EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
À la date du 19 mai 2020, le département de la Moselle est, dans la région Grand Est, celui qui compte le plus grand nombre de décès liés au coronavirus : 771 en Moselle, 757 dans le Haut-Rhin, 620 dans le Bas-Rhin, 331 en Meurthe-et-Moselle... Or, entre les départements de la région Grand Est, l'épidémie fait apparaître d'importantes différences liées les unes à l'insuffisance des équipements hospitaliers et les autres à des discriminations administratives dans la gestion de la crise.
Bien qu'étant le seul département lorrain à avoir plus d'un million d'habitants, la Moselle ne dispose pas d'un CHU et de manière générale, le CHR de Metz-Thionville n'a pas les capacités d'accueil, ni la diversité des services qui seraient nécessaires. De ce fait, lorsque les Mosellans et plus généralement les habitants de la Lorraine du Nord ont un problème médical grave, ils sont trop souvent obligés d'aller se faire soigner à Strasbourg ou à Nancy.
Ainsi, faute de capacité suffisante en réanimation dans les hôpitaux mosellans, l'épidémie de coronavirus est à l'origine de problèmes qui auraient pu être évités. Le désastre aurait été encore pire si, en Moselle, les responsables des hôpitaux publics, associatifs ou privés n'avaient pas collaboré entre eux de manière exemplaire et si le personnel de ces hôpitaux n'avait pas fait des miracles pour créer tant bien que mal des lits provisoires de réanimation.
Face à ce sous-équipement par rapport à d'autres territoires de la région, on ne peut en aucun cas se contenter de la réponse selon laquelle les lits provisoires auraient permis de pallier les difficultés. En effet, aucun responsable ne l'a dit publiquement et ne le dira publiquement mais, en privé, beaucoup reconnaissent que malgré les efforts de tous les soignants, les lits provisoires n'offraient pas toujours le même potentiel de soins que des lits normaux de réanimation. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si en Moselle le ratio de décès par rapport aux entrées en réanimation est nettement plus élevé que celui d'un département voisin.
Le sous-équipement hospitalier de certains territoires a même probablement conduit à un tri des malades au détriment des personnes âgées vivant en Ehpad. Ainsi, le Républicain Lorrain du 26 mai 2020 cite les propos d'un médecin du Grand Est qui sont, hélas, très instructifs à ce sujet : « Oui, il y a eu du tri fait par le Samu. Des résidents des Ehpad auraient dû être admis à l'hôpital et ne l'ont pas été. Le Samu était lui-même sous l'eau. Mais avant le 2 avril, il n'y en avait que pour l'hôpital. Il fallait faire du forcing auprès de l'ARS pour qu'elle se préoccupe des Ehpad dans l'Est ».
Un article du même jour souligne qu'en général 25 % des résidents en Ehpad sont hospitalisés avant leur décès et que ce ratio était tombé à 20 % pendant la pointe de l'épidémie. Cela prouve qu'il y a pu y avoir un tri dans certains départements sous-équipés comme la Moselle. Un directeur de recherche de l'INSERM indique : « ... un quart des résidents des Ehpad sont hospitalisés avant leur décès. Or ces chiffres sont fortement réduits au début de l'épidémie. Quand, le 2 avril, on commence à avoir les premiers chiffres sur les Ehpad, environ 80 % des décès ont lieu en résidence. Depuis, on est remonté à 75 %, on retombe sur la moyenne. Cela signifie que la porte de l'hôpital n'a pas été totalement fermée. Mais on ne sait pas trop ce qui s'est passé avant le 2 avril : il est possible que dans le Grand-Est, ou en Île-de-France, on ait bloqué l'accès des hôpitaux aux résidents des Ehpad. Certains témoignages de directeurs vont dans ce sens ».
Confrontée à l'explosion du nombre de malades en réanimation, l'ARS aurait au moins dû mettre sur pied un plan volontariste pour transporter par TGV les malades mosellans qui ne pouvaient être accueillis. Or, il n'y a eu des TGV que sur Nancy (paraît-il pour des raisons techniques) étant entendu qu'ils devaient également servir pour des malades mosellans. Toutefois, les Mosellans n'ont eu que quelques places dans ces TGV alors que la pénurie de lits en réanimation était trois fois plus importante en Moselle que dans le département voisin.
Il a donc fallu se tourner vers des pays étrangers et, là également, les décisions ont été complètement aberrantes. Ainsi, un malade en réanimation dans le coma a été transporté de Metz à Luxembourg où un avion militaire déjà arrivé l'attendait pour le transférer dans un hôpital de la République Tchèque. Lorsque le malade est arrivé à Luxembourg, l'ARS a finalement décidé de refuser le transfert et le malade a été ramené à Metz. Toutes les personnes informées ont été scandalisées car un tel aller-retour n'est certainement pas fait pour améliorer l'état de santé d'un malade dans le coma.
Enfin, courant mai, l'État a débloqué des fonds exceptionnels pour les hôpitaux au titre de la prise en charge du coronavirus. Les Mosellans ont été indignés par le fait qu'il n'a alloué que 2,4 M€ au CHR de Metz-Thionville alors que le CHU de Nancy obtenait 5,6 M€. Pourtant, d'un département à l'autre, il y avait deux fois et demie moins de décès et d'hospitalisations. Cette répartition financière discriminatoire et cautionnée par la directrice de l'ARS est insultante à l'encontre des acteurs mosellans de la santé.
Enfin, l'étendue démesurée de la région Grand Est n'a pas permis d'avoir un minimum de proximité dans les arbitrages administratifs car les statistiques et les bilans ont été trop souvent globalisés au niveau régional. Cela a pénalisé des départements peu touchés par l'épidémie qui ont subi un confinement trop restrictif ; réciproquement, cela a entraîné une sous-estimation des problèmes constatés, par exemple en Moselle, où la situation était considérablement plus grave que la moyenne régionale.
Les distorsions qui sont apparues dans la région Grand Est ne sont probablement pas spécifiques à celle-ci. Il est cependant indispensable de faire le point sur le cas particulier du Grand Est, région qui est l'une des plus atteintes par l'épidémie. Cela permettra d'en tirer les conclusions qui pourraient avoir une portée d'intérêt national.
Tel est le but de la présente proposition de résolution.