Entraide judiciaire en matière pénale
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PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE AU NOM DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE (1), EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur l'autorisation de signer le projet d'accord entre l'Union européenne, et la République d'Islande et le Royaume de Norvège sur l'application de certaines dispositions de la Convention de 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale et du protocole de 2001 à celle-ci (texte E 2421).
Par M.
Pierre FAUCHON
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois
constitutionnelles,
de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et
d'Administration générale sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le Règlement)
(1) Cette délégation est composée de
: M Hubert
Haenel,
président
; M. Denis Badré,
Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier,
Jean François-Poncet, Lucien Lanier,
vice-présidents
; M. Hubert Durand-Chastel,
secrétaire ;
MM. Bernard Angels, Robert Badinter,
Jacques Bellanger, Jean Bizet, Jacques Blanc, Maurice Blin,
Gérard César, Gilbert Chabroux, Robert Del Picchia,
Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul Emin, Pierre Fauchon,
André Ferrand, Philippe François, Bernard Frimat,
Yann Gaillard, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Aymeri de
Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour, Jean-Marie
Vanlerenberghe, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, N.
____________
Union européenne -
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs
Le Sénat est saisi, au titre de la clause facultative de
l'article 88-4 de la Constitution, d'un projet d'accord en matière
d'entraide judiciaire pénale entre l'Union européenne, d'une
part, et l'Islande et la Norvège, d'autre part.
Ces deux pays se situent dans une situation très particulière,
car bien que n'étant pas membres de l'Union européenne, ils sont
liés par les accords de Schengen, qui ont été
intégrés dans le droit de l'Union par le protocole annexé
au traité d'Amsterdam relatif à l'acquis de Schengen.
Certaines dispositions de la Convention de l'Union du 29 mai 2000 relative
à l'entraide judiciaire en matière pénale, et de son
protocole du 16 octobre 2001, qui constituent un développement de
l'acquis de Schengen, sont donc d'ores et déjà applicables
à ces deux pays.
L'Islande et la Norvège ont exprimé le souhait de conclure un
accord leur permettant d'appliquer aussi les autres dispositions de cette
Convention et de son protocole.
Au départ, ces deux pays voulaient également conclure un accord
portant sur l'extradition, mais la question de l'extension du mandat
d'arrêt européen à ces deux pays est plus délicate,
car elle n'est pas liée à l'acquis de Schengen.
Il a donc été décidé de disjoindre les
négociations sur ces deux projets d'accords et nous sommes
appelés à nous prononcer uniquement sur celui relatif à
l'entraide judiciaire pénale.
Si ce texte ne semble pas soulever de difficultés
particulières sur le fond, il pose en revanche des questions
essentielles sur la procédure, étant donné que le Conseil
a décidé de recourir à l'article 24 du traité
sur l'Union européenne.
Or, la première fois que le Conseil a utilisé la procédure
prévue à l'article 24 du traité sur l'Union
européenne pour conclure des accords avec des pays tiers en
matière de coopération judiciaire pénale, notre
Assemblée avait exprimé de sérieuses réserves sur
cette procédure.
Notre délégation, rejointe par la commission des Lois, avait,
d'ailleurs, demandé au Gouvernement de ne plus accepter le recours
à l'article 24 du traité pour la conclusion d'accords
politiques,
« dans la mesure où cette procédure ne
correspond pas à l'état actuel des traités et ne garantit
pas les conditions nécessaires de sécurité
juridique »
1(
*
)
.
Il est vrai qu'il s'agissait alors de deux projets d'accords entre l'Union
européenne et les États-Unis relatifs à l'entraide
judiciaire pénale et à l'extradition qui soulevaient
également de sérieuses préoccupations sur le fond,
notamment au regard de la protection des droits fondamentaux et de la
construction de l'espace judiciaire européen.
Or, tel n'est assurément pas le cas du présent accord qui vise
à prendre en compte la situation particulière de l'Islande et de
la Norvège et qui représente un progrès, tant en
matière de cohérence juridique, que du point de vue du
renforcement des instruments de coopération judiciaire dans la lutte
contre la criminalité.
Mais si votre rapporteur approuve le contenu de ce projet d'accord, il
considère néanmoins qu'une clarification de la procédure
prévue à l'article 24 est aujourd'hui indispensable compte
tenu des difficultés rencontrées précédemment, en
particulier dans notre pays, et étant donné que le Conseil
envisage de recourir très largement à cette procédure pour
conclure avec d'autres pays tiers des accords de coopération
policière ou judiciaire pénale
2(
*
)
.
Il convient de revenir au préalable sur les difficultés
procédurales soulevées par les accords avec les États-Unis
avant d'aborder le projet d'accord qui nous est soumis.
1. Les difficultés procédurales soulevées par les
projets d'accords en matière d'entraide judiciaire pénale et
d'extradition entre l'Union européenne et les États-Unis
La résolution adoptée par le Sénat à ce sujet, le
23 avril 2003, marquait tout à la fois nos doutes sur la
compétence de l'Union à conclure seule de tels accords et notre
volonté, compte tenu de l'importance politique et du caractère
sensible des dispositions concernées, qu'ils soient soumis à un
débat et à un vote de notre Parlement conditionnant leur
approbation. Et la résolution constatait que seul le concept des
« accords mixtes », conclus au nom de l'Union
européenne et des États membres, permettrait de répondre
à nos préoccupations.
