Question de M. SÉRUSCLAT Franck (Rhône - SOC) publiée le 01/04/1998
M. Franck Sérusclat souhaite interroger M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les conditions actuelles de la pêche sous-marine plaisancière dans la région Provence-Alpes - Côte d'Azur, et en particulier de celle du mérou. Espèce protégée, il est capturé tout de même, parce que recherché pour sa chair délicate et donc d'une valeur marchande importante. Il n'y a aucun respect des périodes de reproduction ou de surveillance des jeunes. Cette capture conduit à une concurrence dans sa vente entre les amateurs et les pêcheurs inscrits maritimes. Elle est, en outre, rendue dangereuse par l'utilisation d'une arme (arbalète) qu'elle nécessite. Les réglementations existantes se heurtent à une impossibilité ou un manque de contrôle de leur application. Il lui demande s'il ne devrait pas être envisagé de modifier la législation actuelle de manière à instaurer un permis de pêche sous-marine à l'image du permis de chasse terrestre, avec formation à la sécurité, la technique, la connaissance du milieu marin et des espèces, puis épreuves sur ces formations.
- page 1390
Réponse du ministère : Agriculture publiée le 08/04/1998
Réponse apportée en séance publique le 07/04/1998
M. Franck Sérusclat. Monsieur le ministre, j'ai grand plaisir à vous voir à nouveau à ce banc, d'autant que, lorsque vous
aviez précédemment occupé ces fonctions, je vous avais déjà posé une question sur le mérou brun de la Méditerranée.
Les circonstances n'avaient pas permis que le débat aille à son terme. J'espère qu'il n'en ira pas de même cette fois.
Le mérou brun de la Méditerranée est un poisson un peu mythique, ne serait-ce que parce qu'il regarde avec ses deux
yeux, ce qui lui donne un visage presque humain. Le commandant Cousteau avait fait d'un mérou une mascotte... « Jojo le
mérou ». Je ne sais pas d'ailleurs si ce surnom lui avait été attribué par le commandant Cousteau ou par celui qui avait
apprivoisé le mérou.
Bref, ce poisson a des particularités, mais je ne vais pas les énumérer. Il me suffit de rappeler que cet hermaphrodite
successif connaît une phase juvénile d'une particulière vulnérabilité.
En réalité, mon propos concerne la pêche sous-marine de toutes les espèces, notamment celle qui est pratiquée avec un
fusil ou une arbalète.
Dans ce domaine de la chasse sous-marine, il est nécessaire d'apporter quelques précisions. D'ailleurs, le moment est
propice à la réflexion, puisqu'un moratoire a été décidé. Cela étant, un moratoire n'est pas fait pour attendre que le temps
passe, il doit être mis à profit pour engager la réflexion et la faire aboutir.
Ici, à mon avis, la conclusion est claire pour ce qui est de la chasse sous-marine : il y a urgence. Ces temps derniers, en
effet, il y a eu une telle destruction de poissons juvéniles que des auteurs comme M. Steven Weinberg ont envisagé la
disparition progressive du mérou.
Il est nécessaire soit par un décret ministériel ou interministériel avec le ministère de la jeunesse et des sports, soit, encore
mieux, par une loi, de définir les conditions d'exercice du droit de pêche au fusil ou à l'arbalète.
Il y a, en la matière, une référence facile, à savoir le permis de chasse, pour l'attribution duquel on exige aujourd'hui une
formation. Je crois qu'en matière de pêche sous-marine il serait bon d'exiger des pêcheurs qu'ils suivent une formation leur
permettant d'acquérir une connaissance de la flore et de la faune. Trop de pêcheurs inexpérimentés, jeunes ou moins
jeunes, tuent sans savoir quels poissons ils tuent. Comme ils peuvent aller les chercher dans les lieux les plus divers,
surtout ceux où ils se cachent et assurent leur reproduction, la destruction est inutile, bête et dangereuse.
A cela s'ajoute une autre cause de destruction : le mérou, comme d'autres poissons, a une chair délicate, il peut peser
quelque quinze kilos, parfois plus, et son prix de vente n'est pas négligeable. On prétend que ceux qu'on consomme dans
nos restaurants viennent de Tunisie, mais beaucoup proviennent, en fait, du braconnage local.
Il serait donc souhaitable de retenir l'option de la formation : les pêcheurs sous-marins devraient apprendre à connaître la
flore, la faune, leurs habitudes de vie.
