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N° 425

SÉNAT

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1993-1994

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 mai 1994.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,

Sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E-211),

PRÉSENTÉE

Par M. Félix LEYZOUR, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Michelle DEMESSINE, Paulette FOST, Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Jean GARCIA, Charles LEDERMAN, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGÈS, Ivan RENAR, Robert VIZET et Henri BANGOU,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Union européenne. - Électricité - Gaz.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Les propositions de directive du Conseil des communautés européennes concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel avaient été établies en février 1992, soit à une date antérieure à la loi constitutionnelle du 26 juin 1992 relative à Maastricht.

C'est à l'initiative des députés communistes que le Gouvernement a accepté de transmettre ces propositions pour avis à la représentation nationale.

La Commission de Bruxelles estime que la création d'un marché unique sans frontière intérieure suppose que des mesures soient prises afin d'assurer la circulation du gaz naturel et de l'électricité entre les États membres. La réalisation de cet objectif appellerait à son tour la modification de nombreuses réglementations nationales en matière de production, d'importation, d'exportation, de transport et de distribution.

L'exposé des motifs précise : il faut exploiter les ressources le plus efficacement possible et permettre à tous les utilisateurs, petits ou grands, de tirer profit d'une telle efficacité, ce qui est crucial pour les industries grandes consommatrices confrontées à la concurrence mondiale.

Or, la Commission n'a cessé de renforcer la concurrence et la déréglementation, ignorant volontairement la spécificité stratégique nationale de toute politique énergétique, le Conseil a adopté la directive sur les marchés publics relatifs aux secteurs exclus : eau, transport, énergie et télécommunications. Cette directive ouvre à la concurrence les grands marchés de commandes et d'ouvrages passés par les sociétés de ces secteurs. Cependant, les achats d'énergie au sein du secteur énergétique en ont jusqu'ici été exclus.

Dans le secteur de l'électricité, une directive relative au transit que le Conseil a adoptée le 30 octobre 1990 stipule que chaque société de service public chargée du transport d'électricité à haute tension est tenue de faciliter les échanges entre ses homologues à travers son réseau à condition que la fiabilité du transport n'en souffre pas. Cette directive vise à promouvoir et à maximiser les échanges en cause entre les réseaux à l'échelle européenne.

La Commission se fixe trois axes :

- l'abolition des droits exclusifs de production d'électricité et de construction des lignes électriques et des gazoducs ;

- la mise en oeuvre du concept « d'unbundling » c'est-à-dire de la séparation de la gestion et de la comptabilité des activités de production, de transport et de distribution ;

- l'introduction progressive de l'accès des tiers au réseau (A.T.R.). Pour la Commission, il s'agit de l'obligation pour les compagnies de transmission et de distribution d'offrir, contre rémunération raisonnable, l'accès à leur réseau.

La Commission entend ainsi permettre l'apparition de nouveaux opérateurs privés, notamment les grandes entreprises consommatrices d'énergie, les grandes entreprises de services ou les groupes pétroliers, dans les domaines de la production, du transport, voire de la distribution de l'électricité et du gaz.

Les propositions de directive du Conseil, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz, visent exclusivement, sans tenir compte des réalités existantes, la libéralisation du marché en matière de production, d'importation, d'exportation, de transport et de distribution, ce qui compromettrait la capacité des deux établissements publics que sont E.D.F. et G.D.F. à satisfaire leur mission de service public.

L'exemple de la Grande-Bretagne illustre les conséquences de la privatisation et de la libéralisation au secteur de l'énergie : le prix de l'électricité a augmenté pour les consommateurs individuels et des milliers d'emplois ont disparu.

Depuis le 10 décembre 1993, la Commission a réactualisé ses projets de directives après le vote des amendements Désama par le Parlement européen ; et, en fin d'année, le Gouvernement a rendu public le rapport Mandil.

La caractéristique commune à ces documents réside dans l'établissement d'un régime concurrentiel, notamment dans le domaine de la production, de l'importation et de l'exportation des deux énergies. Ces textes recèlent des orientations qui, à terme, conduisent à la remise en cause de la totalité du service public de l'électricité et du gaz, fondé sur la garantie d'approvisionnement, de fourniture et de secours, sur l'égalité de traitement et la péréquation tarifaire, sur la vente au prix de revient, sur la garantie de l'indépendance énergétique nationale.

