B. QUELLES MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE ?
S'il est beaucoup trop tôt pour commenter sur le numérique de terre le parti que le CSA va tirer du texte alambiqué dont on a rappelé les grands axes - il s'est saisi du dossier avec un indéniable dynamisme en lançant la planification des fréquences - d'autres sujets doivent d'ores et déjà faire l'objet d'une vive attention de la part du législateur.
1. Le secteur public
a) Le secteur public et le numérique de terre
• Une des principales questions qui se posent désormais est celle des moyens disponibles pour financer l'entrée de France Télévision dans le numérique (capital de départ puis régime de croisière), sans empiéter sur les moyens destinés au développement des deux chaînes généralistes, qui resteront la force et la légitimité de l'audiovisuel public, et sachant que l'attribution à La Cinquième d'un canal numérique va faire de celle-ci une chaîne à plein temps dont il faudra financer l'augmentation de l'offre de programmes.
La ministre de la culture a estimé lors de la seconde lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale qu'une montée en charge des besoins liés au numérique était prévisible pour 2002 et devrait être prise en compte dès la loi de finances pour 2001. Elle a aussi annoncé l'attribution, " le moment venu ", d'une " dotation significative dont le montant dépendra des projets finalement retenus ", pour " permettre le démarrage du groupe dans les meilleures conditions, son développement en numérique et un investissement complémentaire dans les programmes ". Madame Tasca a cité le chiffre d'un milliard de francs.
Mais ces annonces sont à relativiser eu égard à quelques tendances lourdes :
- les perspectives d'augmentation du rendement de la redevance sont faibles à législation constante, comme on l'a vu ci-dessus ;
- on ne peut écarter le risque que la diminution législative de la durée des écrans publicitaires ait un effet cumulatif défavorable sur les performances des deux chaînes généralistes sur le marché publicitaire. Quand à envisager le financement publicitaire des chaînes numériques, les inconnues économiques et institutionnelles (position des instances communautaires à l'égard d'une extension du financement mixte) sont trop nombreuses pour que l'on trouve dans cette perspectives des raisons de se rassurer ;
- au delà de 2001, le gouvernement pourrait éprouver quelques difficultés à porter les crédits budgétaires de l'audiovisuel public au delà des remboursements d'exonérations d'ores et déjà largement gagés par le financement du manque à gagner de 1,2 milliard de ressources publicitaires ;
- or le coût du projet numérique de France télévision serait de 1,6 à 1,8 milliard de francs par an au terme de la période de lancement.
Que peut-on en conclure ? Alors qu'en Angleterre 200 millions de livres seront levés chaque année pour financer le projet numérique, les crédits budgétaires de l'audiovisuel public n'iront sans doute pas au-delà des 2,16 milliards de francs accordés en 2001 au titre de la compensation des exonérations de redevance.
Dans ces conditions, et quand bien même une dotation en capital permettrait de lancer de nouvelles chaînes, il est vraisemblable que l'investissement du secteur public dans le numérique ne pourra être financé sur la durée que par ponction sur les recettes de redevance destinées initialement à l'amélioration des programmes de France 2 et de France 3.
Amère perspective, quand on se rappelle la modestie, signalée plus haut, des budgets de programmes de France Télévision, et quand on prend la mesure du sous-financement de notre audiovisuel public par rapport aux efforts consentis par nos principaux partenaires européens, comme le montre le bilan du financement public des organismes.
PAYS |
1998
|
FRANCE |
|
France2.............................................. |
2 364,50 |
France 3............................................. |
3 295,00 |
La Sept Arte....................................... |
956,50 |
RFO................................................... |
1 132,60 |
La Cinquième..................................... |
710,90 |
IRLANDE |
|
RTE................................................... |
530,41 |
ITALIE |
|
RAI.................................................... |
8 460,90 |
PAYS-BAS |
|
NOS................................................... |
3 375,76 |
PORTUGAL |
|
RTP.................................................... |
458,00 |
ROYAUME UNI |
|
BBC................................................... |
21 293,42 |
SUEDE |
|
SVT................................................... |
2 396,14 |
ALLEMAGNE |
|
ARD................................................... |
14 556,34 |
ZDF.................................................... |
7 584,80 |
AUTRICHE |
|
OFR................................................... |
2 348 ?30 |
BELGIQUE |
|
RTBF................................................. |
1 039,03 |
DANEMARK |
|
TV2.................................................... |
31 514,45 |
ESPAGNE |
|
RTVE................................................. |
489,41 |
FINLANDE |
|
Yle..................................................... |
1 735,43 |
Source : J. O. du 24 août 2000, p. 2906, réponse à une question écrite de M. Louis de Broissia, sénateur.
