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N° 347
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 mars 2010 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à supprimer le caractère automatique et obligatoire pour les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes de l' inscription aux ordres professionnels les concernant,
PRÉSENTÉE
Par MM. Guy FISCHER, François AUTAIN, Mmes Annie DAVID, Gélita HOARAU, Isabelle PASQUET, Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, M. Robert HUE, Mmes Marie-Agnès LABARRE, Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Gérard LE CAM, Mme Odette TERRADE, M. Ivan RENAR, Mme Mireille SCHURCH, MM. Bernard VERA et Jean-François VOGUET,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les auteurs de cette proposition de loi qui tend à limiter le champ de compétence des ordres des infirmiers et des masseurs-kinésithérapeutes aux seuls libéraux, demeurent opposés à la création de ces ordres et aux missions qui leur sont confiées.
Toutefois, il leur a semblé qu'une proposition de loi supprimant les ordres professionnels n'aurait, malgré la mobilisation des professionnels salariés concernés, que peu de chances d'aboutir alors qu'une proposition de loi destinée à supprimer le caractère obligatoire de l'adhésion pour les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes salariés pourrait recueillir une majorité de suffrages. En effet, un certain nombre de parlementaires, y compris de la majorité, considèrent que les dispositions introduites dans la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » constituent une erreur. Tel est le cas du député Yves BUR qui, au travers de la proposition de loi qu'il a déposée avec quatre de ses collègues, poursuit le même objectif, même si les auteurs de cette proposition de loi regrettent qu'elle se limite aux seuls infirmiers, n'abordant pas la question de l'adhésion obligatoire des masseurs-kinésithérapeutes salariés.
Cette proposition de loi est un premier pas vers la reconnaissance légitime des attentes des professionnels salariés mais ne constitue pas pour autant l'acceptation des ordres professionnels en tant que tels.
Les professions paramédicales, notamment celles de masseur-kinésithérapeute et d'infirmier, connaissent depuis plusieurs années d'importants bouleversements qui sont le fruit d'un accroissement légitime des populations à une offre de soins de qualité et à coûts abordables - particulièrement en période de crise où les mouvements de mutualisation commencent à se faire connaître - mais aussi, dans le même temps, d'une réorganisation hospitalière publique, marquée principalement par la prédominance de la gestion comptable. Cela prend notamment la forme de la RGGP qui fixe clairement pour objectif le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux à la retraite, fonction publique hospitalière comprise.
Pourtant, chacun s'accorde à le dire, les établissements de santé, principalement publics, sont déjà sous-dotés en personnels paramédicaux.
Mais au-delà même des ces deux éléments - attentes croissantes des populations et contraintes économiques pesantes - d'autres facteurs ont des conséquences sur celles et ceux, infirmiers ou masseurs-kinésithérapeutes qui ont fait le choix d'exercer au sein des établissements publics de santé.
Tel est notamment le cas des différentes mesures adoptées dans la loi « HPST » qui, en faisant le choix de privatiser les établissements publics de santé, mission par mission, sont encore venues amoindrir la notion de service public de santé. Cette loi semble d'une certaine manière venir parachever - au regard des personnels concernés du moins - les dispositions prévues dans la loi de 2004 créant l'ordre national des masseurs-kinésithérapeutes et la loi de 2006 portant création de l'ordre national des infirmiers.
Cette création s'est accompagnée du transfert de certaines missions jusqu'alors confiées aux pouvoirs publics vers les ordres ainsi créés.
Tel est le cas des missions d'enregistrement des diplômes et de délivrance de l'autorisation d'exercer qui seront prochainement confiées aux ordres, alors qu'elles relèvent aujourd'hui des DDASS. Ces dernières constatent la validité des diplômes présentés et attribuent un numéro d'inscription au fichier ADELI. Ces registres ADELI sont de grande importance dans la mesure où ils permettent aux DDASS de fixer le «numerus clausus » d'étudiants à former dans chaque département et dans chaque discipline. Cela permet également aux DDASS de pouvoir disposer de tous les renseignements utiles en cas de déclanchement des plans blancs ou rouges.
Or, cette mission d'enregistrement, gratuite jusqu'alors, est aujourd'hui confiée aux ordres, moyennant une contribution financière des seuls professionnels concernés, de 75 euros, correspondant à l'adhésion à l'ordre. Cela donne l'impression que les personnels paramédicaux financent seuls une véritable mission de service public et sont contraints de s'acquitter d'un impôt pour pouvoir être autorisés à exercer.
Mais d'une manière plus globale, ce transfert de mission s'inscrit dans un contexte marqué par la volonté du Gouvernement de réduire les dépenses publiques et de multiplier, partout où cela est possible, la privatisation de ce qui était hier ses missions. Il suffit pour s'en convaincre d'observer la manière avec laquelle le Gouvernement a, dans la loi « HPST », procédé à la suppression du service public hospitalier pour le remplacer par la possibilité de confier aux cliniques commerciales les missions de service public.
De la même manière, la suppression des DDASS, absorbées par les agences régionales de santé (ARS) exige que ses anciennes missions (l'enregistrement des diplômes et l'autorisation d'exercer) soient déléguées et, de préférence, à un organisme privé (les ordres).
Par ailleurs, la loi de 2004 ainsi que celle de 2006 ont fait le choix de rendre obligatoire - puis automatique avec la loi HPST - l'adhésion de tous les masseurs-kinésithérapeutes et infirmiers aux ordres professionnels les concernant, et ce y compris pour les personnels relevant de la fonction publique hospitalière.