Or, le monopole de production est indissociable de la satisfaction de l'intérêt général. Sa remise en cause conduit à compromettre la capacité des établissements publics à planifier à long terme le développement de l'outil de production, en particulier dans le domaine nucléaire dont chacun sait qu'il est à l'origine des performances d'E.D.F.

La suppression des monopoles d'importation et d'exportation accentuerait la déréglementation, permettant à de grands groupes pétroliers privés de concurrencer G.D.F. ; ce qui serait de nature à compromettre la sécurité d'approvisionnement du pays et même la sécurité des installations et du réseau d'acheminement du gaz.

Dans tous les cas, la suppression de ces droits exclusifs ne peut que renforcer les tendances à la déréglementation, en particulier la mise en place de l'A.T.R. La logique de l'ouverture à la concurrence ne peut être menée à son terme sans la mise en place de l'accès des tiers au réseau. Les opérateurs privés s'approprieront les secteurs les plus profitables, laissant à la charge publique les secteurs les moins rentables, voire déficitaires.

Si quelques grands groupes, multinationaux pour la plupart, pouvaient tirer quelques profits de cette ouverture à la concurrence, l'intérêt général serait spolié : la péréquation tarifaire, la vente au prix de revient, l'égalité de traitement ne pourraient plus être assurées.

Le prix de fourniture, de l'électricité comme du gaz, est constitué de la moyenne des différents coûts de production, de transport et de distribution ou d'importation et de transport des kilowattheures électriques ou gaz. Qu'une catégorie de consommateurs s'approprie la meilleure part du marché, et c'est le reste des usagers qui en paie les conséquences, alors que tous les usagers sont à la source du financement des installations des établissements publics.

L'affaire Péchiney-C.N.R. en est l'exemple flagrant : transférer au producteur d'aluminium les usines de production du Rhône, intégralement financées par l'usager et c'est une rente qui échappe à la nation pour alimenter des intérêts privés. Comme l'a affirmé le P.-D.G. de Péchiney, il ne s'agit pas de la recherche d'électricité au meilleur coût, M. Gandois se satisfaisant pleinement des accords passés entre son groupe et E.D.F., mais de la réalisation d'un projet industriel. Si cette affaire connaissait son aboutissement, 4 % de la production d'électricité échapperaient à la nation, les conditions du transport de cette énergie sur le réseau devant par ailleurs être définies !

Les parlementaires communistes ont, quant à eux, toujours défendu l'acquis fondamental de la Libération qui, au fil des décennies, a fait preuve de sa capacité à se moderniser dans l'intérêt de tous. L'existence des établissements publics nationalisés et les monopoles qui sont la condition de leur pérennité permettent, seuls, d'assurer la production, l'approvisionnement ou la fourniture des deux énergies aux meilleurs coûts pour chaque usager, quelle que soit sa situation économique, géographique.

C'est aussi la garantie pour la nation d'avoir la maîtrise de sa politique énergétique et de la politique industrielle associée. Pour ces raisons, des décisions qui remettraient en cause les fondements de la nationalisation ne peuvent être prises par la Commission de Bruxelles ou sous sa pression. Alors qu'elle avait opté dans un premier temps pour un dialogue politique avec le Conseil et le Parlement européen, elle se réserve le droit d'utiliser tous ses pouvoirs, pour contraindre les États membres à adopter ses décisions.

Elle vient d'entamer une procédure de justice à rencontre notamment de la France contre l'existence des monopoles d'importation et d'exportation.

Elle se propose notamment de contrôler de manière plus systématique les aides d'État aux industries de l'énergie, et compte à terme définir et régir la politique énergétique à la seule échelle européenne.

La deuxième étape définie par la Commission pour poursuivre la libéralisation du marché devrait bénéficier surtout aux grandes entreprises consommatrices d'énergie.

La mise en concurrence à l'échelle de la Communauté européenne entre opérateurs publics et opérateurs privés ne peut que conduire à une inégalité croissante entre le service rendu aux entreprises, et celui rendu aux P.M.E.-P.M.I. et aux usagers, accentuant la précarité et instaurant des tarifs différenciés selon les régions au détriment d'un aménagement équilibré du territoire.

