Étude d'impact au format PDF (155 Koctets)
PROJET DE LOI
relatif à la géolocalisation
NOR : JUSX1329164L/Bleue-1
ETUDE D'IMPACT
20 décembre 2013
SOMMAIRE |
Sommaire 2
Introduction 4
1. Diagnostic 5
1.1. Etat des lieux de la géolocalisation 5
1.1.1. Etat du droit : le recours à la géolocalisation en temps réel dans le cadre de dispositions générales du code de procédure pénale 5
1.1.2. La jurisprudence de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2013 6
1.2. Cadre constitutionnel 7
1.3. Cadre conventionnel 8
1.4. Eléments de droit comparé 9
1.4.1. Conditions de fond relatives à la procédure de géo-localisation 10
1.4.2. Autorité compétente 12
1.4.3. Durée de l'autorisation 13
2. Objectif 14
2.1. Nécessité de l'action 14
2.2. Objectifs poursuivis 14
2.2.1. Premier objectif : insérer dans notre code de procédure pénale un dispositif autorisant le recours à la géolocalisation en temps réel dans le respect des exigences de la Cour de cassation. 14
2.2.2. Deuxième objectif : permettre la constatation des infractions, la recherche de preuves, l'interpellation des suspects et la protection des victimes. 14
2.2.3. Troisième objectif : permettre aux agents des douanes de recourir à la géolocalisation 14
3. Options 16
3.1. Le champ d'application 16
3.1.1. Option 1 (écartée) : Réserver les mesures de géolocalisation en temps réel aux enquêtes portant sur une infraction visée à l'article 706-73 du Code de procédure pénale 16
3.1.2. Option 2 (écartée) : Prévoir un seuil infractionnel différent selon le cadre d'une enquête (enquête diligentée par le procureur de la République ou information judiciaire) 17
3.1.3. Option retenue : Permettre la géolocalisation en temps réel dans les enquêtes et informations judiciaires portant sur une infraction punie d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans ainsi que pour les enquêtes en recherche des causes de la mort, en recherche des causes de la disparition et en recherche d'une personne en fuite 17
3.2. Une mesure soumise a l'autorisation préalable d'un magistrat 17
3.2.1. Option 1 (écartée) : Soumettre systématiquement les opérations de géolocalisation en temps réel à l'autorisation préalable d'un juge 17
3.2.2. Option retenue : Une mesure soumise, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours, à l'autorisation d'un juge 18
3.3. La prise en compte des situations d'urgence 19
3.3.1. Option 1 (écartée) : Ne pas prévoir de dispositions dérogatoires en cas d'urgence 19
3.3.2. Option retenue : Instaurer une autorisation préalable par tout moyen dans le cadre de l'urgence 19
3.4. La durée des mesures de géolocalisation en temps réel 20
3.4.1. Option 1 (écartée) : Permettre au juge des libertés et de la détention et au juge d'instruction d'autoriser les mesures de géolocalisation pour une durée de deux mois renouvelables 20
3.4.2. Option retenue : Harmoniser la durée des mesures de géolocalisation en temps réel avec celle des interceptions téléphoniques 20
3.5. L'intrusion dans un lieu privé aux fins d'installation d'un dispositif dédié de géolocalisation en temps réel 20
3.5.1. Option 1 (écartée) : Permettre en urgence aux OPJ et à la seule fin d'installer une balise, de pénétrer dans un lieu privé à l'exclusion de tout domicile, sans autorisation judiciaire préalable 20
3.5.2. Option retenue : Soumettre l'intrusion dans tout véhicule ou dans tout lieu privé, à l'exception d'un local d'habitation, à l'autorisation préalable du magistrat ayant ordonné la mesure de géolocalisation en temps réel 20
3.5.3. Option retenue : Soumettre l'intrusion dans un local d'habitation à l'autorisation d'un magistrat du siège 21
3.6. La géolocalisation en temps réel du téléphone d'une victime est exclue de ce régime 22
3.6.1. Option 1 (rejetée) : Intégrer la géolocalisation en temps réel du téléphone détenu par la victime dans le régime élaboré par le présent projet de loi 22
3.6.2. Option retenue : Continuer à ordonner les mesures de géolocalisation en temps réel des terminaux de télécommunication détenues en vertu des dispositions générales du code de procédure pénale 22
3.8. Recours à la géolocalisation par les agents des douanes 22
3.8.1. Options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et nécessité de légiférer 22
3.8.2. Option retenue 23
4. Impacts 24
4.1. Impacts juridiques 24
4.2. Impacts sur les services judiciaires 24
4.3. Impacts sur les services de police et de gendarmerie 25
4.4. Impacts sur les victimes 27
4.5. Impacts sur les collectivités territoriales 27
4.6. Impact sur les entreprises 27
4.7. Impact sur l'égalité entre les femmes et les hommes 27
4.8. Impact sur les personnes handicapées 27
5. Consultations et modalités d'application 28
5.1. Consultations 28
5.1.1. Consultations obligatoires 28
5.1.2. Consultations facultatives 28
5.2. Application de la loi dans le temps 28
5.3. Application de la loi dans l'espace 28
INTRODUCTION |
Dans le cadre d'investigations en matière pénale, il peut être nécessaire à la manifestation de la vérité de connaître la position ou l'itinéraire d'un individu.
Ces informations sont obtenues par le recours à des opérations de géolocalisation qui peuvent permettre, soit de retracer a posteriori le trajet d'un individu, soit de suivre le parcours de ce dernier en temps réel.
La géolocalisation a posteriori peut, à titre d'exemple, s'effectuer par le biais de réquisitions adressées à un opérateur de téléphonie pour connaître les relais déclenchés par le téléphone d'un individu ou à des établissements bancaires pour identifier les lieux dans lesquels un moyen de paiement a été activé.
Elle est fondée sur la communication à l'autorité judiciaire de données conservées par un organisme public ou privé et ne nécessite pas la mise en place d'un dispositif de surveillance de la part du service enquêteur.
Cette géolocalisation a posteriori ne rentre donc pas dans le champ du présent projet de loi relatif à la géolocalisation en temps réel, qui permet, quant à elle, à tout moment, de localiser un individu ou un bien.
La géolocalisation en temps réel est ainsi fréquemment utilisée par les services de police, de gendarmerie et des douanes afin de venir en soutien d'une surveillance physique d'une personne ou d'un bien, ou pour établir, en temps réel, l'itinéraire et les fréquentations d'une personne. Utilisée dans ce cadre, elle a pour objet de rassembler des preuves à l'encontre d'un individu suspecté d'avoir participé à la commission d'une infraction.
Elle peut également être utilisée pour rechercher un mineur ou un majeur protégé dont la disparition vient d'être signalée, ainsi qu'un majeur dont la disparition est inquiétante.
Enfin, elle est mise en oeuvre pour rechercher des personnes faisant l'objet d'un mandat d'arrêt ou d'une décision de condamnation à une peine privative de liberté d'une durée supérieure ou égale à un an.
En pratique, il existe deux techniques de géolocalisation en temps réel lors d'une enquête pénale :
- Le suivi dynamique, en temps réel, d'un terminal de télécommunication permet, par la mise en oeuvre d'une procédure spécifique, de localiser notamment un téléphone portable ;
- L'utilisation d'un dispositif dédié (une balise), installé sur un objet ou un moyen de transport, permet de déterminer, en temps réel, la position d'un individu qui le détient ou dans lequel il se trouve.
Si ces deux mesures de géolocalisation sont fréquemment utilisées lors des investigations en matière pénale, deux arrêts de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2013, ont rendu nécessaire une évolution législative.
1. DIAGNOSTIC |
1.1. ETAT DES LIEUX DE LA GÉOLOCALISATION
1.1.1. Etat du droit : le recours à la géolocalisation en temps réel dans le cadre de dispositions générales du code de procédure pénale
Les mesures de géolocalisation en temps réel sont actuellement mises en oeuvre dans le cadre des procédures pénales en application des dispositions générales du code de procédure pénale.