• Une autre question essentielle est celle de la cohérence globale de l'offre publique . Si les chaînes thématiques dont France Télévision envisage la création (information continue, sport, jeunes, arts et spectacles, rediffusion, chaînes régionales) ne semblent pas en contradiction avec la vocation du service public, il est cependant difficile de considérer que ce nouvel ensemble prendra en charge la mission fédératrice de la télévision publique. Il y a contradiction manifeste entre cette mission, qui est par excellence celle de la télévision généraliste, et l'éclatement potentiel de l'audience du service public entre les chaînes thématiques, cette tendance se manifestant particulièrement dans le projet de créer une chaîne destinée aux jeunes. Il y aura donc moins complémentarité que concurrence entre les programmes généralistes des chaînes traditionnelles et ceux des nouvelles chaînes. Et l'on peut craindre que ces dernières ne contribuent dans la mesure de leur réussite au repli annoncé de la télévision généraliste.
Il faut donc, sans se résigner à cet aboutissement destructeur de la légitimité du secteur public et se payer de mots, veiller à la création des synergies les plus larges entre les chaînes généralistes et les chaînes thématiques, non seulement dans l'emploi des moyens, mais aussi surtout, dans la mesure où ceci ne correspondra sans doute guère au mouvement naturel des responsables, en matière de programmation.
Il faut en outre profiter de l'entrée dans le numérique pour étendre pragmatiquement à Arte et à RFO l'espace de coopération que la loi a dû limiter à France 2, France 3 et La Cinquième.
b) Les contrats d'objectifs et de moyens
Votre commission se contentera de noter à ce sujet que l'élaboration des contrats d'objectifs et de moyens est en cours sans qu'elle ait bénéficié de la moindre information sur les intentions et sur les prétentions des négociateurs. Elle rappellera donc que ces documents constitueront les chartes du financement et du développement des organismes publics, qu'ils revêtiront ainsi un sens profondément politique, et qu'il serait donc inadmissible que le Parlement ne soit pas associé d'une façon ou une autre à leur conclusion. Une formule de consultation doit être trouvée. Une telle formule apparaîtra en outre, si la consultation est effectuée de façon sérieuse, comme le meilleur moyen de garantir la fermeté de l'engagement de l'Etat au delà des aléas de l'annualité budgétaire et de l'alternance politique.
2. Les moyens du CSA
Votre commission croît utile de veiller à ce que les moyens du CSA soient portés à la hauteur des nouvelles tâches que la loi du 1 er août 2000 lui a attribuées.
Elle constate que si un effort est consenti pour accompagner la mise en place de la télévision numérique de terre, l'ensemble des nouvelles compétences du CSA ne paraît pas doté des moyens correspondants.
Le projet de budget du CSA pour l'exercice 2001 s'élève à 214,68 millions de francs en hausse de 8,18 millions de francs par rapport à la loi de finances initiale pour 2000.
Il enregistre ainsi une forte progression de 3,96 % due, pour une très large part, aux moyens destinés à la mise en place de la télévision numérique terrestre.
Les crédits de personnel passent de 66,55 millions de francs en loi de finances initiale 2000 à 71,50 millions de francs en 2001 et enregistrent ainsi une augmentation de 4,95 millions de francs expliquée essentiellement par les crédits de 1,74 millions de francs nécessaires au maintien de la rémunération du Président et d'un conseiller quittant leurs fonctions en janvier 2001 et par une mesure d'ajustement de 1,9 millions de francs pour le paiement des cotisations sociales. Cette dernière mesure constitue une mesure purement technique destinée à doter le CSA des moyens nécessaires dès la loi de finances initiale alors qu'antérieurement ils étaient attribués en cours d'exercice par arrêté de transfert de crédits.
