III.  LES PERSPECTIVES DU RÉGIME DES EXPLOITANTS AGRICOLES : TROIS DÉFIS À RELEVER

A. LA REVALORISATION DES RETRAITES AGRICOLES : UNE QUESTION QUI RESTE CENTRALE

1. La faiblesse persistante des retraites agricoles

Le montant minimal des retraites agricoles n'atteint pas encore le minimum vieillesse. Il convient de rappeler que leur montant apparaissait acceptable il y a encore vingt-cinq ans, en raison de différents éléments, qui ont connu une évolution importante.

1- Les retraites étaient, de manière générale, d'un niveau très faible : les disparités apparaissaient moins importantes entre les agriculteurs et le reste de la population.

Force est de constater que les conditions de vie des retraités ont considérablement progressé au cours des vingt dernières années. Le revenu moyen d'un retraité est désormais équivalent à celui d'un actif. Dès lors, les retraites agricoles apparaissent les seules à être très basses.

2- Les exploitants agricoles continuaient à travailler le plus longtemps possible .

L'abaissement de l'âge de la retraite dans le régime général a eu un effet indirect. Les exploitants agricoles arrivant à l'âge de 60-65 ans au début des années quatre-vingt-dix n'ont pas souhaité rester en activité, contrairement aux générations précédentes.

3- Les solidarités familiales jouaient un rôle plus important .

Du fait de l'évolution de la société, même en milieu rural, ces solidarités -sans bien sûr s'effacer- jouent un rôle moins important.

4- Les agriculteurs, comme l'ensemble des non-salariés, pouvaient bénéficier de la vente de leur exploitation.

Cette vente représentait un pécule important, permettant de pallier la faiblesse des retraites. Mais la vente de ces exploitations, en raison de la diminution du nombre d'exploitants, n'est plus possible. Les artisans et les commerçants sont d'ailleurs dans une situation peu différente.

Ces évolutions expliquent la volonté affichée depuis 1993 par les gouvernements de relever le niveau minimum des retraites agricoles.

Le Gouvernement actuel a annoncé un " plan pluriannuel " correspondant à la législature (1997-2002).

L'objectif d'amener les retraites les plus basses au minimum vieillesse, pour les agriculteurs ayant cotisé 150 trimestres, apparaît un impératif. Le montant minimal pour les chefs d'exploitation sera en 2001 de 3.395,00 francs, à comparer aux 3.653,00 francs mensuels du minimum vieillesse pour une personne seule.

Cet objectif pourrait être atteint en 2002, compte tenu d'un " dernier effort " qui sera important.

Par ailleurs, la loi d'orientation agricole, en adoptant le statut de conjoint collaborateur d'exploitation ou d'entreprise, permettra à terme à 100.000 personnes, des femmes dans presque tous les cas, d'acquérir seize points de retraite proportionnels par an, en contrepartie d'une cotisation versée par le chef d'exploitation correspondant à environ 1.800 francs par an.

Le taux d'option pour le nouveau statut était de 75 % au 30 septembre 2000. La date butoir a été prorogée jusqu'au 31 décembre 2000.

2. La nécessité d'un régime complémentaire obligatoire pour parvenir à des retraites équivalentes à 75 % du SMIC

a) Le seul régime de base ne suffira pas

Au-delà, l'objectif généreux de parvenir à des pensions égales à 75 % du SMIC pose des problèmes de principe.

Tout d'abord, sur les 2,1 millions bénéficiaires d'une pension de retraite agricole au 1 er janvier 1997, seules 622.000 personnes avaient validé 150 trimestres ou plus en tant que non-salariés agricoles (carrière complète) et 265.000 de 130 (32 années et demie) à 149 trimestres. Plus d'1,2 million de personnes touchent ainsi une retraite du régime agricole, alors que, soit elles n'ont que marginalement ou brièvement exercé une activité agricole et perçoivent une pension d'un autre régime (les " polypensionnés "), soit elles ont travaillé toute leur vie et exclusivement dans l'agriculture, mais n'ont commencé à cotiser que très tardivement : il en est ainsi, aujourd'hui, des veuves et des conjointes les plus âgées.

