N° 407
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE
1999-2000
Annexe au procès-verbal
de la séance du 8 juin 2000
PROPOSITION DE LOI
tendant à la reconnaissance
de la Langue des signes française,
PRÉSENTÉE
par MM. Guy FISCHER, Roland
MUZEAU, Jean-Yves AUTEXIER,
Mme Marie-Claude BEAUDEAU,
M. Jean-Luc BECART, Mmes Danielle
BIDARD-REYDET, Nicole
BORVO, MM. Robert BRET, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE,
Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR
et Mme Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission
des Affaires culturelles sous réserve de la constitution
éventuelle
d'une commission spéciale dans les conditions prévues par
le Règlement).
Handicapés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
LES PERSONNES SOURDES DOIVENT
POUVOIR JOUIR EFFECTIVEMENT DES DROITS RECONNUS PAR LA DÉCLARATION
UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME.
NOTRE SOCIÉTÉ
A LE DEVOIR DE METTRE EN _UVRE TOUS LES MOYENS NÉCESSAIRES AUX PERSONNES
ATTEINTES DE SURDITÉ POUR S'ÉPANOUIR NORMALEMENT ET PRENDRE
LA PLACE QUI LEUR REVIENT DANS LA VIE SOCIALE.
CE DEVOIR RÉSULTE,
EN EFFET, D'UNE OBLIGATION MORALE ET HUMAINE À L'ÉGARD DE
CEUX QU'UNE DÉFICIENCE AUDITIVE DE NAISSANCE OU SURVENUE
ULTÉRIEUREMENT
PEUT AFFECTER DANS LEUR DÉVELOPPEMENT ET LEUR EXISTENCE.
IL TROUVE AINSI SON ORIGINE
DANS LA NÉCESSITÉ SOCIALE. PLUSIEURS CENTAINES DE MILLIERS
DE PERSONNES SONT DIRECTEMENT CONCERNÉES PAR LA SURDITÉ.
NOTRE PAYS NE PEUT SE PRIVER, SANS DOMMAGE, DE L'APPORT D'UN POTENTIEL
HUMAIN SI IMPORTANT, DONT LA CARACTÉRISTIQUE PARTICIPE DE LA
DIVERSITÉ
DE LA POPULATION ET PAR CONSÉQUENT L'ENRICHIT.
CE DEVOIR EXIGE, AUJOURD'HUI,
LA PLEINE RECONNAISSANCE DE LA LANGUE DES SIGNES FRANÇAISE ET LA
MISE EN _UVRE DES MOYENS AUTORISANT SON DÉVELOPPEMENT.
SI TEL EST L'OBJET DE CETTE
PROPOSITION DE LOI, IL CONVIENT TOUT DE SUITE D'EN PRÉCISER LA
PHILOSOPHIE.
LES MÉTHODES ET TECHNIQUES PÉDAGOGIQUES EN DIRECTION DES
PERSONNES SOURDES ONT ÉTÉ LE SUJET D'UN VASTE DÉBAT
HISTORIQUE CHEZ TOUS CEUX QU'INTÉRESSENT LES PROBLÈMES DE
LA SURDITÉ.
CE DÉBAT, QUOIQUE
DANS CES CONDITIONS DIFFÉRENTES, EXISTE TOUJOURS. IL NE SAURAIT
ÊTRE QUESTION, ICI, DE LE TRANCHER. PAR AILLEURS, IL EST AU CONTRAIRE
TOUT À FAIT SOUHAITABLE QUE CE DÉBAT SE POURSUIVE.
CETTE PROPOSITION S'INSCRIT,
EN FAIT, DANS UNE PERSPECTIVE D'ACCROISSEMENT DE LA LIBERTÉ POUR
LES PRINCIPAUX INTÉRESSÉS : LES PERSONNES SOURDES.
IL S'AGIT DE LEVER DÉFINITIVEMENT
UN INTERDIT POUR RÉPONDRE À UNE DEMANDE CROISSANTE PARMI
LES PERSONNES SOURDES.
POUR DES RAISONS HISTORIQUES,
LES PERSONNES SOURDES ONT LONGTEMPS ÉTÉ PRIVÉES D'UN
DES MOYENS DE COMMUNIQUER ET DE S'ÉDUQUER QUI PEUT S'OFFRIR À
EUX.
CE MOYEN, C'EST UN LANGAGE
GESTUEL SPÉCIFIQUE, APPELÉ LA LANGUE DES SIGNES FRANÇAISE
: LA LSF.
