme l'a relevé notre collègue M. Pierre Jarlier, les conséquences pratiques de certaines décisions gouvernementales se sont fait trop longtemps attendre et sont même encore attendues dans un certain nombre de départements. On peut donc parfois regretter un délai excessif entre l'effet d'annonce et le déblocage effectif des crédits.

Par ailleurs, comme l'ont relevé notre collègue M. Paul Girod, président du groupe d'études sur la sécurité et la défense civiles ainsi que votre commission des Lois, il convient de souligner le caractère assez largement théorique des exercices de simulation de crise, dans lesquels les incidents sont prévus à l'avance, alors que le caractère probant de tels exercices suppose la réaction à des circonstances imprévues .

* 2 Sur l'ensemble des questions liées à la marée noire provoquée par le naufrage de l'Erika, on se reportera au rapport très circonstancié établi par la mission sénatoriale d'information présidée par Mme Anne Heinis et dont le rapporteur était M. Henri de Richemont (document n° 441 (1999-2000).

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