Le procureur de la République, dans le cadre des enquêtes qu'il dirige, autorise ainsi les mesures de géolocalisation en temps réel d'un terminal de télécommunication au visa des articles 41, 60-2 et 77-1-1 du code de procédure pénale :
- Article 41 alinéa 1 du code de procédure pénale (relatif aux attributions du procureur de la République) : « Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale. »
- Article 60-2 alinéa 1 du code de procédure pénale (relatif aux enquêtes de flagrance) : « Sur demande de l'officier de police judiciaire, intervenant par voie télématique ou informatique, les organismes publics ou les personnes morales de droit privé, à l'exception de ceux visés au deuxième alinéa du 3° du II de l'article 8 et au 2° de l'article 67 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, mettent à sa disposition les informations utiles à la manifestation de la vérité, à l'exception de celles protégées par un secret prévu par la loi, contenues dans le ou les systèmes informatiques ou traitements de données nominatives qu'ils administrent. »
- Article 77-1-1 du code de procédure pénale (relatif aux enquêtes préliminaires) : « Le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier de police judiciaire, peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l'enquête, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3, la remise des documents ne peut intervenir qu'avec leur accord. »
Lorsqu'une information judiciaire est ouverte, le juge d'instruction autorise également les opérations de géolocalisation en temps réel d'un terminal de télécommunication au visa d'un texte général, l'article 81 du code de procédure pénale qui dispose en son alinéa 1 er : « Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge. »
S'agissant des opérations de géolocalisation en temps réel nécessitant le recours à une balise, elles sont majoritairement utilisées comme une aide à l'enquête n'ayant pas vocation à être intégrée en procédure. La Cour de cassation a néanmoins déjà eu l'occasion d'indiquer que dans le cadre d'une information judiciaire, l'article 81 du code de procédure pénale permet l'utilisation de balises 1 ( * ) .
Il ressort de ces éléments que les mesures de géolocalisation en temps réel ne font pas l'objet de dispositions spécifiques dans le code de procédure pénale.
Jusqu'à présent, elles étaient autorisées par le procureur de la République dans le cadre des enquêtes de flagrance et préliminaires, et par le juge d'instruction dans le cadre d'une information judiciaire.
1.1.2. La jurisprudence de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2013
Par deux arrêts en date du 22 octobre 2013, la Cour de cassation a jugé qu'une mesure de géolocalisation en temps réel d'un téléphone portable, « constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge 2 ( * ) » .
En application de cet attendu de principe, elle valide le recours aux opérations de géolocalisation en temps réel lorsqu'elles sont réalisées sous le contrôle d'un juge d'instruction en application de l'article 81 du Code de procédure pénale.
Elle censure, en revanche, les opérations de géolocalisation réalisées, dans les cas d'espèce, dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée par le procureur de la République, fondant sa motivation sur l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale.
Faisant suite à la publication de ces arrêts, la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) a diffusé le 29 octobre 2013 une dépêche tirant les conséquences de cette jurisprudence.
Aux termes de l'analyse de la DACG, si le cas d'espèce qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation est relatif à la géolocalisation en temps réel d'un téléphone portable, le principe énoncé doit s'appliquer de la même façon à la géolocalisation réalisée à l'aide d'un dispositif dédié (une balise par exemple).
En effet, ces deux formes de géolocalisation sont deux moyens techniques permettant, à distance et à tout moment, de localiser une personne ou un bien. L'atteinte à la vie privée résultant de ces deux moyens d'enquête est donc comparable.
Par ailleurs, si les arrêts rendus le 22 octobre 2013 sont relatifs à une mesure de géolocalisation en temps réel ordonné dans le cadre d'une enquête préliminaire, l'attendu de principe de la Cour de cassation est rédigé de sorte à ne faire aucune distinction entre les différentes enquêtes diligentées par le procureur de la République.
Dès lors, la solution jurisprudentielle est applicable non seulement aux enquêtes préliminaires, mais également aux enquêtes de flagrance, aux enquêtes en recherche des causes de la mort, en recherche des causes de la disparition ou en recherche d'une personne en fuite, diligentées par le procureur de la République.
A la suite des arrêts rendus par la Cour de cassation le 22 octobre 2013, il n'apparaît donc plus possible de procéder à des mesures de géolocalisation en temps réel lors d'une enquête placée sous l'autorité du parquet, quel que soit le cadre procédural.
S'agissant des géolocalisations en temps réel en cours à la parution des arrêts, il a été prescrit de les interrompre et de procéder si nécessaire, à une ouverture d'information judiciaire.
Concernant les mesures de géolocalisation diligentées sous le contrôle d'un juge d'instruction, ces opérations peuvent, conformément aux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, être poursuivies.
Deux cadres procéduraux doivent donc être distingués :
- les informations judiciaires, au cours desquelles une géolocalisation en temps réel peut toujours être prescrite par le juge d'instruction
- les enquêtes diligentées par le procureur de la République, qui ne permettent plus de recourir à cet acte d'enquête.
1.2. CADRE CONSTITUTIONNEL
La définition du régime des géolocalisations judiciaires est soumise à trois normes constitutionnelles :
- l'article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ainsi que la procédure pénale » (Conseil constitutionnel, décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, cons. 5) ;
- l'article 66 de la Constitution, dont il résulte que « la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire » (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, cons. 59) ;
- et la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 qui « implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l'inviolabilité du domicile » (décision n° 2013-357 QPC, préc., cons. 6).
Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que « l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet » (décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, cons. 26). Le contrôle de l'autorité judiciaire s'exerce selon des modalités variées, qui dépendent notamment de la portée des mesures de police judiciaire et de leur durée, ainsi que de la nature des droits ou libertés auxquelles elles sont susceptibles de porter atteinte.
S'agissant du droit au respect de la vie privée et de l'inviolabilité du domicile, le Conseil constitutionnel a confirmé par sa décision n° 2013-357 QPC que ce droit était garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et non par l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle.
Les mesures susceptibles de mettre en cause le droit au respect de la vie privée ne doivent donc pas nécessairement, en elles-mêmes, être soumises au contrôle de l'autorité judiciaire.
Dans tous les cas, le législateur doit prévoir des garanties légales appropriées, spécialement lorsqu'elles ne sont pas soumises à l'autorisation préalable d'un juge.
S'agissant, de mesures portant atteinte à l'inviolabilité du domicile, il convient de distinguer selon le degré de l'atteinte, les finalités poursuivies par ces mesures et les contraintes particulières auxquelles elles peuvent répondre.
Lorsque ces mesures présentent un caractère judiciaire et qu'elles portent une atteinte particulièrement grave au droit au respect de la vie privée, notamment à l'inviolabilité du domicile, elles doivent être subordonnées à l'autorisation préalable du juge judiciaire : il en est ainsi notamment pour les perquisitions et les visites domiciliaires de nuit, ou les sonorisations de lieux privés, notamment les lieux d'habitation, qui peuvent être effectuées en vue de la répression de crimes et délits particulièrement graves relevant de la criminalité et de la délinquance organisée (décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004).
Lorsqu'elles ne présentent pas un caractère judiciaire, les visites domiciliaires appellent également des garanties légales appropriées. Par sa décision n° 2013-357 QPC, le Conseil constitutionnel a jugé que de telles visites peuvent avoir lieu « sans avoir été préalablement autorisées par un juge » (cons. 7), mais en raison des contraintes particulières pesant sur les opérations de contrôle des navires indispensables à la lutte contre la fraude en matière douanière, et à la condition que des garanties légales de fond (définition des circonstances de temps ou de lieu de ces contrôles) et de procédures (voies de recours appropriées) soient prévues.
1.3. CADRE CONVENTIONNEL
La Cour de cassation, dans sa jurisprudence du 22 octobre 2013, a fondé sa motivation sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale.
Article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Avant la Cour de cassation, la Cour européenne des droits de l'homme a été la première, dans son arrêt Uzun contre Allemagne, en date du 2 septembre 2010 3 ( * ) , à se prononcer sur la conventionalité de l'usage des balises dans les enquêtes pénales.
Le requérant, poursuivi en 1995 pour des faits de nature terroriste, considérait que la surveillance dont il avait fait l'objet, en particulier par l'installation d'un récepteur GPS, et l'utilisation des informations ainsi recueillies contre lui, avaient violé son droit au respect de la vie privée et son droit à un procès équitable (article 8 et 6 de la Convention).
La Cour, tout en considérant que ces dispositifs constituaient effectivement une atteinte à la vie privée, a jugé que cette atteinte n'était pas contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme dans la mesure où les trois critères suivants étaient remplis :
- La prévisibilité de la loi : cette atteinte à la vie privée (géolocalisation d'une personne) était prévue par la loi allemande (article 100c § 1.1 b du Code de procédure pénale) qui était accessible au requérant. La Cour a vérifié que la loi était, par elle-même ou grâce aux interprétations jurisprudentielles, suffisamment précise et claire pour que le justiciable puisse en prévoir les conséquences pour lui.
- L'existence de garanties contre les abus de pouvoir : le droit allemand prévoyait des garanties suffisantes contre les abus de pouvoir (conditions strictes pour la mise en place de cette mesure ; contrôle par un juge a posteriori).
