B. LE PROJET DE RÉVISION DE LA CONVENTION DE MUNICH

1. Une démarche destinée à réduire le coût de traduction des brevets européens

A la suite de cette conférence, les délégations se sont réunies plusieurs fois, avec pour objectif de faire une proposition permettant d'abaisser le coût d'obtention du brevet européen.

Le mandat issu de la Conférence intergouvernementale visait à réduire le coût des traductions, en privilégiant une approche par réduction du volume à traduire . Cette solution, que la délégation française a développée et argumentée lors des réunions ultérieures, n'a toutefois pas convaincu suffisamment d'Etats membres et il est apparu, début 2000, qu'elle ne pourrait déboucher sur un résultat concret. Certains Etats souhaitaient en effet aller beaucoup plus loin.

A titre d'alternative, un groupe d'Etats emmenés par la Suisse et la Suède a proposé un nouvel accord, plus radical, qui prévoyait l'abandon des traductions dès lors que le brevet serait disponible en anglais . Cette solution était inacceptable pour la France, qui ne saurait reconnaître qu'un statut spécifique soit octroyé à l'anglais dans le système des brevets.

De nouvelles négociations ont donc conduit treize pays à s'engager dans un projet d'accord , dont l'objet était un engagement à ne plus exiger des déposants la traduction dans leur langue nationale de l'intégralité du fascicule du brevet : le déposant continuerait à fournir la traduction des revendications, qui créent le droit, mais plus de la partie descriptive. Pour les sept pays potentiellement signataires -dont la France- dont la langue officielle est l'une des langues de l'OEB, seul le brevet dans sa langue de délivrance par l'OEB (le français, l'anglais ou l'allemand, au choix du déposant) ferait foi. Les autres pays signataires désigneraient une langue de l'OEB dans laquelle ils accepteraient directement les brevets, sans exigence de traduction.

Pour la France, se joindre à ce mouvement aurait signifié ne plus exiger du déposant la traduction en français des brevets européens délivrés dans une autre langue officielle de l'OEB que le français (anglais et allemand). Or, 80 % des dépôts sont effectués en anglais .

Le Gouvernement n'a pas manqué de mettre en avant les avantages potentiels d'un tel système.

En l'état actuel du droit, une entreprise française déposant sa demande de brevet européen en français voit son brevet prendre effet sans traduction dans cinq pays (France, Belgique, Luxembourg, Suisse et Monaco). Avec cette modification, il l'apporterait dans huit (les mêmes plus l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Autriche). Une simple traduction en anglais apporterait la protection dans tous les autres pays parties à l'Accord. Là où cinq traductions sont nécessaires, il n'en faudrait plus qu'une.

En cas de litige toutefois, une traduction devrait obligatoirement produite par le titulaire, mais seul un brevet sur 1.000 fait l'objet d'un litige.

Conscient, symétriquement, des difficultés que pourrait occasionner la prise d'effet automatique en France d'un brevet pourtant déposé en langue étrangère, le Gouvernement a proposé que l'INPI procède à une traduction de la description des brevets déposés en anglais et en allemand, afin qu'une version française soit disponible sur son site Internet.

2. Un projet qui a suscité de vives réactions

Si certains acteurs -et notamment le Mouvement des entreprises de France, MEDEF- ont soutenu la démarche du Gouvernement, d'autres ont, au contraire, condamné le projet d'accord élaboré par les négociateurs.

Ce projet a soulevé des craintes parfois assez vives, exprimées, notamment, lors d'un colloque organisé au Sénat par votre rapporteur pour avis et par les conseils en propriété intellectuelle, au mois d'octobre dernier.

A cette occasion, les conseils en propriété intellectuelle ont fait valoir 5 ( * ) que le projet d'accord consacrait en réalité le " retour officieux du tout anglais ". Ils considèrent en effet que ce système ne comporterait que de " petits atouts ", (le français restant une langue officielle de l'OEB et un déposant francophone obtenant sans traduction une protection, notamment en Grande-Bretagne et Allemagne), mais un " énorme handicap ", cette liberté de choix entraînant à leur sens le choix quasi systématique du dépôt en anglais.

Les conseils en propriété industrielle ont apparenté le système proposé à une " taxe " sur les non-anglophones : l'objectif de réduction des coûts serait atteint, mais aurait, en fait, un coût pour ceux qui ne maîtrisent pas l'anglais juridique et technique (90 % des Français, l'écrasante majorité des P.M.E.), ou pour la collectivité nationale, en cas de traduction par l'INPI.

a) Un diagnostic contesté

Les conseils en propriété industrielle ont également contesté la pertinence du chiffrage établi par le ministère de l'industrie, qui monte à 50.000 euros pour une entreprise française le coût de la protection pour les dix premières années de la vie du brevet européen.