Par ailleurs, il faudrait limiter l'utilisation des fusils sous-marins et des arbalètes. Dans notre pays, en effet, les enfants de
moins de quinze ans - ils sont de plus en plus précoces, et ce dans tous domaines - possèdent de telles armes - car il s'agit
bel et bien d'armes - et ils détruisent la faune encore plus bêtement que les adultes.
Il serait bon d'envisager une telle formation, que je ne souhaite pas décrire dans le détail maintenant.
Je ferai cependant référence à un article qui est paru dans le numéro 97 d'Apnéade. Si, en règle générale, je me méfie des
initiatives américaines dans tous les domaines, notamment avec les McDonald's pour ce qui est de la nourriture, il semble
que le dispositif retenu en Floride soit fortement incitatif et très précis : les pêcheurs sous-marins ont une grande liberté,
mais ils doivent détenir un permis. Une taxe est perçue sur le permis et sur le matériel. Une surveillance est organisée et la
sanction pour braconnage peut atteindre jusqu'à six mois de prison. Certes, il faut aussi des garde-côtes.
Ce dispositif permettrait d'assurer de meilleures conditions de surveillance de ces poissons. Les recettes permettraient de
créer aussi, par le biais de la formation, des emplois de formateurs et d'accompagnateurs, ce qui n'est pas négligeable
aujourd'hui. Ainsi une autre dimension serait donnée à ce sport, qui, pour l'heure, est souvent aveuglément destructeur.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous engagiez une réflexion sur ce thème, sachant qu'elle pourrait déboucher bientôt
soit sur un projet de loi, soit sur une proposition de loi recueillant votre acceptation de principe.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, j'ai été sensible aux propos que
vous avez tenus à mon égard. Je vous connais depuis des décennies, mais j'ignorais l'intérêt marqué que vous portiez au
mérou. Il s'agit cependant d'un sujet qui mérite notre attention, j'en traiterai néanmoins avec moins de lyrisme que vous.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, le mérou est une espèce appréciée par les consommateurs pour la
qualité de sa chair, mais c'est aussi une espèce fragile et en danger de « surpêche ».
La pratique de la pêche sous-marine, qui est la plus fréquente, est difficilement contrôlable. Aussi, conscient de la
nécessité d'établir une protection particulière du mérou, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur a, par arrêté,
interdit la pêche sous-marine de cette espèce. Cette interdiction, d'une durée de cinq ans, est en place jusqu'en 2003.
Vous pouvez être persuadé que le ministre de l'agriculture et de la pêche veillera particulièrement au respect de cette
interdiction et que des instructions seront données en ce sens au directeur régional des affaires maritimes chargé
notamment de la mise en oeuvre et du suivi de cette disposition.
La modification de la législation relative à la pêche sous-marine que vous proposez afin d'instaurer un permis pour exercer
une telle activité nécessite une réflexion qui dépasse la seule espèce que vous avez évoquée.
En tout état de cause, un décret concernant la pêche de loisir est en préparation. Il modifie le décret n° 90-618 et
améliore le dispositif existant. Il prévoit en effet, par le biais d'une affiliation des personnes exerçant la pêche sous-marine
à une fédération agréée, un encadrement de cette activité reposant notamment sur un thème qui vous tient particulièrement
à coeur, la formation à la sécurité et à la connaissance du milieu marin et des espèces, éléments sur lesquels vous avez
insisté avec pertinence.
Ce décret est en cours d'examen au Conseil d'Etat et il devrait être publié dans les tout prochains mois.
Sur ces sujets en permanence en évolution, vous aurez l'occasion de faire valoir à différents stades vos suggestions afin
qu'elles puissent être prises en compte. Je constate d'ailleurs qu'elles rejoignent mes préoccupations.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le ministre, je retiens de vos propos un point particulier : j'aurai l'occasion, avec vous je
pense, d'étudier d'aussi près que possible vos propositions.
Dans votre réponse, vous avez manifesté une certaine réticence à envisager autre chose que l'adhésion des pêcheurs
sous-marins à une fédération. Or, il conviendrait d'aller au-delà.
Par ailleurs, il est bien évident que le mérou n'est pas la seule espèce qu'il faut avoir en point de mire. Le mérou, comme je
l'ai dit tout à l'heure, c'est pour moi une référence quelque peu mythique, d'autant que je ne suis pas pêcheur.
Je suis cependant attentif aux préoccupations de ceux qui tiennent à protéger la faune et la pêche sous-marines. C'est sous
cet angle qu'il faut considérer ma question. C'est donc avec une certaine impatience que j'attends de participer, avec vous
et avec vos collaborateurs, à la réalisation des premiers textes. Je vous remercie de votre proposition.
- page 1515
Page mise à jour le