- La proportionnalité 4 ( * ) : en l'espèce, l'atteinte à la vie privée était proportionnée au but légitime poursuivi s'agissant d'une enquête sur plusieurs accusations de tentatives de meurtre revendiquées par un mouvement terroriste, et s'agissant également de prévenir d'autres attentats à la bombe. La Cour relevait à cet égard que la surveillance par GPS n'avait pas été ordonnée d'emblée mais seulement dans un deuxième temps.
Au-delà du cas particulier sur lequel la Cour européenne des droits de l'homme a été amenée à statuer, la motivation de l'arrêt définit donc avec précision les conditions nécessaires à la validité du recours à un système de géolocalisation en temps réel des personnes.
D'une part, la prévisibilité de notre droit pouvait sembler insuffisante dans la mesure où les opérations de géolocalisation en temps réel étaient réalisées en application de dispositions générales de notre code de procédure pénale ne prévoyant pas spécifiquement le recours à ces mesures. D'autre part, aucune limitation dans le temps et aucune condition relative à la gravité de l'infraction n'étaient prévues pour recourir à une mesure de géolocalisation en temps réel.
1.4. ELÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
Dans de nombreux pays, notamment en Allemagne, au Canada, aux Etats-Unis, en Italie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, l'utilisation de moyens électroniques, techniques ou autres tels que les balises, appareils infrarouges, images satellites et GPS aux fins de géolocalisation sont admis. Les procédures de géo-localisation font l'objet de dispositions légales précises, le plus souvent contenues dans un Code de procédure pénale ( Allemagne , Canada, Pays-Bas), à l'exception des Etats-Unis et de l'Italie , où la matière relève de la jurisprudence . En 2010, la Cour de cassation italienne a légitimé le procédé de surveillance à l'aide d'un GPS décidé par la seule autorité de police judiciaire. La haute juridiction a considéré qu'il n'était pas nécessaire de faire contrôler cette mesure par un juge (comme cela doit être le cas dans la matière voisine des écoutes téléphoniques, régie par l'article 266 CPPitalien), en l'absence d'atteinte à la vie privée suffisamment caractérisée. La procédure est régie par l'article 189 du CPP italien relatif au droit commun des preuves , lesquelles sont recueillies directement par la police judiciaire.
Au Royaume-Uni le recours aux procédures de géo-localisation relève de la matière administrative , ce qui a pour conséquence que les éléments recueillis ne peuvent être utilisés en règle générale dans une procédure pénale, sauf circonstances exceptionnelles rendant nécessaire, au regard de l'intérêt de la justice et du procès équitable, de les porter à la connaissance d'un juge ou de la personne en charge des poursuites. Dans les autres pays, le recours à de tels procédés s'inscrit au contraire dans le cadre de procédures judiciaires .
Quant aux lieux de géo-localisation, le Canada, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont largement facilité, dans leur système juridique, le recours aux procédés de géo-localisation, tandis qu' aux Pays-Bas et plus encore en Allemagne, des dispositions légales en limitent davantage le périmètre géographique.
Quant aux infractions concernées, ce sont l'Allemagne et le Royaume-Uni qui restreignent le plus le champ d'application de ce procédé d'enquête, le réservant aux infractions graves, et à l'opposé, le Canada qui l'étend à toutes les infractions du Code criminel. Ce mouvement d'ensemble est d'ailleurs confirmé par l'application rigoureuse du principe de subsidiarité qui est retenu par l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Les autorités compétentes pour autoriser les procédés de géo-localisation sont variables. Il peut s'agir du ministère public ( Pays-Bas), d'un juge du siège (Canada), d'un système mixte ( Allemagne) ou bien encore d'une autorité administrative ( Royaume-Uni). Un même constat de diversité entre les systèmes peut être fait en ce qui concerne la durée des procédures de géo-localisation, qui peut être, concernant la première autorisation, de deux mois (Canada), de trois mois (A llemagne et Pays-Bas) ou bien encore de six mois ( Royaume-Uni). Dans chacun des systèmes, toutefois, les autorisations peuvent être renouvelées.
1.4.1. Conditions de fond relatives à la procédure de géo-localisation
1.4.1.1. Conditions relatives au lieu de la géo-localisation
Dispositions générales
Aux Etats-Unis, la jurisprudence de la Cour suprême a tendance à distinguer selon que l'utilisation de la balise permet une surveillance externe ou interne (lieu d'habitation par exemple). Si dans les deux hypothèses, les procédés de surveillance sont considérés comme licites, dans la seconde, il est considéré que la protection établie par le quatrième amendement (protection de la vie privée) requiert une autorisation judiciaire.
Au Canada, en vertu de l'article L 492.1 du Code criminel, le dispositif de géo-localisation peut être installé dans ou sur toute chose, notamment utilisée ou transportée par une personne.
Au Royaume-Uni, le Regulation of Investigatory Powers act de 2000 prévoit également une utilisation étendue des dispositifs de géo-localisation et notamment dans une propriété privée ou dans un véhicule privé.
Dispositions restrictives
Aux Pays-Bas, si les dispositions sont également très générales, la loi a toutefois prévu une restriction. Un moyen technique fixé sur une personne ne peut être utilisé que sur autorisation de celle-ci.
En Allemagne, les restrictions sont plus importantes. En vertu de l'article 100h StPO, l'usage de dispositifs techniques aux fins de géo-localisation n'est autorisé dans les enquêtes pénales qu'à l'extérieur des habitations. Le véhicule, qui n'est pas considéré comme un lieu protégé par les règles constitutionnelles relatives au respect de la vie privée, peut également faire l'objet d'un tel dispositif.
1.4.1.2. Conditions relatives à la nature des infractions
Toute infraction
Au Canada , un mandat peut être accordé pour toute infraction prévue au Code criminel ou dans toute autre loi fédérale, comme par exemple la loi canadienne sur la protection de l'environnement (art. 492.1 du Code criminel canadien).
Aux Pays-Bas, il en est de même. La loi néerlandaise parle de soupçon de délit ou de crime et précise que cette mesure est prise dans l'intérêt de l'enquête.
Infractions graves
En Allemagne, l'emploi de la géo-localisation est limité à la recherche d' « une infraction d'une gravité particulière » . Cette notion est précisée par la doctrine allemande qui considère qu'il doit s'agir de toute infraction punie au moins de trois ans d'emprisonnement, de tous les délits énumérés par l'article 100a du code de procédure pénale relatif aux « conditions préalables à la surveillance des télécommunications » (notamment contrefaçon, traite des êtres humains, infraction contre la liberté individuelles, vol en bande organisée, vol avec violence, extorsion de fonds, recel habituel ou en bande, blanchiment d'argent, trafic d'armes ou de stupéfiants...) ainsi que tous les crimes (« Verbrechen »).
Au Royaume-Uni, selon l'article 32(2) du Regulation of Investigatory Powers act de 2000 , ce dispositif de géo-localisation sera mis en oeuvre dans trois cas de figure : pour protéger les intérêts liés à la sécurité nationale, ou pour prévenir ou détecter un crime, ou bien encore pour assurer la protection des intérêts économiques du Royaume-Uni.
1.4.1.3. Respect du principe de subsidiarité
Application minimaliste du principe
Aux Pays-Bas, le recours aux dispositifs de géo-localisation est assez général, la seule limite à la liberté d'action du ministère public étant constituée par le caractère confidentiel de l'information interceptée, conformément aux dispositions de l'article 126g alinéa 3 du Code de procédure pénale. C'est plus généralement « l'intérêt de l'enquête » qui justifie le recours à un tel procédé.
Au Canada, en vertu des articles 492.1 et 492.2 du Code criminel, il doit exister des motifs raisonnables de soupçonner (et de « croire » lorsqu'il y a intrusion dans un lieu privé) qu'une infraction a été ou sera commise et que des renseignements utiles peuvent être obtenus par la mise en place du dispositif de géo-localisation. L'interception électronique de communications privées requiert toutefois, pour les infractions de droit commun, un plus grand respect du principe de subsidiarité, et ne peut être mise en oeuvre que lorsque d'autres techniques d'enquête ont échoué ou ont peu de chance de succès, ou encore en cas d'urgence. Le Code criminel n'interdit pas le cumul des moyens d'enquête.