D'une manière symbolique, c'est l'aveu que pour le Gouvernement, l'exercice libéral est identique à l'exercice salarié au sein d'un établissement public, théorie que les auteurs de cette proposition de loi ne partagent pas, particulièrement au regard des missions différentes qu'ils accomplissent. Cette assimilation fait craindre aux organisations syndicales qu'à l'avenir, les gestionnaires d'établissements de santé, y compris publics, ne fassent le choix de renoncer à la titularisation d'infirmiers, préférant recourir, comme cela est le cas pour les médecins, à des vacations à l'acte, présumées plus rentables même si elles ont pour effet de supprimer l'approche globale du patient, pourtant gage de qualité.
De leur côté, les professionnels concernés sont eux-mêmes majoritairement opposés à ces ordres. Lors des élections ordinales de 2007 pour l'ordre des infirmiers, 87 % du corps électoral a décidé de ne pas participer au vote, considérant que cet ordre, bien que légalement constitué, ne représentait pas la profession et ne correspondait pas à ses attentes. Il faut dire que la profession d'infirmier ne compte que 14 000 libéraux, pour 450 000 salariés.
De la même manière, les masseurs-kinésithérapeutes salariés ont majoritairement refusé de participer aux élections les concernant, et malgré les procédures judiciaires et recours contentieux engagés à leur encontre, moins d'un tiers aurait adhéré à l'ordre.
Si la forme ordinale peut paraître adaptée pour des professionnels libéraux - ce dont doutent par ailleurs les auteurs de cette proposition de loi - elle apparaît par contre, au mieux, superfétatoire pour des professionnels salariés.
En effet, infirmiers comme masseurs-kinésithérapeutes relèvent déjà lorsqu'ils sont salariés d'un établissement de santé, d'un statut et d'une convention collective précisant les conditions d'exercice de leur profession. L'idée selon laquelle ces professionnels auraient besoin aujourd'hui d'un code de déontologie nous semble fausse. Elle est même dangereuse dans la mesure où les infractions aux dispositions prévues dans ce code et entraînant la sanction du professionnel pourraient relever non de la responsabilité du professionnel lui-même, mais d'un défaut d'organisation du service, du non-respect de l'obligation de moyens imputable à l'établissement ou encore de la faute d'un autre agent de l'établissement.
Pour faire simple, le code de déontologie, qui justifie pour beaucoup la création de cet ordre, constitue une méconnaissance des spécificités de l'exercice salarié de la profession, qui rend le professionnel responsable de décisions qu'il n'a pas prises et qu'il n'est pas en mesure d'influencer.
Par ailleurs, les sanctions prononcées par l'ordre à l'encontre des professionnels salariés risquent de venir s'ajouter à d'autres sanctions déjà prononcées, à l'image des sanctions administratives prononcées par l'établissement employeur (en cas d'établissement public de santé) ou pénales potentiellement prononcées, résultant d'une action du patient ou de sa famille.
Cela témoigne de l'inopportunité d'appliquer à des professionnels salariés, des dispositifs jusqu'alors applicables à des libéraux. La loi doit prévoir - comme elle le fait pour les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes du service de santé des armées - que dans des cas particuliers, comme l'exercice de la profession d'infirmiers ou de masseurs-kinésithérapeutes salariés, les obligations relatives à l'ordre ne s'appliquent pas.
Tel est au demeurant le sens de l'ordonnance de référé prononcé le 28 mai dernier par le Tribunal de Grande Instance de Toulouse. En effet, le Conseil départemental de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes de la Haute-Garonne, qui reprochait à un cadre de santé d'un établissement public de santé de pratiquer illégalement la profession de masseur-kinésithérapeute au motif qu'il n'avait pas respecté l'obligation d'adhérer à l'ordre, a saisi le TGI de Toulouse qui l'a débouté. Celui-ci a considéré que l'exercice particulier de la profession de « cadre masseur-kinésithérapeute » d'un établissement public de santé sans avoir satisfait à l'obligation d'adhésion à l'ordre national des masseurs-kinésithérapeutes ne constituait pas un exercice illégal de la profession.
Avec cet arrêt, la voie est ouverte pour une véritable reconnaissance de la spécificité de l'exercice salarié, justifiant que par dérogation au droit commun, les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes puissent librement décider d'adhérer ou non à l'ordre dont ils dépendent.
Tel est l'objet de cette proposition de loi, dont l' article premier vise à rendre facultative l'adhésion à l'ordre pour les infirmiers employés par des structures publiques et privées. L' article 2 prévoit quant à lui les mêmes dispositions pour les masseurs-kinésithérapeutes salariés.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
I. - L'article L. 4311-15 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° À la première phrase du sixième alinéa, après les mots : « premier alinéa et », sont insérés les mots : « pour les infirmiers souhaitant exercer à titre libéral » ;
2° Les septième et huitième alinéas sont supprimés.
II. - Au premier alinéa de l'article L. 4312-1 du même code, après les mots : « à l'exception de ceux », sont insérés les mots : « qui sont employés par des structures publiques et privées et de ceux ».
Article 2
I. - L'article L. 4321-10 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Au sixième alinéa, après les mots : « à l'exception de ceux », sont insérés les mots : « qui sont employés par des structures publiques et privées et de ceux » ;
2° Les neuvième et dixième alinéas sont supprimés.
II. - À l'article L. 4321-13 du même code, après les mots : « à l'exception des masseurs-kinésithérapeutes », sont insérés les mots : « employés par des structures publiques et privées et de ceux ».