Avril 2024

- LÉGISLATION COMPARÉE -

NOTE

sur

LE DROIT D'ACCÈS DE LA DÉFENSE AUX PIÈCES DU DOSSIER DANS LES PROCÉDURES PÉNALES

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Allemagne - Belgique - Espagne - Italie - Pays-Bas

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Cette note a été réalisée à la demande de la commission d'enquête consacrée à l'impact du narcotrafic en France et aux mesures à prendre pour y remédier.

AVERTISSEMENT

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs, à partir de documents en langue originale, par la division de la Législation comparée de la direction de l'initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

LE DROIT D'ACCÈS DE LA DÉFENSE AUX PIÈCES DU DOSSIER DANS LES PROCÉDURES PÉNALES

À la demande de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, la division de la Législation comparée a effectué une recherche sur le droit d'accès des prévenus et de leurs avocats aux pièces du dossier dans le cadre des procédures pénales, et plus spécifiquement sur l'existence éventuelle de documents non accessibles à la défense, notamment en raison de leur obtention au moyen de techniques spéciales d'enquête1(*).

Après un rappel concernant le cadre juridique au niveau européen, les droits applicables en Allemagne, en Belgique, en Italie et aux Pays-Bas sont présentés ci-après.

1. Éléments de droit européen

L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme consacre le droit à un procès équitable, notamment en matière pénale. Selon son paragraphe 3, tout accusé a droit notamment à « b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

Plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ont été rendus sur le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense. Selon cette dernière, « Il peut aussi y avoir atteinte à l'égalité des armes lorsque, pour des motifs d'intérêt public, l'accusé a un accès limité à son dossier ou à d'autres documents (Matyjek c. Pologne, 2007, § 65 ; Moiseyev c. Russie, 2008, § 217) »2(*).

Elle considère également que « le libre accès aux pièces du dossier et le libre recours à toute note, y compris au besoin la possibilité d'obtenir copie des documents pertinents, sont d'importantes garanties d'un procès équitable. Les refuser pèse lourdement en faveur d'une violation du principe de l'égalité des armes (Beraru c. Roumanie, 2014, § 70). Dans ces conditions, il faut attacher de l'importance aux apparences ainsi qu'à la sensibilité accrue aux garanties d'une bonne justice. Le respect des droits de la défense exige que la limitation de l'accès d'un accusé et/ou de son avocat au dossier de la juridiction saisie ne doit aucunement empêcher que les éléments de preuve soient soumis à l'accusé avant les débats litigieux et qu'il puisse, par l'intermédiaire de son avocat, formuler des observations à leur sujet dans sa plaidoirie (Öcalan c. Turquie [GC], 2005, § 140). Toutefois, dans certains cas, l'accusé sera peut-être censé justifier par des motifs spécifiques sa demande d'accès à une pièce particulière du dossier (Matanoviæ c. Croatie, 2017, § 177) »3(*).

Dans l'affaire A.T. c. Luxembourg4(*), la CEDH a précisé que le seul défaut d'accès au dossier pénal par l'avocat avant le premier interrogatoire par le juge ne violait pas l'article 6 de la Convention, en ce que cet article ne garantit pas un droit illimité d'accès au dossier dès avant le premier interrogatoire par le juge d'instruction.

Le droit à l'information dans le cadre des procédures pénales est également garanti par le droit de l'Union européenne. La directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 20125(*) relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales vise à établir des normes minimales dans tous les États membres de l'UE, quelle que soit la situation juridique, la citoyenneté ou la nationalité des personnes concernées en matière d'information dans le cadre des procédures pénales.

Son article 7 prévoit spécifiquement un droit d'accès aux pièces du dossier des suspects ou des prévenus et de leurs avocats. Aux termes de l'article 7, §2, « Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies, qui sont détenues par les autorités compétentes, afin de garantir le caractère équitable de la procédure et de préparer leur défense. »

L'accès aux pièces du dossier doit être accordé « en temps utile pour permettre l'exercice effectif des droits de la défense et, au plus tard, lorsqu'une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l'accusation. » (article 7, §3). Dans l'affaire Kolev, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), a affirmé que «[l]'article 7, §3, de cette directive doit être interprété en ce sens qu'il appartient au juge national de s'assurer que la défense se voit accorder la possibilité effective d'accéder aux pièces du dossier, un tel accès pouvant, le cas échéant, intervenir après le dépôt du réquisitoire introductif d'instance devant le juge, mais avant que celui-ci ne commence à examiner l'accusation au fond et que les débats ne s'ouvrent devant lui, voire après l'ouverture de ces débats, mais avant la phase de délibéré lorsque de nouveaux éléments de preuve sont versés au dossier en cours d'instance, sous réserve que toutes les mesures nécessaires soient prises par le juge afin de garantir le respect des droits de la défense et l'équité de la procédure »6(*).

