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N° 576
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juin 2012 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l' embryon et les cellules souches embryonnaires ,
PRÉSENTÉE
Par MM. Jacques MÉZARD, Gilbert BARBIER, Mme Anne-Marie ESCOFFIER, MM. Jean-Michel BAYLET, Alain BERTRAND, Christian BOURQUIN, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Jean-Pierre PLANCADE, Jean-Claude REQUIER, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les cellules souches embryonnaires proviennent de l'embryon humain au tout premier stade de son développement, entre cinq jours et demi et sept jours et demi après la fécondation. Ces cellules sont dites « pluripotentes », c'est-à-dire qu'elles peuvent être à l'origine de presque tous les types cellulaires. Au cours du développement, elles ont vocation à former tous les tissus de l'organisme. Les recherches scientifiques sont menées sur des cellules embryonnaires ne faisant plus l'objet d'un projet parental, dont les parents ont souhaité en faire don à la recherche.
Les premières lois de bioéthique, en 1994, avaient posé le principe d'une interdiction absolue des recherches à partir d'embryons humains conçus in vitro. En 2004, le législateur avait autorisé, pour cinq ans, des dérogations sous conditions de progrès thérapeutiques majeurs. Depuis, cinquante-huit protocoles de recherche ont été autorisés par l'Agence de biomédecine.
Malgré des résultats scientifiques importants, la loi n °2011-814 du 7 juillet 2011 a maintenu ce régime d'interdiction avec dérogation, sans limitation de durée.
Pourtant, l'Agence de la biomédecine avait affirmé, dans un rapport remis au ministre chargé de la santé 1 ( * ) en octobre 2008, qu'un régime d'autorisation pérenne présentait les mêmes garanties en matière de sérieux.
De la même façon, le Conseil d'État, dans un avis de mai 2009 2 ( * ) , préconisait l'adoption d'un régime d'autorisation reposant sur des conditions strictes analogues à celles prévues en 2004, c'est-à-dire pertinence scientifique, perspective de progrès thérapeutiques majeurs, impossibilité de mener la recherche à l'aide d'autres cellules et respect des principes éthiques.
Cette position est également partagée par l'Académie Nationale de Médecine qui, dans plusieurs rapports 3 ( * ) , a rappelé que l'interdiction de la recherche sur l'embryon ne pouvait être maintenue par principe et a souhaité que les recherches sur les embryons surnuméraires sans projet parental puissent être conduites à des fins médicales ou scientifiques.
Enfin, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques 4 ( * ) estime qu'il n'est pas pertinent de maintenir un principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires : « Prôner un interdit pour en organiser la transgression revient à stigmatiser les chercheurs qui conduisent ces recherches. C'est une forme indirecte d'atteinte à la liberté de la recherche sans réelle justification. Un régime d'autorisation encadrée par l'Agence de la biomédecine est plus adapté à la réalité scientifique, et tout aussi protecteur de l'embryon ».
Le régime mis en place depuis 2004, impliquant des procédures très lourdes pour obtenir une autorisation exceptionnelle, a gêné les chercheurs français, leur a fait prendre un retard important sur les autres pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, le Japon ou Singapour qui ont des années d'avance aussi bien pour ce qui concerne la formation que la maitrise technique ou l'analyse des résultats. Dans ces pays, le nombre d'équipes qui travaillent sur les cellules souches embryonnaires est beaucoup plus important qu'en France.
Il n'est pas possible de maintenir un régime qui pose un principe d'interdiction d'une part, et les conditions qui permettre de s'y soustraire, d'autre part. L'image de la France et le travail de nos scientifiques souffrent de cette incohérence.
La loi de 2011 a par ailleurs renforcé les contraintes des scientifiques puisque la nouvelle rédaction de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique exclut explicitement la recherche sur les lignées de cellules souches embryonnaires. Elle prévoit également que les chercheurs doivent expressément apporter la preuve qu'il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d'une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches. Les scientifiques doivent donc engager des programmes de recherche longs et coûteux pour explorer toutes les hypothèses alternatives.
Or, la recherche sur les cellules souches embryonnaires est porteuse d'espoir et ne cesse de susciter l'intérêt des chercheurs en raison de leur potentiel thérapeutique considérable. Les résultats obtenus depuis treize ans dans le monde et depuis six ans en France sont très encourageants. Maintenir un régime d'interdiction, même assorti de dérogations, reviendrait à nier ces avancées.
La présente proposition de loi a donc pour objet de réécrire l'article L. 2151-5 du code de la santé publique afin de substituer au régime actuel d'interdiction assorti de dérogations, un régime d'autorisation encadrée de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.
Le I substitue un régime d'autorisation encadrée à un régime d'interdiction assorti de dérogations. Les recherches ne pourront être autorisées que si la pertinence scientifique de la recherche est établie, si la recherche s'inscrit dans une finalité médicale, s'il est impossible, en l'état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons et enfin si le projet et les conditions de mise en oeuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.
Le II concerne les modalités de consentement aux recherches du couple dont les embryons sont issus. Il supprime l'information des parents sur la nature des recherches envisagées.
Le III modifie les modalités d'intervention de l'Agence de la biomédecine et des ministres chargés de la santé et de la recherche dans l'autorisation de recherche sur l'embryon ou les cellules souches embryonnaires. Il permet aux ministres, dans un délai d'un mois et conjointement, de demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision, lorsqu'il y a un doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d'un protocole autorisé, ou encore dans l'intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L'Agence de la biomédecine procédera à un nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation ou le refus du protocole seront réputés acquis.
Le IV réaffirme que les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.
Le V supprime notamment le caractère exceptionnel des études sur les embryons.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L'article L. 2151-5 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 2151-5 . - I. - Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si :
« 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ;
« 2° La recherche s'inscrit dans une finalité médicale ;
« 3° Il est impossible, en l'état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons ;
« 4° Le projet et les conditions de mise en oeuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.
« II. - Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. À l'exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas débuté.
« III. - Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. La décision de l'agence, assortie de l'avis du conseil d'orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d'un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :
« 1° En cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d'un protocole autorisé. L'agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;
« 2° Dans l'intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L'agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.
« En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l'autorisation, l'agence suspend l'autorisation de la recherche ou la retire.
« IV. - Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.
« V. - Les études sur les embryons ne leur portant pas atteinte peuvent être conduites avant et après leur transfert à fin de gestation, si le couple y consent, dans les conditions fixées au III du présent article. »
* 1 « Bilan d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 », Rapport d'octobre 2008 de l'Agence de la biomédecine
* 2 « La révision des lois de bioéthique », étude du Conseil d'État, Documentation française , mai 2009
* 3 Rapport du 22 juin 2010, « Réflexions relatives au rapport d'information n° 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique » de Yves CHAPUIS, Pierre JOUANNET et Raymond ARDAILLOU et rapport du 6 décembre 2010, « Remarques sur le projet de loi n° 2911 relatif à la bioéthique présenté au conseil des ministres le 20 octobre 2010 »
* 4 Rapport n° 652 (2009-2010) du 8 juillet 2010 « La recherche sur les cellules souches » d'Alain CLAYES et Jean-Sébastien VIALATTE