GRANDE-BRETAGNE
Il
n'existe pas de constitution écrite et donc aucune garantie formelle, ni
du droit au respect de la vie privée, ni de la liberté de la
presse.
|
I. LA RESPONSABILITE CIVILE DES AUTEURS DE CERTAINES ATTEINTES A LA VIE PRIVEE
Un
journal ne peut pas avoir sa responsabilité civile engagée
seulement pour avoir porté atteinte à la vie privée
d'autrui. Plusieurs des propositions de réforme avaient
suggéré la création législative d'un nouveau
tort
(4(
*
))
: la violation de
la vie privée.
Si le droit n'empêche donc pas les médias de diffuser les
détails relatifs à la vie privée d'une personne, en
revanche certains actes comme la violation de domicile ou la diffamation,
entraînent la
responsabilité civile
de leur auteurs. Si
donc la victime d'une intrusion dans sa vie privée parvient à
établir l'existence d'une telle responsabilité, elle peut obtenir
des dommages-intérêts. Les jurys accordent en
général des sommes importantes aux victimes.
Les principaux cas d'ouverture de la responsabilité civile
utilisés pour se défendre des intrusions des médias dans
la vie privée sont les suivants :
- violation de domicile ;
- diffamation ;
- divulgation de secrets ;
- mensonge avec intention de nuire ;
- harcèlement.
1) L'action en violation de domicile
Si un
journaliste entre chez quelqu'un sans autorisation et sollicite une interview,
il commet une violation de domicile (
trespass
) pour laquelle
réparation peut être demandée si la victime parvient
à prouver l'existence d'un dommage.
Cette action est ouverte aux seules personnes qui " possèdent
légalement " leur habitation, ce qui inclut celles qui louent leur
logement, mais exclut celles qui se trouvent dans un hôtel, dans un
hôpital ou dans la maison d'autrui. De plus, cette action suppose que
l'intrusion revête un caractère matériel. Elle n'est donc
pas ouverte à la victime d'une atteinte exercée de
l'extérieur au moyen de jumelles ou d'une caméra.
Ainsi, en 1977, le président d'une chaîne de
télévision n'a pas réussi à établir qu'il y
avait violation de domicile alors que des photographes avaient pris des vues de
sa propriété depuis un avion.
Les dommages-intérêts accordés dans ce cas sont
généralement faibles car c'est le dommage à la
propriété qui est évalué, et non le
préjudice à l'intimité.
2) L'action en diffamation
L'action
en diffamation est ouverte à la victime d'une publication diffamatoire.
La diffamation se subdivise en droit anglais en deux notions : le
slander
et le
libel
.
Le premier couvre toute diffamation faite oralement ou par gestes. De plus,
sauf dans quelques cas énumérés par la loi, l'action en
slander
n'est pas possible si le demandeur n'a pas subi un dommage
évaluable en argent.
En revanche, l'action en
libel
est ouverte à toute
personne
victime d'une diffamation écrite ou qui revêt une autre forme
permanente, sans que le demandeur doive apporter la preuve d'une perte
financière.
L'action a été étendue pour couvrir les diffamations
faites par le biais de l'
audiovisuel
.
Face à une intrusion des médias dans la vie privée, il est
donc possible d'introduire une action en
libel
, à condition
d'établir le caractère diffamatoire de l'information.
La loi ne comporte aucun critère permettant d'apprécier le
caractère diffamatoire d'un propos. C'est donc le juge qui
apprécie si le propos est susceptible de rabaisser le demandeur dans
l'esprit de " membres bien-pensants de la société ", ou
s'il est de nature à porter atteinte à sa réputation. Le
jury établit ensuite l'existence ou non de la diffamation et fixe le
montant des dommages-intérêts.
Les jurys ont tendance à allouer aux victimes des sommes très
importantes. Toutefois, il est souvent fait appel de ces décisions, ce
qui rallonge et renchérit la procédure, surtout si l'on tient
compte du fait qu'il est impossible d'obtenir une aide juridique dans ce
domaine.
3) L'action en divulgation de secrets
Cette
action constitue une garantie de la protection de la vie privée dans la
mesure où elle permet une réparation de la divulgation, ou de
l'utilisation non autorisée, d'une information qui n'a pas encore
été rendue publique et qui a été confiée
à autrui dans des circonstances imposant une obligation de
discrétion.
D'origine doctrinale, cette action s'est développée pour
protéger les secrets du monde des affaires, puis la jurisprudence l'a
étendue aux informations personnelles.
Le champ d'application de l'action en violation de confidentialité est
plus étendu que celui de l'action en diffamation, car elle permet de
prévenir la divulgation de faits véridiques sans tenir compte de
l'existence d'un préjudice causé à la réputation.
La portée de cette action est cependant limitée par le fait
qu'une relation de confiance est nécessaire, même s'il ne s'agit
pas d'une relation formelle et préexistante.
Quand, en novembre 1993, des photographies montrant la Princesse de Galles en
tenue de sport ont été prises en cachette par le
propriétaire du club de gymnastique, puis vendues au groupe de presse du
Mirror
et largement diffusées, l'action en divulgation de secrets
a pu être utilisée grâce au contrat entre le club et la
Princesse de Galles, d'autant plus que le contrat spécifiait que
l'adhésion au club de cette dernière devait être
traitée avec "
la plus extrême
confidentialité
" par le gérant et l'ensemble du
personnel. C'est donc sur la base de l'action en divulgation de secrets que la
cour a interdit aux journaux de continuer à diffuser les clichés.