Outre, les ajustements courants, crédits pour les congés de fin d'activité (0,20 MF) et restitution du solde des crédits pour la maintien de la rémunération de conseillers (-0,11 millions de francs), 3 mesures nouvelles ont été accordées au conseil :
- un crédit complémentaire de 0,10 millions de francs relatif à l'amélioration du régime indemnitaire des collaborateurs ;
- la revalorisation des indemnités des présidents et membres des CTR (+0,55 MF). Ces indemnités n'avaient connu aucune évolution depuis la création des CTR en 1990 et 1991 ;
- la création de deux emplois de chargé de mission de 2 ème groupe (+ 0,57 MF).
Le conseil avait demandé la création de 3 emplois pour faire face aux nombreux appels à candidature dus à l'émergence de nouveaux services liés à la télévision numérique terrestres ainsi qu'à l'extension, de par la nouvelle loi sur l'audiovisuel, de son champ de compétences à la diffusion satellitaire. Ces nouvelles activités qui entraîneront une augmentation sensible des dossiers d'autorisations et de conventionnement nécessiteront également un suivi plus poussé de l'environnement économique et concurrentiel du secteur, des programmes diffusés et auront un impact juridique non négligeable (préparation des régimes juridiques, suivi des appels à candidatures, gestion des décisions de rejet voire des dossiers contentieux notamment).
On notera que ces créations d'emplois ne permettront guère au CSA de s'acquitter de sa nouvelle mission de dépouiller les candidatures des actionnaires des chaînes privées à des marchés publics ou à des délégations de service public. Cette compétence présentée comme un pas décisif vers la transparence et la déontologie ne sera pas assurée.
Les crédits de fonctionnement connaissent une croissance de 3,22 millions de francs en s'inscrivant à 143,18 millions de francs contre 139,96 millions de francs pour 2000.
Cette hausse, alors qu'elle comprend les crédits de 12,24 millions de francs pour les travaux 2001 de mise en place de la télévision numérique, peut sembler modeste. Mais le budget intègre pour 2001 une importante économie de 11,59 millions de francs résultant de la négociation avec TDF d'une nouvelle convention de prestations de services en remplacement de celle prenant fin au 31 décembre 2000. Sans celle-ci les crédits se seraient élevés à 154,77 millions de francs.
Ce budget est donc difficilement comparable à celui des années précédentes. On peut néanmoins constater que les moyens dédiés au fonctionnement courant du conseil restent stables.
Les crédits informatiques ont enregistré un abondement de 0,98 millions de francs destiné au renouvellement du quart du parc informatique du CSA.
3. La promotion de l'industrie des programmes
a) Un objectif partagé
Lors de la discussion de la loi du 1 er août 2000, le Sénat et l'Assemblée nationale ont partagé la même volonté d'adapter à l'évolution de la communication audiovisuelle un système législatif et réglementaire conçu pour protéger et favoriser l'industrie française des programmes.
- C'est ainsi que, dans leur nouvelle rédaction, les articles 27, relatif aux obligations des services de communication audiovisuelle diffusée par voie hertzienne terrestre et 33, relatif aux obligations des services distribués par câble ou diffusés par satellite, de la loi du 31 septembre 1986 opérent un glissement de la réglementation en faveur des obligations de production des chaînes. Ces modifications interviennent alors que l'efficacité des obligations de diffusion va sans doute être progressivement mise en cause par l'impact conjugué de la diversification des modalités de commercialisation des services de communication audiovisuelle (les services de paiement à la séance échappent aux quotas de diffusion) et par l'internationalisation de la diffusion (les chaînes européennes diffusées en France, telles que RTL 9, échappent au système français des quotas).
- Ajoutons que le régime des obligations de production des chaînes est fixé avec un certain luxe de détails dans des termes très favorables aux intérêts des producteurs.
