Document "pastillé" au format PDF (47 Koctets)
N° 812
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juillet 2016 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d'une commission d' enquête sur le traitement de la violence dans les médias audiovisuels et sur Internet ,
PRÉSENTÉE
Par Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, Patrick CHAIZE, Philippe DALLIER, Henri de RAINCOURT, Mme Catherine DEROCHE, MM. Éric DOLIGÉ, Christophe-André FRASSA, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Marc LAMÉNIE, Jacques LEGENDRE, Mmes Vivette LOPEZ, Brigitte MICOULEAU, MM. Jean-Jacques PANUNZI, Jean-François RAPIN, André REICHARDT, Alain VASSELLE et Mme Élisabeth LAMURE,
Sénateurs
(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis janvier 2015, la France et l'Europe ont payé un lourd tribut au terrorisme, avec des attentats caractérisés par une forme inédite d'ultra-violence. Ce n'est plus l'explosion d'une bombe qui tue des anonymes, mais l'assassinat, de sang-froid et par des moyens sordides, d'hommes, de femmes et d'enfants que le terroriste se plaît à mettre en scène.
La plupart des terroristes ayant sévi ces derniers mois en Europe semblent moins mus par des causes religieuses que par le besoin d'assouvir une soif de violence, qui rencontre, dans un parcours délinquant, le radicalisme islamique. Comme le souligne le politologue Olivier ROY, il s'agit d'une islamisation de l'ultra-violence au moins autant que d'une radicalisation de l'islamisme. Les premiers éléments de l'enquête sur l'auteur de l'attentat de Nice révèlent par exemple un profil psychologique davantage marqué par la violence que par l'islamisme.
Les images, vidéos, bandes sonores et textes diffusés par les médias véhiculent des messages susceptibles de modifier la conception de la valeur de la vie humaine et d'altérer la notion de respect envers l'Autre. Certaines applications, certains jeux vidéos mais aussi des émissions de télévision banalisent les atteintes à la dignité de la personne et assimilent la violence à un acte ludique.
Le blocage administratif des sites internet faisant l'apologie du terrorisme, instauré par la loi contre le terrorisme de novembre 2014, a été facilité par la loi de prorogation de l'état d'urgence de novembre 2015. Par ailleurs, l'article 18 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a constitué en délits pénaux :
- Le fait d'extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l'apologie publique d'actes de terrorisme
- Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie - cette disposition n'étant pas applicable applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.
Mais il manque un cadre plus général de prévention de la diffusion d'une culture de la violence.
Le traitement médiatique pendant et après des attaques terroristes suscite aussi interrogations et réserves, la liberté d'informer et la nécessité de rendre compte de la réalité des exactions étant mise en balance avec le respect dû aux victimes et la volonté de ne pas abonder involontairement dans le sens des terroristes en leur offrant la médiatisation qu'ils recherchent.
Il faut aller plus loin qu'une analyse étroite des publications des médias traditionnels ou internet en relation avec le djihadisme et/ou le salafisme. Une véritable culture de la violence se construit depuis des décennies. Outre le terrorisme islamique, la montée d'une violence débridée est constatée dans de nombreuses autres sphères - on pense notamment à l'assassinat d'Ilan HALIMI par le « gang des barbares » en 2006, ou à celui de Clément MÉRIC par des skinheads en 2013, ou encore à de multiples sordides faits divers.
L'enjeu est aussi transnational. Dès 2005, un rapport « Médias et terrorisme » de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, tout en réaffirmant que le fait de combattre le terrorisme ne doit pas servir de prétexte à une restriction des libertés et droits fondamentaux, invitait les professionnels des médias à élaborer un code de conduite et recommandait une meilleure coopération internationale entre autorités judiciaires et de police pour empêcher la diffusion par des terroristes d'images et de messages illégaux sur l'Internet.
Le débat ne peut se réduire à celui de la censure et de l'ordre moral contre la liberté d'expression. Combattre la banalisation de la violence est une urgence éducative et civique. La survie de nos valeurs républicaine et de notre modèle de société en dépend.
L'audiovisuel et la culture sont des leviers majeurs pour promouvoir nos valeurs communes, dans toute leur modernité. Plutôt que de flatter les bas instincts de domination et de contrainte et l'émotion malsaine des téléspectateurs ou des internautes (notamment parmi les jeunes), les médias peuvent créer une nouvelle culture du respect d'autrui et de la résilience.
Il ne s'agit bien sûr pas de prétendre mettre les médias au pas mais de redéfinir les limites minimales au sein desquelles ils peuvent exercer leur liberté de divertir et d'informer. Ces dernières années ont porté de véritables révolutions en matière d'information - notamment avec l'émergence d'Internet et des médias sociaux. Il est donc logique que de nouveaux codes de conduite soient établis et il est nécessaire que cela fasse l'objet d'un large débat.
La commission d'enquête aura pour objectif de défricher les termes d'une telle réflexion et d'élaborer des préconisations pertinentes.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
En application de l'article 51-2 de la Constitution, de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 6 bis et 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête composée de 21 membres. Celle-ci s'attachera à la fois à évaluer le rôle de la télévision, des médias en ligne et des réseaux sociaux dans la banalisation de la violence extrême et à formuler des propositions, dans le respect de la liberté d'expression et du droit d'informer, pour prévenir des phénomènes mimétiques de radicalisation et d'ultraviolence.