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N°63

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1993 - 1994

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 octobre 1993.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Conseil visant au renforcement de la surveillance prudentielle des établissements de crédits, des compagnies d'assurance et des entreprises d'investissement

(n°E-109),

Par M. Jacques GENTON,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Communautés européennes - Établissements de crédit - Compagnies d'assurance.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La proposition de directive du Conseil qui vous est soumise sous le n° E-109 a pour objet la modification de certaines directives cadres du secteur des services financiers (banques, compagnies d'assurance, services d'investissement), afin de renforcer les pouvoirs des autorités compétentes dans la surveillance de ces entreprises.

Annoncées lors du Conseil des ministres de l'économie et des finances de novembre 1992, par Sir Léon BRITTAN, vice-président, alors commissaire chargé des institutions financières, les propositions de la Commission européenne ont été approuvées par le groupe des experts bancaires de la Communauté au cours d'une réunion qu'ils ont tenue, à Bruxelles, les 18 et 19 mars 1993.

Une étude est par ailleurs actuellement en cours sur le problème général de la réglementation des conglomérats financiers, dans la perspective d'une réunion conjointe, d'ici à la fin de l'année, des comités consultatifs des banques et des assurances.

L'origine de la directive qui est présentée aujourd'hui à la Représentation nationale est la faillite de la Bank of Credit and Commerce International (BCCI) qui a été fermée en juillet 1991 pour fraude internationale. Dans son rapport officiel, rendu public par le Chancelier de l'Échiquier le 22 octobre 1992, le juge BINGHAM a accusé le département de supervision de la Banque d'Angleterre de «manque de vigilance et de curiosité» devant les informations qui faisaient état de graves malversations financières, informations qui avaient été transmises dès 1990 par le cabinet comptable Price Waterhouse ; il réfute en outre l'argument de la Banque d'Angleterre selon lequel ses fonctionnaires ne disposaient pas de pouvoirs suffisants pour surveiller la banque dont les activités s'étendaient dans 72 pays : «les cabinets comptables ont un rôle à jouer, mais le devoir de supervision bancaire appartient à la Banque d'Angleterre et c 'est un devoir qui ne peut être délégué. C'est la banque et non le cabinet d'audit qui est l'organe de réglementation. Dans ces circonstances, l'approche réglementaire de la Banque d'Angleterre à propos de la BCCI était à mon avis déficient».

La Banque d'Angleterre avait alors proposé une réforme de la surveillance des établissements financiers, notamment par l'octroi de pouvoirs explicites permettant à l'institut d'émission de réfuter, ou de révoquer, une licence bancaire à un établissement dont la structure complexe entrave la tâche de supervision.

Avec un siège juridique à Luxembourg, un siège économique à Londres et dans le paradis fiscal des Iles CAIMANS et un actionnaire principal, l'émirat d'Abou Dahbï, au Proche-Orient, la BCCI, qui avait été fondée en 1972 par le financier Agh Abedi, était placée sous le contrôle du département « Banking Supervision » de la Banque d'Angleterre.

Dans son dépliant de présentation qui était distribué au Luxembourg, le groupe BCCI soulignait que, grâce à son implantation dans le Grand Duché, il offrait à ses clients des facilités financières importantes : « Le traitement confidentiel des affaires bancaires revêt une importance primordiale au Luxembourg. Le secret bancaire est protégé par la loi luxembourgeoise. Sur simple demande, vous pouvez ouvrir un compte à chiffres. Les investisseurs étrangers non résidents bénéficient d'une immunité fiscale sur leurs investissements ou leurs dépôts ; pas de retenue sur les intérêts et dividendes de la fortune, les profits du capital ni sur les transferts de capitaux, pas de taxe sur les transactions de l'or et sur les droits de succession... Une équipe de professionnels en gestion de portefeuille est à votre disposition pour vous conseiller dans vos investissements soit en actions, euro-obligations, devises étrangères ou métaux précieux, avec un minimum de 10 000 dollars US par transaction » .

Ce scandale bancaire, dans lequel sont apparues de vastes escroqueries financières internationales, ainsi que de nombreuses opérations de blanchiment de l'argent de la drogue ou la rémunération de certains services secrets ou terroristes, a mis en lumière les défauts de la réglementation européenne en matière de conglomérats financiers.

La déréglementation bancaire, les innovations technologiques et la concurrence internationale ont en fait abaissé les moyens de contrôle des organes nationaux de supervision tout en fragilisant le système financier dans son ensemble. En outre, le développement des groupes dits de « bancassurance » a créé une zone grise dans les responsabilités des organismes de surveillance du secteur des assurances et celui dans le secteur bancaire. À titre d'exemple, l'article 14 de la directive sur les comptes bancaires consolidés est interprété comme une disposition permettant aux conglomérats financiers de s'affranchir de fournir les détails financiers concernant leurs activités non bancaires.

La proposition de directive intervient en réalité au coeur du dispositif de libéralisation des services financiers du marché unique, notamment par la modification de la deuxième directive bancaire dont les éléments principaux sont la libre prestation de service, la liberté d'établissement des succursales et le contrôle par le pays d'origine.