Application plus rigoureuse du principe
En Allemagne, cette technique d'enquête peut être mise en oeuvre seulement s'il résulte des circonstances de l'espèce que les investigations sur les faits ou les recherches aux fins de localisation d'une personne mise en cause auraient moins de chance de succès, ou seraient rendues plus difficiles en procédant d'une autre manière. C'est l'article 100h StPO qui le dit. L'application du principe est encore plus rigoureuse, lorsque la personne visée par la mesure n'est pas elle-même mise en cause. Dans ce pays, la balise est cumulable avec n'importe quel autre moyen d'enquête.
Au Royaume-Uni, et de façon similaire, le Regulation of Investigatory Powers act de 2000 précise que la mesure doit être proportionnée par rapport aux objectifs poursuivis. L'autorisation doit être considérée comme absolument nécessaire et ne peut être donnée qu'après vérification que les éléments recherchés ne pourraient être recueillis par des moyens moins intrusifs. Elle peut être ordonnée cumulativement avec d'autres mesures d'enquête et notamment des mesures d'écoutes téléphoniques.
1.4.2. Autorité compétente
1.4.2.1. Autorité judiciaire
a) Parquet
Aux Pays-Bas, l'article 126g alinéa 3 du code de procédure pénale donne compétence exclusive au procureur de la Reine pour décider du recours aux dispositifs techniques de géo-localisation. Cette technique d'enquête est très souvent réalisée.
b) Juge du siège
Au Canada, l'article 492.1 du Code criminel donne compétence au juge de paix (juge du premier degré statuant sur les petits litiges) ou à un juge de la Cour provinciale pour décerner un mandat autorisant l'utilisation de dispositifs de géo-localisation.
c) Système mixte
En Allemagne, les mesures de géo-localisation sont ordonnées par le parquet ou les fonctionnaires de police judiciaire, lorsque la surveillance ne dure pas plus de 24h d'affilée ou ne dépasse pas plus de deux jours au total (si elle est fractionnée). Lorsque la surveillance dure plus de 24h d'affilée ou dépasse deux jours au total, il s'agit alors d'une surveillance de « longue durée » qui doit être ordonnée par un juge. Le juge compétent est celui du tribunal d'instance. En cas d'urgence toutefois, la surveillance longue durée peut exceptionnellement être ordonnée par le parquet ou les fonctionnaires de police, laquelle devra être confirmée dans un délai de trois jours par le juge.
1.4.2.2. Autorité administrative
Au Royaume-Uni le ministre de l'Intérieur ( Secretary of State ) est seul compétent pour délivrer les mandats de « surveillance intrusive » qui englobe la surveillance, l'observation, l'écoute des mouvements d'une personne, de ses conversations ou de toute autre activité et communication (art. 48(2) du Regulation of Investigatory Powers Act de 2000 ). Même en cas de procédure d'urgence, le ministre de l'Intérieur doit personnellement autoriser la délivrance du mandat, bien qu'il soit signé par un haut fonctionnaire ( art. 23 RIPA ). Ces mandats ne peuvent être demandés que par un nombre limité de personnes habilitées : le Directeur Général du Service de Sécurité ( MI5 - sécurité nationale), le Chef du Renseignement des Services Secrets ( MI6 - sécurité internationale), le Directeur du GCHQ ( Government Communications Headquarter ) - Service de renseignement travaillant en coopération avec le MI5 et le MI6, le Directeur Général de la SOCA (en charge des interceptions au nom des forces de police pour l'Angleterre et le Pays de Galles, chargé de rassembler et de redistribuer les informations), le Directeur de la Metropolitan Police de Londres, le Chief constable des Service de police d'Irlande du Nord, le Chief constable de toute force de police concernée par la Section 1 du Police Scotland Act de 1967, le HMRC - Her Majesty Revenue and Customs (douanes), et le Chef du Renseignement de la Défense (renseignement militaire). Un tribunal spécialisé, Investigatory Powers Tribunal , créé par le RIPA , est compétent pour juger les plaintes contre les procédures de surveillance intrusive.
1.4.3. Durée de l'autorisation
Selon les pays, la durée initiale peut varier entre deux et six mois.
Au Canada, par application de l'article 492.1-2 du Code criminel, le mandat peut prévoir une période de 60 jours au plus. L'article 492.1-3 dispose que de nouveaux mandats peuvent être décernés après l'expiration de la période prévue aux mandats précédents.
En Allemagne, les mesures de surveillance sont ordonnées pour une durée de trois mois maximum à compter de la date de l'ordonnance et peuvent être renouvelées pour la même durée, plusieurs fois si nécessaire. La seule limite réside dans le respect du principe constitutionnel de proportionnalité.
Aux Pays-Bas, c'est un système similaire, non soumis toutefois au respect du principe de proportionnalité. Aux termes de l'article 126g, le mandat dit d'observation policière est donné par le procureur de la Reine pour une durée de trois mois. Chaque mandat peut être renouvelé , sans limite, pour une durée maximale de trois mois.
Au Royaume-Uni , les mandats sont valables pour une première période de six mois. En cas d'urgence, les autorisations sont délivrées par le Secretary of State et sont valables pour deux jours en attendant la délivrance d'un mandat. Les éléments du mandat qui exposent les détails et modalités de la « surveillance intrusive » (personnes visées, etc.) peuvent être modifiés au gré des changements de circonstances. Selon les affaires poursuivies, les durées de renouvellement d'utilisation des balises sont variables. Les mandats émis dans le domaine du crime organisé peuvent être renouvelés pour des périodes supplémentaires de trois mois avant la date d'expiration du mandat précédent. Dans le domaine de la protection des intérêts économiques du pays, les mandats peuvent être renouvelés pour six mois.
2. OBJECTIF |
2.1. NÉCESSITÉ DE L'ACTION
Les décisions de la Cour de cassation étant d'application immédiate, elles sont applicables à toutes les procédures non définitivement jugées à la date du 22 octobre 2013.
Une réforme législative rapide est donc indispensable pour autoriser de nouveau des opérations de géolocalisation en temps réel dans le cadre des enquêtes diligentées par le procureur de la République, qui représentent près de 95% des procédures pénales.
2.2. OBJECTIFS POURSUIVIS
2.2.1. Premier objectif : insérer dans notre code de procédure pénale un dispositif autorisant le recours à la géolocalisation en temps réel dans le respect des exigences de la Cour de cassation.
Le présent projet de loi vise à instaurer un dispositif permettant de recourir à la géolocalisation en temps réel dans toutes les procédures pénales.
2.2.2. Deuxième objectif : permettre la constatation des infractions, la recherche de preuves, l'interpellation des suspects et la protection des victimes.
Les mesures de géolocalisation en temps réel sont très fréquemment utilisées pour rassembler des preuves à l'encontre d'un individu soupçonné d'avoir commis une infraction. Permettant de retracer l'itinéraire d'un individu, elles peuvent en effet établir sa présence sur le lieu de commission d'une infraction. Ces mesures sont également mises en oeuvre pour localiser un individu en fuite, faisant par exemple l'objet d'un mandat d'un juge d'instruction ou d'une condamnation prononcée par une juridiction de jugement.
La géolocalisation en temps réel, en ce qu'elle permet d'interpeller les auteurs d'infraction et, par exemple, de retrouver des personnes venant de commettre un enlèvement d'enfant, participent de la protection des victimes.
En cela, le présent projet de loi a pour objectif, d'une part d'assurer l'identification et la poursuite des auteurs d'infraction, d'autre part de protéger les victimes.
2.2.3. Troisième objectif : permettre aux agents des douanes de recourir à la géolocalisation
Actuellement le code des douanes habilite les agents des douanes à mettre en oeuvre des investigations approfondies comme la visite domiciliaire ou des techniques spéciales d'enquête similaires à celles des officiers de police judiciaire (opérations de surveillance et d'infiltration prévues à l'article 67 bis du code des douanes). Toutefois, il ne prévoit pas la possibilité pour les agents des douanes de mettre en place des systèmes techniques permettant la géolocalisation en temps réel de flux de marchandises suspectés de constituer une infraction douanière.
Or le suivi des marchandises de fraude en temps réel peut être un élément déterminant dans la conduite d'une enquête en permettant l'identification des lieux de stockage et l'identification des auteurs de la fraude.
A l'instar de la nécessité de renforcer les moyens d'actions de la police judiciaire par l'utilisation de systèmes de géolocalisation des personnes, des véhicules et de tout objet, il importe de renforcer les pouvoirs des agents des douanes en matière d'identification et de suivi des flux de marchandises frauduleuses, mais également des membres des filières criminelles organisant la fraude douanière.
