EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis une décennie, le sujet de la désertification médicale est au coeur des préoccupations des Français, pour une raison aussi simple qu'inadmissible : aujourd'hui, selon l'endroit où l'on habite en France, on n'est pas soigné de la même façon. C'est tout bonnement inacceptable dans un pays dont le pacte républicain est fondé sur l'égalité... La protection de la santé s'est progressivement affirmée comme un objectif de valeur constitutionnelle et le chapitre liminaire du code de la santé publique garantit « l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé ». Cette promesse républicaine n'est pas tenue. Si l'on veut redonner confiance aux Français dans les institutions, il faut que les principes posés par le constituant et le législateur soient une réalité vécue par tous.

Les difficultés d'accès aux soins et les inégalités territoriales sont multifactorielles. Plusieurs indicateurs permettent de les appréhender : on estime par exemple qu'au moins 1,6 million de Français renoncent chaque année à des soins médicaux, dont 51 % pour des raisons liées à l'insuffisance de la démographie médicale. Pour les Français les plus éloignés des soins, les délais d'attente dépassent les 104 jours pour accéder à un cardiologue, 126 jours pour un dermatologue et 189 jours pour un ophtalmologiste. Enfin, 11 % des patients âgés de 17 ans et plus n'ont pas de médecin traitant, soit plus de 6 millions de Français. Ces facteurs entraînent des retards de prise en charge des patients et de leurs pathologies et sont susceptibles d'entraîner, dans les cas les plus graves, des pertes de chances.

Afin de surmonter ces ruptures d'égalité en matière de santé, il n'existe pas de remède miracle ni de solution unique. L'État, le législateur et les collectivités territoriales ne sont pas restés inertes, en tentant de remédier aux « déserts médicaux » par des incitations financières, des aides à l'installation et des contrats de fidélisation, qui n'ont cependant pas produit les effets escomptés. Malgré cette injection massive d'argent public, qui n'a fait l'objet d'aucune évaluation, l'accès des Français aux professionnels de santé continue à se détériorer. Le rapport d'information « Rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard 1 ( * ) » au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, dresse le constat - cartographie et chiffres actualisés à l'appui - des insuffisances persistantes de la démographie médicale.

Le nombre de Français éloignés des professionnels de santé est bien trop élevé et les inégalités d'accès perdurent, voire s'accroissent dans certains territoires. Ce constat est d'autant plus préoccupant que les projections du nombre de médecins établies font état, à législation constante , d'une diminution des effectifs jusqu'en 2024 - avec un point bas de 209 000 médecins en activité, soit 2,7 % de moins qu'en 2020 - et un retour au niveau actuel seulement à l'horizon 2030.

En considérant la pyramide des âges des médecins et la restriction du nombre d'étudiants du fait du numerus clausus , si rien n'est fait, le pire est devant nous . La perspective d'une décennie noire en termes de démographie médicale est malheureusement certaine. Ces constats accablants imposent des mesures fortes et des solutions innovantes pour garantir une meilleure répartition territoriale des professionnels de santé. C'est le sens de la présente proposition de loi, portée par le rapporteur du rapport d'information susmentionné , afin de décliner, au niveau législatif, les recommandations qui ont été adoptées à l'unanimité par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable en mars 2022.

Le présent texte articule une combinaison ambitieuse et pragmatique de mesures d'équilibrage territorial de l'offre de soins, libératrices de temps médical et d'accroissement du nombre de professionnels de santé formés, tout en associant les collectivités territoriales qui sont en première ligne pour faire face aux nombreuses demandes de soins exprimées par les Français éloignés des soins. La situation oblige le législateur à faire preuve de plus d'ambition : il faut répondre à cette demande pressante, pour éviter que ne perdure le sentiment délétère de « territoires abandonnés », qui mine la cohérence du contrat social.

