Définition du licenciement économique
N°
256
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 février 2002
PROPOSITION DE LOI
relative à l'
article
107
de la
loi
de
modernisation sociale,
PRÉSENTÉE
Par Mme Nicole BORVO, MM. Roland MUZEAU, Guy FISCHER, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Pierre BIARNES, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON, MM., Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE et M. Paul VERGÈS,
Sénateurs.
( Renvoyée à la commission des Affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement ).
Politique sociale. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
C'est à l'heure où le nombre de personnes victimes du
chômage augmente de nouveau dans notre pays, sous l'effet notamment des
licenciements économiques qui ont cru de 38,2% en 2001, que le Conseil
constitutionnel a censuré l'article 107 de la loi de modernisation
sociale.
Adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, cet
amendement soutenu par le groupe des députés communistes avait
précisément pour objectif d'empêcher les licenciements pour
motifs boursiers. Les députés de la majorité plurielle, en
accord avec le gouvernement, ont en effet modifié l'article L. 321-1 du
Code du travail portant sur la définition du licenciement
économique. Devant les pratiques abusives de dirigeants d'entreprises
qui n'hésitent pas à supprimer des emplois à la seule fin
de répondre aux surenchères financières dictées par
des actionnaires prédateurs, la représentation nationale a
souhaité limiter les motifs de licenciements économiques à
trois cas précis : quand la société est
confrontée « soit à des difficultés
économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par
tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause
la pérennité de l'entreprise, soit à des
nécessités de réorganisation indispensables à la
sauvegarde de l'activité de l'entreprise ».
En légiférant de la sorte, les élus du peuple se sont
inspirés de la jurisprudence qui, ces dernières années, a
mis un frein à des décisions patronales injustifiées. Ils
ont souhaité, au-delà, renforcer les garanties individuelles et
collectives des salariés en améliorant le droit actuel, en allant
au-delà du contrôle de la cause économique du licenciement.
A diverses reprises, les juridictions saisies ont estimé que le
licenciement ne pouvait reposer sur le seul désir de l'employeur
d'augmenter ses profits et de remettre en cause une situation acquise
jugée trop favorable au personnel, ou encore sur la volonté de ce
même employeur de privilégier le niveau de rentabilité de
l'entreprise au détriment de la stabilité de l'emploi.
Les députés ont donc inscrit dans la loi une avancée du
droit social, au moment même où la Cour de cassation manifestait
son intention de revenir sur cette lecture positive. C'est dans ce contexte que
les membres du Conseil constitutionnel ont pris parti. Sans
considération pour la protection des intérêts des
citoyens-salariés, ils ont brutalement invalidé l'article 107.
Dans leur décision du 12 janvier 2002, les neuf
« sages », nommés de façon
discrétionnaire, invoquent, au mépris du « droit de
chacun d'obtenir un emploi » explicitement reconnu dans le
préambule de 1945, une atteinte manifestement excessive à la
liberté d'entreprendre. Un tel principe ne figure pourtant dans aucun
texte ou préambule constitutionnel. Il a été
créé par le Conseil constitutionnel
ex-nihilo
, à sa
convenance et sans consultation ni contrôle parlementaire.
La plupart des praticiens du droit social contestent d'ailleurs la pertinence
juridique d'une interprétation qui relève d'
a priori
politiques. Faut-il rappeler l'appel à
« l'ingérence » lancé par 56 PDG de
multinationales et amplifié par le MEDEF dans le but d'obtenir
l'annulation d'une mesure qui avait le mérite de s'appliquer à
l'ensemble des licenciements économiques, et non pas seulement aux 15%
qui font l'objet d'un plan social présenté au comité
d'entreprise ?
Faut-il rappeler que ce sont des parlementaires de droite qui ont
dénoncé dans leur saisine « une atteinte
disproportionnée à la liberté d'entreprendre »,
se faisant ainsi les avocats d'une conception anglo-saxonne de la libre
entreprise en vertu de laquelle le laisser-faire économique et social
revêt une valeur suprême ?
Les sénateurs communistes refusent de voir la souveraineté des
citoyens et des salariés de notre pays bafouée par le veto de
gardiens de l'orthodoxie libérale. Aussi entendent-ils poursuivre leur
action résolue, aux côtés de tous ceux qui refusent la
fatalité des destructions d'emplois et de l'insécurité
sociale, pour que la législation s'enrichisse de droits nouveaux en
faveur du monde de la création et du travail.
Un premier pas significatif peut être franchi en définissant le
licenciement économique comme l'ultime recours. Le Conseil
constitutionnel prétend faire barrage en opposant une sacro-sainte
notion de liberté d'entreprendre, mais aussi en considérant que
le juge n'a pas « à substituer son appréciation
à celle du chef d'entreprise quant au choix entre les différentes
solutions possibles ». Autant dire que le bien-fondé de la
gestion patronale ne saurait être contesté et que toute
rédaction du Code du travail susceptible de mettre en cause la
responsabilité économique de l'employeur est rejetée par
avance.
Nous n'acceptons pas un tel coup de force, prononcé
unilatéralement, en l'absence de tout débat contradictoire, sans
que la majorité parlementaire qui a légiféré n'ait
voix au chapitre. Nous invitons le gouvernement à reprendre l'initiative
pour faire reculer l'arbitraire. C'est pourquoi, en un article unique, nous
proposons au Sénat de réinsérer dans la loi la disposition
censurée par le Conseil constitutionnel, disposition qui tient sa
légitimité du suffrage universel.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L'article L. 321-1. du Code du travail est ainsi
rédigé :
« Art. L. 321-1. - Constitue un licenciement pour motif
économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou
plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié
résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une
modification du contrat de travail, consécutives soit à des
difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être
surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations
technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise,
soit à des nécessités de réorganisation
indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise.
« Les dispositions du présent chapitre sont applicables
à toute rupture de contrat de travail résultant de l'une des
trois causes énoncées à l'alinéa
précédent ».