3. OPTIONS |
Différents options ont pu être envisagées s'agissant :
- Du champ d'application de cette réforme
- De la nécessité du contrôle préalable d'un juge
- De la durée pendant laquelle l'autorisation est délivrée
- Des conditions dans lesquelles un officier de police judiciaire peut pénétrer dans un lieu privé afin d'installer un dispositif dédié de géolocalisation
3.1. LE CHAMP D'APPLICATION
3.1.1. Option 1 (écartée) : Réserver les mesures de géolocalisation en temps réel aux enquêtes portant sur une infraction visée à l'article 706-73 du Code de procédure pénale
Il a été envisagé, lors de l'élaboration du projet de loi, de réserver la géolocalisation en temps réel aux enquêtes portant sur une infraction visée à l'article 706-73 5 ( * ) du Code de procédure pénale. Ces infractions, limitativement énumérées, permettent déjà le recours à des techniques spéciales d'enquête (écoutes téléphoniques lors d'une enquête préliminaire, sonorisation etc...) en raison de leur gravité et de leur caractère organisé.
Cette option ne présentait aucune difficulté juridique mais elle n'a pas été retenue en raison de son caractère restrictif. En effet, la géolocalisation en temps réel peut être très utile dans le cadre de procédures diligentées pour des infractions ne relevant pas de la criminalité organisée (par exemple des cambriolages multiples ou des enlèvements d'enfant).
Dès lors, il apparaissait nécessaire d'autoriser plus largement le recours aux opérations de géolocalisation en temps réel.
3.1.2. Option 2 (écartée) : Prévoir un seuil infractionnel différent selon le cadre d'une enquête (enquête diligentée par le procureur de la République ou information judiciaire)
Cette option n'a pas été retenue dans un souci de lisibilité et de simplification du dispositif élaboré.
Il paraissait en effet souhaitable d'uniformiser le seuil de la peine encourue à partir duquel une mesure de géolocalisation en temps réel peut être mise en oeuvre lors d'une enquête diligentée par le procureur de la République ou une information judiciaire.
3.1.3. Option retenue : Permettre la géolocalisation en temps réel dans les enquêtes et informations judiciaires portant sur une infraction punie d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans ainsi que pour les enquêtes en recherche des causes de la mort, en recherche des causes de la disparition et en recherche d'une personne en fuite
Cette option, qui permet de recourir largement aux opérations de géolocalisation en temps réel a été retenue.
Ce choix répond à une véritable demande opérationnelle dès lors que les opérations de géolocalisation sont très largement utilisées par les juridictions pour rassembler des preuves et identifier les auteurs d'infraction. Ce seuil de trois ans d'emprisonnement encouru permet d'intégrer à la réforme une partie significative des infractions traitées par les juridictions (hors contentieux routier), tout en la réservant à des faits d'une certaine gravité.
Enfin, les enquêtes en recherche des causes de la mort, en recherche des causes de la disparition et en recherche d'une personne en fuite entrent dans le champ d'application de la présente loi dans la mesure où elles peuvent nécessiter la mise en place de mesures de géolocalisation en temps réel.
3.2. UNE MESURE SOUMISE A L'AUTORISATION PRÉALABLE D'UN MAGISTRAT
3.2.1. Option 1 (écartée) : Soumettre systématiquement les opérations de géolocalisation en temps réel à l'autorisation préalable d'un juge
Aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2013, « la technique dite de «géolocalisation» constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge » .
Le projet de loi aurait pu s'inscrire strictement dans la continuité de cet attendu et ne permettre le recours aux opérations de géolocalisation en temps réel que sur autorisation d'un juge des libertés ou d'un juge d'instruction.
Cette option, qui aurait largement restreint les capacités d'actions du procureur de la République, dont dépendent directement quatre-vingt-quinze pour cent des procédures pénales, n'a pas été retenue. D'un point de vue opérationnel, il est en effet souhaitable que le ministère public, qui dirige l'activité de la police judiciaire en application de l'article 41 du Code de procédure pénale et dont l'organisation permet une très grande réactivité, conserve la possibilité d'ordonner, parfois dans l'urgence, la mise en place d'une géolocalisation en temps réel.
Plusieurs arguments démontrent que le dispositif proposé ne présente pas de risques juridiques.
D'abord, le Conseil constitutionnel a affirmé à de nombreuses reprises que le procureur de la République est une composante à part entière de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles 6 ( * ) . Il bénéficie donc de toute la légitimité constitutionnelle pour contrôler une mesure de géolocalisation.
Ensuite, dans son arrêt Uzun c/ Allemagne précitée, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas censuré la législation allemande qui permet au procureur de la République d'autoriser de façon illimitée une mesure de géolocalisation en temps réel. Dès lors, le principe même de l'intervention du procureur de la République n'encourt pas non plus la censure de la CEDH.
Enfin, la jurisprudence précitée de la Cour de cassation doit être analysée au regard de la législation française actuelle, qui ne prévoit aucun cadre légal précis qui garantisse les droits des justiciables puisque les mesures de géolocalisation en temps réel ne sont soumises à aucune durée maximum et peuvent être utilisées quelle que soit l'infraction poursuivie.
Le présent projet de loi, en ce qu'il édicte de nombreuses règles garantissant le respect de la vie privée (infractions d'une certaine gravité, durée limitée de l'autorisation donnée par le procureur de la République), est respectueux des cadres conventionnel et constitutionnel.
3.2.2. Option retenue : Une mesure soumise, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours, à l'autorisation d'un juge
Le dispositif retenu, afin d'être conforme aux exigences de la jurisprudence tant de la Cour de cassation que de la Cour européenne des droits de l'homme, prévoit donc l'intervention d'un juge, non pas immédiatement, mais à l'issue d'un délai maximum de quinze jours. Cette durée, qui équivaut à celle de l'enquête de flagrance prolongée, est suffisamment courte pour justifier que le parquet, qui fait partie de l'autorité judiciaire comme l'a rappelé le Conseil Constitutionnel à de nombreuses reprises, puisse exercer des prérogatives particulières.
Ainsi, lors d'une enquête dirigée par le parquet, le procureur de la République pourra autoriser une mesure de géolocalisation en temps réel pour une durée de quinze jours. A l'issue de cette durée, la poursuite des opérations devra être prescrite par décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République.
Dans le cadre d'une information judiciaire, le juge d'instruction garde le contrôle de cette mesure qu'il autorise et à laquelle il met un terme.
3.3. LA PRISE EN COMPTE DES SITUATIONS D'URGENCE
3.3.1. Option 1 (écartée) : Ne pas prévoir de dispositions dérogatoires en cas d'urgence
Le projet de loi aurait pu s'en tenir au principe énoncé ci-dessus d'une autorisation écrite préalable du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction aux fins de procéder aux opérations de géolocalisation en temps réel.
Cette option n'a pas été retenue car l'installation et le retrait des balises de géolocalisation répondent à des exigences opérationnelles très particulières. En effet, les services enquêteurs ne disposent parfois que d'une brève opportunité pour installer une balise sur un véhicule ou une marchandise.
En outre, il leur est souvent impossible d'identifier en amont le véhicule sur lequel une balise sera placée dans la mesure où certains malfaiteurs changent très fréquemment de véhicule.
Dès lors, la nécessité d'obtenir systématiquement une autorisation écrite préalable du procureur de la République ou d'un juge paraissait inadaptée aux contraintes opérationnelles rappelées ci-dessus, d'autant qu'il peut se révéler difficile d'obtenir, en pleine nuit, une autorisation formalisée d'un magistrat.
3.3.2. Option retenue : Instaurer une autorisation préalable par tout moyen dans le cadre de l'urgence
Le projet de loi prévoit donc d'insérer dans le code de procédure pénale un nouvel article 230-35 aux termes duquel, « en cas d'urgence résultant d'un risque imminent de dépérissement des preuves ou d'un risque imminent d'atteinte grave aux personnes ou aux biens » , l'autorisation du magistrat compétent pourra être donnée par tout moyen. Cette autorisation peut porter aussi sur l'intrusion dans un lieu privé pour la pose de la balise : le véhicule, le garage ainsi que le local d'habitation (sauf la nuit)
Afin de préserver le formalisme de la décision de géolocalisation en temps réel, l'article 230-35 accorde au magistrat ayant autorisé les opérations, un délai de quarante-huit heures pour prescrire, par écrit, la poursuite des opérations.
Ces dispositions permettent d'adapter la législation aux nécessités opérationnelles résultant de certaines situations urgentes, tout en conservant aux autorisations la forme nécessaire à l'exercice des droits de la défense.
