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N°305
SÉNAT
SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1992 - 1993
Annexe au procès-verbal de la séance du 13 mai 1993.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition modifiée de directive du conseil relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (n°E-48)
Par M. Paul MASSON,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Communautés européennes - Informatique - Protection de la vie privée.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition d'acte communautaire n° E-48 constitue une nouvelle version, sensiblement modifiée, d'un projet présenté par la Commission des Communautés le 18 juillet 1990. L'objet de ce texte est d'assurer, sans restriction, la libre circulation des données à caractère personnel entre les États membres ; pour que ces derniers ne puissent limiter cette circulation en s'appuyant sur l'exigence de protection des droits et libertés des personnes, la proposition n° E-48 tend à mettre en place des garanties dans ce domaine à l'échelon communautaire. Ainsi, si cette proposition est adoptée, la protection de la vie privée à l'égard du traitement des données à caractère personnel sera considérée comme équivalente sur l'ensemble du territoire de la communauté, et les États membres ne pourront alors s'opposer à la libre circulation de ces données en invoquant une législation nationale plus protectrice.
Une telle orientation soulève une difficulté de principe : peut-on, doit-on, au nom de l'objectif d'unification du marché européen, interdire aux États membres d'imposer des mesures de protection de la vie privée plus strictes que les normes communautaires éventuelles ? Le problème se pose d'ailleurs immédiatement, puisque, pour certains aspects, la proposition n° E-48 semble moins protectrice que la législation française en vigueur.
Sans remettre en cause l'intérêt de la proposition n° E-48, qui pourrait à certains égards constituer un progrès -car cinq États membres sur douze ne disposent pas actuellement d'une législation sur la protection des données à caractère personnel- il paraît souhaitable de garantir qu'en tout état de cause chaque État membre doit pouvoir adopter ou conserver, et faire appliquer, une législation plus protectrice que la norme communautaire dans tout domaine touchant aux libertés publiques.
Par ailleurs, la proposition n° E-48 aurait pour effet de donner de larges pouvoirs à la Commission des Communautés pour prendre des mesures d'application : le comité, chargé d'assister la Commission, où seraient représentés les États membres, aurait un caractère purement consultatif ; il en serait de même du «groupe de protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel», composé de représentants des autorités nationales de contrôle et d'un représentant de la Commission.
La tendance de la Commission à faire figurer dans presque chaque texte des dispositions augmentant ses propres pouvoirs devient particulièrement discutable dans une matière concernant les droits de la personne et où, au demeurant, la Communauté n'est normalement pas compétente.
La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) avait critiqué sur ce point la première version de la proposition de directive (datée du 18 juillet 1990), en précisant qu'«un véritable organe indépendant et doté de réels pouvoirs devrait être créé au niveau européen, alors que le projet de directive prévoit deux organes et attribue les plus larges prérogatives à la Commission des Communautés elle-même». Ce défaut de la première version n'ayant pas été corrigé, la critique reste valable.
* * *
Pour ces raisons, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire n° E-48 qui lui a été soumise en application de l'article 88-4 de la Constitution ;
Considérant que cette proposition a pour objet de garantir la protection de certains droits et libertés des personnes physiques, notamment de leur droit à la vie privée, à l'égard du traitement des données à caractère personnel ;
Considérant que, si cette proposition est adoptée, cette protection sera considérée comme équivalente sur l'ensemble du territoire de la Communauté, et qu'alors les États membres perdront la faculté de s'opposer à la libre circulation de ces données pour des raisons tenant à la protection de la vie privée et plus généralement des droits et libertés des personnes physiques ;
Considérant qu'il convient, dans tout domaine touchant aux libertés publiques, de préserver le droit des États membres d'adopter ou de conserver, et de faire respecter des normes plus protectrices que celles résultant d'une harmonisation éventuelle des législations ; qu'en particulier, la réalisation du marché unique européen ne saurait justifier une réduction des garanties existantes de respect de la vie privée ;
Considérant, par ailleurs, que la proposition n° E-48 tend à accorder de larges pouvoirs d'application à la Commission des Communautés européennes ; qu'il est préférable, dans le domaine visé par la proposition, que le pouvoir de contrôle et de surveillance soit confié à un organe indépendant, et que les mesures d'application éventuelles soient prises sur proposition d'un comité composé de représentants des États membres ;
Invite le Gouvernement à proposer au Conseil de modifier la proposition n° E-48 dans le sens des considérations qui précèdent.