Une dérogation à ces principes est néanmoins prévue à l'article 7, §4, « Par dérogation aux paragraphes 2 et 3, pour autant que le droit à un procès équitable ne s'en trouve pas affecté, l'accès à certaines pièces peut être refusé lorsque cet accès peut constituer une menace grave pour la vie ou les droits fondamentaux d'un tiers, ou lorsque le refus d'accès est strictement nécessaire en vue de préserver un intérêt public important, comme dans les cas où cet accès risque de compromettre une enquête en cours ou de porter gravement atteinte à la sécurité nationale de l'État membre dans lequel la procédure pénale est engagée. Les États membres veillent à ce que, conformément aux procédures de droit national, une décision de refuser l'accès à certaines pièces en vertu du présent paragraphe soit prise par une autorité judiciaire ou soit au moins soumise à un contrôle juridictionnel. »

En 2018, dans un rapport sur la transposition et la mise en oeuvre de la directive 2012/13/UE, la Commission européenne notait qu'une majorité d'États membres avaient transposé intégralement l'article 7, §2, mais que des problèmes se posaient « lorsque l'accès au dossier est accordé, mais que celui-ci ne contient pas toutes les preuves matérielles. Dans certains cas, les éléments de preuve qui sont conservés en dehors du dossier ne sont pas rendus accessibles ou ne le sont qu'au stade du procès »7(*).

Le fait que certains États membres appliquent de larges dérogations au droit d'accès au dossier était également source de préoccupation pour la Commission européenne :

« L'examen des mesures nationales de mise en oeuvre montre que l'article 7, §4, est l'une des dispositions qui présentent le niveau le plus élevé de disparités entre les États membres. Alors que dix États membres autorisent les refus fondés sur les motifs énoncés dans la directive, d'autres adoptent une approche moins restrictive.

« En ce qui concerne le refus d'accès au dossier pour menace grave à la vie ou aux droits fondamentaux d'une personne, certains États membres requièrent qu'il existe "un danger grave pour la vie, la santé, l'intégrité physique ou la liberté d'une personne" ou "un risque pour les personnes et une violation grave de leur vie privée". Dans d'autres États membres, par contre, le "risque" pour les individus ne doit pas être nécessairement grave. Certains prévoient que « les intérêts privés ou les intérêts d'autrui » peuvent être invoqués.

« Dans plusieurs États membres, l'accès peut être restreint en raison de « risques de pression ou de menace pour les victimes, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concernée par la procédure ».

« En ce qui concerne le refus d'accès au dossier en raison de la nécessité de sauvegarder un intérêt public important, seuls quelques États membres font explicitement référence à la nécessité de sauvegarder un intérêt public « important », mais ils font généralement référence à un « intérêt public » ou à un « intérêt de société ». Dans certains États membres, le motif de la « sécurité nationale » est considéré comme un motif de refus ; dans un État membre, il s'accompagne de motifs de « défense ».

« De nombreux États membres refusent également l'accès lorsque cela risque de nuire à une enquête en cours. Les législations nationales invoquent un préjudice général, un danger ou un dommage pour l'enquête elle-même. Dans certains États membres, ces motifs peuvent aussi être liés à d'autres enquêtes. Des termes plus généraux sont également utilisés, tels que « raisons sérieuses », sans décrire plus en détail ce que peuvent impliquer ces raisons.

« Enfin, l'exigence selon laquelle la décision de refuser l'accès aux documents doit être prise par une autorité judiciaire ou au moins faire l'objet d'un contrôle juridictionnel est respectée par presque tous les États membres. Quelques États membres ne prévoient pas de contrôle juridictionnel au stade de l'enquête policière. Dans ces cas-là, les recours sont examinés par le procureur ou un procureur général »8(*).

2. Allemagne

En Allemagne, la procédure pénale comprend quatre grandes étapes : la procédure préliminaire d'enquête menée par le ministère public, la procédure intermédiaire lors de laquelle la juridiction compétente décide si la procédure demandée par le procureur doit être ouverte, la procédure principale lors de laquelle se déroule l'audience principale devant le tribunal et la procédure d'exécution du jugement et de la peine9(*).