3.4. LA DURÉE DES MESURES DE GÉOLOCALISATION EN TEMPS RÉEL
3.4.1. Option 1 (écartée) : Permettre au juge des libertés et de la détention et au juge d'instruction d'autoriser les mesures de géolocalisation pour une durée de deux mois renouvelables
Cette possibilité a été envisagée afin de tenir compte de la durée moyenne des mesures de géolocalisation en temps réel des téléphones portables communiquées par la Direction des services judiciaires (26 jours). Elle permettait d'établir une durée unique quel que soit le cadre d'enquête tout en permettant de contenir les frais de justice.
Ce délai unique n'a pas été retenu dans un souci de simplification et d'harmonisation avec le régime des interceptions téléphoniques.
3.4.2. Option retenue : Harmoniser la durée des mesures de géolocalisation en temps réel avec celle des interceptions téléphoniques
Afin d'harmoniser les dispositifs relatifs à la géolocalisation en temps réel et aux interceptions téléphoniques 7 ( * ) , il a été choisi que la durée de l'autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention sur requête du procureur de la République, serait d'un mois, et de quatre mois lorsqu'elle est délivrée par le juge d'instruction.
Cette option permet également de mieux maîtriser les frais de justice, d'autant que le procureur de la République dirige environ quatre-vingt-quinze pour cent des enquêtes pénales.
Afin de tenir compte des exigences propres à certaines enquêtes, les délais d'un mois et de quatre mois sont renouvelables autant de fois que nécessaire.
3.5. L'INTRUSION DANS UN LIEU PRIVÉ AUX FINS D'INSTALLATION D'UN DISPOSITIF DÉDIÉ DE GÉOLOCALISATION EN TEMPS RÉEL
3.5.1. Option 1 (écartée) : Permettre en urgence aux OPJ et à la seule fin d'installer une balise, de pénétrer dans un lieu privé à l'exclusion de tout domicile, sans autorisation judiciaire préalable
L'option consistant à permettre à l'OPJ, en cas d'urgence, de pénétrer sans autorisation judiciaire préalable dans un lieu privé, à l'exclusion de tout domicile, a été écartée, dans la mesure où l'intrusion dans un lieu privé appelle des garanties légales renforcées.
3.5.2. Option retenue : Soumettre l'intrusion dans tout véhicule ou dans tout lieu privé, à l'exception d'un local d'habitation, à l'autorisation préalable du magistrat ayant ordonné la mesure de géolocalisation en temps réel
Cette option, qui subordonne l'intrusion dans un lieu privé (véhicule, parking), à l'autorisation d'un magistrat, permet de donner une garantie appropriée au principe d'inviolabilité du domicile.
Le projet de loi distingue cependant entre, d'une part, les véhicules et les lieux destinés ou utilisés à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel et, d'autre part, les autres lieux privés hors lieu d'habitation. L'introduction dans les premiers met moins en cause l'intimité de la vie privée que les seconds, pour lesquels il a paru nécessaire de restreindre les possibilités d'introduction aux cas dans lesquels est en cause une infraction punie de cinq ans.
3.5.3. Option retenue : Soumettre l'intrusion dans un local d'habitation à l'autorisation d'un magistrat du siège
Le domicile étant un lieu privé particulier, au sein duquel s'organise la vie privée et familiale d'un individu, il fait l'objet de dispositions législatives protectrices entre 21 heures et 6 heures.
Ainsi, l'article 59 du Code de procédure pénale interdit de procéder à une perquisition ou une visite domiciliaire avant 6 heures et après 21 heures.
En outre, en application de l'article 706-96 8 ( * ) du Code de procédure pénale, un dispositif de sonorisation ne peut être installé dans un local d'habitation avant 6 heures et après 21 heures, que sur autorisation du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le juge d'instruction.
Au regard du principe d'inviolabilité du domicile et des dispositions des articles 59 et 706-96 du Code de procédure pénale, il a paru nécessaire de prévoir un régime spécifique lorsque l'installation d'un dispositif de géolocalisation en temps réel nécessite l'intrusion dans un local d'habitation,
Il a donc été prévu, dans cette hypothèse, une autorisation du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République.
Pour le juge d'instruction, cette autorisation ne sera nécessaire que si l'opération doit avoir lieu entre 21h et 6h, de manière identique au dispositif
retenu dans le cadre d'une sonorisation, qui a déjà été validé par le Conseil constitutionnel 9 ( * ) et ne présente donc aucune difficulté juridique.
3.6. LA GÉOLOCALISATION EN TEMPS RÉEL DU TÉLÉPHONE D'UNE VICTIME EST EXCLUE DE CE RÉGIME
3.6.1. Option 1 (rejetée) : Intégrer la géolocalisation en temps réel du téléphone détenu par la victime dans le régime élaboré par le présent projet de loi
La notion de géolocalisation en temps réel d'un terminal de télécommunication détenu par une victime peut recouvrer plusieurs situations relativement différentes. Sans être exhaustif, on peut distinguer les situations suivantes : enlèvement ou séquestration d'une personne, disparition inquiétante, fugue d'un mineur.
Il aurait pu être envisagé de soumettre les mesures de géolocalisation en temps réel des terminaux de télécommunication détenus par les victimes au même régime d'autorisation que celui instauré par le présent projet de loi.
Cette option n'a pas été retenue. En effet, les mesures de géolocalisation en temps réel des terminaux de télécommunication détenus par une victime ont pour objectif de retrouver une victime ou une personne disparue et non de rassembler des preuves à son encontre. Les mesures sont donc réalisées dans l'intérêt de la victime.
La géolocalisation en temps réel des terminaux de télécommunication des victimes a donc été exclue du régime instauré par le projet de loi.
3.6.2. Option retenue : Continuer à ordonner les mesures de géolocalisation en temps réel des terminaux de télécommunication détenues en vertu des dispositions générales du code de procédure pénale
Le projet de loi prévoit donc expressément dans le nouvel article 230-38 du code de procédure pénale, que dans le cadre d'une enquête diligentée par le procureur de la République, ce dernier peut toujours prescrire la géolocalisation d'un terminal de télécommunication détenue par une victime en vertu des articles 60-1, 60-2 77-1-1,77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale.
Le juge d'instruction, dont l'intervention n'a pas été censurée par la Cour de cassation, peut toujours ordonner la géolocalisation sans distinguer selon qu'elle vise une victime ou un mis en cause.
3.8. RECOURS À LA GÉOLOCALISATION PAR LES AGENTS DES DOUANES
3.8.1. Options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et nécessité de légiférer
Les pouvoirs d'investigation actuels sont insuffisants dans certains cas. A titre d'exemple, plusieurs situations peuvent motiver un recours à un système de géolocalisation :
Ø dans le cadre d'opérations d'infiltration. La pose d'un équipement ou d'une géolocalisation en temps réel des mobiles des personnes ciblées par l'enquête faciliterait la réalisation des opérations et constituerait notamment une garantie de sécurité supplémentaire pour l'agent des douanes infiltré. Il convient de noter que les opérations d'infiltration sont exceptionnelles ;
Ø dans le cadre d'opérations de livraisons surveillées. Le positionnement traditionnel de la douane sur les flux de marchandises amène fréquemment ses services, notamment dans le cadre des opérations de surveillance et de contrôle du fret commercial, à relever la présence de marchandises prohibées ou d'indices de blanchiment douanier. Dans ces situations, le procureur de la République est informé préalablement à la mise en place de l'opération de surveillance portant sur les marchandises découvertes. Dans les cas de fraude importante et complexe, le recours à un système de géolocalisation se révélerait précieux voire indispensable pour la bonne réussite de l'enquête douanière. En effet, les livraisons surveillées ont pour objectif d'identifier les filières incriminées et de rechercher les véritables destinataires des marchandises de fraude. Pour certaines de ces affaires (complicités éventuelles dans la chaîne logistique par exemple), le recours à la pose d'un système de balise par exemple peut être déterminant dans la réussite de l'opération de surveillance et l'identification du réel destinataire des marchandises.
Le nombre de livraisons surveillées réalisées par la douane est de l'ordre de 500 procédures par an dans des domaines variées tels que les stupéfiants, les produits dopants, les contrefaçons, les armes et les cigarettes. La pose d'un dispositif de géolocalisation n'a pas vocation à être systématique pour l'ensemble des affaires. L'administration des douanes estimer que dans quelques dizaines de cas, le recours à un dispositif de géolocalisation aurait permis la réussite de l'opération de surveillance, à savoir l'identification du destinataire réel ou la facilitation de la coopération douanière internationale par exemple dans le cadre de la convention de Naples II.
