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N° 236
SÉNAT
DEUXIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1994-1995
Rattaché pour ordre au procès verbal de la séance du 19 janvier 1995.
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mars 1995.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur le projet de directive de la Commission modifiant la directive de la Commission 90/388/CEE concernant la suppression des restrictions à l'utilisation des réseaux câblés de télévision pour la fourniture de services de télécommunications (n° E-385),
par MM. Christian de LA MALÈNE et Jacques OUDIN,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne . Réseaux câblés - Télécommunications.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition d'acte communautaire n° E-385 qui vous est soumise a pour objet de modifier une directive de 1990 sur la libéralisation des services de télécommunications afin de supprimer les restrictions à l'utilisation des réseaux câblés de télévision pour la fourniture de services de télécommunications.
Ce texte s'inscrit dans la démarche de libéralisation des télécommunications entreprise au niveau communautaire depuis 1987. En 1998, l'ensemble des services de télécommunications seront libéralisés en Europe, conformément aux décisions du Conseil de l'Union européenne de juin 1993.
Si elle ne suscite guère d'objections sur le fond, la présente proposition d'acte communautaire pose cependant un grave problème institutionnel.
La Communauté européenne a choisi de retenir comme base juridique de ce texte l'article 90-3 du Traité de Rome. Cet article est consacré aux entreprises publiques et précise dans son alinéa 1 que les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du Traité, notamment aux règles de concurrence.
L'alinéa 2 prévoit néanmoins que ces entreprises sont soumises aux règles du Traité dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.
Enfin, l'alinéa 3 dispose que la Commission veille à l'application des dispositions du présent Traité et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres .
Pendant longtemps, on s'accordait à penser que cet alinéa donnait à la Commission un pouvoir de surveillance visant à ce que les États membres ne violent pas les dispositions de l'article 90.
Cependant, à partir des années 1980, la Commission a utlisé cet article pour libéraliser des pans entiers du secteur des télécommunications sans que le Parlement européen et le Conseil soient associés aux décisions.
- En 1988, la Commission européenne a adopté une directive relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunications prévoyant l'abolition pure et simple des droits spéciaux et exclusifs d'importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service et/ou d'entretien d'appareils terminaux.
La France, qui avait déjà libéralisé ce secteur, a néanmoins saisi la Cour de justice en contestant le fait que la Commission puisse disposer d'un pouvoir normatif autonome. Mais, dans un arrêt du 19 mars 1991, la Cour a donné raison à la Commission en faisant notamment valoir que « le pouvoir de surveillance confié à la Commission comporte la possibilité, fondée sur l'article 90-3 , de préciser les obligations découlant du Traité. Par conséquent, l'étendue de ce pouvoir dépend de la portée des règles dont il s'agit d'assurer le respect. »
- En 1990, la Commission européenne a adopté une directive relative à la concurrence dans les marchés de services de télécommunications.
À nouveau, la France et plusieurs autres États ont saisi la Cour de justice d'un recours. Celle-ci a de nouveau estimé que « le pouvoir de la Commission ne se limite pas à la simple surveillance de l'application des règles communautaires déjà existantes. »
- En décembre 1993, la Commission a une nouvelle fois présenté un projet de directive sur les communications par satellites en utilisant l'article 90-3 du Traité de Rome. Ce texte ayant été transmis au Sénat en application de l'article 88-4, notre collègue Jacques OUDIN a déposé une proposition de résolution, contestant cette base juridique et demandant au Gouvernement de tout mettre en oeuvre pour qu'une réforme de cet article intervienne en 1996 lors de la Conférence intergouvernementale.
Pour des raisons tenant aux délais, notre commission des Affaires étrangères n'a pu adopter de résolution et a adressé, le 4 mars 1994, un courrier au ministre des Affaires européennes en lui demandant que la position du Sénat soit exprimée devant le Comité des représentants permanents, chargé de donner un avis au nom du Conseil sur la proposition de directive.
De son côté, l'Assemblée nationale a adopté, le 28 avril 1994, une résolution demandant notamment au Gouvernement de tout entreprendre pour que la Commission renonce à utiliser l'article 90-3 comme base juridique.
La Commission européenne a néanmoins adopté la directive sur les télécommunications par satellites le 14 octobre 1994.
Aujourd'hui, la Commission présente une nouvelle fois un projet de directive utilisant la base juridique de l'article 90-3. Ce texte est soumis au Sénat, en application de l'article 88-4 de la Constitution, dans la mesure où la Commission a consenti à le transmettre au Conseil et au Parlement européen afin qu'ils donnent un avis. Le Sénat est donc en mesure de se prononcer par une résolution avant que la Commission n'adopte définitivement le projet qui doit entrer en vigueur le 1 er janvier 1996.
La procédure de l'article 90-3 du Traité de Rome conduit la Commission européenne à adopter seule des directives lorsqu'elles ont trait à l'application des règles de concurrence par les entreprises publiques. Ainsi, les instances communautaires pourvues d'une légitimité démocratique - Parlement européen d'une part, Conseil des ministres d'autre part, dont les membres sont individuellement responsables devant les Parlements nationaux - sont totalement exclues du processus décisionnel.
Une telle situation est difficilement acceptable dans une Europe qui cherche les moyens d'une démocratisation dans la perspective de la Conférence intergouvernementale de 1996.
Dans le rapport de notre collègue Yves GUÉNA sur la réforme institutionnelle de 1996 adopté par la délégation pour l'Union européenne du Sénat, se trouve exprimé le souhait d'une modification de l'article 90-3: « Votre rapporteur souhaite que la Conférence de 1996 réaffirme sans ambiguïté, par exemple par un protocole interprétatif annexé au Traité, que l'article 90-3 du Traité ne peut autoriser la Commission à prendre des mesures normatives de caractère général sans l'accord du Conseil ».
La délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a adopté la même position dans le rapport de Mmes CATALA et AMELINE sur les réformes institutionnelles de l'Union européenne.
Si l'on continue à accepter l'attitude de la Commission en cette matière, on peut craindre que celle-ci n'utilise l'article 90-3 pour prendre des textes qui posent de graves problèmes au fond. En 1991, la Commission n'a renoncé que sous la pression très forte des États membres à libéraliser seule l'ensemble du secteur électrique et gazier en Europe !
Ce nouveau projet de directive est donc l'occasion pour le Sénat d'affirmer avec fermeté son souhait de voir mis fin à une situation qui porte atteinte au fonctionnement démocratique de l'Union européenne.
C'est pourquoi il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu le projet de directive de la Commission modifiant la directive de la Commission 90/388/CEE concernant la suppression des restrictions à l'utilisation des réseaux câblés de télévision pour la fourniture de services de télécommunications,
- Considérant que la Commission s'apprête une nouvelle fois à adopter seule, en s'appuyant sur l'article 90-3, un projet de directive dont les conséquences sont importantes ;
- Considérant que l'interprétation faite par la Commission et la Cour de justice de l'article 90-3 du Traité transforme un pouvoir de surveillance en un véritable pouvoir normatif autonome et porte ainsi atteinte au fonctionnement démocratique de l'Union européenne ;
demande au Gouvernement de tout mettre en oeuvre pour qu'une réforme de l'article 90-3 du Traité de Rome intervienne lors de la révision institutionnelle de 1996 afin que le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne soient systématiquement associés au processus décisionnel.