Le juge d'instruction a été supprimé en 1975. La compétence du ministère public est étendue : il enregistre les plaintes des victimes et a l'obligation de déclencher les poursuites. La police criminelle assiste le ministère public dans ses investigations. Le « juge de l'instruction » (Ermittlungsrichter) est quant à lui chargé du contrôle formel de l'instruction ; il vérifie essentiellement les actes touchant aux libertés individuelles10(*).

L'article 147 du code de procédure pénale (Strafprozeâordnung - StPO)11(*) prévoit un droit d'accès au dossier pour le prévenu et son avocat, applicable tout au long de la procédure pénale12(*). En vertu de l'article 406e du code de procédure pénale, les victimes peuvent également demander à consulter le dossier, mais elles doivent avoir un intérêt légitime à le faire.

Le droit d'accès de la défense est exercé principalement par l'avocat du prévenu. Aux termes de l'article 147 (1) StPO, le défenseur du prévenu (Verteidiger) a le droit de consulter les dossiers qui sont en possession du tribunal ou qui devraient lui être présentés en cas de mise en accusation, ainsi que d'examiner les pièces à conviction conservées par les autorités. Le paragraphe 4 de ce même article, dernièrement modifié en 201813(*), autorise cependant le prévenu qui n'a pas d'avocat à « consulter le dossier et à examiner sous contrôle les pièces à conviction conservées officiellement, dans la mesure où le but de l'enquête ne risque pas d'être compromis, même dans le cadre d'une autre procédure pénale, et où les intérêts prépondérants de tiers faisant l'objet d'une protection ne s'y opposent pas. Si le dossier n'est pas tenu sous forme électronique, des copies du dossier peuvent être mises à sa disposition au lieu d'être consultées ».

Le ministère public est compétent pour autoriser l'accès à tout ou partie du dossier pénal durant la procédure préliminaire d'enquête et après la clôture définitive de la procédure. Dans les autres cas, la décision est prise par le président du tribunal saisi de l'affaire (article 147 (3) StPO).

Une demande d'accès au dossier du prévenu ou de son avocat peut être refusée ou limitée par l'autorité compétente. Selon l'article 147 (2), si l'enquête n'est pas terminée, l'accès de la défense au dossier ou à certaines parties du dossier ainsi que l'examen des pièces à conviction conservées officiellement peuvent lui être refusés, « dans la mesure où cela peut compromettre le but de l'enquête ». Toutefois, en cas de détention provisoire, les informations essentielles à l'appréciation de la légalité de la privation de liberté doivent être mises à la disposition du défenseur. De plus, certains documents disposent d'un droit d'accès privilégié : l'accès aux procès-verbaux d'interrogatoire du prévenu et aux actes d'instruction judiciaire auxquels le défenseur a été autorisé à assister, ainsi qu'aux rapports d'experts, ne peut être refusé à aucun stade de la procédure.

En cas de refus d'accès au dossier, le prévenu ou son avocat peuvent faire appel de la décision auprès du « juge de l'instruction » (article 147 (5) StPO).

En pratique, les refus d'accès à tout ou partie du dossier pénal durant l'enquête semblent courants14(*).

Dans tous les cas, l'accès au dossier doit être accordé après la clôture de l'enquête par le procureur. L'avocat de la défense ou le prévenu qui n'a pas d'avocat doit, en principe, être informé dès que le droit de consulter le dossier est rétabli sans restriction (article 147 (6) StPO).

Dans une décision du 10 mars 202115(*), la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) a précisé la notion de mise en danger du but de l'enquête, en tant que motif de refus d'accès au dossier pénal. Elle considère qu'il n'y a mise en danger du but de l'enquête que si l'on peut craindre que l'instruction soit compromise si l'accès au dossier est accordé. Pour justifier une décision de refus, le dossier doit contenir des informations inconnues du prévenu et une évaluation globale doit montrer que la prise de connaissance de ces informations conduira à des actes de fuite ou de dissimulation. En cas de préparation de mesures de contrainte (secrètes) dans le cadre de la procédure pénale, un refus est toujours considéré comme admissible. En l'espèce, la Cour fédérale de justice a conclu que les conditions juridiques pour le refus de l'accès au dossier n'étaient pas remplies car la décision de refus du procureur général fédéral était trop « globale » et le prévenu n'était pas en liberté, mais détenu en Irak16(*).