Cette formule de l'« accord mixte » n'a toutefois pas
été retenue par le Conseil des ministres qui a estimé que
l'Union pouvait, à elle seule, conclure de tels accords.
Ces deux accords ont donc été signés entre l'Union
européenne et les États-Unis d'Amérique, le 25 juin
2003. Cependant, lors de la signature, treize États membres (mais pas la
France) ont fait une déclaration d'après laquelle ils ne seront
liés par ces accords que lorsqu'ils auront satisfait à leur
règles constitutionnelles respectives.
Il convient de souligner que c'est également la première fois que
des États membres font usage d'une telle faculté, ouverte
à eux en vertu de l'article 24 § 5 du traité, ce
qui confirme le caractère très particulier de ces deux accords,
par rapport à ceux que l'Union avait conclus précédemment
en matière de politique étrangère et de
sécurité commune.
En raison de ces déclarations, le Conseil a décidé de
procéder en deux étapes : la décision de signature,
qui n'a pas pour effet d'engager l'Union, sera suivie d'une décision de
conclusion de ces accords lorsque les États membres ayant fait une telle
déclaration auront achevé leurs procédures
constitutionnelles.
À cet égard, si la procédure interne d'un État
membre aboutissait à un résultat négatif, son
représentant au sein du Conseil devrait, soit voter contre la conclusion
de l'accord, qui ne pourrait donc pas être conclu en raison de la
règle de l'unanimité, soit s'abstenir. Mais, en tout état
de cause, il découle de l'article 24 que l'État membre ne
serait pas lié par l'accord conclu par l'Union dans un tel cas.
La France a été le seul pays avec la Grèce à ne
pas faire usage de la réserve constitutionnelle prévue à
l'article 24 § 5
. Et encore, la position de la Grèce
s'explique par le fait que ce pays exerçait alors la présidence
de l'Union européenne et que son Parlement était très
hostile à la conclusion de ces accords en raison de l'engagement
américain en Irak. La décision du gouvernement grec de ne pas
soumettre ces accords à l'approbation de son parlement a d'ailleurs
été vivement critiquée par les parlementaires de ce pays.
En effet,
les autres États membres ont considéré que
l'article 24 § 5 leur offrait la possibilité de
procéder à une ratification de ces accords par leur parlement
national.
Ainsi, le gouvernement fédéral allemand a
décidé de soumettre la décision de signature de ces
accords à l'approbation du parlement fédéral, en
application de l'article 59 § 2 de la loi fondamentale relatif
à la ratification d'accords internationaux, bien que l'Allemagne ne soit
pas une partie contractante.
À la différence des autres États membres, notre pays
n'a pas soumis ces accords à ratification parce que le Gouvernement a
cru devoir se ranger à l'interprétation donnée par le
Conseil d'État de l'article 24 § 5
.
Étrangement, et malgré les avis contraires du service juridique
de la Commission européenne et du Conseil, le Conseil d'État a
estimé que la procédure visée à l'article 24
§ 5 avait uniquement pour objet de permettre aux États membres
d'assurer le respect des règles de fond d'ordre constitutionnel ;
il en a déduit qu'elle ne pouvait être invoquée pour
procéder à une ratification parlementaire. Cet avis du Conseil
d'État est d'autant moins convaincant que
le Conseil constitutionnel
avait considéré que l'article 24 du traité
était conforme à la Constitution précisément parce
qu'il prévoyait cette possibilité
3(
*
)
.
Votre rapporteur considère donc que le gouvernement aurait dû,
même si cela ne s'imposait pas, faire usage de la réserve
prévue à l'article 24 § 5 pour
procéder à une ratification parlementaire de ces accords.
Par ailleurs,
les autorités américaines ont elles-mêmes
exprimé des doutes sur la valeur juridique de ces accords et elles ont
demandé de conclure avec chaque État membre des
« instruments écrits » par lesquels les États
membres devront « confirmer » envers les États-Unis
l'application des accords de l'Union européenne
. Les
États-Unis ont indiqué au cours des négociations qu'ils
envisagent de soumettre à ratification au Congrès ces
instruments, ce qui semble indiquer que juridiquement ceux-ci sont
considérés par les autorités américaines comme des
protocoles des deux accords de l'Union.
Votre Rapporteur considère
donc que le Gouvernement devrait également soumettre l'instrument
bilatéral prévu par ces accords à une procédure de
ratification parlementaire.
Comme le souligne le juriste européen Stéphan
Marquardt
4(
*
)
:
«
Du point de vue de l'Union européenne, cette approche
semble remettre en cause la reconnaissance par les États-Unis de sa
capacité de s'engager à leur égard de façon
contraignante ainsi que le lien juridique qui en découle pour les
États membres. En effet, dès lors que ceux-ci sont liés
par des accords conclus par l'Union européenne, on voit mal la
nécessité d'un instrument juridique supplémentaire pour
« confirmer » ces engagements vis-à-vis des
États-Unis (...) ».