Ils soulignent, d'abord, que le système européen étant " à la carte ", le coût de la protection est très variable : selon le secteur industriel concerné, le contrôle du marché peut dépendre d'un plus ou moins grand nombre de pays. Par exemple, dans le secteur automobile, une protection couvrant la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Suède sera suffisante, compte tenu de la nationalité des concurrents.

Les conseils ont ensuite établi leur propre chiffrage, qui est reproduit ci-dessous (l'exemple choisi étant un brevet de 3.000 mots traduit en six langues) et qui montre que le coût (33.990 euros) serait majoritairement lié non aux traductions initiales mais aux annuités (redevances à acquitter pendant la durée de la protection), qui représenteraient 47 % du coût pour une protection sur dix ans et 80 % du coût pour une protection sur vingt ans.

COUT D'UN BREVET EUROPEEN DEPOSE EN LANGUE FRANÇAISE

Hypothèse du chiffrage

Description 3.000 mots (10 pages)

Revendications 300 mots (1 page)

Dépôt sous priorité

La taxe de recherche est remboursée

Il y a deux notifications de l'examinateur (une seule notification peut être suffisante avant d'obtenir la décision de délivrance)

Délivrance au cours de la 4 ème année

Validation dans six pays, non compris la France (nécessitant six traductions).

Coût de la protection pour la France et six pays européens

(En Euros)

OEB

FR

GB

DE

IT

FS

NL

SE

Total

Procédure

8 230

8 230

Annuités (3-4)

1 030

1 030

Validation

0

1 385

1 580

1 445

1 950

1 550

1 980

9 890

Annuités (5-10)

1 145

2 685

2 505

1 885

11 280

3 690

1 650

14 840

Annuités (11-20)

4 980

7 665

12 180

9 645

6 075

9 600

5 300

55 445

Annuités (- 20)

6 125

10 350

14 685

11 530

7 355

13 290

6 950

70 285

Total sur dix ans

9 260

1 145

4 070

4 085

3 330

3 230

5 240

3 630

33 990

dont validations

9 890

soit

29 %

dont annuités

15 870

soit

47 %

Total sur vingt ans

89 435

dont validations

11 %

dont annuités

80 %

b) Une opportunité remise en cause

Les conseils en propriété industrielle ont également dénoncé l'effet d'aubaine qu'aurait l'accord envisagé pour les déposants actuels de brevets européens, qui sont majoritairement non européens (entreprises américaines et japonaises), pour lesquels la disparition des traductions obligatoires abaisserait le coût d'entrée sur le marché européen, sans contrepartie pour les entreprises européennes déposantes dans ces pays .

En outre, ils ont mis en avant les difficultés structurelles de dépôt de brevets dans ces pays, au-delà du seul coût initial de la protection. " Le système américain a ses particularités propres qui sont autant d'obstacles pour les entreprises non américaines " estiment les Conseils en propriété industrielle 6 ( * ) , " par exemple, la recherche du premier inventeur " (système exclusivement américain différent du système du premier déposant en vigueur dans le reste du monde). " Le coût d'un procès en contrefaçon aux Etats-Unis (...) est inaccessible à presque toutes les entreprises européennes. Enfin, le système américain est ouvertement protectionniste ".

En dernier lieu, statistiques à l'appui, les conseils ont contesté l'existence d'une réelle élasticité au prix du nombre du dépôt de brevets, estimant que " tout se passe comme si le nombre de brevets n'était pas tributaire de leur coût, mais bien d'une sensibilisation encore insuffisante des entreprises à l'outil stratégique et économique que constitue le brevet ".

Par ailleurs, nombreux sont les Parlementaires qui, au nom de la défense de la francophonie , se sont inquiétés de l'éventuelle signature par la France du projet d'accord et ont posé au Gouvernement des questions écrites à ce sujet.

3. Pacifier le dialogue et relancer la concertation

Le Gouvernement a finalement renoncé, lors de la conférence de Londres des 16 et 17 octobre derniers, à souscrire au projet d'accord un temps envisagé, qui stipulait que " tout état partie ayant une langue officielle en commun avec l'Office européen des brevets " -c'est le cas de la France- " renonce aux exigences en matière de traduction ".

Votre commission souhaite que la concertation soit relancée, afin d'atteindre, par d'autres voies, l'objectif de la réduction du coût des brevets européens pour les entreprises françaises déposantes.

*

* *

Suivant la proposition de son rapporteur, la Commission des Affaires économiques a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'industrie inscrits dans le projet de loi de finances pour 2001.

* 5 Ces informations sont disponibles sur le site : www.cncpi.fr.

* 6 Document " Réforme du brevet européen ", disponible sur le site www. cncpi.fr

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