Question de M. PEYREFITTE Alain (Seine-et-Marne - RPR) publiée le 18/02/1999

M. Alain Peyrefitte attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur un projet d'arrêté ministériel présenté le 16 novembre 1998 au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESR). Ce texte vise à modifier le régime d'admission à l'Ecole normale supérieure (ENS) de la rue d'Ulm, en créant, dans chacune de ses deux sections, lettres et sciences, un " troisième concours ". Ce projet suscite un vif émoi parmi les élèves, les anciens élèves et le personnel enseignant de cette école. De fait, il paraît lourd de confusions, d'ambiguïtés et d'arrière-pensées. Le nombre de postes ouverts à ce nouveau type de recrutement serait d'une trentaine. Le " troisième concours " se distinguerait radicalement du modèle classique des concours de recrutement des grandes écoles, tant par ses modalités que par les conditions d'accès. Quant aux modalités, au lieu d'une admissibilité sur épreuves écrites anonymes, suivie d'épreuves orales d'admission portant sur des contenus disciplinaires précis, il s'agirait d'une admissibilité sur dossier, et d'une admission sur une unique épreuve écrite, sur une interrogation et sur un entretien de motivation, ainsi que sur une épreuve orale portant sur une discipline différente. Seule l'épreuve écrite pourrait être anonyme. En outre, les épreuves pourraient être passées, au choix du candidat, dans l'une des cinq langues principales de l'Union européenne. Quant aux conditions d'accès, l'essentiel paraît être de déconnecter l'accès à l'école du passage obligé par une classe préparatoire. La principale justification avancée pour cet arrêté semble être l'ouverture à l'Europe. Mais de ce point de vue, le texte est superflu. Les concours existants, depuis très longtemps ouverts aux candidats étrangers, confèrent d'ores et déjà aux étrangers ressortissants d'un Etat de l'Union européenne le même statut qu'aux Français. Mais, précisément en raison des perspectives qui leur sont ainsi ouvertes, y compris au sein de la fonction publique, le passage par une classe préparatoire paraît indispensable. A contrario, la possibilité offerte de passer l'essentiel des épreuves d'admission dans une langue étrangère est une prise de risque qui doit être refusée. Il n'y a aucune bonne raison de rendre le français pour ainsi dire optionnel dans les grandes écoles françaises. Le caractère propre des ENS est d'associer étroitement la préparation générale approfondie, qui est acquise en classe préparatoire, avec la poursuite d'études très diversifiées et très personnalisées. Dans un monde culturel marqué par le cloisonnement, l'approche généraliste des classes préparatoires est la garantie que les spécialisations qui suivont connaîtront un langage commun. Les concours tels qu'ils existent garantissent, et garantissent seuls, cette caractéristique des écoles normales supérieures. Le troisième concours lui tourne le dos. Le plus grave est que le troisième concours ne concerne pas seulement les étrangers. Il est ouvert aux Français ; le principe d'égalité d'accès l'impose sans doute. Dès lors, on peut penser que ce sont surtout des Français qui vont en bénéficier. La justification par l'ouverture à l'Europe ne serait-elle ainsi qu'un moyen commode pour ouvrir, discrètement, une voie parallèle à celle des classes préparatoires, avant de l'élargir et de la banaliser ? Il a souvent déclaré qu'il n'avait aucune intention hostile à l'égard de ces classes. Mais la dérive des institutions est souvent plus forte que les intentions déclarées. S'il doit y avoir un débat sur les classes préparatoires, il importe qu'il soit public. Il n'est pas acceptable de procéder par une mesure qui les affecte sans les nommer. On ne doit pas avancer masqué. Reste la volonté très louable d'ouvrir davantage un prestigieux établissement comme l'école de la rue d'Ulm sur l'étranger, et particulièrement sur l'Union européenne ; d'offrir à un certain nombre de jeunes étudiants de l'Union européenne la chance de fréquenter une institution ouverte sur de nombreuses disciplines, et qui a montré sa capacité à gérer des parcours d'études très divers et très ouverts. Pour cela, un concours de fonctionnaires stagiaires, avec toutes les lourdeurs et les contraintes que cette caractéristique implique au titre de la fonction publique, n'est pas adapté. Rien n'interdit de créer un programme de bourses d'études, particulier à l'école normale supérieure de la rue d'Ulm, et qui serait ouvert aux étrangers mais à eux seuls. Dans ce cadre, les procédures nécessaires de sélection pourraient largement s'inspirer de celles qui ont été définies pour ce " troisième concours ", sous la réserve expresse d'être toutes passées en français. Une connaissance raisonnable de notre langue doit être garantie, pour que les bénéficiaires profitent au mieux de leur séjour.

