Question de M. SÉRUSCLAT Franck (Rhône - SOC) publiée le 08/05/1998

M. Franck Sérusclat interroge Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur l'interprétation qu'il convient de faire de l'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale. Son manque de clarté sert de prétexte à des refus de réponse de la part de services administratifs aux demandes d'enfants adoptés. Cet article a été modifié par la loi no 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption. La demande de secret formulée par une mère au moment de son accouchement interdit-elle au service de l'aide sociale à l'enfance de la rechercher et de lui indiquer que son enfant voudrait connaître son identité ? Par ailleurs, l'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale a-t-il expressément prévu la possibilité de lever ce secret ? Si oui, son application peut-elle s'étendre aux adoptions prononcées avant l'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 1996 ? Pour que cette possibilité de levée du secret soit effective, la tâche n'en revient-elle pas à l'aide sociale à l'enfance ? Celle-ci n'a-t-elle pas l'obligation d'entreprendre les recherches quand la demande est formulée par l'enfant ?

- page 2252


Réponse du ministère : Culture publiée le 28/10/1998

Réponse apportée en séance publique le 27/10/1998

M. Franck Sérusclat. Madame la ministre de la culture et de la communication, je ne m'attendais pas, vous vous en
doutez, à ce que ce soit vous qui veniez répondre, ce matin, à cette question que j'avais posée à Mme Martine Aubry,
voilà un an ; mais je suis persuadé que vous avez les qualités et les capacités requises pour le faire.
Cette question orale, qui reprend, en fait, une question écrite à laquelle je n'avais pas eu de réponse, concerne la
recherche par des enfants abandonnés, adoptés ou non, de l'identité de leur parents d'origine.
Je ne sais si vous avez eu vous-même à vous préoccuper parfois de ces recherches, madame la ministre ; dans
l'affirmative, vous savez qu'elles sont toujours angoissantes pour ceux qui souhaitent connaître une origine qu'ils
ignorent.
Je tiens à faire quelques rappels sur cette question, avant de vous demander des précisions sur les chances, accrues
ou non, d'aboutissement de ces recherches. L'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale, tel que modifié par la
loi du 5 juillet 1996 relative à l'adoption, a permis de préciser quelque peu la situation des enfants abandonnés. Il
énonce, en effet, qu'une personne qui remet un enfant de moins d'un an au service de l'aide sociale à l'enfance peut
demander le secret de son identité, secret ne signifiant pas anonymat.
On a également tendance à parler d'anonymat pour l'accouchement « sous X », alors qu'il s'agit du secret des
informations données, secret que l'on peut envisager de lever, ce qui est impossible dans le cas de l'anonymat. Celui
qui donne des indications est donc informé, au moment où il les donne, de la possibilité d'une demande ultérieure de
levée du secret.
Les documents contenant les renseignements sont ensuite conservés sous la responsabilité du président du conseil
général, qui les tient à disposition de l'enfant, ainsi que le prévoit l'article 62-1 du code de la famille et de l'aide sociale.
Mes questions sont les suivantes.
La demande de secret formulée par la mère interdit-elle que ce secret soit levé, bien évidemment avec son accord et
après qu'elle eut été informée de la demande de levée de ce secret par son enfant qui la recherche ?
Les dispositions de la loi du 5 juillet 1996, date avant laquelle la possibilité expresse de demander la levée du secret
n'existait pas, sont-elles rétroactives ?
Enfin, que penser du comportement, encore trop fréquent, des agents des services sociaux qui ont tendance à
s'opposer à cette levée du secret ou à ne pas y donner suite en invoquant, par exemple, la notion de « secret absolu »,
qui ne figure nulle part dans les textes ?
Ainsi, je connais un cas, dans la région marseillaise, où le refus a été fondé sur le fait que tant de femmes portaient le
même nom que la mère d'origine qu'on ne voyait pas comment on pourrait rechercher correctement la personne
concernée, alors que l'identité de cette dernière est tout de même mentionnée dans les dossiers. De même, on a dit à
une personne qui cherchait à retrouver sa mère que celle-ci avait une déformation du palais et qu'elle avait eu un autre
enfant. On savait donc très bien de qui il s'agissait. Mais l'agent a prétexté que ce n'était pas à lui de faire les
recherches ; il aurait pourtant pu, à la rigueur, donner le nom, de manière que la personne fasse elle-même les
recherches si elle le souhaitait.
En outre, on a invoqué la non-rétroactivité de ce texte de loi puisque, en l'occurrence, le demandeur était né en 1956.
Je suis persuadé, madame la ministre, que vous saurez apporter des réponses utiles à mes questions.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, permettez-moi, tout
