N°28

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 octobre 1997.

PROPOSITION DE RESOLUTION

sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E 211)

PRÉSENTÉE

Par M. Pierre LEFEBVRE, Mme Marie-Claude BEAUDEAU M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Jean DÉRIAN, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE et M. Paul VERGÉS,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques el du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Union européenne. - Gaz naturel.

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Depuis 1992, la Commission et le Conseil de l'Union européenne s'efforcent d'instaurer des règles communes pour un marché intérieur de l'énergie dont chacun mesure le caractère stratégique qu'il revêt pour l'économie des pays membres.

Coordonner les politiques énergétiques européennes et organiser les coopérations pour le développement de tous est, de toute évidence, devenu nécessaire, ce qui implique une politique européenne qui réponde à l'intérêt économique général.

Toutefois, les deux directives établies pour la réalisation des marchés uniques de l'électricité et du gaz ont une caractéristique commune : celle d'établir coûte que coûte un régime concurrentiel en matière de production, d'importation, de distribution et d'exploitation de ces deux types d'énergie, plutôt que de concourir à la garantie d'approvisionnement et de fourniture au meilleur prix, à l'égalité de traitement des usagers et à la péréquation tarifaire.

La proposition de directive du Conseil telle qu'elle résulte du compromis de la présidence luxembourgeoise présente les mêmes risques que la directive sur le marché intérieur de l'électricité adoptée en décembre 1996.

Il paraît très improbable que, compte tenu des spécificités de son activité et de la nature de la concurrence qu'elle pourrait être amenée à affronter, l'entreprise nationale GDF puisse développer ou maintenir ses missions de service public et assurer la continuité de fourniture et la sécurité des approvisionnements dans un environnement de plus en plus concurrentiel.

La libéralisation du marché du gaz pourrait renforcer le risque de voir se développer de plus en plus des centrales électriques à partir du gaz.

Dans un cadre concurrentiel, les décisions des compagnies d'électricité seront nécessairement dominées par des critères financiers. Les centrales hydrauliques, nucléaires ou à charbon nécessitent des investissements lourds qui s'amortissent sur une période de trente ans et qui pèsent sur les comptes des entreprises. Les centrales à gaz, au contraire, demandent des investissements beaucoup plus faibles tout en répondant aux mêmes besoins.

Une telle évolution aboutirait de toute évidence à l'assujettissement des activités gazières aux grands groupes multinationaux et donc à une détérioration des conditions d'exercice du service public qu'il convient de repousser avec la plus grande détermination.

Les compagnies Total et Elf seraient ainsi les premiers et immédiats concurrents de GDF et d'EDF. Cette possibilité leur est offerte par l'article 18 du compromis de la présidence luxembourgeoise qui aurait pour effet d'ouvrir totalement et brutalement le marché français du gaz à la concurrence.

La proposition de compromis présente une évolution positive par rapport aux textes précédents en ce qu'il prend en compte la possibilité d'imposer des missions de service public aux entreprises gazières. Il en va de même de la nécessaire confidentialité des comptes des entreprises gazières.

Les ressources en gaz ne doivent pas être gaspillées par une déréglementation du marché de l'énergie. Le gaz doit être au contraire utilisé de façon harmonieuse avec les autres sources : charbon, hydraulique, nucléaire, pétrole et énergies renouvelables.

OEuvrer à ne pas gaspiller chacune de ces énergies, et en particulier le gaz naturel, doit conduire à utiliser les spécificités propres de chacune d'entre elles, afin de faire bénéficier nos concitoyens, et les peuples, d'avantages sur les prix d'accès, la valorisation et la protection de l'environnement.

Les réserves de gaz naturel étant d'utilisation aisée, le risque existe que la déréglementation conduise à une exploitation excessive pour une rentabilité financière immédiate.

II faut être vigilants car de telles orientations ne pourraient conduire, à terme, qu'à des tensions sur la mise à disposition du gaz et à d'éventuelles pénuries, ainsi qu'à des problèmes accrus pour l'environnement. S'il est vrai que le gaz est moins polluant que d'autres combustibles, il n'en contribue pas moins à l'émission de gaz à effet de serre.

La France qui, sauf en ce qui concerne le charbon, est un pays pauvre en ressources fossiles, a intérêt à éviter de tels écueils, surtout

qu'elle a su se doter des moyens, notamment à partir du nucléaire, d'assurer une bonne part de son indépendance énergétique.

Le développement de la cogénération, mais aussi les décisions récentes d'abandonner Superphénix ainsi que la construction de la centrale nucléaire du Carnet interrogent sérieusement sur la réorientation ainsi amorcée de la politique énergétique française.

* *

*

Pour l'ensemble de ces raisons, afin de faire prendre au Gouvernement la mesure des risques que présente la proposition de directive sur le marché intérieur du gaz telle qu'elle résulte du compromis du 18 juillet 1997, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 90, paragraphe 2 du traité instituant l'Union européenne,

Vu la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 relative à la nationalisation des entreprises de production et d'exploitation du gaz et de l'électricité,

Vu la proposition de directive du Conseil concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E 211),

Vu la proposition de compromis présentée le 18 juillet 1997 par la présidence luxembourgeoise de l'Union européenne,

Considérant l'importance économique et sociale de la production et de la distribution d'énergie,

Considérant qu'il est nécessaire d'aller vers la réalisation d'un marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel qui repose sur les principes de service public concourant à la réalisation de l'intérêt général,

Considérant que l'article 90, paragraphe 2 instituant l'union européenne autorise le maintien des monopoles publics nécessaires pour permettre à des entreprises d'accomplir les missions d'intérêts général qui leur sont confiées,

Considérant qu'en vertu du principe de subsidiarité, l'organisation des services publics relève de la compétence des Etats membres de l'union européenne,

Considérant que la séparation des comptes entre les activités de production, de transport, de stockage, de distribution et de recherche gazière n'est pas adaptée à la spécificité du secteur gazier et peut nuire à l'efficacité économique de l'ensemble des opérateurs,

Considérant que l'accès des tiers au réseau présente des risques très grands pour un bénéfice hypothétique, tant dans le secteur du gaz naturel que dans celui de l'électricité,

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir, même partiellement, le marché intérieur de l'énergie à la concurrence d'opérateurs privés.

Invite le Gouvernement :

- à s'opposer à toute directive qui remettrait en cause l'exercice des missions de service public assuré dans le secteur gazier des pays de l'union européenne par des entreprises comme GDF ;

- à poursuivre le développement des coopérations entre les Etats membres et avec les pays tiers afin de maîtriser la sécurité des approvisionnements garantissant à long terme les importations et l'exploitation des ressources ;

- à veiller à ce que, compte tenu de la diversité des situations de chacun des marchés des Etats membres dans le domaine du gaz naturel, soit respecté le principe de subsidiarité, particulièrement dans les domaines de l'organisation de la distribution du gaz, du statut des distributeurs.

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