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Réponse du ministère : Éducation publiée le 24/06/1999

Réponse. - Les voies d'accès à partir des classes préparatoires, vitales pour l'Ecole normale supérieure, ne sont pas concernées par les nouvelles modalités prévues par l'arrêté du 27 novembre 1998. Le nombre de postes mis au concours et le programme restent inchangés. Ces nouvelles modalités visent à favoriser la diversification du recrutement, notamment en direction des étudiants ressortissants d'Etats membres de l'Union européenne autres que la France. Toutefois, conformément aux règles de droit communautaire, ce nouveau concours ne peut être strictement réservé à ces derniers, et les candidats de nationalité française pourront se présenter. Il en sera de même des candidats étrangers non européens. Ce concours n'est pas, au demeurant, une innovation : il élargit simplement le 3e concours, ouvert aux étudiants non issus des classes préparatoires aux grandes écoles, qui existait déjà depuis une dizaine d'années. Les élèves des classes préparatoires ayant échoué aux concours classiques des ENS n'ont pas le droit de se présenter au concours ENS-Europe. Ce souci d'ouverture aux étudiants européens explique que le premier filtrage décidant de l'admissibilité à concourir repose sur l'étude du dossier du candidat : les cursus des candidats potentiels dans les différents pays sont trop diversifiés pour qu'il soit possible de les sélectionner sur la base d'épreuves correspondant à des programmes scolaires très détaillés ; d'autre part, le fait de devoir faire venir des candidats de toute l'Europe, voire du monde entier, à Paris pour passer des épreuves d'admissibilité, puis, dans un second temps, pour l'admission, aurait été, avec les frais de transport et de séjour qui en découlaient pour les candidats, un mode de sélection par l'argent qui aurait dissuadé des candidats à se présenter. Le mode d'admissibilité retenu permettra de limiter les coûts pour les candidats, seuls les candidats déclarés admissibles devront se présenter à Paris. Mais cette admissibilité sera bien prononcée par un jury avec toutes les garanties de respect de l'égalité des candidats que cela implique. L'admission comprendra différents types d'épreuves, dont des épreuves écrites anonymes. Par rapport à l'ancien 3e concours, qui ne comprenait pas d'épreuve écrite anonyme, cela est une modification essentielle, instituée justement pour pallier aux défauts de la sélection sur dossier. En " Lettres ", l'épreuve écrite de 6 heures a pour objet de tester l'étendue et la pertinence des connaissances des candidats sur une large palette. En " Sciences ", l'une des épreuves est une épreuve stricte de niveau. Dans le souci de ne pas favoriser les candidats ayant la meilleure connaissance de la langue française, la majorité des épreuves pourra, à la demande du candidat, se dérouler dans d'autres langues. La liste de ces langues : anglais, allemand, espagnol, italien, qui correspondent aux langues les plus couramment pratiquées et les plus couramment enseignées dans l'enseignement secondaire et supérieur en Europe, a été fixée pour des raisons exclusivement pratiques. La nécessité de constituer un jury pluridisciplinaire comprenant les compétences nécessaires dans les principales disciplines des sciences exactes et des lettres et sciences humaines et susceptibles d'interroger les candidats en cinq langues conduit à ce que ce jury se compose d'une trentaine de membres. Il n'aurait pas été raisonnable, d'envisager une composition plus nombreuse. Enfin, ce concours qui répond à la nécessité d'ouvrir l'enseignement supérieur français sur le monde et l'Europe en particulier, a fait l'objet d'une large concertation. Il constitue, un axe stratégique du contrat quadriennal de l'ENS et, à ce titre il a été largement discuté dans les conseils scientifiques et d'administration de l'école, où siègent des représentants des élèves et des enseignants de l'école. Ces derniers ont contribué activement à la mise en forme de l'arrêté. Enfin, le CNESER, qui regroupe toutes les composantes et les sensibilités de la communauté universitaire, a, dans sa séance du 16 novembre 1998, donné un avis favorable à une très large majorité au projet d'arrêté. Toutefois, compte tenu des inquiétudes que ce projet suscite chez les littéraires, il a paru souhaitable de reprendre avec eux une concertation approfondie pour les convaincre de son bien-fondé. C'est pourquoi, en 1999, le troisième concours ne sera ouvert que pour les disciplines scientifiques, leurs représentants, comme l'a prouvé notamment la lettre du Prix Nobel de physique, Claude Cohen Tannouji, l'ayant, pour leur part, très bien accepté.

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