Réparation du préjudice causé par la détention provisoire
N°
474
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du
29 juin 2000
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 septembre
2000
PROPOSITION DE LOI
tendant à harmoniser l'
article 626 du code de procédure
pénale
avec les nouveaux articles 149 et suivants du même code,
PRÉSENTÉE
par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT
et les membres du groupe socialiste et apparentés,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Procédure pénale. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Une récente décision de la Commission nationale d'indemnisation
de la détention provisoire, faisant application du cas d'exclusion
prévu à l'article 626 du code de procédure pénale
pour refuser toute réparation à un condamné reconnu
innocent a soulevé à juste titre une légitime indignation
et mis en lumière la nécessité de modifier d'urgence ses
dispositions.
1°) Il y a lieu de mettre en harmonie le texte de cet article avec la loi
n° 2000-516 du 15 juin 2000 : le cas d'exclusion du droit à
indemnisation prévu à l'alinéa premier de cet article 626
contredit le principe fondamental de la charge de la preuve de la
culpabilité en matière pénale qu'il appartient normalement
à la partie poursuivante de rapporter.
Tel est en effet le principe, fondé d'une part sur la règle
«
actor incombit probatio
» elle-même
appliquée par une jurisprudence incontestée, fondé d'autre
part sur le respect de la présomption d'innocence, énoncé
à l'article 9 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme, par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et par
l'article 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales.
Or, en prévoyant un droit à indemnité « à
moins qu'il ne soit prouvé que la non représentation de la
pièce nouvelle ou la non révélation de
l'élément inconnu en temps utile est imputable [au
condamné reconnu innocent] en tout ou en partie », cet
alinéa premier de l'article 626 - outre qu'il ne permet pas même
la prise en compte de l'incapacité matérielle dans laquelle le
condamné a pu se trouver de fournir cette preuve, ni même de son
erreur involontaire, ce qui est en soi déjà extrêmement
choquant - fait donc grief à l'intéressé de n'avoir pas,
et en temps utile, présenté la pièce ou
l'élément qui était propre à l'innocenter.
Le droit à indemnisation est ainsi conditionné par l'obligation
faite à la personne condamnée reconnue innocente d'avoir
elle-même produit, au cours de l'enquête, de l'instruction ou de
l'audience de jugement, la preuve qui la disculpait !
Cette disposition contredit à l'évidence les principes
fondamentaux et constitutionnels rappelés ci-dessus.
Telle que mise en oeuvre récemment, elle contredit en outre le
système judiciaire inquisitoire français, dans lequel il
appartient au juge d'instruction d'instruire tant à charge qu'à
décharge.
Il y a donc impérativement lieu, au regard des règles
fondamentales, de la Déclaration des droits de l'homme, de la
Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme qui
s'imposent à tous, de modifier l'alinéa premier de l'article 626
du code de procédure pénale.
La présente proposition tend donc à substituer à ce cas
d'exclusion du droit à indemnisation, celui prévu à
l'alinéa 2 du nouvel article 149 du même code en matière de
détention provisoire : n'aurait seul pas droit à
indemnité « le condamné qui ne l'a été
que pour des faits dont il s'est librement et volontairement accusé ou
laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur
véritable aux poursuites ».
Sans doute est-ce d'ailleurs par oubli que le texte de l'article 626 du code de
procédure pénale n'a pas été modifié par la
loi du 15 juin 2000 en même temps que l'article 149 du même code.
2°) En modifiant les articles 149 à 149-4 du code de
procédure pénale par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, le
législateur a omis de rectifier en conséquence le
troisième alinéa de l'article 626 du même code qui ignore
la compétence en premier ressort du premier président de la cour
d'appel (et les articles 149-3 et 149-4 nouveaux).
Le II. de l'article 3 de cette proposition vise à y remédier.
De même a-t-il été omis de rectifier le début de
l'article 149 du code de procédure pénale qui fait
référence à l'article 505 du code de procédure
civile, cette disposition étant abrogée et remplacée par
l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire relatif à
la responsabilité du fait du fonctionnement défectueux de la
justice.
C'est ce à quoi le I. de l'article 1
er
de cette proposition
remédie également.
3°) Cette proposition de loi est l'occasion de préciser que la
personne qui a subi une détention provisoire ou qui a été
condamnée à tort, a droit à la réparation
intégrale du préjudice moral et matériel qui en est
résulté pour elle et non simplement à "une
indemnité" que rien n'empêcherait d'être, comme si souvent
dans le passé, arbitraire.
La justice, parce qu'elle est humaine, commet des erreurs. Elle s'honore
à les reconnaître. Elle se doit de les réparer
intégralement.
Il y a donc lieu de substituer dans les articles 149, 149-1 et 626 du code de
procédure pénale, les termes «réparation
intégrale» ou "réparation" aux termes "indemnité" ou
«indemnisation».
Tels sont, Mesdames et Messieurs, les motifs de la proposition de loi qui vous
est soumise.
PROPOSITION DE LOI
Article 1
er
I. - Le
premier alinéa de l'article 149 du code de procédure
pénale est rédigé comme suit :
« Sans préjudice de l'application des dispositions des
alinéas deux et trois de l'article L. 781-1 du code de l'organisation
judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au
cours d'une procédure terminée à son égard par une
décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue
définitive a droit, à sa demande, à réparation
intégrale du préjudice moral et matériel que lui a
causé cette détention ».
II. - Au deuxième alinéa du même article, le mot :
« indemnisation » est remplacé par le mot :
« réparation ».
III. - Le troisième alinéa du même article est ainsi
rédigé :
« Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement
lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander
réparation intégrale de son préjudice, ainsi que des
dispositions des articles 149-1 à
149-3 ».
Article 2
A
l'article 149-1 du même code, tel que modifié par la loi
n° 2000-516 du 15 juin 2000, les mots :
« L'indemnité » est remplacé par les
mots : « La réparation ».
Article 3
I. - Les
trois premiers alinéas de l'article 626 du code de procédure
pénale sont remplacés par quatre alinéas ainsi
rédigés :
« Un condamné reconnu innocent en application du
présent titre a droit à réparation intégrale du
préjudice matériel et moral que lui a causé la
condamnation.
« Toutefois, aucune réparation n'est due dès lors que
le condamné ne l'a été que pour des faits dont il s'est
librement et volontairement accusé ou laissé accuser à
tort en vue de faire échapper l'auteur véritable aux poursuites.
« Dans les mêmes conditions, toute personne justifiant du
préjudice que lui a causé la condamnation peut en demander
réparation intégrale.
« A la demande de l'intéressé, le préjudice est
évalué par expertise contradictoire réalisée dans
les conditions des articles 156 et suivants ».
II. - Le troisième alinéa du même article est ainsi
rédigé :
« La réparation est allouée dans les conditions et
selon la procédure prévues par les articles 149-1 à 149-4.
Si la personne en fait la demande, la réparation peut également
être allouée par la décision dont son innocence
résulte. Devant la cour d'assises, la réparation est
allouée par la cour statuant, comme en matière civile, sans
l'assistance des jurés ».
III. - Au quatrième alinéa du même article, le mot :
« indemnité » est remplacé par le mot :
« réparation ».