NOTE DE SYNTHESE
Le Garde
des Sceaux ayant récemment suggéré d'instaurer en France
un " divorce civil " en cas de séparation des époux par
consentement mutuel, il a paru intéressant d'examiner les
législations étrangères permettant d'atténuer le
rôle du juge dans la procédure de divorce.
A cette fin, on a étudié les législations relatives au
divorce consensuel, car les procédures applicables en cas d'accord des
époux ont pour caractéristiques non seulement
d'accélérer le contentieux conjugal mais aussi de diminuer le
rôle du juge. Il a également semblé nécessaire de
montrer que certaines modifications législatives récentes ont
essayé de limiter les inconvénients d'une
déjudiciarisation trop poussée.
Les pays suivants ont été retenus :
Angleterre
et
Pays de Galles
,
Belgique
,
Danemark
,
Italie
,
Norvège
et
Suède
. On a de plus analysé la
récente loi sur le mariage adoptée le 15 juillet 1997 par
l'Etat américain de Louisiane
qui cherche à rendre le
divorce plus difficile.
L'étude des législations européennes fait apparaître
que :
-
l'accord des conjoints est une condition permettant le recours à
une procédure simplifiée et accélérée ;
- l'affaiblissement du rôle du juge s'accompagne d'une autonomie
croissante des époux dans le règlement des effets du
divorce ;
- la protection de l'intérêt des enfants constitue toutefois une
limite importante à la déjudiciarisation du divorce.
I. L'ACCORD DES CONJOINTS PERMET LE RECOURS A UNE PROCEDURE ABREGEE ET SIMPLIFIEE
1) Une procédure abrégée et simplifiée...
L'accord
des époux permet :
- de diminuer la durée de séparation nécessaire pour
demander le divorce. Par exemple, au Danemark, le délai de
séparation passe de douze à six mois en cas de demande conjointe.
De même, en Angleterre et au Pays de Galles, la durée
nécessaire de séparation est réduite de cinq à deux
ans en cas d'accord des époux, selon la législation actuellement
en vigueur.
- de simplifier la procédure. En Belgique, la réforme n'exige
plus que deux comparutions des époux espacées de trois mois, au
lieu de trois espacées de six mois. En Norvège et en
Suède, la procédure étant écrite et sommaire, elle
est nécessairement plus rapide. En Italie, la phase de conciliation est
abrégée lorsqu'il y a divorce par consentement mutuel.
2) ... qui permet d'obtenir le divorce plus rapidement
Au
total, la durée des divorces a fortement diminué dans les pays
européens après les réformes de simplification des
procédures. Elle n'est plus par exemple que de quelques mois au Danemark
et en Norvège. De même, en Angleterre et au Pays de Galles, la
procédure spéciale appliquée depuis 1977 à tous les
divorces non contestés permet aux couples de divorcer en quatre à
six mois.
A l'inverse de cette tendance, certains pays ont souhaité lutter contre
une trop grande célérité des procédures qui nuirait
à toute tentative de restauration du mariage. C'est ainsi que la
réforme britannique de 1996, qui n'est pas encore entrée en
vigueur, instaure un délai de "
réflexion et de
considération
" ; une période de neuf ou quinze
mois selon les cas devra nécessairement s'écouler entre le
dépôt de la demande et la suite de la procédure.
II. L'AFFAIBLISSEMENT DU ROLE DU JUGE S'ACCOMPAGNE D'UNE AUTONOMIE CROISSANTE DES EPOUX DANS LE REGLEMENT DES EFFETS DU DIVORCE
1) L'affaiblissement du rôle du juge
La
plupart du temps, le contrôle du juge devient purement formel. Dans
certains cas, l'étendue même de sa compétence se restreint.
a) Un contrôle formel
En Belgique, le procureur du Roi doit donner au juge un avis sur le respect des
conditions légales de forme et d'admissibilité de la
requête, qui est un simple contrôle de légalité.
En Angleterre et au Pays de Galles, sous l'empire de la législation
actuellement en vigueur, le contrôle du juge est pratiquement inexistant
puisqu'il n'examine pas le fond de l'affaire.
En Norvège, le gouverneur du comté, compétent à la
place du juge pour les divorces non contestés, ne fait que
vérifier le respect des conditions de délai de séparation.
b) Une compétence restreinte
Il arrive que des
pans entiers du contentieux du divorce ne relèvent
plus de la compétence judiciaire :
- les divorces non contestés en Norvège et au Danemark sont
traités par le gouverneur du comté ;
- le règlement de certains effets accessoires du divorce peut
être confié à une autorité administrative. C'est
notamment le cas en Angleterre et au Pays de Galles, où le montant de la
pension alimentaire due aux enfants est fixée par une agence
administrative, la Child Support Agency. De même, au Danemark, la
détermination des droits de visite relève dans tous les cas de la
compétence de l'administration.