3. Belgique

En droit belge, l'accès à toutes les informations durant un procès pénal n'est pas automatiquement garanti à la défense.

La procédure pénale belge comporte des similitudes importantes avec la procédure pénale française et la Belgique est l'un des derniers pays, avec le Luxembourg, à disposer d'un juge d'instruction tel qu'il existe en France17(*).

La procédure pénale belge distingue deux phases d'enquête :

l'information, prévue à l'article 28 bis du code d'instruction criminelle (CIC)18(*). Dirigée par le procureur du Roi et conduite par la police judiciaire, elle comprend « l'ensemble des actes destinés à rechercher les infractions, leurs auteurs et les preuves, et à rassembler les éléments utiles à l'exercice de l'action publique ». Elle est assimilable à l'enquête de police judiciaire en France ;

l'instruction, conformément à l'article 55 du CIC, désigne « l'ensemble des actes qui ont pour objet de rechercher les auteurs d'infractions, de rassembler les preuves et de prendre les mesures destinées à permettre aux juridictions de statuer en connaissance de cause. Elle est conduite sous la direction et l'autorité du juge d'instruction ». Elle correspond à l'instruction, aussi appelée information judiciaire, en droit pénal français.

a) La demande gracieuse de consultation du dossier pénal

La loi du 27 décembre 201219(*) a inséré une disposition générale dans le code d'instruction criminelle belge relative au droit de consultation et/ou de copie du dossier répressif au cours de l'information et de l'instruction. Aux termes de l'article 21 bis du code précité, « la personne directement intéressée peut, à tout moment, en fonction de l'état de la procédure, demander au procureur du Roi ou au juge d'instruction qu'il lui donne accès au dossier ou d'en obtenir une copie ». Il s'agit d'une demande gracieuse, sans préjudice de l'application des procédures formelles prévues à l'article 21 bis (§ 2 à 9), dans le cadre de l'information, et à l'article 61 ter du CIC pour l'instruction.

Est considérée comme personne directement intéressée, l'inculpé, la personne à l'égard de laquelle l'action publique est engagée dans le cadre de l'instruction, la personne soupçonnée, la partie civilement responsable, la partie civile, celui qui a fait une déclaration de personne lésée, ainsi que ceux qui sont subrogés dans leurs droits ou les personnes qui les représentent en qualité de mandataire ad hoc, de curateur, d'administrateur provisoire, de tuteur ou de tuteur ad hoc.

En dépit de la consécration du droit de consultation du dossier pénal, une circulaire du ministère public rappelle que « La protection du secret de l'instruction préparatoire implique qu'il soit fait un usage prudent, cohérent et coordonné de la compétence générale et globale du ministère public, et il ne peut pas y être recouru pour vider systématiquement le secret de l'instruction de sa substance (...). Le secret de l'information reste la règle, et la consultation l'exception »20(*). En particulier, la circulaire indique qu'il n'est pas accédé aux demandes de consultation ou de copie émanant de tiers ne justifiant pas ou ne présentant pas d'intérêt légitime. Les cas douteux sont soumis au procureur général.

b) La procédure formelle de consultation du dossier pénal durant l'information

Durant la phase d'information, une procédure formelle de demande de consultation du dossier pénal est prévue aux paragraphes 1 à 9 de l'article 21 bis du CIC. En application de ces dispositions, la personne directement intéressée peut, en cours d'enquête, envoyer une requête au procureur du Roi en vue de consulter le dossier relatif à un crime ou un délit. Le procureur du Roi statue dans un délai de quatre mois.

Des exceptions assez larges sont prévues puisque le procureur du Roi peut interdire la consultation ou la prise de copie du dossier ou de certaines pièces dans les cas suivants (article 21 bis, § 5 du CIC) :

- « si les nécessités de l'information le requièrent,

- « si la consultation présente un danger pour les personnes ou porte gravement atteinte à leur vie privée,

- « si le requérant ne justifie pas d'un motif légitime la consultation du dossier,

- « si le dossier ne contient que la déclaration ou la plainte, dont le requérant ou son avocat a déjà reçu une copie,

- « si l'affaire a été mise à l'instruction,

- « ou si le requérant a été renvoyé devant une juridiction de jugement ou a été cité ou convoqué par procès-verbal. »

En dehors de ces motifs de refus, le procureur du Roi peut aussi interdire la consultation si :