La nouvelle rédaction de l'article 27 de la loi de 1986 prévoit ainsi que le décret d'application fixera séparément la part de contribution des diffusions ou le montant (vraisemblablement calculé en part du chiffre d'affaires) affecté à l'acquisition de droits de diffusion. Ceci répond à une revendication des producteurs d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, qui souhaitent que les diffuseurs soient incités à augmenter dans les financements qu'ils consacrent à la production d'oeuvres, la part antenne (correspondant à l'achat de droits de diffusion) par rapport à la part coproduction (qui correspond à un droit sur la propriété de l'oeuvre et sur ses recettes d'exploitation).
La rédaction précédente de l'article 27 de la loi de 1986 permettait de fixer " les dépenses minimales consacrées à l'acquisition de droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ", sans fixer pour autant de plancher d'investissement dans l'acquisition de droits de diffusion.
Aussi, les diffuseurs dirigeaient-ils largement leurs investissements dans la production vers l'acquisition de parts coproduction leur donnant un droit de participer aux éventuelles recettes d'exploitation ultérieure des oeuvres par d'autres opérateurs.
La nouvelle rédaction de l'article 27 prévoit par ailleurs que seules sont désormais prises en compte pour le calcul du respect des obligations d'investissement les parts antenne que les diffuseurs acquièrent pour la diffusion des oeuvres sur les services qu'ils éditent (c'est-à-dire des services diffusés par voie hertzienne terrestre). Il s'agit de décourager l'achat de droits de diffusion pour plusieurs supports, la diffusion satellitaire et la distribution sur le câble étant le plus souvent acquises avec le droit de diffusion par voie hertzienne terrestre. L'objectif est de favoriser ce que les producteurs appellent la " fluidité " des droits, en libérant ceux-ci pour une exploitation par d'autres opérateurs sur un autre marché que celui de la diffusion hertzienne terrestre.
La nouvelle rédaction de l'article 27 prévoit enfin que le décret d'application fixera les obligations concernant les modalités de cession des droits de diffusion acquis par un diffuseur en vue d'une exploitation sur plusieurs supports, et limitera la durée des droits acquis à titre exclusif.
La réglementation de " la cession des droits de diffusion selon les différents modes d'exploitation " pourrait ainsi permettre d'encadrer l'acquisition par les diffuseurs de droits de diffusion multisupports. L'objectif est toujours la fluidité du marché des droits et la " liberté de circulation des programmes ", selon la formule utilisée par les organisations de producteurs.
L'objectif est aussi de limiter la durée des droits exclusifs, les droits de diffusion des programmes étant généralement acquis par les chaînes de façon exclusive.
Aucune disposition n'encadrait auparavant la durée de détention des droits exclusifs de diffusion pour les oeuvres cinématographiques. Les oeuvres audiovisuelles faisaient en revanche l'objet d'un certain nombre de restrictions dans ce domaine.
Le Sénat, comme l'Assemblée nationale, s'est inscrit dans une logique de renforcement du dispositif législatif afin de répondre au souci de producteurs, selon lesquels le développement du second marché des programmes et l'apparition de services thématiques indépendants sont entravés par le fait que les diffuseurs terrestres, n'ayant pas intérêt à favoriser une politique de rediffusion par des services payants susceptibles de leur créer une concurrence, cherchent à restreindre la circulation des programmes.
- L'Assemblée nationale, suivie sur ce point par le Sénat, a enfin substitué au texte précédent de l'article71 de la loi de 1986 des dispositions précisant les éléments que le décret pris en application de l'article 27 de la loi de 1986 et le décret parallèle à l'article 33 de la loi de 1986 pour les services du câble et du satellite, devront prendre en compte afin de définir les critères de l'indépendance des producteurs par rapport aux diffuseurs. Il s'agissait d'inscrire dans la loi, en les renforçant un peu, les critères figurant d'ores et déjà dans le décret n° 90-67 du 17 janvier 1990 pris en application de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986.
b) Une dynamique essoufflée ?
Les rappels un peu fastidieux, et néanmoins sommaires qui précèdent, mettent en évidence le souci de l'efficacité et du détail avec lequel, sans craindre d'empiéter sur le domaine réglementaire, le gouvernement, le Sénat et l'Assemblée nationale ont, de concert, cherché à confirmer et à renforcer le dispositif législatif en faveur de l'industrie française des programmes.