2) La privatisation du règlement des effets du divorce
Dans
l'ensemble des pays étudiés, les époux ont une autonomie
de plus en plus grande pour trouver des arrangements sur les
conséquences du divorce. Parallèlement, le recours à des
organismes de médiation est encouragé.
a) L'autonomie des époux
Le législateur cherche en effet à aboutir à une plus
grande contractualisation des questions conjugales. Il appartient aux
époux de trouver eux-mêmes des accords satisfaisants concernant la
pension alimentaire et la garde des enfants.
En Angleterre et au Pays de Galles, la réforme de 1996 a institué
un délai de réflexion afin de permettre aux époux de
trouver un accord sur les effets du divorce, alors qu'auparavant, le
règlement de ces questions était examiné après le
divorce.
En Belgique, avant 1994, la loi donnait aux conventions passées entre
les époux force de loi. Ce divorce " contractuel " n'a
d'ailleurs été que peu touché par la réforme.
b) Le recours à la médiation
Le couple peut être aidé dans sa recherche d'un accord par des
organismes de médiation. Le recours à de telles structures est
fortement encouragé.
En Angleterre et au Pays de Galles, les époux sont informés lors
de l'entretien préliminaire des possibilités de recourir à
la médiation ou aux services de conseil conjugal. Les avocats sont
destinés à devenir le dernier recours.
En Suède, les municipalités doivent tenir à la disposition
de tous les couples un service de médiation gratuit, qui joue un
rôle important dans la recherche d'un accord sur les problèmes de
garde et de droits de visite.
En Norvège, la médiation est obligatoire lorsqu'il y a des
enfants de moins de seize ans.
III. LA PROTECTION DE L'INTERET DES ENFANTS CONSTITUE TOUTEFOIS UNE LIMITE IMPORTANTE A LA DEJUDICIARISATION DU DIVORCE
1) La présence d'enfants mineurs impose aux parents le respect de règles supplémentaires
Certaines précautions supplémentaires sont
imposées par la loi pour garantir une meilleure prise en compte de
l'intérêt des enfants.
En Angleterre et au Pays de Galles, comme en Suède, le délai de
réflexion imposé aux parents est allongé lorsqu'il y a des
enfants de moins de seize ans.
En Norvège, la médiation est obligatoire lorsqu'il y a des
enfants âgés de moins de seize ans.
Enfin, en Belgique, la réforme de 1994 a introduit la possibilité
pour un parent de demander au juge de modifier la convention après le
divorce si l'intérêt des enfants se trouvait gravement
menacé à la suite de "
circonstances
imprévisibles
".
2) Le juge contrôle alors les accords passés entre les conjoints
La
protection de l'intérêt de l'enfant a incité le
législateur à renforcer le pouvoir donné au juge pour
contrôler le contenu des accords passés entre les époux.
En Belgique, depuis 1994, un contrôle judiciaire d'opportunité a
été introduit pour la défense de l'intérêt
des enfants mineurs. Il se manifeste de deux façons :
- le procureur est invité à donner un avis sur le contenu des
conventions relatives aux enfants mineurs ;
- si le juge considère certaines dispositions de ces conventions comme
"
manifestement contraires aux intérêts des enfants
mineurs
", il peut les faire supprimer ou modifier.
Au Danemark, lorsque le divorce n'est pas contesté, l'administration,
compétente à la place du juge, peut refuser de prononcer le
divorce par décret si l'arrangement trouvé est contraire à
l'intérêt des enfants.
En Italie, le divorce n'est accordé que si les arrangements des
époux sont satisfaisants pour l'intérêt des enfants.
Enfin, en Suède, le juge n'exerce un contrôle sur les accords des
époux que pour vérifier que l'intérêt des enfants a
bien été pris en compte.
* *
*
Dans
l'ensemble des pays européens étudiés, il est apparu
nécessaire de simplifier le contentieux conjugal en instaurant des
procédures de divorce par consentement mutuel qui donnent une plus
grande autonomie aux conjoints pour trouver des arrangements satisfaisants sur
les conséquences du divorce.
Toutefois, cette contractualisation du divorce s'accompagne de deux limites
importantes. D'une part, elle conduit le plus souvent à confier à
des organismes de médiation une place importante dans la
procédure de divorce. D'autre part, elle n'exclut jamais totalement le
juge qui devient un régulateur des conflits familiaux.
A l'inverse de cette tendance, la Louisiane a créé un contrat de
mariage " renforcé " (
covenant marriage
) qui n'ouvre la
possibilité aux couples de divorcer qu'après le respect d'un
délai relativement long de séparation ou sous des conditions
restrictives.