3.8.2. Option retenue
Il est proposé d'insérer le dispositif de géolocalisation dans la section VII du chapitre IV du titre II du code des douanes relative aux techniques spéciales d'enquêtes douanières (opérations de surveillance et d'infiltration, opérations de « coups d'achat ».
Ce pouvoir est complémentaire à ce type d'investigations qui sont réservées à des agents des douanes spécialement et individuellement habilités par le ministre chargé des douanes dans des conditions fixées par décret. En pratique, ces conditions sont les mêmes que celles prévues par le décret n° 2004-976 du 15 septembre 2004 modifié qui fixe les règles d'habilitation des agents des douanes qui réalisent des opérations de surveillance et d'infiltration (article 67 bis du code des douanes) et des opérations de « coups d'achat » (article 67 bis-1 du code des douanes).
La mise en place d'un système de géolocalisation par la douane se réalise dans les mêmes conditions et dans le respect des mêmes garanties que celles prévues par les articles 230-33 et suivants du code de procédure pénale s'agissant notamment du contrôle de l'autorité judiciaire et du cas particulier des opérations de mise en place ou de retrait des dispositifs techniques qui nécessitent une intervention dans un véhicule ou un lieu privé. La seule distinction entre les procédures de droit commun et les enquêtes douanières consiste à ne prévoir que la compétence du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention qui sont les autorités judiciaires de référence de l'administration des douanes (pas de relations actuelles entre les services de douane administrative et le juge d'instruction).
4. IMPACTS |
4.1. IMPACTS JURIDIQUES
Le présent projet de loi a pour objet d'insérer dans le livre IV du titre Ier du code de procédure pénale un chapitre V intitulé « De la géolocalisation en temps réel ».
Aux termes des articles 230-32 à 230-38 du code de procédure pénale nouvellement créés, il sera désormais possible de procéder aux opérations de géolocalisation en temps réel dans le cadre d'enquêtes portant sur une infraction punie d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à 3 ans. Les enquêtes en recherche des causes de la mort, en recherche des causes de la disparition et en recherche d'une personne en fuite entrent également dans le champ d'application du présent projet de loi.
Concernant les enquêtes placées sous l'autorité du parquet, cette autorisation écrite sera délivrée par le procureur de la République pour une durée de quinze jours. A l'issue de ce délai, la poursuite des opérations devra être ordonnée par le juge des libertés et de la détention, saisi à la requête du procureur de la République, pour une durée d'un mois renouvelable. Dans le cadre d'une information judiciaire, le juge d'instruction autorisera par écrit la géolocalisation en temps réel pour une durée de quatre mois renouvelable.
En cas d'urgence résultant d'un risque imminent de dépérissement des preuves ou d'un risque imminent d'atteinte grave aux personnes ou aux biens, l'officier de police judiciaire pourra procéder à la mise en place d'une géolocalisation en temps réel sur autorisation préalable donnée par tout moyen du magistrat en charge des investigations. Dans un délai maximum de quarante-huit heures, la poursuite de la mesure devra néanmoins être prescrite par une décision écrite du magistrat.
La géolocalisation en temps réel du téléphone portable d'une victime est exclue du présent projet de loi et reste régie par les dispositions générales du code de procédure pénale relatives aux réquisitions judiciaires.
4.2. IMPACTS SUR LES SERVICES JUDICIAIRES
Les statistiques disponibles ne permettent pas d'identifier le volume d'autorisations de géolocalisation accordées dans le cadre de l'enquête préliminaire.
Les données volumétriques globales obtenues sont de 19 650 réquisitions de géolocalisation dont 70% seraient ordonnées au stade des enquêtes préliminaires, soit 13 750 réquisitions.
En 2009, il y avait quelques milliers de réquisitions. De janvier à octobre 2013, on estime que les facturations pour ces réquisitions s'élèvent à 10 millions. On estime l'augmentation des facturations à 30% en 2012 et 30% en 2013.
S'agissant de la géolocalisation par balises, qui n'apparaissent qu'exceptionnellement en procédure, les estimations font état d'environ 5 500 poses de balises (une balise pouvant servir plusieurs fois) effectuées annuellement par les services d'enquête.
Au total, il est donc estimé que 17 850 opérations de géolocalisation sont actuellement décidées annuellement, majoritairement au sein des ressorts des cours d'appel de Paris, Versailles et Aix-en-Provence.
Les données statistiques ne permettent pas de distinguer dans cet ensemble les procédures engagées en relation avec un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement comprise en deux et trois années. Par ailleurs, la durée moyenne des réquisitions est actuellement estimée à 25 jours. Il est toutefois vraisemblable que 80 % des demandes de géolocalisation en temps réel s'effectueront dans la limite de la nouvelle durée maximale de 15 jours instituée par le présent projet.
Dans ces conditions l'incidence de ces nouvelles dispositions sur l'activité des juges des libertés et de la détention sera limitée à environ 3 500 opérations (20% * 17 850).
En considérant qu'un juge des libertés et de la détention travaillant à temps plein exclusif peut traiter au pénal 1 680 affaires terminées, et en prenant pour hypothèse que chaque demande de géolocalisation fait l'objet d'une saisine, le besoin en juge des libertés et de la détention est évalué à 2 ETPT .
4.3. IMPACTS SUR LES SERVICES DE POLICE ET DE GENDARMERIE
Le présent projet de loi permet de sécuriser l'emploi des moyens de géolocalisation par les enquêteurs dans un contexte marqué par l'essor de moyens technologiques tant au service de la sécurité nationale que des délinquants. Tenant compte des nécessités de l'enquête (fenêtre d'opportunité parfois réduite pour la pose de moyens dédiés, cas d'urgence prévu par une autorisation par tout moyen du procureur de la République...), il est équilibré pour garantir l'exercice de la liberté individuelle sous la protection de l'autorité judiciaire comme la recherche des auteurs des infractions.
Les services d'enquête ont accru ces dernières années leur capacité à localiser, a posteriori, voire dans certains cas en temps réel, les individus ciblés par leurs investigations. Ces possibilités reposent sur l'exploitation de données collectées et détenues par des acteurs privés dans le cadre de prestations ou de services offerts à leurs abonnés sur l'ensemble du territoire national, voire à l'étranger.
Par voie de réquisition judiciaire, les enquêteurs peuvent ainsi se faire communiquer rapidement et facilement ces données, autant de connexions et d'utilisations de services qui intègrent de nombreux paramètres, comme la tarification, l'horodatage et bien sûr la localisation de l'abonné.
Au titre de ces prestations, on compte celles des opérateurs de téléphonie mobile (connexion, transit, ou station sur un relais ou borne téléphonique situé précisément au sein d'un maillage complet du territoire national), celles des acteurs du secteur bancaire ou para-bancaire (connexion pour utilisation d'un moyen de paiement), ou celles de nombreuses autres entreprises (autoroutes, parkings, etc) proposant des moyens nominatifs de télépaiement.
La majorité des balises employées par les services spécialisés ne sont qu'un moyen dédié permettant d'utiliser a posteriori, mais également en temps réel, les données de géolocalisation et de géopositionnement (localisation très précise de type GPS) des opérateurs de téléphonie mobile ou satellitaire.
Les moyens techniques permettant de géolocaliser un objet, un téléphone ou une personne sont :
Ø le tracking radio : la goniométrie permet la localisation de la balise par radio et non par satellite. Un signal radio émis par la balise permet à l'opérateur d'interpréter la position et la direction de déplacement de la balise. (Ce système est utilisé lorsque les malfaiteurs sont susceptibles d'utiliser des brouilleurs et contre-mesures),
Ø Le tracking par balise satellitaire (GPS/GSM) : Ce matériel permet de géolocaliser la balise à quelques mètres grâce à un satellite, les données étant retransmises aux enquêteurs par SMS.
La géolocalisation en temps réel des téléphones s'opère uniquement sur réquisition judiciaire à l'opérateur qui retransmet les données aux enquêteurs.
La pose de balises par les services de police a débuté au cours des années 90. Les premières balises utilisées étaient des balises radio. Elles nécessitaient des interprétations de données complexes liées à la goniométrie, encore utilisée dans certains cas aujourd'hui (voir supra).
L'utilisation des balises satellitaires modernes a débuté en 1993 avec les balises ARGOS (d'inspiration maritime). Celles-ci, extrêmement coûteuses, n'étaient que peu utilisées.
L'apparition des téléphones cellulaires a profondément fait évoluer les pratiques. Les premiers téléphones portables ont servi de balises GSM ne permettant qu'une localisation sur une cellule téléphonique (la précision variant de quelques centaines de mètres en ville à plusieurs kilomètres en rase campagne).