On aurait souhaité que le gouvernement s'inscrive dans la même logique, se propose les mêmes objectifs, poursuive des efforts aussi soutenus sur le terrain, moins facile mais plus essentiel à terme, du débat communautaire concernant la compatibilité des aides nationales avec le droit européen de la concurrence.
Or le gouvernement ne montre ici qu'un attentisme inquiétant face aux menaces qui se profilent, manifeste le choix d'une tactique dilatoire qui augure mal de la mise en oeuvre concrète des intentions exprimées lors de l'élaboration et inscrites dans le marbre, peut-être un peu friable à cet égard, de la loi du 1 er a oût 2000.
Comme de coutume, peu d'informations transpirent des débats en cours. Selon une " brève " d'un journal professionnel attentif à ces questions, lors d'un colloque tenu à Lyon les 11 et 12 septembre dernier sur les industries culturelles à l'heure du numérique, " le directeur d'Ecran Total a été approché par un haut fonctionnaire français, travaillant pour la présidence française du Conseil des ministres européens. Selon ce dernier, " il est vrai que ça se passe mal avec la DG4 pour ce qui concerne l'audiovisuel. Mais la France a d'autres priorités et ne veut pas que cette question soit à l'ordre du jour du prochain Conseil des ministres, de peur que ces autres priorités soient remises en cause. Mieux vaut rester discret et composer avec la DG4... " 3 ( * ) .
De quoi s'agit-il ? Il semble que le colloque de Lyon ait donné à la direction générale de la commission européenne l'occasion de présenter sa position sur les aides au cinéma et à la production audiovisuelle.
Dans une lettre commune du 26 septembre 2000 à M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, cinq organisations professionnelles (la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs, la chambre syndicale des producteurs et exportateurs de films français, le syndicat des producteurs indépendants, l'union des producteurs de films et l'union syndicale de la production audiovisuelle) se sont inquiétées de ces propos.
" L'intransigeance des propos tenus a provoqué une vive émotion chez les producteurs et l'ensemble des professionnels de cinéma et de l'audiovisuel. Ils laissent penser que les garanties qui nous paraissaient acquises dans le cadre des décisions relatives au régime de soutien à la production cinématographique en date du 24 juin 1998 (Aide d'Etat n° N 3/98 France) et du 7 août 1998 (Aide d'Etat n° N 3/98 France) seraient menacées.
La présentation faite par la DG Concurrence concernant le traitement des aides d'Etat au secteur audiovisuel et cinématographique laisse entendre que notre secteur ne relève pas de la culture au sens strict et qu'il s'agirait, à l'inverse, d'une industrie au sens plein du terme, de surcroît complètement subordonnée à l'existence d'un régime national d'aides d'Etat. Ceci conforte notre analyse : l'article 87, tel qu'actuellement libellé, fournit une protection insuffisante à ce régime d'aide et, paradoxalement, légitime l'intervention directe de la DG Concurrence par une interprétation restrictive de la notion de culture.
Par lettre adressée à vos services par notre permanent à Bruxelles en date du 3 mai 2000, nous avions suggéré que soit proposée dans le cadre de la CIG une modification à l'article 87 du Traité de l'Union européenne, visant à l'insertion de la notion d'" oeuvres audiovisuelles " dans le corps de cet article afin d'assurer une compatibilité non équivoque avec le marché commun des aides accordées au secteur audiovisuel et cinématographique.
