Conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (PPR) - Texte déposé - Sénat

N° 548 rect.

SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

                                                                                                                                             

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 avril 2024

PROPOSITION DE RÉSOLUTION



en application de l’article 34-1 de la Constitution,


tendant à l’application en droit français de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques,


présentée

Par M. Pascal SAVOLDELLI, Mmes Cathy APOURCEAU-POLY, Céline BRULIN, Silvana SILVANI, MM. Jérémy BACCHI, Pierre BARROS, Alexandre BASQUIN, Ian BROSSAT, Mme Evelyne CORBIÈRE NAMINZO, M. Jean-Pierre CORBISEZ, Mme Cécile CUKIERMAN, M. Fabien GAY, Mme Michelle GRÉAUME, M. Gérard LAHELLEC, Mme Marianne MARGATÉ, M. Pierre OUZOULIAS, Mme Marie-Claude VARAILLAS et M. Robert Wienie XOWIE,

Sénateurs et Sénatrices





Proposition de résolution tendant à l’application en droit français de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), notamment son article 101,

Vu le traité sur l’Union européenne,

Vu l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 26 octobre 2012 (2012/C 326/02),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme COM (2021) 762 final,

Vu la résolution 2019/2186 (INI) du Parlement européen du 16 septembre 2021 sur des conditions de travail, des droits et une protection sociale justes pour les travailleurs de plateformes – nouvelles formes d’emplois liés au développement numérique,

Vu le vote du Parlement européen du 2 février 2023 en faveur de la décision d’engager des négociations interinstitutionnelles sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme COM (2021) 762 final,

Vu le rapport (A9-0301/2022) adopté le 12 décembre 2022 par la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme COM (2021) 762 final,



Vu les discussions au sein du Conseil ou de ses instances préparatoires qui ont eu lieu entre le 10 décembre 2021 et le 12 juin 2023,



Vu le document intitulé « FR comments on the provisional agreement rejected at Coreper of 22 December 2023 »,



Vu le rapport de la Commission européenne sur le « Travail à la demande » du 24 mars 2021,



Vu le rapport du Parlement européen sur les « Travailleurs des plateformes : défi et opportunité pour le marché du travail » du 19 janvier 2017,



Vu l’avis du Comité économique et social européen sur « Le travail dans l’économie collaborative : aspects économiques et sociaux », émis le 25 janvier 2016,



Vu l’avis du Comité économique et social européen sur « Le rôle des plates-formes numériques dans la transformation du travail », émis le 25 septembre 2020,



Vu le rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) intitulé « Travailler à l’ère de la plateforme : Rapport sur l’emploi dans l’économie des plateformes » publié en 2018,



Vu le rapport d’information du Sénat  867 (2020-2021) de M. Pascal Savoldelli, fait au nom de la mission d’information sur l’ubérisation de la société, intitulé « Plateformisation du travail : agir contre la dépendance économique et sociale » déposé le 29 septembre 2021,



Vu le rapport d’information du Sénat  27 (2022-2023) de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey, fait au nom de la commission des affaires européennes, intitulé « Travailleurs de plateformes : pour un cadre européen protecteur et adapté » déposé le 5 octobre 2022,



Vu le rapport de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences, de Mme Danielle Simonnet,  1521 (16e législature), adopté le 11 juillet 2023,



Vu l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendu le 20 décembre 2017 dans l’affaire C-434/15 affirmant que le service UberPop était un service de transport et non un service de la société de l’information,



Vu l’arrêt « Bardou » de la chambre civile de la Cour de cassation du 6 juillet 1931 posant le lien de subordination comme critère à la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail,



Vu les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation sur les pourvois  17-20.079 du 28 novembre 2018 (Take Eat Easy) et  19-13.316 du 4 mars 2020 (Uber),



Vu le jugement du tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire Deliveroo du 19 avril 2022 ( 20/0714) infligeant à Deliveroo France une amende de 375 000 euros pour « travail dissimulé »,



Vu le jugement du conseil des prud’hommes de Lyon du 20 janvier 2023 condamnant la société Uber à requalifier les contrats de partenariat de 139 chauffeurs en contrats de travail et à leur verser 17 millions d’euros,



Vu les observations définitives de la Cour des comptes relatives aux conseils de prud’hommes en date de juin 2023,



Vu la décision du tribunal aux Pays-Bas dans l’affaire Rider X (Pays-Bas, 2018) statuant en faveur d’un livreur de repas à vélo et affirmant qu’il était un employé plutôt qu’un entrepreneur indépendant,



Vu la décision du tribunal espagnol dans l’affaire Glovo (Espagne, 2019) ayant requalifié le contrat d’un livreur de Glovo en contrat de travail et reconnu ainsi son statut d’employé,



Vu la décision du Parquet de Milan du 24 février 2021 enjoignant à plusieurs plateformes de procéder à la « requalification contractuelle » de leurs relations avec leurs 60 000 chauffeurs en « travailleurs »,