d'abord, puisque c'est la première fois, je crois, que vous assurez la présidence à l'occasion de cette séance de
questions orales sans débat, de saluer l'événement.
M. le président. Je vous remercie, madame le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, vous avez marqué
votre surprise en me voyant seule au banc du Gouvernement. En fait, Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité, et M. Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sont retenus ce matin à l'Assemblée nationale par le débat sur
la loi de financement de la sécurité sociale, et ce en raison d'une modification de l'ordre du jour initial.
Je serai donc polyvalente, ce matin, puisque je remplacerai également Mme Voynet, ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement.
Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention de madame la ministre de l'emploi et de la solidarité sur
l'interprétation qu'il convient de faire de l'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale.
Vous l'avez rappelé, la loi du 5 juillet 1996 réformant le régime juridique de l'adoption a modifié les conditions dans
lesquelles les enfants accueillis par les services de l'aide sociale à l'enfance peuvent avoir accès à leur histoire familiale
lorsque leurs parents ou l'un d'entre eux ont demandé que soit préservé le secret de leur identité.
Selon l'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale, la demande de secret est conditionnée par l'âge de l'enfant :
celui-ci ne doit pas avoir atteint l'âge d'un an. Par ailleurs, le secret ne concerne plus l'état civil de l'enfant, il porte
désormais sur l'identité des parents.
Trois obligations s'imposent en outre au service chargé de l'aide sociale à l'enfance.
Il lui revient, en premier lieu, d'informer la personne demandant l'admission de l'enfant de la possibilité de protéger le
secret de son identité. Dans ce cas, conformément à l'article 62, alinéa 4°, il doit en être fait mention au procès-verbal
d'admission de l'enfant.
Il appartient, en second lieu, au service d'informer la personne souhaitant préserver le secret de son identité de la
possibilité de lever ultérieurement ce secret. Le procès-verbal doit également mentionner que cette information a été
communiquée à l'intéressé.
Il convient à cet égard de préciser que ce droit de la personne de faire connaître, à tout moment, son identité était déjà
applicable avant le vote de la loi du 5 juillet 1996.
Enfin, il est de la responsabilité du service d'indiquer au demandeur que, dans le cas où il lèverait le secret, seuls
pourront être informés de sa décision le représentant légal de l'enfant, l'enfant devenu majeur ou ses descendants en
ligne directe s'il est décédé. Ces informations pourront être transmises à ces personnes, sous réserve qu'elles aient, au
préalable, expressément formulé cette demande auprès du service.
En revanche, la loi ne prévoit pas, lorsque l'enfant souhaite consulter son dossier, que le service de l'aide sociale à
l'enfance doive rechercher les parents afin de leur faire savoir que celui-ci demande à connaître leur identité.
Dans l'esprit du législateur, la levée du secret ne produit pleinement ses effets que lorsque deux volontés se rencontrent
: celle des parents de se faire connaître, d'une part, et celle de l'enfant de connaître ses origines familiales, d'autre part.
Il reste que, si cette loi paraît mieux prendre en compte que dans le passé l'aspiration de beaucoup de personnes à
connaître leurs origines familiales, elle n'exclut pas pour autant la possibilité qu'une nouvelle réflexion soit
prochainement menée sur cette difficile et douloureuse question dont vous avez remarquablement détaillé la
problématique.
Je vous remercie, monsieur le sénateur, au nom de mes collègues, des réflexions que vous avez bien voulu exprimer et
dont je leur ferai part.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir bien précisé que, dans l'esprit du législateur, la
levée du secret de l'identité ne peut se faire dans de bonnes conditions que lorsque les deux parties concernées en
manifestent la volonté.
Vous avez par ailleurs indiqué que si l'agent des services de l'aide sociale à l'enfance n'était pas chargé de faire
lui-même la recherche, il devait fournir les éléments pour y procéder. C'est le point important. Si l'agent ne fait pas
lui-même la recherche, ce qui est tout à fait acceptable, il doit fournir les éléments de la recherche.
S'agissant des hypothèses d'avenir, il est exact qu'avec mon ami le député Jean-Paul Bret nous préparons une
proposition de loi portant sur ce point particulier qui sera présentée simultanément, dans les mêmes termes, à
l'Assemblée nationale, par lui, et au Sénat, par moi.
Je retiendrai les informations que vous venez de donner et que je vous remercie à nouveau d'avoir apportées.

- page 3969

Page mise à jour le