Il nous paraît vital que la France puisse proposer à ses partenaires, dans le cadre de la CIG, une formulation de ce genre afin de mettre un terme aux incessantes interventions de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. "
D'après l'éditorial de la revenue mentionnée plus haut, la direction générale de la concurrence estime que " les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel ne doivent pas dépasser 50 % du coût de la production, le principe étant que le producteur doit prendre un risque. Ce chiffre de 50 % peut néanmoins être dépassé pour les oeuvres " difficiles ", visant un tout petit marché. Mais, selon la DG4, les dérogations prévues par le traité ne devraient pas s'appliquer à la culture quand celle-ci a une dimension industrielle : le cinéma et l'audiovisuel en sont donc exclus. Dès aujourd'hui, seuls 80 % du montant de ces aides peuvent être réservés à des collaborateurs et des prestataires " nationaux ", ce chiffre devant progressivement être ramené à zéro. Enfin, dernière précision, mais essentielle : les aides englobent non seulement les subventions, mais aussi les obligations d'investissement des chaînes . Pour prendre un exemple, l'investissement que réalise une chaîne française dans une fiction ou un film en vertu de ses actuelles obligations, cumulé aux subventions du compte de soutien, ne doit donc pas dépasser 50 % du coût de cette oeuvre. En revanche, la DG4 n'a pas encore tranché sur le fait de savoir si l'ensemble des dépenses des chaînes publiques, financées par la redevance ou le budget de l'Etat, entre dans ces 50 %... "
L'hostilité lancinante de la direction générale de la concurrence aux aides nationales à l'industrie des programmes justifie le souhait des professionnels que la question soit posée dans le cadre de la conférence intergouvernementale qui prépare la modification des traités européens, et l'on comprend la perplexité qu'a pu susciter le profil bas de la présidence française sur ce thème.
La question des aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel a cependant figuré parmi les " points divers " abordés par le conseil culture et audiovisuel réuni à Bruxelles le 26 septembre 2000.
Selon le compte rendu officiel de cette réunion : " A l'initiative de la Présidence, le Conseil a été saisi de la question des aides nationales aux secteurs du cinéma et de l'audiovisuel et s'est livré à un vaste échange de vues. La Présidente a rappelé les discussions des ministres lors de leur rencontre informelle à Lille le 20 et 21 juillet 2000 et s'est fait l'écho de la préoccupation exprimée par plusieurs Etats membres de voir leurs systèmes nationaux de soutien au cinéma et à l'audiovisuel mis en cause par les examens périodiques que la Commission effectue au sujet de leur compatibilité avec les dispositions du Traité en matière de concurrence... La Présidente a conclu qu'à la lumière des interventions des délégations, il semblait opportun de continuer le dialogue entre la Commission et les Etats membres sur cette question, dans le respect de leurs compétences respectives. "
La réunion du même conseil tenue le 23 novembre 2000 a permis de préciser la position des ministres dans le dialogue demandé. En effet, dans une résolution sur les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel, le conseil a souligné que l'industrie audiovisuelle constituait une " industrie culturelle par excellence " et a affirmé la nécessité des aides nationales pour compenser les faiblesses structurelles des industries européennes.
La résolution se termine par l'affirmation des positions de principe suivantes :
" - Les Etats membres sont fondés à mener des politiques nationales de soutien bénéficiant à la création de produits cinématographiques et audiovisuels ;
- les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel peuvent contribuer à l'émergence d'un marché audiovisuel européen ;
- il est nécessaire d'examiner les moyens de nature à accroître la sécurité juridique pour ces dispositifs de préservation et de promotion de la diversité culturelle ;
- par conséquent, le dialogue entre la Commission et les Etats membres doit être poursuivi ",
La résolution invite enfin la Commission à présenter au Conseil l'état de sa réflexion dès que possible " et, en tout cas, à la fin de 2001 " .
S'il convient de se féliciter de cette prise de position sans ambiguïté, il n'en reste pas moins vrai que la position du Conseil culture et audiovisuel ne modifie en rien les pouvoirs dont la Commission européenne dispose pour la mise en oeuvre du droit européen de la concurrence ; l'appel à la poursuite du dialogue avec la Commission sonne à cet égard comme un aveu de relative impuissance, tout comme la demande, adressée à la Commission, de présenter " l'état de ses réflexions " avant la fin de 2001.
A la vérité, seul l'ajout des aides à l'audiovisuel et au cinéma à la liste des aides compatibles avec le marché commun répondrait véritablement au souhait de sécurité juridique exprimé par la résolution du 23 novembre 2000.
A défaut, on peut poser la question suivante : à quoi sert de compléter notre droit national de façon tonitruante, si l'on n'est pas certain de faire obstacle aux tendances éradicatrices de la Commission européenne ?
* 3 Ecran Total, n° 337, 27 septembre 2000.