- la requête n'émane pas d'une personne directement intéressée telle que définie à l'article 21 bis du CIC ;

- si moins de trois mois se sont écoulés à compter de la précédente décision portant sur le même objet ;

- si la demande n'a pas trait à un crime ou un délit ;

- si le délit relevant de la compétence du tribunal de police n'a pas trait à un délit visé à l'article 138, 6° bis du CIC (l'homicide, les coups ou blessures résultent d'un accident de la circulation) et 6° ter (assurance obligatoire des véhicules à moteur) ou à une infraction pour laquelle le délai de prescription est de trois ans en application de l'article 68 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière ;

- si la requête n'est pas motivée ;

- si la requête ne contient pas d'élection de domicile en Belgique si le requérant n'y a pas son domicile ou son siège21(*).

Le procureur du Roi peut également limiter la consultation du dossier ou la prise de copie à la partie du dossier à l'égard de laquelle le requérant a fait valoir un intérêt (article 21 bis, § 5, dernier alinéa du CIC).

À la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 6/2017 du 25 janvier 201722(*), une procédure d'appel contre la décision de refus ou l'absence de décision du procureur du Roi a été introduite par la loi du 18 mars 201823(*). Si la consultation ou la prise d'une copie du dossier ou de certaines pièces a été refusée, le requérant peut porter l'affaire devant la chambre des mises en accusation par une requête motivée déposée au greffe du tribunal de première instance, dans un délai de huit jours suivant la notification de la décision au requérant. La chambre des mises en accusation se prononce sans débat dans les quinze jours à compter du dépôt de la requête (article 21 bis, § 7 du CIC).

c) La procédure formelle de consultation du dossier pénal durant l'instruction

Dans le cadre de l'instruction, une autre procédure formelle de consultation ou de demande de copie du dossier répressif est prévue à l'article 61 ter du CIC.

Selon cet article, les parties directement intéressées, visées à l'article 21 bis précité, peuvent, pendant l'instruction, demander au juge d'instruction l'autorisation de consulter le dossier ou d'en obtenir copie. Le juge d'instruction statut dans un délai d'un mois à compter de l'enregistrement de la requête.

Les motifs de refus sont plus restreints que lors de l'information. Selon l'article 61 ter, § 3 du CIC, le juge d'instruction peut interdire la consultation ou la copie du dossier ou de certaines pièces si :

- « les nécessités de l'instruction le requièrent,

- « ou si la consultation présente un danger pour les personnes ou porte gravement atteinte à leur vie privée

- « ou que le requérant ne justifie pas d'un motif légitime pour consulter le dossier ».

Il est aussi exigé que la requête soit motivée et que le requérant soit domicilié en Belgique (article 61 ter, § 2 du CIC).

Le juge d'instruction peut également limiter la consultation ou la copie à la partie du dossier pour laquelle le requérant peut justifier d'un intérêt (article 61 ter, § 3 du CIC).

Que ce soit dans le cadre de l'instruction ou de l'information, le requérant ne peut faire usage des renseignements obtenus par la consultation ou la copie du dossier que dans l'intérêt de sa défense et aux conditions de respecter la présomption d'innocence d'autres personnes, les droits de la défense de tiers ainsi que la vie privée et la dignité d'autres personnes (article 61 ter, § 4 du CIC).

La décision du juge d'instruction peut faire l'objet d'un appel du requérant ou du procureur du Roi auprès de la chambre des mises en accusation, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance du juge d'instruction. La chambre des mises en accusation statue sans débat dans un délai de quinze jours (article 61 ter, §5 du CIC).

d) Le cas particulier des dossiers séparés et confidentiels établis dans le cadre des méthodes particulières de recherche

Les « méthodes particulières de recherche », définies et encadrées par les articles 47 ter à 47 terdecies du code d'instruction criminelle, couvrent en Belgique l'observation, l'infiltration, l'infiltration civile et le recours aux indicateurs. « Ces méthodes sont mises en oeuvre, dans le cadre d'une information ou d'une instruction, par les services de police désignés par le ministre de la Justice, sous le contrôle du ministère public [...] en vue de poursuivre les auteurs d'infractions, de rechercher, de collecter, d'enregistrer et de traiter des données et des informations sur la base d'indices sérieux que des faits punissables vont être commis ou ont déjà été commis, qu'ils soient connus ou non » (article 47 ter du CIC).