APRÈS AVOIR CONNU
UN GRAND DÉVELOPPEMENT DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU
XIXE, IL A ÉTÉ INTERDIT, À L'INSTIGATION DES COUCHES
SOCIALES DOMINANTES, DANS LES ÉCOLES DE SOURDS À PARTIR DE
1880 ET SON UTILISATION CONDAMNÉE, REJETÉE AVEC MÉPRIS.
SI, AUJOURD'HUI, CETTE INTERDICTION
N'EXISTE PLUS FORMELLEMENT, SI LA LSF A COMMENCÉ À FAIRE
SON ENTRÉE DANS CERTAINS ÉTABLISSEMENTS DE JEUNES SOURDS,
À LA TÉLÉVISION, DANS CERTAINES ADMINISTRATIONS, CE
LONG REJET, CETTE CONDAMNATION PÈSENT ENCORE TRÈS LOURD.
LES JEUNES SOURDS N'ONT
PAS LA GARANTIE DE POUVOIR BÉNÉFICIER DE LA LSF. LES PERSONNES
SOURDES PLUS ÂGÉES N'ONT PAS TOUJOURS LA POSSIBILITÉ
DE RECOURIR À UN TRADUCTEUR DE LSF POUR ACQUÉRIR UNE FORMATION
SUPÉRIEURE, PROFESSIONNELLE, OU EXERCER CERTAINS DE LEURS DROITS.
PLUS GÉNÉRALEMENT, L'EXPRESSION PAR GESTE RESTE MAL ACCUEILLIE.
*
* *
TELLES SONT LES RAISONS QUI
NOUS CONDUISENT AUJOURD'HUI À VOUS PRÉSENTER CETTE PROPOSITION
DE LOI.
CELLE-CI CONSACRE LA RECONNAISSANCE
DE LA LSF COMME UNE LANGUE À PART ENTIÈRE, DONT LA
SPÉCIFICITÉ,
LA VALEUR CULTURELLE ET PÉDAGOGIQUE PROPRE DOIVENT ÊTRE
PROTÉGÉES
CONTRE TOUTE DISCRIMINATION.
MAIS LA PROPOSITION DE LOI
ORGANISE AUSSI LES CONDITIONS CONCRÈTES DE CETTE RECONNAISSANCE
AU TRAVERS DU SYSTÈME DE FORMATION À LA DISPOSITION DES PERSONNES
SOURDES. INSPIRÉE PAR LA VOLONTÉ D'ÉTENDRE LA
LIBERTÉ
DES INTÉRESSÉS, ELLE PRÉVOIT NOTAMMENT QUE L'ENSEIGNEMENT
DE LSF, ET PAR LA LSF, DE LA MATERNELLE À L'UNIVERSITÉ EST
FACULTATIF, OPTIONNEL ET DE DROIT.
C'EST-À-DIRE QU'ELLE
CONFIE AUX FAMILLES OU AUX INTÉRESSÉS EUX-MÊMES LE
CHOIX DE RECOURIR À LA LSF, MAIS QU'ELLE FAIT UN DEVOIR À
L'ETAT DE RÉPONDRE À LEUR DEMANDE.
LA PROPOSITION DE LOI DÉFINIT,
PAR AILLEURS, UN CERTAIN NOMBRE DE MOYENS EXTRA-ÉDUCATIFS POUR FAVORISER
LA PROMOTION DES PERSONNES SOURDES ET LEUR GARANTIR LA POSSIBILITÉ
DE RECOURIR À LA LSF POUR EXERCER LEURS DROITS DE CITOYENS.