L' article 1 er de la présente proposition part du constat que le principe d'égalité d'accès aux soins n'est pas énoncé avec suffisamment de vigueur par le droit actuel. À cette fin, il modifie l'article principiel du code de la santé publique, qui consacre le droit fondamental à la protection de la santé, afin d'assurer que l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé est garanti indépendamment de son lieu de résidence. Pour accentuer les efforts de la puissance publique en matière de lutte contre les déserts médicaux, l' article 2 introduit dans le code de la santé publique un article disposant que la résorption des inégalités territoriales d'accès aux soins est une priorité nationale, justifiant que des actions spécifiques soient mises en oeuvre au profit de l'installation et de l'exercice des professionnels de santé dans les zones sous-denses. L' article 3 complète les objectifs de la stratégie nationale de santé en faisant de l'amélioration de l'égalité territoriale d'accès aux soins un domaine d'action prioritaire.

Afin de libérer et d'optimiser le temps médical disponible en s'appuyant sur les médecins en exercice, l' article 4 exonère des cotisations retraite les médecins pensionnés qui poursuivent l'exercice libéral de la médecine, dans l'objectif de rendre plus avantageux le cumul emploi-retraite et, ainsi, conforter le temps médical utile dans un contexte de démographie médicale défavorable. Afin de consolider des gains de temps médical et de décharger le médecin du temps administratif en faisant de lui le coordonnateur au service du parcours de soins des patients, l' article 5 crée dans le code de la santé publique un titre dédié aux assistants médicaux, composé d'un article consacré aux qualifications nécessaires pour exercer la fonction d'assistant médical et d'un article détaillant leurs missions. Ce même article prévoit en outre l'élaboration d'une stratégie pour encourager la formation et accompagner le déploiement territorial des assistants médicaux. Dans le but de renforcer l'offre de soins de proximité en fluidifiant la répartition des tâches entre professions de santé et professions paramédicales, l' article 6 complète les domaines d'intervention en pratique avancée afin qu'elles puissent comporter des prescriptions soumises à prescription médicale et des prestations à prescription médicale obligatoire. Ce même article prévoit également un décret, pris après l'avis de l'ensemble des parties prenantes, pour élargir le périmètre d'intervention des infirmiers en pratique avancée, assorti d'une valorisation statutaire et financière. L' article 7 prolonge le délai pendant lequel un pharmacien peut dispenser des médicaments après expiration d'une ordonnance renouvelable, actuellement fixé à un mois, en le portant à trois mois dans les zones sous-denses. Cet article instaure également une expérimentation d'une durée de trois ans pour permettre aux pharmaciens de dispenser des médicaments prescrits par ordonnance, quand la date de validité de celle-ci est expirée, dans des conditions fixées par décret.