La mise en oeuvre d'une mesure d'observation ou d'infiltration implique l'ouverture et la tenue d'un dossier séparé et confidentiel24(*), parallèlement au dossier « ouvert » qui contient des éléments sur la proportionnalité, la subsidiarité, l'identité de la personne faisant l'objet de l'enquête et la période. Le dossier confidentiel contient notamment l'autorisation de recourir à ces techniques, les motifs pour lesquels elle est indispensable, le nom ou la description des personnes visées, la manière dont la méthode sera exécutée, la période au cours de laquelle elle peut l'être et le nom et la qualité de l'officier de police judiciaire qui dirige l'opération (articles 47 sexies § 3 et 47 octies § 3 du CIC).

Le dossier confidentiel est couvert par le secret professionnel. En règle générale, seul le procureur du Roi a accès au dossier confidentiel. Toutefois, lorsqu'une instruction est ouverte, le juge d'instruction a le droit de consulter à tout moment le dossier confidentiel mais il ne peut en faire mention dans le cadre de l'instruction (articles 47 septies § 1 et 47 novies § 1 du CIC). En tout état de cause, le dossier confidentiel n'est pas accessible à la partie défenderesse et à la partie civile.

Il convient de noter que les données du dossier confidentiel qui ne sont pas ouvertes et versées au dossier pénal ne peuvent servir de preuve au détriment du prévenu25(*).

4. Italie

Depuis le code dit « Vassali » de 1989, le système pénal italien, traditionnellement inquisitoire, suit un modèle essentiellement accusatoire26(*). La procédure pénale italienne se décompose en quatre grandes étapes : i) l'enquête préliminaire, réalisée par le ministère public et la police judiciaire ; ii) en fonction des résultats de l'enquête, le classement de l'infraction ou le renvoi au juge ; iii) le procès et iv) le jugement27(*).

a) Un droit d'accès limité durant l'enquête préliminaire

L'article 116 du code de procédure pénale (CPP)28(*) prévoit qu'« au cours de la procédure et après sa clôture, toute personne ayant un intérêt peut obtenir à ses frais des copies, extraits ou certificats des actes de procédure individuels », y compris des documents ne figurant pas sur un support papier.

Cet article ne précise pas de condition particulière pour autoriser l'accès, ni de motifs de refus. Toutefois, la doctrine considère que le fait que le document soit couvert par le secret de l'instruction ou l'obligation de secret en vertu de l'article 329 du code de procédure pénale constitue un obstacle à sa divulgation29(*).

Selon le premier alinéa de l'article 329 précité, les actes d'enquête menés par le ministère public et par la police judiciaire, les requêtes du ministère public tendant à obtenir l'autorisation de procéder à des actes d'enquête et les actes du juge statuant sur ces requêtes sont couverts par le secret jusqu'à ce que la défense puisse en avoir connaissance et, en tout état de cause, au plus tard à la clôture de l'instruction préparatoire.

Même lorsque les actes ne sont plus couverts par le secret, le procureur, en cas de nécessité pour la poursuite de l'enquête, peut ordonner par décision motivée le maintien de l'obligation de secret sur certains actes individuels, mais uniquement lorsque le prévenu y consent ou lorsque la connaissance de l'acte peut faire obstacle à des investigations concernant d'autres personnes, ainsi que l'interdiction de publier le contenu d'actes individuels ou des informations spécifiques relatives à certaines opérations (article 329 (3) CPP).

b) Le droit d'accès au dossier après la clôture de l'enquête préliminaire

À compter de la clôture de l'enquête préliminaire par le procureur, le droit d'accès de la défense au dossier répressif est plus large.

Aux termes de l'article 415 bis du code de procédure pénale30(*), avant l'expiration du délai de conclusion de l'enquête préliminaire, le procureur, s'il entend renvoyer l'affaire au juge, doit notifier la conclusion de l'enquête préliminaire au prévenu et à son avocat. Cette notification contient un exposé sommaire des faits pour lesquels les poursuites sont engagées, les dispositions de la loi qui auraient été violées, la date et le lieu des faits. Les documents concernant l'enquête menée sont déposés au secrétariat du ministère public et le suspect et son avocat ont le droit de les consulter et d'en prendre copie (article 415 bis (2) CPP).