AVEC LE MÊME SOUCI
D'ACCROÎTRE LA LIBERTÉ DES PERSONNES SOURDES ET DE PERMETTRE
LE PROGRÈS LE PLUS RAPIDE DE LEUR CONDITION, LA PROPOSITION CRÉE,
ENFIN, UNE INSTANCE DE DISCUSSION PERMANENTE DES PROBLÈMES
SPÉCIFIQUES
AUX PERSONNES SOURDES, COMPOSÉE DES REPRÉSENTANTS DE TOUS
LES INTÉRESSÉS :
- LES ARTICLES 1ER ET 2
CONSACRENT LA RECONNAISSANCE DE LA LSF COMME LANGAGE SPÉCIFIQUE
DES PERSONNES SOURDES ET VISENT À INTERDIRE TOUTE DISCRIMINATION
PRENANT COMME PRÉTEXTE L'USAGE DE CE LANGAGE ;
- LES ARTICLES 3, 4, 5,
6 ET 7 TIRENT LES CONSÉQUENCES DE CETTE RECONNAISSANCE POUR
L'ÉDUCATION
DES JEUNES SOURDS ET LA FORMATION DES PERSONNES ADULTES SOURDES ;
- L'ARTICLE 8 PRÉVOIT
LA CRÉATION D'UN CORPS D'INTERPRÈTES LSF ;
- L'ARTICLE 9 ORGANISE LES
CONDITIONS D'UN DÉBAT PERMANENT ENTRE TOUS CEUX QU'INTÉRESSENT
LA SURDITÉ ET LA CONDITION DES PERSONNES SOURDES ;
- L'ARTICLE 10, ENFIN, CONCERNE
L'EFFORT QUE DOIT ENTREPRENDRE L'ETAT POUR FAVORISER LA PROMOTION CULTURELLE,
PROFESSIONNELLE ET SOCIALE DES PERSONNES SOURDES.
NOUS VOUS DEMANDONS, MESDAMES,
MESSIEURS, DE BIEN VOULOIR ADOPTER LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
La République française reconnaît
l'existence et la valeur culturelle et pédagogique de la Langue
des signes française, langage spécifique des personnes sourdes
et malentendantes.
Tout acte discriminatoire fondé
sur l'emploi de cette langue est passible des peines édictées
par la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte
contre le racisme.
Article 2
L'Etat garantit aux personnes sourdes et
malentendantes la possibilité d'utiliser la LSF pour exercer l'ensemble
de leurs droits de citoyens.
A cet effet, la présence d'un interprète
au sein de chaque administration et chaque service public est un droit.
Article 3
L'enseignement de la LSF et l'enseignement
par la LSF à titre de première langue avec le français
écrit et oral est facultatif, optionnel et de droit, de la maternelle
à l'Université.
Il incombe à l'Etat de mettre en
_uvre les moyens de répondre aux demandes en ce sens des personnes
sourdes ou malentendantes et des familles concernées.
Article 4
L'enseignement de la LSF ou en LSF est assuré par des enseignants sourds ou entendants, munis de diplômes de l'Education nationale et ayant reçu une formation leur assurant la maîtrise de la LSF.
Article 5
Les enseignants de LSF, enseignants entendants ou malentendants, seront dotés d'un statut déterminé par le ministre de l'Education nationale après consultation des intéressés. Des mesures seront mises en _uvre dans un délai de cinq ans pour que ces enseignants puissent acquérir une formation sanctionnée par un diplôme de l'Education nationale.
Article 6
Discipline universitaire, la LSF est l'objet de recherches de haut niveau.
Article 7
L'Etat garantit aux personnes sourdes et malentendantes le recours à la LSF dans le cadre de la formation professionnelle.
Article 8
Un corps d'interprètes en LSF doté d'un statut déterminé par décret est créé pour répondre aux besoins des personnes sourdes et malentendantes dans l'exercice de leurs droits conformément à l'article 2 de la présente loi et dans le cadre de l'Education nationale et de la formation professionnelle.
Article 9
Une commission permanente composée
de représentants des personnes sourdes, de parents d'enfants sourds
et de professionnels est consultée sur l'ensemble des questions
intéressant les personnes sourdes et malentendantes.
Cette commission peut saisir le Gouvernement
de l'ensemble des problèmes concernant les personnes sourdes et
malentendantes et proposer des mesures nécessaires pour faire
évoluer
leur condition.
Article 10
En liaison avec les associations et les organismes concernés, l'Etat impulse une politique de promotion culturelle, professionnelle en faveur des personnes sourdes et malentendantes.
Article 11
Les dépenses engendrées par
la présente proposition sont compensées, à due concurrence,
par un prélèvement sur les bénéfices des entreprises
titulaires, cessionnaires ou sous-traitantes de marchés publics
de fournitures passés avec le ministère de l'Education nationale.
Sauf justification contraire, le bénéfice passible du
prélèvement
est déterminé en appliquant au bénéfice total
le rapport constaté entre la fraction du chiffre d'affaires correspondant
aux marchés imposables et le chiffre d'affaires total de l'entreprise.
Ce prélèvement est égal
:
- à 50 % de la fraction du bénéfice
comprise entre 3 % et 6 % du chiffre d'affaires ;
_ à 75 % de la fraction du bénéfice
supérieur à 6 % au chiffre d'affaires.