Vu la décision du tribunal du district d’Amsterdam du 13 septembre 2021 affirmant que « la relation juridique entre Uber et ces chauffeurs répond à toutes les caractéristiques d’un contrat de travail »,



Considérant que les 28,3 millions de travailleurs des plateformes européens représentent autant que les emplois du secteur de l’industrie manufacturière et qu’ils sont amenés à croître de façon exponentielle pour atteindre 43 millions en 2025 ;



Considérant que ce serait près de 5 millions d’indépendants européens (19 % du total) qui devraient être requalifiés ;



Considérant que le niveau de précarisation menace les systèmes de protection sociale des États-membres de l’Union européenne, si bien que 55 % gagnent moins que le salaire minimum horaire net du pays où ils ou elles travaillent et que 41 % du temps consacré au travail via une plateforme n’est pas rémunéré ;



Considérant les carences du modèle d’organisation et de représentation des travailleuses et travailleurs des plateformes numériques de travail du fait de l’hétérogénéité de leurs tâches et de leur isolement ;



Considérant les excès et le dévoiement du statut d’autoentrepreneur, notamment en période de crise économique ;



Considérant les situations de concurrence déloyale qui menacent des pans entiers de certains secteurs économiques traditionnels ;



Considérant l’évolution du cadre législatif espagnol supprimant la présomption d’indépendance au profit d’une présomption de salariat avec une reconnaissance de la place centrale de l’algorithme et de la responsabilité sociale des plateformes numériques de travail ;



Considérant que les décisions de justice convergent vers la requalification et la reconnaissance de la subordination ;



Considérant que la multiplication des contentieux de ces travailleurs et travailleuses engorge les tribunaux et allonge significativement les délais subis par les justiciables ;



Appelle le Gouvernement à transposer, au plus vite, sans attendre le délai de deux années et de la façon la plus ambitieuse, les dispositions de la directive sur les travailleurs des plateformes numériques, y compris quand ceux-ci sont dans une relation contractuelle avec des intermédiaires, au sens de l’article 3 de la directive ;



Invite le Gouvernement à prendre des mesures de contrôle importantes pour permettre une détermination correcte du statut professionnel, le cas échéant, via l’édiction dans la loi de critères de subordination adossés à la présomption légale de salariat pour toutes et tous les travailleurs de plateformes en proie à un contrôle et une direction ;



Encourage la mise en place de procédures simples et lisibles en faveur de la reconnaissance d’une présomption légale aux travailleuses et aux travailleurs afin de les requalifier, y compris pour satisfaire des enjeux fiscaux et sociaux ;



Estime impératif le renforcement des moyens de l’inspection du travail par le recrutement d’un nombre significatif d’agents de contrôle à même, notamment, d’engager les procédures appropriées à la suite d’un contrôle pour caractériser en droit la présomption de salariat afin de rendre effectifs les articles 4 et 5 de la directive ;



Salue la mise en place d’une véritable régulation applicable aux données personnelles des travailleuses et des travailleurs des plateformes ;



Encourage la mise à la disposition, prévue à l’article 9 de la directive, des systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés des travailleurs, de leurs représentants et des agences de contrôles, seule à même d’ouvrir la boîte noire que constitue la subordination algorithmique ;



S’inquiète qu’il appartienne aux plateformes numériques d’évaluer les risques des systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés et de prendre des mesures protectrices alors que des institutions publiques de contrôle paraissaient toutes indiquées pour le faire ;



Regrette la place qui est laissée aux représentants des travailleurs alors que le dialogue social est erratique, dysfonctionnel et que la représentativité de la diversité des métiers n’est pas garantie au sein de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) ;



Invite le gouvernement à prévoir des procédures de recours et des mesures de sanction en cas de rétention d’information de la part des plateformes numériques, prévues à l’article 17 de la directive ;



Souhaite que des dispositions contraignantes soient prises pour garantir la possibilité pour les travailleurs de se contacter, le cas échéant pour s’organiser et faire valoir leurs droits, de façon sécurisée et sans surveillance, conformément aux exigences de l’article 20 de la directive ;



Invite le Gouvernement à donner toute latitude aux juridictions nationales pour l’accès à des informations confidentielles lorsqu’elles font office de preuve ;



Encourage la mise en place d’une aide juridictionnelle pour les travailleuses et travailleurs de plateformes engagés dans un contentieux en faveur de la reconnaissance de leur statut de salarié ;



Appelle le Gouvernement à prévoir des dispositions fermes contre les représailles, sur fond de discrimination pouvant aller jusqu’au licenciement, qui pourraient être intentées contre les travailleurs des plateformes engagés dans une procédure, contentieuse ou non, visant au respect de leurs droits ;



Souhaite une coopération renforcée entre les autorités compétentes et les juridictions nationales des États membres pour faire respecter les dispositions de la directive ;



Insiste sur la possibilité conférée aux États membres, en vertu de l’article 26 de la directive, « d’appliquer ou d’instaurer des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs des plateformes, ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives qui sont plus favorables aux travailleurs des plateformes, conformément aux objectifs de la présente directive ».

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