En ce qui concerne les écoutes téléphoniques, selon l'alinéa 2 bis de l'article 415 bis précité, la notification doit indiquer que le prévenu et son avocat ont le droit d'examiner par voie télématique les documents déposés relatifs aux écoutes téléphoniques et d'écouter les enregistrements ou de prendre connaissance des flux de communications informatiques ou télématiques, ainsi que d'obtenir une copie des enregistrements ou des flux signalés par le procureur comme « pertinents ». La défense peut également, dans un délai de vingt jours, déposer la liste des autres enregistrements qu'elle estime pertinents et dont elle demande copie. Le procureur rend un avis motivé sur la demande. En cas de rejet de la requête ou d'objections sur les indications relatives aux enregistrements jugés pertinents, la défense peut présenter une requête au juge pour qu'il mette à disposition les informations demandées selon la procédure prévue à l'article 26831(*), sixième alinéa, du code de procédure pénale (c'est-à-dire en expurgeant d'office les enregistrements et procès-verbaux dont l'utilisation est interdite et ceux contenant des données à caractère personnel).

À ce stade de la procédure - avant le renvoi de l'affaire devant le juge - le suspect est ainsi informé du contenu de l'enquête le concernant et dispose des informations lui permettant d'exercer son droit à la défense, conformément au modèle accusatoire. C'est pourquoi la notification doit également informer le prévenu des facultés défensives dont il dispose. En effet, dans un délai de vingt jours à compter de la réception de la notification de conclusion de l'enquête préliminaire, le prévenu peut présenter des conclusions, produire des documents, déposer des documents d'enquête défensifs, demander au procureur de procéder à d'autres actes d'enquête ou encore se présenter pour faire des déclarations ou demander à être interrogé (article 415 bis (3) CPP).

De nombreuses décisions de justice ont été rendues afin de protéger le droit d'accès de la défense aux pièces du dossier et veiller à la bonne application de l'article 268 du code de procédure pénale italien.

Selon la Cour de cassation italienne32(*), le droit de la défense d'écouter les enregistrements de conversations ou de communications interceptées et d'obtenir une copie des fichiers audio, après le dépôt effectué auprès du procureur, n'est pas susceptible de restriction ni subordonné à une autorisation, de sorte que toute atteinte à ce droit entraîne la nullité de la procédure. En l'espère, la Cour de cassation avait annulé en 2013 la décision de justice attaquée au motif qu'elle s'était fondée sur des conversations interceptées grâce des écoutes téléphoniques, sans permettre à l'avocat de la défense d'exercer son droit d'accès (affaire dite des « brogliacci »)33(*).

5. Pays-Bas

La procédure pénale néerlandaise comprend les phases d'enquête, de poursuite, de jugement et d'exécution des peines. Le ministère public est chargé de l'instruction des affaires pénales. En fonction des résultats de cette enquête, il peut décider de porter l'affaire devant le tribunal, de proposer une transaction ou de classer l'affaire. Le juge-commissaire (rechter-commissaris) supervise le déroulement et la légalité de l'enquête sous la direction du procureur général. Il a notamment pour tâches d'entendre les témoins, d'autoriser la police et le procureur à utiliser certaines méthodes d'enquête, telles que les écoutes téléphoniques ou décider si une personne peut être maintenue plus longtemps en détention provisoire.

Le droit néerlandais prévoit un droit d'accès de la défense aux pièces du dossier pénal dès l'enquête préliminaire, soumis à autorisation du ministère public. Selon l'article 30 du code de procédure pénale :

« L'accès aux pièces de procédure est accordé par le procureur au prévenu, à sa demande, au cours de l'enquête préliminaire. En tout état de cause, l'accès est accordé au prévenu dès la première audience après l'arrestation.

« Si le procureur n'accorde pas l'accès, il peut, à la demande du prévenu, se voir fixer par le juge-commissaire un délai dans lequel l'accès aux pièces de la procédure doit être accordé. Avant de statuer sur la demande, le juge-commissaire entend le procureur.

« Toutefois, si les intérêts de l'enquête l'exigent, le procureur peut refuser au prévenu l'accès à certaines pièces de la procédure ». Dans ce cas, « le suspect est informé par écrit que les documents qui lui ont été remis pour consultation sont incomplets. Le suspect peut présenter une objection au juge-commissaire dans un délai de quatorze jours à compter de la date de la notification [...] et, par la suite, après chaque période de trente jours. Avant de statuer, le juge-commissaire entend le ministère public et donne au suspect la possibilité de formuler des observations. »

Une vaste refonte du code de procédure pénale néerlandais est actuellement en cours de finalisation. Le projet de loi présenté en mars 2023 réaffirme le principe du droit d'accès du prévenu aux pièces du dossier pénal, prévoit des modifications rédactionnelles mais ne change pas la substance de l'article 30 du code de procédure pénale actuel. En particulier, la possibilité pour le procureur de refuser l'accès à certaines pièces du dossier, si les intérêts de l'enquête l'exigent, est maintenue34(*).