« Au vu de ces difficultés, on peut se demander s'il
n'aurait pas été juridiquement plus cohérent, dans le cas
d'espèce, de prévoir une participation des États membres
en tant que parties contractantes également, en d'autres termes de
conclure un accord « mixte » entre l'Union
européenne et ses États membres, d'une part, et les
États-Unis, d'autre part
»
concluait-il, en se
référant expressément à la résolution
adoptée par le Sénat.
Comme votre rapporteur l'avait souligné devant la
délégation pour l'Union européenne le
1
er
avril dernier, cette solution aurait été la
plus cohérente à la fois du point de vue du respect de la
délimitation des compétences entre l'Union et les États
membres et du point de vue du respect des prérogatives
constitutionnelles du Parlement.
2. Le projet d'accord d'entraide judiciaire pénale entre l'Islande et
la Norvège
Là encore, le Conseil a décidé de considérer cet
accord comme un accord de l'Union seule et de procéder en deux
étapes, en séparant la signature et la conclusion de cet accord.
Nous sommes donc saisis d'un projet de décision du Conseil autorisant la
présidence à signer, au nom de l'Union, le projet d'accord avec
l'Islande et la Norvège. Cela explique que le Conseil d'État ait
considéré ce texte comme ne relevant pas du domaine
législatif, à la différence de la conclusion de cet
accord.
Si le gouvernement a décidé de faire usage de la clause
facultative de l'article 88-4 de la Constitution pour solliciter l'avis du
parlement, c'est parce qu'il envisage de ne pas invoquer la réserve
constitutionnelle prévue à l'article 24 § 5 lors
de la signature et donc de ne pas procéder à une ratification
parlementaire de cet accord. Et cela, alors que la plupart des États
membres prévoient de recourir à nouveau à cette
disposition.
Mais la consultation des assemblées au titre de l'article 88-4 de
la Constitution ne saurait constituer un palliatif à l'absence de
ratification parlementaire, étant donné le caractère
dépourvu de valeur contraignante de cette consultation.
Or, votre rapporteur considère que cet accord devrait être
soumis par le Gouvernement, à l'instar de nos partenaires
européens, au Parlement national pour autorisation de ratification.
A cet égard, la solution la plus cohérente, du point de vue du
respect de la délimitation des compétences entre l'Union
européenne et les États membres, serait de considérer cet
accord comme un « accord mixte » devant être conclu
à la fois par l'Union européenne et les États membres.
Mais, si le Gouvernement accepte que cet accord soit conclu par l'Union seule,
il devrait alors faire usage de la déclaration prévue à
l'article 24§5 pour invoquer le respect de ses exigences
constitutionnelles et procéder à une ratification de cet accord.
Il importe de préciser qu'il ne s'agit pas seulement ici d'un
débat théorique mais d'une difficulté majeure susceptible
de remettre en cause l'effectivité même de cet accord. Ainsi,
nonobstant l'avis du Conseil d'État concernant les projets d'accords
entre l'Union européenne et les États-Unis, une mise en cause de
l'effectivité même de ces accords à l'occasion d'un cas
concret n'est pas à exclure, tant du côté des juridictions
des États membres, que du côté des juridictions
américaines.
Pour ces raisons, votre délégation pour l'Union européenne
a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui
suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le projet de décision du Conseil autorisant la signature du projet
d'accord entre l'Union européenne et la République d'Islande et
le Royaume de Norvège sur l'application de certaines dispositions de la
Convention de 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière
pénale et de son protocole de 2001 (texte E 2421),
- Approuve le contenu de cet accord qui permettra d'étendre les
dispositions de la Convention de l'Union relative à l'entraide
judiciaire pénale du 29 mai 2000 et de son protocole du 16 octobre 2001
à ces deux pays ;
- Estime que cet accord est par nature un « accord
mixte », relevant à la fois des compétences de l'Union
et des États membres ;
- Considère, en tout état de cause, que cet accord devrait
être soumis, à l'instar de nos partenaires européens, au
Parlement pour autorisation de ratification.
1
Proposition de résolution
n° 203 et rapport n° 252 de la commission des Lois
présentés par M. Pierre Fauchon.
2
Ainsi, le Conseil envisage d'autoriser la présidence
à négocier, sur la base de l'article 24 du Traité sur
l'Union européenne, des accords sur l'échange d'informations
classifiées avec la Bulgarie, la Roumanie, l'Islande, la Norvège,
la Turquie, le Canada, la Fédération de Russie, l'Ukraine, les
Etats-Unis d'Amérique, la Bosnie et la Macédoine.
3
Cf. J-E. Schoetll, commentaire de la décision 97-394 DC,
Traité d'Amsterdam, 31 décembre 1997, AJDA 1998, p. 135.
4
« La capacité de l'Union européenne de
conclure des accords internationaux dans le domaine de la coopération
policière et judiciaire en matière pénale » in
« Sécurité et justice : enjeu de la politique
extérieure de l'Union européenne », Éditions de
l'Université de Bruxelles, 2003, p. 179 à 194.