EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de résolution a pour objet de donner au Sénat les moyens d'enquêter sur un phénomène constaté depuis des années : l'aggravation des pénuries de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française.
Les pénuries de médicaments dans les officines de pharmacie ont été multipliées par trente en dix ans. Aujourd'hui, cette pénurie touche désormais les antibiotiques et en particulier l'amoxicilline, utilisé en priorité chez l'enfant pour le traitement de certaines infections (otites, pneumonie...). Les ruptures touchent désormais également les stocks de médicaments des pharmacies des hôpitaux.
L'une des raisons de ce phénomène désormais structurel semble être les choix de l'industrie pharmaceutique française de délocaliser la production des matières premières, et tout particulièrement des principes actifs, en Asie du Sud et de l'Est. Cette dépendance remet aujourd'hui en cause l'accès aux soins des malades et la souveraineté de la France en matière de médicaments.
Le 16 juin 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron, annonçait : « Nous allons, [...] à la lumière de ce que nous avons vécu durant cette crise, développer un mécanisme de planification, de financement et d'organisation de la résilience industrielle française en matière de santé . [...] Et à travers ce travail de planification en lien avec la recherche publique, la recherche privée, avec nos industriels d'aller corriger toutes nos vulnérabilités et d'essayer soit de rapatrier soit de recréer des forces de production, qu'il s'agisse de principes actifs, qu'il s'agisse de capacités à nous organiser en temps de crise. »
Les intentions se heurtent aux choix stratégiques de l'industrie pharmaceutique qui bénéficie de nombreuses aides publiques en France et du remboursement des médicaments par la Sécurité sociale, et qui a pourtant supprimé 10 000 emplois en 10 ans. Ce démantèlement des savoir-faire s'accélère depuis les années 1980 où la France comptait près de 470 entreprises de production du médicament contre seulement 247 aujourd'hui. La souveraineté de la France à produire des médicaments sur son sol est menacée d'autant que la distribution des produits de santé fait elle-même l'objet de spéculation.
La toute-puissance de l'industrie pharmaceutique, qui profite de son quasi-monopole sur les médicaments grâce à la détention des brevets, a été récemment remise en cause par un recours devant l'Office Européen des Brevets, lequel a confirmé la violation des règles du brevet sur le Sofosbuvir, traitement contre l'hépatite C, par la firme pharmaceutique américaine Gilead.
La santé n'est pas une marchandise, l'État doit reprendre la main sur les politiques du médicament et garantir l'accès aux médicaments pour toutes et tous.
La commission d'enquête, une fois désignée, devra identifier les responsabilités face aux pénuries de médicaments.
Le développement des ruptures de stocks de médicaments est-il lié à la situation internationale et à la pandémie de Covid-19 ? Pourquoi les pénuries mondiales d'antibiotiques n'ont pas été davantage anticipées ? La pandémie modifie-t-elle les circuits de production et de distribution du médicament ? Les aides publiques aux industriels du médicament sont-elles véritablement efficaces et pour quelle utilisation ? Les dépenses de recherche et développement des industries du médicament doivent-elles être isolées du prix du médicament ?
Au-delà des interrogations sur les raisons des pénuries de médicaments, la commission d'enquête devra apporter des réponses. Comment planifier la recherche et la production de médicaments en France? Comment réaliser la relocalisation des usines de production dans notre pays ? Quels leviers disponibles pour la puissance publique pour produire les médicaments en rupture de stock ? Quels investissements financiers et humains sont-ils nécessaires pour doter notre pays d'une capacité publique de production et de distribution de médicaments et de vaccins ?