Améliorer de manière globale la situation de l'ensemble des personnes ayant moins de 32,5 années de cotisations reviendrait à donner des avantages indus aux polypensionnés.

Le " ciblage " de mesures favorables aux titulaires de très faibles pensions de retraite agricole, et ne touchant pas d'autres avantages vieillesse, est difficile à mettre en oeuvre.

L'objectif de pensions égales à 75 % du SMIC ne pourrait ainsi s'appliquer qu'aux chefs d'exploitation ayant validé cent cinquante trimestres. Mais cet objectif reviendrait à verser des pensions de retraite nettement supérieures à celles de salariés ayant cotisé sur un revenu équivalant au SMIC. Un nombre important de retraités agricoles bénéficierait d'une retraite à un montant supérieur à leurs revenus d'activité. De manière générale, la détermination d'un minimum de retraite fixé par rapport au SMIC soulève un problème qui concerne l'ensemble des régimes sociaux.

Votre rapporteur pour avis est favorable à l'objectif de relever les retraites agricoles les plus basses au montant du minimum vieillesse. Il constate que l'objectif consistant à parvenir à 75 % du SMIC pose des problèmes qui dépassent largement le cadre du seul régime agricole.

Le seul régime de base ne suffira pas pour atteindre l'objectif de retraites égales à 75 % du SMIC. Dans ces conditions, la solution ne peut venir que de la création d'un régime complémentaire obligatoire.

b) La gestation difficile d'un régime complémentaire obligatoire

L'idée d'un régime complémentaire obligatoire s'est imposée à la fois en raison des déboires juridiques des contrats de capitalisation dits " COREVA " et du rapport démographique (cotisants/retraités) particulier du régime des exploitants agricoles.

En effet, ce rapport ne devrait guère se dégrader au cours des vingt prochaines années (il devrait passer de 0,4 à 0,37), contrairement aux rapports démographiques prévus dans le régime général et les régimes spéciaux. Le nombre de retraités agricoles devrait diminuer dans les dix prochaines années : pour le régime agricole, le choc démographique a déjà eu lieu.

Evolution du nombre de retraités agricoles

1977

1987

1997

2007

en million

1,8

1,8

2,1

1,8

Le nombre de bénéficiaires d'une pension de retraite versée par le régime des non-salariés agricoles s'élève à 2.088.000 en 1998 en diminution de 0,7 % par rapport à 1997, dont 933.000 chefs d'exploitation (soit 45% du total) en baisse de 1,3 %.

Pour 1999, 2000 et 2001, les effectifs devraient continuer à diminuer de - 0,8 %, - 1,6 % et - 2,1 % pour les chefs d'exploitations et de - 1,2 %, - 1,5 %, - 1,8 % pour l'ensemble des retraités.

Pour les années suivantes, la diminution du nombre de retraités amorcée en 1994 devrait se poursuivre. De plus, selon les dernières projections démographiques, la diminution annuelle devrait continuer à s'accentuer pour atteindre - 2,3 % en 2005, puis se stabiliser ensuite entre 2005 et 2010 sur un rythme de l'ordre de - 2 % par an.

Le rapport cotisants sur retraités ne se dégradera plus à l'avenir, mais restera très déséquilibré pendant de nombreuses années encore. Cette situation ne peut être surmontée que grâce aux transferts au titre de la compensation démographique. Les besoins de financement diminueront cependant au fur et à mesure de la diminution du nombre de retraités, qui sera divisé par deux d'ici 2040.

Cette période de stabilisation démographique semble favorable à l'instauration d'un régime complémentaire obligatoire de retraite par répartition.

A l'occasion d'un colloque du 12 octobre 1998 sur les retraites agricoles, organisé à l'Assemblée nationale, Mme Jeannette Gros, présidente de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), s'était prononcée pour le principe d'un régime de retraite complémentaire obligatoire.

Le congrès de la FNSEA avait approuvé, le 18 mars 1999, le projet de création d'un régime complémentaire obligatoire.

Le Parlement avait pris ses responsabilités, à l'occasion de l'adoption de la loi d'orientation agricole.