La Commission économique du Parlement européen a dénoncé, quant à elle, la libéralisation du marché de l'énergie qui entraînerait « la diminution de la sécurité d'approvisionnement et la réduction des investissements à long terme au profit de ceux qui s'amortissent rapidement » et qui risquerait d'« installer une concurrence sauvage entre États, basée sur des pratiques relevant du dumping social et environnemental ».

Rien dans la proposition de directive n'est de nature à lever les inquiétudes sur une mise en cause fondamentale de l'autonomie des politiques énergétiques nationales, ce qui explique en partie que ces propositions n'aient pas été adoptées.

La Cour de justice des communautés européennes qui siège à Luxembourg, saisie par le « Gerechtshof te Arnhem » (Pays-Bas), vient de rendre une décision favorable aux services publics de distribution de l'énergie (arrêt commune d'Almelo e.a. contre N.V. Energiebedrijf Ijsselmij). Elle indique en effet, dans cet arrêt que l'article 90, paragraphe 2, du traité C.E.E. doit être interprété : « en ce sens que l'application par une entreprise régionale de distribution d'une telle clause d'achat exclusif d'énergie électrique échappe aux interdictions des articles 85 et 86 du traité, dans la mesure où cette restriction à la concurrence est nécessaire pour permettre à cette entreprise d'assurer sa mission d'intérêt général » .

En conséquence, il est maintenant avéré que les monopoles du type de ceux que la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 a accordé à E.D.F. et G.D.F. ne sont pas contradictoires avec le traité C.E.E.

Il apparaît ainsi une fois de plus, qu'en poussant à la remise en cause des monopoles nécessaires à l'accomplissement des missions d'intérêt général en matière d'énergie, la Commission des communautés européennes qui siège à Bruxelles sous la présidence de M. Delors outrepasse le strict rôle qui lui est imparti par le traité C.E.E.

L'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 27 avril dernier remet indiscutablement en cause les directives de la commission et les orientations antérieures des gouvernements nationaux tendant à battre en brèche les monopoles dont disposent les entreprises nationales d'électricité et de gaz.

Il convient donc désormais de considérer que la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes prive de base légale la directive E-211 et lève ainsi bien des obligations pesant par les gouvernements nationaux en matière d'énergie.

De plus, il faut relever également, qu'il s'agisse des satellites ou de l'énergie, que la libéralisation d'un secteur quelconque par la Commission en se fondant sur l'article 90-3 du traité de Rome, constitue une violation de la souveraineté nationale comme du traité qui n'accorde aucun pouvoir législatif unilatéral à la Commission.

Il n'y a pas de croissance nationale sans production énergétique suffisante et diversifiée dans laquelle E.D.F.-G.D.F. doit conserver toute sa place pour défendre les atouts de la France en ressources et en avancées technologiques. C'est nécessaire tant pour l'industrie que pour les transports et les services rendus aux particuliers, dans la perspective d'une maîtrise nationale de notre approvisionnement.

C'est pourquoi nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les propositions de directive, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel,

Vu la jurisprudence établie par la Cour de justice européenne notamment par son arrêt du 27 avril 1994 (Gerechtshof te Arnhem -commune d'Almelo e.a. contre N.V. Energiebedrijf Ijsselmij),

- Estime que la mission d'un service public national démocratisé en matière d'énergie est un point d'appui nécessaire au redressement économique, à la lutte pour l'emploi et à l'aménagement du territoire et qu'elle n'est aucunement incompatible avec le traité C.E.E.

La souveraineté nationale doit être respectée en matière de statut des personnels, des critères de service public et de monopole public.

La déréglementation du service public irait à l'encontre de la création d'emplois nouveaux comme elle met en cause le principe d'une tarification respectant l'égalité des usagers devant le service assuré.

- Considère que l'indispensable modernisation du service public doit se réaliser dans le respect de la qualité du service, de la sécurité, des rapports avec les usagers et le respect des droits et acquis des personnels.

Le service public qui refuse la logique d'une gestion subordonnant tout à la rentabilité financière est le meilleur garant des coopérations internationales.

- Regrette que la Commission ait maintenu ses propositions sur l'accès des tiers aux réseaux que condamne pourtant une majorité de pays membres.

- Estime indispensable de respecter la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz.

- Demande en conséquence au Gouvernement de s'opposer à l'adoption de la proposition de directive E-211 et de toute directive de la Commission qui tendrait à remettre en cause l'exercice des missions de service public en matière d'énergie et à priver chaque État du choix de sa politique énergétique.

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