Il n'est pas certain en effet que la deuxième directive bancaire et les directives assurance non-vie et vie offrent toutes les garanties souhaitables pour le contrôle des conglomérats financiers et des holdings de tête, dès l'instant où le nouveau système mis en place depuis le 1 er janvier 1993 est fondé sur la reconnaissance mutuelle des régimes de surveillance et le passage, de l'application du contrôle par les pays d'accueil, au contrôle par le pays d'origine,

Un certain nombre de problèmes ont subsisté après le 1 er janvier 1993, qui avaient déjà été soulignés par votre délégation pour les Communautés européennes 1 ( * ) et dont les principaux portent sur le contrôle des filiales étrangères, l'harmonisation des systèmes nationaux de contrôle prudentiel, la détermination du droit applicable aux contrats financiers et le contrôle du respect des ratios communs.

Par ailleurs, le renforcement du contrôle des conglomérats financiers ne doit pas être séparé d'autres questions comme celles relatives à la lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue, ainsi qu'au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime. Il faut souligner sur ce point que la convention correspondante du Conseil de l'Europe n'a, à ce jour, été ratifiée que par deux États membres de la Communauté : les Pays-Bas, le 10 mai 1993, et l'Italie, le 9 août 1993.

Les problèmes posés par le renforcement de la surveillance prudentielle des organismes financiers sont d'autant plus préoccupants que la déréglementation bancaire dans le monde s'est accompagnée d'une multiplication des paradis fiscaux dont certains s'appuient sur les micro-États de la Communauté européenne.

On cite régulièrement Monaco, Gibraltar, Andorre, mais aussi les docks de Dublin ou de Shannon, Guernesey ou les îles vierges britanniques qui ont, à elles seules, accueilli 58.000 sociétés en quatre ans ; le Lichtenstein, avec ses 60.000 holdings, trusts et sociétés anonymes n'est pas à la traîne, ni le Luxembourg, « vitrine de la finance internationale » dont le nombre de banques est passé de 187 fin 1991 à 213 fin 1992, dont le nombre d'organismes de placement (OPC) collectif qui était de 405 en 1987 est passé à 1.041 fin 1992, et dont le nombre de holdings est supérieur à 10.000.

La proposition de directive du Conseil est donc essentielle pour la stabilisation du système bancaire et monétaire européen ; elle traite en particulier des échanges d'informations entre autorités chargées de la surveillance des entreprises financières, du rôle des personnes chargées du contrôle légal et de la transparence des structures des groupes.

Le Gouvernement français doit être vivement invité à accélérer l'examen et la mise en application de cette proposition de directive afin de mettre le secteur financier européen à l'abri d'une crise interne dont les effets pourraient être catastrophiques pour les économies des États membres de la Communauté.

*

* *

Pour ces raisons, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit que la délégation pour les Communautés européennes m'a chargé de déposer sur le bureau du Sénat :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu la proposition de directive du Conseil relative au renforcement de la surveillance prudentielle des établissements de crédit, des compagnies d'assurance et des entreprises d'investissement :

- souligne que cette proposition d'acte communautaire est la conséquence de la faillite de la Bank of Credit and Commerce International (BCCI), fermée en juillet 1991 pour fraude internationale ;

- relève que ce scandale bancaire a mis en lumière les défauts de la réglementation européenne en matière de conglomérat financier et les insuffisances de la deuxième directive bancaire appliquée en France comme dans la communauté depuis le 1er juillet 1993;

- regrette que les conditions de surveillance des établissements de crédit des compagnies d'assurance et des entreprises d'investissement n'aient pas fait l'objet de toutes les garanties souhaitables avant la dérégulation des services financiers en Europe au 1er janvier 1993 ;

- souligne que la déréglementation bancaire, les innovations technologiques et la concurrence internationale ont réduit les moyens de contrôle des organes nationaux de supervision, tout en fragilisant le système financier dans son ensemble ;

- souligne en outre que les défauts de surveillance des nouveaux organes financiers transnationaux sont aggravés par l'insuffisance de contrôle des filiales étrangères, l'absence d'harmonisation des systèmes nationaux de contrôle prudentiel, l'indétermination du droit applicable aux contrats financiers ;

- insiste sur l'urgence du renforcement du contrôle des conglomérats financiers alors que la déréglementation bancaire dans le monde s'est accompagnée d'une multiplication des paradis fiscaux dont certains s'appuient sur les micro-États de la Communauté européenne ;

- - demande au Gouvernement français d'accélérer l'examen et la mise en application de la proposition de directive n°E-109 tendant au renforcement de la surveillance des établissements de crédit, des compagnies d'assurance et des entreprises d'investissement.

* 1 Conclusions n° 194/88 de la Délégation du Sénat pour les Communautés européennes du 6 juillet 1988 sur la libéralisation du secteur bancaire sur le rapport de M. Josy MOINET

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