Comme le texte du projet de loi ne contenait initialement aucune disposition relative à un échéancier de revalorisation des retraites agricoles, un article prévoyant un rapport sur les retraites agricoles avait été finalement adopté.

Le rapport sur les retraites agricoles prévu par la loi d'orientation agricole

Article 3

" Le Gouvernement déposera, sur le bureau des assemblées, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, un rapport décrivant, catégorie par catégorie, l'évolution qu'il compte imprimer aux retraites agricoles au cours de la période du 30 juin 1997 au 30 juin 2002. Un développement particulier sera consacré aux mesures envisagées au cours de cette période, avec un effort plus important à son début, pour revaloriser les plus faibles pensions.

Il étudiera les possibilités juridiques et financières de la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés exerçant les professions énumérées à l'article 1060 du code rural, à l'exception des artisans ruraux.

Ce rapport présentera les modalités de financement des différentes mesures proposées."

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis de votre commission, avait été à l'origine de l'introduction du deuxième et du troisième alinéas.

Le Gouvernement a toujours fait preuve d'une grande prudence sur la mise en place d'un régime complémentaire obligatoire, même s'il en approuvé très tôt le principe.

Devant les organisations professionnelles, le 24 octobre 2000, M. Jean Glavany, ministre de l'Agriculture et de la Pêche, s'est engagé d'une manière plus précise.

Mais le rapport prévu à l'article 3 de la loi d'orientation agricole, qui aurait dû être déposé sur le bureau des Assemblées le 9 octobre 1999, n'est toujours pas disponible.

Les conclusions du rapport sur les retraites de M. Germinal Peiro, député de la Dordogne ont été rendues publiques en octobre 1999. Elles allaient dans le sens d'un régime de retraite complémentaire obligatoire.

Mais le rapport de M. Peiro, contrairement à ce qu'ont pu croire légitimement des acteurs du monde agricole, n'était pas le rapport du Gouvernement prévu à l'article 3 de la loi d'orientation agricole... Comme l'écrit M. Charles de Courson, rapporteur spécial de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, " il ne constitue qu'un rapport préparatoire à celui du Gouvernement, et ne traduit que la position du groupe de travail des parlementaires socialistes sur cette question, pour reprendre les termes mêmes utilisés par son auteur dans son introduction " 6 ( * ) .

La principale difficulté posée par la création de ce régime complémentaire obligatoire -ce qui explique probablement le retard du Gouvernement à formuler des propositions- est celle de son financement.

Les différents régimes complémentaires créés, chez les salariés comme chez les non-salariés (CANCAVA et ORGANIC), reposent sur le seul effort des futurs bénéficiaires. Il serait inéquitable d'imaginer une autre règle pour les exploitants agricoles.

Il apparaît néanmoins difficile d'accroître de manière significative la " pression sociale ".

Taux de cotisations

Taux technique

Complémentaire

Global

AMEXA

8, 13 %

2,71 %

10,84 %

Veuvage

0,10 %

-

0,10 %

AVA sous plafond

8,445 %

2,53 %

10,975 %

AVA déplafonnée

1,29 %

0,25 %

1,54 %

AVI

3,20 %

-

3,20 %

PFA

4,36 %

1,04 %

5,40 %

Total

25,525 %

6,530 %

32,055 %

Mais s'il était décidé d'en faire bénéficier les personnes déjà retraitées ou proches de la retraite, l'Etat pourrait contribuer à la constitution du régime et à son financement.

Enfin, la création de ce régime n'est pas exclusive d'un effort individuel des agriculteurs, à travers le régime par capitalisation dont ils bénéficient déjà. Il faut toutefois préciser que la très grande majorité des produits financiers présents sur le marché ne semble pas correspondre à leurs besoins.

3. La modernisation des règles

a) La simplification

Votre rapporteur pour avis se fait ici le relais des " acteurs " du système : le régime de protection sociale agricole et les assurés eux-mêmes.

La MSA souligne, avec inquiétude, la complexité croissante des règles. Revalorisations successives, modifications régulières du mode de calcul font que le système est devenu d'une complexité telle que les bénéficiaires n'en perçoivent plus la logique.

Elle souhaite aujourd'hui que soit entamée une véritable réflexion visant à simplifier l'ensemble pour davantage de lisibilité.

