NOTE DE SYNTHESE
En
France, depuis 1992, l'article 121-2 du code pénal prévoit la
responsabilité pénale des personnes morales. Cependant, en ce qui
concerne les collectivités territoriales, la responsabilité
pénale est limitée aux "
infractions commises dans
l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de
délégation de service public
". Par conséquent,
pour les activités qui ne peuvent pas faire l'objet de telles
conventions, seule la responsabilité des personnes physiques,
c'est-à-dire des élus locaux, peut être mise en cause.
De plus, comme le même article du code pénal énonce
que : "
la responsabilité pénale des personnes
morales n'exclut pas celles des personnes physiques auteurs ou complices des
mêmes faits
", le champ de la responsabilité
pénale des élus locaux apparaît presque illimité.
Certes, la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 a restreint la
définition du délit non intentionnel, puisqu'elle prévoit
qu'en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité, un élu local ayant
reçu une délégation ne peut être condamné
"
pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de ses
fonctions que s'il est établi qu'il n'a pas accompli les diligences
normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont
il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi
lui confie
".
Cependant, malgré la loi de 1996, la responsabilité pénale
des élus locaux continue à être fréquemment mise en
cause pour des faits non intentionnels, et les demandes de réforme du
régime français se multiplient.
Dans la perspective de l'examen par le Sénat de la proposition de loi
tendant à préciser la définition des délits non
intentionnels, présentée par M. Pierre Fauchon au mois
d'octobre 1999, il a semblé utile d'examiner le régime de la
responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non
intentionnels dans plusieurs pays européens. L'
Allemagne,
l'
Angleterre
et le
Pays de Galles
, le
Danemark
,
l'
Espagne
et le
Portugal
, représentatifs de traditions
juridiques différentes, ont été retenus.
Pour chacun de ces cinq pays, l'étude présente :
- le régime général des délits d'imprudence et de
négligence ;
- les règles relatives à la responsabilité pénale
des personnes morales ;
- les circonstances dans lesquelles la responsabilité pénale des
élus locaux peut être mise en cause.
Cette analyse permet de mettre en évidence que :
- en Allemagne, en Espagne et au Portugal, en l'absence de prescriptions
spécifiques relatives à la responsabilité pénale
des élus locaux, ces derniers peuvent être mis en examen pour
négligence ;
- la loi danoise exclut que les élus locaux soient mis en cause
uniquement pour négligence ;
- la tradition d'immunité des élus locaux anglais a
été confortée par la loi.
1)
En Allemagne, en Espagne et au Portugal, aucune prescription
spécifique relative à la responsabilité pénale des
élus locaux n'empêche leur mise en examen pour négligence
Dans ces trois pays, ni le code pénal ni les textes sur les
collectivités locales ne comportent de dispositions particulières
à la responsabilité pénale des élus locaux
.
En effet, la loi espagnole de 1985 sur les fondements du régime local
précise que les élus locaux répondent civilement et
pénalement des actes réalisés pendant l'exercice de leurs
fonctions, ainsi que de leurs omissions, et que leur responsabilité est
recherchée par les tribunaux compétents conformément
à la procédure de droit commun.
De même, la loi portugaise de 1987 portant statut des élus locaux
prévoit que les collectivités doivent supporter les frais
relatifs aux procès où les élus sont impliqués par
suite de l'exercice de leur mandat, sauf s'il y a eu négligence ou dol
de leur part. Ceci signifie implicitement que la responsabilité
pénale des élus locaux portugais est recherchée selon les
règles du droit commun.
En revanche, le droit allemand n'évoque pas du tout le cas des
élus locaux. Tout au plus leur qualité de
" dépositaire de l'autorité publique " justifie-t-elle
que les juges usent de leur pouvoir d'appréciation pour les sanctionner
plus sévèrement.
Dans ces trois pays, l'absence de dispositions spécifiques relatives
à la responsabilité pénale des élus locaux
n'empêche donc pas ces derniers d'être mis en examen pour
négligence
. Ainsi, la catastrophe du lac de Banyoles en Catalogne,
en octobre 1998, s'est traduite par la mise en examen du conseiller
chargé de l'environnement, pour homicide par imprudence grave, ainsi que
pour coups et blessures par imprudence grave. En revanche, en Allemagne les
atteintes à l'environnement, semblent constituer le motif le plus
fréquent de mise en examen des élus locaux. Toutefois, la
recherche de la responsabilité pénale des élus locaux pour
des faits non intentionnels paraît exceptionnelle. Au Portugal, aucun
élu local n'a été mis en cause pour négligence
à ce jour.
2) La loi danoise exclut que la responsabilité des élus locaux
soit mise en cause uniquement pour négligence
La loi de 1998 sur les organes des collectivités locales reprend une
disposition introduite en 1984 à la suite de quelques cas graves,
à l'occasion desquels l'opinion publique s'était émue
devant l'impossibilité de toute intervention. La loi énonce
désormais que : "
Les membres des conseils qui se rendent
coupables de manquements graves aux devoirs que leur mandat implique sont punis
d'une amende. La négligence simple n'est pas punie.
"
De plus, elle précise que seule l'autorité qui contrôle les
actes des collectivités locales peut engager une action contre les
élus locaux.
Ces règles législatives ont été
précisées par une circulaire du ministre de l'Intérieur,
qui apparaît assez protectrice pour les élus locaux, dans la
mesure où elle souligne que la faiblesse des pouvoirs de contrôle
des élus locaux sur l'administration locale devrait limiter les cas de
" manquements graves ". La circulaire justifie également que,
de façon générale, les élus prennent leurs
décisions sur la base des travaux de l'administration locale, à
moins que le caractère erroné ou lacunaire de ces travaux
n'apparaissent de façon évidente.
3) La tradition d'immunité des élus locaux anglais a
été confortée par la loi
En règle générale,
la responsabilité des
collectivités locales anglaises est recherchée sur le terrain
civil
, en application de la notion de
responsabilité
extra-contractuelle
, et non sur le terrain pénal.
Distincte de la responsabilité des collectivités, celle des
élus à titre individuel pourrait en théorie
également être engagée. Cependant, cette possibilité
n'a jamais été clairement établie, de sorte que les
élus jouissent traditionnellement de l'immunité contre tout type
de responsabilité.
Cette tradition a été confortée dès la fin du
XIX
ème
siècle par la loi sur la santé publique,
qui excluait que la responsabilité personnelle des élus locaux
fût recherchée dans le cadre de l'application de cette loi par les
collectivités locales, dans la mesure où tous les actes qui s'y
rapportaient avaient été accomplis de bonne foi. En 1976, une loi
sur les collectivités locales a étendu cette immunité pour
couvrir les actes se rapportant à l'exécution de toutes les lois.
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Même en l'absence de dispositions protectrices, la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels semble donc constituer un phénomène marginal dans les cinq pays étudiés.