Enfin les balises GPS/GSM actuellement utilisées par les services d'enquête, se sont démocratisées vers 2000 avec des coûts beaucoup plus abordables et une interface accessible à tous les enquêteurs.
La DGPN et la DGGN disposent d'un parc d'environ 1 890 balises, tout en sachant que leur nombre varie en raison des pertes, des destructions, ou des défaillances techniques. Le périmètre d'utilisation et le taux d'usure très variable de ces balises rend actuellement difficile un recensement précis
L'évolution du nombre de balises posées par les services de ces deux directions est ainsi estimée :
2011 : 4 622
2012 : 5 446
Les 11 premiers mois de 2013 : 5 324
Une même balise peut être utilisée plusieurs fois la même année.
Les deux arrêts de la cour de cassation ont conduit à l'abandon de cette pratique depuis le début du mois de novembre en application de la circulaire de la DACG. Toutefois, il était constaté chaque année une augmentation du recours aux balises.
Le prix d'acquisition d'une balise est de 1 200 euros. Celui-ci inclut l'achat du matériel, de ses accessoires (batterie) et son coût de fonctionnement (puce GSM et abonnement).
Dans le cadre de la mise en oeuvre de ce dispositif, les services de police et de gendarmerie ont évalué le taux de perte du matériel à environ 20 %.( véhicule détruit ou partie à l'étranger).
Les contraintes procédurales engendrées par cette loi, nécessiteront un investissement plus important des personnels dans le travail de rédaction des procédures, ainsi qu'une nécessaire adaptation de leur part à cette nouvelle législation.
Il sera également nécessaire d'élaborer une doctrine d'emploi de ces moyens, à laquelle sera associé un processus de formation, des règles de gestion des personnels et des règles de dotation de matériel, ainsi qu'un recours à des spécialistes des systèmes d'information et de communication qualifiés pour certains systèmes de téléphonie ou encore à des spécialistes en automobile par rapport à la connaissance des véhicules.
4.4. IMPACTS SUR LES VICTIMES
Ce projet de loi, en ce qu'il encadre la géolocalisation en temps réel permettant d'interpeller les auteurs d'infraction et, par exemple, de retrouver des personnes venant de commettre un enlèvement d'enfant, participent de la protection des victimes.
4.5. IMPACTS SUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Aucun impact sur les collectivités territoriales.
4.6. IMPACT SUR LES ENTREPRISES
Aucun impact sur les entreprises.
4.7. IMPACT SUR L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
Aucun impact en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.
4.8. IMPACT SUR LES PERSONNES HANDICAPÉES
Aucun impact sur les personnes handicapées.
5. CONSULTATIONS ET MODALITÉS D'APPLICATION |
5.1. CONSULTATIONS
5.1.1. Consultations obligatoires
Le projet de loi n'est soumis à aucune consultation obligatoire.
5.1.2. Consultations facultatives
Sans objet
5.2. APPLICATION DE LA LOI DANS LE TEMPS
Les dispositions du projet de loi sont d'application immédiate.
Les textes réglementaires suivants devront être pris sur le fondement de la loi :
Articles du PJL renvoyant à des mesures réglementaires |
Nature du texte réglementaire |
Objet du texte réglementaire |
Art. 1er créant un art. 230-36 CPP |
Décret simple |
Un décret simple doit être préparé par le ministère de l'intérieur pour la désignation des agents qualifiés d'un service, d'une unité ou d'un organisme placés sous l'autorité ou la tutelle du Ministre de l'intérieur, et habilités à procéder à l'installation d'un dispositif technique sur le modèle de l'article D15-1-5 du code procédure pénale. |
Art.2 |
Conditions d'habilitation des agents des douanes |
5.3. APPLICATION DE LA LOI DANS L'ESPACE
L'article 1 du projet de loi est rendu applicable sur l'ensemble du territoire de la République.
L'article 2 du projet de loi sera applicable de plein droit dans les départements et régions d'outre-mer. Il sera également applicable de plein droit en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française en application, respectivement, du 8° de l'article 6-2 de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 et du 8° de l'article 7 de la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004. L'article 2 du projet de loin'est pas rendu applicable à Wallis et Futuna. En effet, pour cette collectivité, il est prévu de faire adopter ultérieurement par voie d'ordonnance une extension de l'ensemble des techniques spéciales d'enquêtes douanières afin d'avoir un dispositif répressif cohérent.
* 1 Cass crim, 22 novembre 2011, pourvoi n°11-84308
* 2 Cass. crim. 22 octobre 2013, arrêts n°5236 et n°5238,
* 3 CEDH 2 septembre 2010, requête n°356203/05
* 4 Autrement appelé par la Cour, critère de « nécessité dans une société démocratique »
* 5 La procédure applicable à l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes et des délits suivants est celle prévue par le présent code, sous réserve des dispositions du présent titre :
1° Crime de meurtre commis en bande organisée prévu par le 8° de l'article 221-4 du code pénal ;
2° Crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée prévu par l'article 222-4 du code pénal ;
3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ;
4° Crimes et délits d'enlèvement et de séquestration commis en bande organisée prévus par l'article 224-5-2 du code pénal ;
5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains prévus par les articles 225-4-2 à 225-4-7 du code pénal
6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme prévus par les articles 225-7 à 225-12 du code pénal ;
7° Crime de vol commis en bande organisée prévu par l'article 311-9 du code pénal ;
8° Crimes aggravés d'extorsion prévus par les articles 312-6 et 312-7 du code pénal ;
8° bis Délit d'escroquerie en bande organisée prévu par le dernier alinéa de l'article 313-2 du code pénal ;
9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée prévu par l'article 322-8 du code pénal ;
10° Crimes en matière de fausse monnaie prévus par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal ;
11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;
12° Délits en matière d'armes et de produits explosifs commis en bande organisée, prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ainsi que par les articles L. 317-2, L. 317-4 et L. 317-7 du code de la sécurité intérieure
13° Délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France commis en bande organisée prévus par le quatrième alinéa du I de l'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
14° Délits de blanchiment prévus par les articles 324-1 et 324-2 du code pénal, ou de recel prévus par les articles 321-1 et 321-2 du même code, du produit, des revenus, des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° à 13° ;
15° Délits d'association de malfaiteurs prévus par l'article 450-1 du code pénal, lorsqu'ils ont pour objet la préparation de l'une des infractions mentionnées aux 1° à 14° et 17° ;
16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, prévu par l'article 321-6-1 du code pénal, lorsqu'il est en relation avec l'une des infractions mentionnées aux 1° à 15° et 17° ;
17° Crime de détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée prévu par l'article 224-6-1 du code pénal ;
18° Crimes et délits punis de dix ans d'emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs entrant dans le champ d'application de l'article 706-167 ;
19° Délit d'exploitation d'une mine ou de disposition d'une substance concessible sans titre d'exploitation ou autorisation, accompagné d'atteintes à l'environnement, commis en bande organisée, prévu à l'article L. 512-2 du code minier, lorsqu'il est connexe avec l'une des infractions mentionnées aux 1° à 17° du présent article.
Pour les infractions visées aux 3°, 6° et 11°, sont applicables, sauf précision contraire, les dispositions du présent titre ainsi que celles des titres XV, XVI e
* 6 Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC
* 7 Articles 706-95 du code de procédure pénale en préliminaire ou en flagrance, et 100-2 en cas d'information judiciaire
* 8 Lorsque les nécessités de l'information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, le juge d'instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. Ces opérations sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction.
En vue de mettre en place le dispositif technique mentionné au premier alinéa, le juge d'instruction peut autoriser l'introduction dans un véhicule ou un lieu privé, y compris hors des heures prévues à l'article 59, à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l'occupant des lieux ou de toute personne titulaire d'un droit sur ceux-ci.S'il s'agit d'un lieu d'habitation et que l'opération doit intervenir hors des heures prévues à l'article 59, cette autorisation est délivrée par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le juge d'instruction. Ces opérations, qui ne peuvent avoir d'autre fin que la mise en place du dispositif technique, sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction. Les dispositions du présent alinéa sont également applicables aux opérations ayant pour objet la désinstallation du dispositif technique ayant été mis en place.
La mise en place du dispositif technique mentionné au premier alinéa ne peut concerner les lieux visés aux articles 56-1,56-2 et 56-3 ni être mise en oeuvre dans le véhicule, le bureau ou le domicile des personnes visées à l'article 100-7.
Le fait que les opérations prévues au présent article révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision du juge d'instruction ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.
* 9 Décision n° 2004-492 DC du 02 mars 2004