Lors de la discussion de la loi d'orientation agricole, votre commission avait souhaité que cette démarche soit intégrée dans le rapport sur les retraites déposé par le Gouvernement. L'Assemblée nationale n'a malheureusement pas retenu cet axe d'effort, qui était pourtant susceptible de faire l'unanimité.

Votre rapporteur pour avis réaffirme l'urgence et l'importance de la simplification ; la complexité des règles est coûteuse sur le plan de la gestion administrative (formation des personnels ; adaptation incessante des systèmes informatiques) et pénalisante sur le plan humain : comment peut-on expliquer rationnellement à tel ou tel assuré qu'il ne peut prétendre à une revalorisation, en raison d'un départ en retraite avant la date d'entrée en vigueur du dispositif ?

b) La mensualisation

Le régime agricole est désormais le seul régime vieillesse à verser des pensions de retraite trimestrielles. Les régimes vieillesse des artisans et des commerçants ont adopté tout récemment la mensualisation.

Lorsque les anciens exploitants restaient pendant leur retraite sur l'exploitation, dans une maison dont ils étaient propriétaires, la mensualisation n'était effectivement pas nécessaire. Mais la sociologie rurale montre une évolution, qu'il convient de prendre en compte : un nombre croissant de retraités agricoles quitte l'exploitation au moment de leur retraite, pour intégrer un logement, éventuellement même un appartement en ville, dont ils sont locataires.

La revalorisation des retraites agricoles explique également que la mensualisation soit désormais une priorité.

La Caisse centrale de MSA a étudié le coût financier de la mensualisation des retraites agricoles. En effet, la mensualisation représente un coût de trésorerie important l'année de sa mise en oeuvre, puisque les pensions sont actuellement versées à trimestre échu.

Le coût a été estimé à 8,8 milliards de francs. Il serait naturellement réduit si seules les pensions supérieures à un montant minimum (par exemple, 1.000 francs, voire 2.000 francs par mois) faisaient l'objet d'un versement mensuel.

Quatre hypothèses ont été envisagées :

1- participation du Fonds de réserve des retraites

Cette option présente l'inconvénient d'ouvrir une brèche dans la conception implicite du Fonds : constituer un " sanctuaire " censé dégager en 2020, par des placements qui restent à déterminer, 300 milliards de francs de produits financiers ; elle est compréhensible tant le Gouvernement fait preuve d'atermoiements dans la définition du statut et des orientations de ce Fonds, alors même qu'il utilise à l'excès son existence pour justifier l'absence d'une réforme des retraites.

2- augmentation de la subvention d'équilibre la première année

Cette solution est apparemment la plus rationnelle. Elle présente seulement l'inconvénient de déplaire au ministère de l'économie et des finances, qui ne souhaite pas que les dépenses soient " gonflées ", surtout sans avantage financier supplémentaire pour les bénéficiaires.

3- recours à un emprunt sur cinq ans, avec remboursement annuel par cinquième, par une augmentation de la subvention d'équilibre d'environ 1,8 milliard de francs, pendant cinq ans

Cette option apparaît bien compliquée. De surcroît, elle apparaît peu conforme au principe d'annualité des lois de finances.

4-relèvement du plafond mensuel de l'ouverture en compte courant

Cette solution, qui consiste à financer une mesure par l'emprunt, pourrait sembler absurde. Or, le BAPSA fonctionne déjà, une majeure partie de l'année, selon le principe de l'emprunt, ce qui explique les frais financiers retracés dans ses dépenses. Au taux de 5,5 %, le coût annuel supplémentaire serait de 245 millions de francs, ce qui pourrait inciter l'Etat à améliorer la trésorerie du régime des exploitants agricoles, qu'il a contribué tout récemment à détériorer, le plafond d'avances de trésorerie étant de 8,5 milliards de francs (loi de financement de la sécurité sociale pour 1997) pour s'établir finalement à 13,5 milliards de francs (projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture).

Votre rapporteur pour avis espère que cette réforme sera proposée dès l'année prochaine, rien ne justifiant un nouveau report.

* 6 Rapport n°2585 (XI ème législature), annexe n°42, p. 53.

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