* 1 Les techniques spéciales d'enquête ne font pas l'objet d'une définition harmonisée au niveau européen. Leur périmètre et leurs conditions d'utilisation sont très hétérogènes selon les pays. Voir notamment : European Parliament, Study requested by the LIBE committee, Criminal procedural laws across the European Union - A comparative analysis of selected main differences and the impact they have over the development of EU legislation, 2018, p. 24. Dans le cadre de la présente note, elles sont comprises au sens du droit applicable dans chaque pays étudié.

* 2 CEDH, Guide sur l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, Droit à un procès équitable (volet pénal), 2022, p. 37.

* 3 Ibid., p. 38.

* 4 CEDH, 9 avr. 2015, n° 30460/13, A. T. c. Luxembourg.

* 5 Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales.

* 6 CJUE, 5 juin 2018, Kolev e. a., C-612/15.

* 7  Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, 2018, p. 16.

* 8 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre de la directive 2012/13/UE, op. cit. , pp.. 17-18.

* 9 https://www.uni-potsdam.de/de/rechtskunde-online/rechtsgebiete/strafrecht/prozessrecht/ablauf-des-strafverfahrens

* 10 Sénat, Étude de législation comparée n° 25, Les caractéristiques du procès pénal, juin 1997.

* 11 Strafprozeßordnung (StPO), § 147 Akteneinsichtsrecht, Besichtigungsrecht, Auskunftsrecht des Beschuldigten.

* 12 https://www.burhoff.de/veroeff/aufsatz/zap_f22_s345ff.htm

* 13 Gesetz zur Einführung der elektronischen Akte in der Justiz und zur weiteren Förderung des elektronischen Rechtsverkehrs, artikel 1.

* 14 De nombreux sites internet et blogs d'avocats allemands font état de refus et indiquent la voie de recours possible pour contester une décision de refus d'accès au dossier.

* 15  BGH, Ermittlungsrichter, 10.03.2021 - 2 BGs 751/20

* 16 https://www.hrr-strafrecht.de/hrr/2/20/2-bgs-751-20.php

* 17 https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-11/rapport_justice_penale_egj.pdf

* 18  Code d'instruction criminelle, livre I.

* 19  Loi du 12 décembre 2012 portant des dispositions diverses en matière de justice.

* 20  Circulaire n° 6/2018 du Collège des Procureurs généraux près les Cours d'appel, L'autorisation de consulter le dossier répressif ou d'en obtenir copie, p. 22

* 21 Circulaire n° 6/2018, p. 27.

* 22 Cour constitutionnelle, Arrêt n° 6/2017 du 25 janvier 2017.

* 23  Loi du 18 mars 2018 modifiant diverses dispositions du droit pénal, de la procédure pénale et du droit judiciaire.

* 24 CEDH, Arrêt Van Wesenbeeck c. Belgique du 23 mai 2017, paragraphe 48.

* 25 Rapport au nom de la Commission de la Justice, Documents parlementaires, Chambre des représentants, 2005-2006, DOC 51-2055/005, pp. 66-67.

* 26 https://www.giustizia.it/giustizia/it/mg_1_2_1.wp?facetNode_1=1_6_1&facetNode_3=4_59&facetNode_2=0_10&previsiousPage=mg_1_2&contentId=SAN30892

* 27 https://edizioni.simone.it/2022/05/19/iter-processo-penale/

* 28 Decreto del Presidente della Repubblica, 22 settembre 1988, n. 447, Approvazione del codice di procedura penale, article 116.

* 29 https://www.brocardi.it/codice-di-procedura-penale/libro-secondo/titolo-i/art116.html

* 30  Art. 415 bis codice di procedura penale - Avviso all'indagato della conclusione delle indagini preliminari - Brocardi.it

* 31  Art. 268 codice di procedura penale - Esecuzione delle operazioni - Brocardi.it

* 32 Cour de cassation, Section VI, arrêt n. 41362 du 7 octobre 2013.

* 33 https://www.brocardi.it/codice-di-procedura-penale/libro-terzo/titolo-iii/capo-iv/art268.html

* 34 Voir article 1. 8. 5.

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