Afin de promouvoir et faciliter l'exercice dans les zones sous-denses, il est dans un premier temps nécessaire de pouvoir mieux appréhender les territoires où l'accès aux soins est insatisfaisant et de disposer d'une méthodologie qui permette les comparaisons entre territoires. Pour répondre à ce besoin de connaissance, l' article 8 crée un conseil national d'orientation de l'accès aux soins, chargé de l'analyse des évolutions de la démographie médicale et de formuler des propositions et des avis pour améliorer la répartition territoriale de l'offre de soins. Afin d'articuler au mieux les niveaux d'action, l' article 9 crée des commissions départementales de la démographie médicale chargées de définir des projets d'aire de santé pour répondre aux besoins de santé de la population, en associant les collectivités territoriales ainsi que les principaux acteurs de l'écosystème de la santé. Sans remettre en cause le principe cardinal de la liberté d'installation des médecins, l' article 10 apporte un tempérament selon lequel cette liberté ne doit pas porter atteinte au principe de l'égalité d'accès aux soins. L' article 11 introduit un dispositif visant à conditionner, dans les zones caractérisées par une offre de soins abondante, le conventionnement d'un médecin libéral à la cessation d'activité libérale d'un médecin exerçant dans la même zone. Afin de permettre une montée en puissance de l'exercice dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante, l' article 12 conditionne le premier conventionnement d'un médecin à la réalisation préalable, dans une zone sous-dotée, d'un remplacement de médecin ou d'un exercice salarié auprès d'un médecin libéral pendant au moins six mois. Afin d'accompagner les responsabilités nouvelles du médecin dans la prise en charge des patients, l' article 13 relève les honoraires de consultation d'un médecin généraliste de secteur 1 à 30 €, sans augmentation du reste à charge pour les patients, d'ici 2025. Afin de faciliter l'installation des médecins en zones sous-denses, l' article 14 crée des zones franches médicales, au sein desquelles les médecins généralistes bénéficient d'une exonération des cotisations sociales. Dans une logique de mutualisation de la lutte contre les déserts médicaux, l' article 15 renforce le rôle des structures de coopération médicale en matière de résorption des inégalités d'accès aux soins et simplifie les modalités de leur création. Dans le but de rendre plus attractives les permanences de soins dans les zones sous-denses, l' article 16 défiscalise les permanences de soins réalisées dans ces zones. Parallèlement, l' article 17 institue un système de garde à l'échelle cantonale, pour éviter des ruptures territoriales dans la nécessaire continuité des parcours de soins. Pour tenir compte de l'enclavement de certains territoires et des difficultés d'accès aux soins renforcées par la géographie, l' article 18 institue une offre de soin itinérante, dont les modalités de financement et les dispositifs éligibles sont fixés par décret. Dans la mesure où les collectivités territoriales sont les premières sollicitées pour répondre aux attentes des habitants en matière d'accès aux soins, l' article 19 associe les élus locaux à la détermination des zones sous-denses. L' article 20 renforce les missions des délégations départementales des agences régionales de santé, en leur confiant le soin de réduire les inégalités sociales et territoriales d'accès aux soins. Cet article dispose également que le directeur d'une délégation départementale est nommé après avis du conseil départemental. Afin de renforcer les moyens consacrés à la réduction des inégalités territoriales d'accès aux soins, l' article 21 instaure une dotation de lutte contre la désertification médicale. Dans le but de favoriser l'accès à la télémédecine dans les zones sous-denses, l' article 22 autorise le remboursement sans condition par l'Assurance Maladie des téléconsultations pour les patients résidant en zone d'intervention prioritaire.

Dans le but de favoriser la découverte, par les étudiants en médecine, de terrains de stage situés dans les territoires où l'offre de soins est insuffisante, l' article 23 renforce l'attractivité du statut de maître de stage des universités en majorant les honoraires pédagogiques des médecins exerçant dans les zones sous-denses et en simplifiant les modalités d'accès aux formations à la maîtrise de stage. L' article 24 prévoit que les formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique favorisent la répartition équilibrée des futurs professionnels sur le territoire au regard des besoins de santé, en particulier dans les zones sous-denses. L' article 25 crée une quatrième année de troisième cycle pour la médecine générale, ce qui permettra l'envoi annuel d'environ 3 900 médecins junior dans les territoires, prioritairement dans les zones sous-denses. L' article 26 opère un rééquilibrage du nombre d'étudiants en médecine, afin de tenir compte de l'évolution des effectifs de médecins établies par la Drees d'ici 2030, en passant de 40 % à 50 % minimum la proportion des places dédiées à la médecine générale à l'issue des épreuves de fin du deuxième cycle des études de médecine. L' article 27 précise que l'évaluation du déploiement tout au long des études de médecine d'une offre de stage dans les zones sous-denses, réalisée tous les trois ans par les ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur, inclut également des propositions pour améliorer leur déploiement. L' article 28 revalorise et procède à la barémisation des indemnités de transport pour un meilleur déploiement des internes en médecine générale dans les zones sous-denses, afin de lever le blocage lié aux coûts du transport dénoncé par l'ensemble des associations d'étudiants en médecine. L' article 29 vise à favoriser la diversification de l'origine sociale et géographique des étudiants en santé en instaurant un système de bourses pour les étudiants issus de zones sous-denses. Enfin, l' article 30 constitue le gage financier des dispositions de la présente proposition de loi.

Tel est, Mesdames, Messieurs, le dispositif que nous vous demandons de bien vouloir adopter.


* 1 Rapport d'information n° 589 (2021-2022) de M. Bruno ROJOUAN, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 29 mars 2022

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