La jurisprudence admet l'action en divulgation de secrets même en
l'absence d'une relation de confiance établie formellement. Ainsi, en
1988, une personne avait confié à une amie les détails de
sa relation homosexuelle avec une tierce personne et avait retrouvé
cette information dans le
Mail on Sunday
. La demanderesse a soutenu que
son amie et le journal avaient agi en rupture de relation de confiance, ce que
la cour accepta.
Pour que l'action en divulgation de secrets soit possible, il faut, mis
à part l'existence d'une relation privilégiée imposant la
discrétion, que l'information ait un caractère suffisamment
intime ou secret.
4) Le mensonge avec intention de nuire
Lorsque
la publication est erronée mais n'est pas diffamatoire, la victime d'une
atteinte à la vie privée peut intenter une action fondée
sur " le mensonge avec intention de nuire " (
malicious
falsehood
), dans la mesure où l'information diffusée est
susceptible de lui causer un préjudice.
Ainsi, en 1990, alors que l'auteur de télévision Gorden Kaye
était hospitalisé, un journaliste et un photographe
s'introduisirent à l'hôpital et prirent des clichés du
malade qui furent, ainsi qu'une fausse interview, publiés dans le
Sunday Sport
.
Le tribunal condamna la publication des photographies et de l'interview parce
qu'il n'avait pas été indiqué au lecteur que Kaye n'avait
pas donné son consentement. Il y avait donc " mensonge avec
intention de nuire ", le préjudice étant constitué
par le fait que la publication par le
Sunday Sport
risquait
d'empêcher Kaye de vendre l'histoire de son accident à d'autres
journaux.
A contrario, la publication des mêmes documents, accompagnée de la
mention du non-consentement de l'intéressé aurait
été autorisée.
Les actions fondées sur la violation de domicile, la diffamation et la
divulgation de secrets ne permettant pas à Kaye d'obtenir
réparation, seule l'action fondée sur le mensonge avec intention
de nuire pouvait en la circonstance offrir à l'intéressé
un minimum de protection.
5) Le harcèlement
La
loi de mars 1997 sur la protection contre le harcèlement
,
entrée en vigueur le 16 juin 1997, interdit à toute personne
d'adopter à l'égard d'une autre une conduite qui équivaut
à du harcèlement, ou dont elle sait qu'elle équivaut
à du harcèlement.
La loi précise par ailleurs que harceler signifie " effrayer "
ou " causer de la douleur ", et qu'une telle conduite doit
s'être produite au moins deux fois.
La victime de harcèlement peut obtenir des
dommages-intérêts. Cette disposition a été
utilisée une fois par la Princesse de Galles dans une affaire l'opposant
à des
paparazzi
.
* *
*
On
s'attend à ce que l'adoption du projet de loi tendant à
intégrer la convention européenne des droits de l'homme et des
libertés fondamentales dans l'ordre juridique interne se traduise par la
création jurisprudentielle d'un droit à la vie privée
.
En effet, l'adoption de ce texte permettra aux citoyens britanniques de faire
valoir leurs droits directement devant les tribunaux nationaux sans avoir
à porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de
l'homme. Or les tribunaux, comme n'importe quel organisme officiel, auront
l'obligation de ne pas contrevenir à la convention, c'est-à-dire
notamment de garantir la protection de la vie privée.
C'est pour cette raison que le projet a été qualifié de
" scélérat " par certains représentants de la
presse.
II. LES INFRACTIONS PENALES CONTRE LA VIE PRIVEE
Il
n'existe actuellement
aucune infraction pénale générale
contre la vie privée
. Plusieurs des rapports relatifs à
l'introduction d'une législation tendant à la protection de la
vie privée ont proposé la création de telles infractions.
En particulier, le deuxième rapport Calcutt de 1993 suggérait la
création de trois infractions pénales :
- l'entrée dans une propriété privée ;
- la mise en place d'un dispositif de surveillance ;
- la prise de clichés ou l'enregistrement de la voix d'une personne chez
elle ;
dans la mesure où ces actes n'auraient pas été
expressément autorisés et auraient été accomplis
pour obtenir des informations personnelles, destinées à
être publiées ensuite.
Ces informations auraient été sanctionnées par des amendes
pouvant atteindre 5.000 livres.
A l'heure actuelle,
la diffamation constitue une infraction
pénale
lorsqu'elle est susceptible de porter une
très
grave atteinte à la réputation
de la personne
concernée.
Par ailleurs, la
loi sur la protection contre le harcèlement
a
créé
une nouvelle infraction pénale
qu'elle
sanctionne d'une amende ou d'une peine de prison pouvant aller jusque
six mois.
III. LES MECANISMES D'AUTOREGULATION DE L'AUDIOVISUEL ET DE LA PRESSE ECRITE
1) L'audiovisuel
La
Broadcasting Standards Commission
(BSC) traite notamment les atteintes
"
injustifiées
" à la vie privée,
réalisées par une chaîne de radiodiffusion ou de
télévision, quelle qu'elle soit. La création de la BSC a
été prévue par la loi sur l'audiovisuel
(
5(
*
)
)
. Tous les membres de la BSC sont
nommés par le ministre compétent pour l'audiovisuel.
La loi a chargé la BSC d'élaborer un
code de bonne
conduite
. Publié il y a plusieurs mois, il est applicable depuis le
1
er
janvier 1998.
Dans ce document, il est indiqué qu'une atteinte à la vie
privée doit être justifié par un
"
intérêt public primant toute autre
considération
" et que "
les moyens utilisés
pour obtenir l'information doivent être proportionnés au fait
étudié
". La BSC n'exclut donc pas l'utilisation de
caméras et de micros cachés quand "
la
crédibilité et l'authenticité de l'information
"
l'exigent et que "
les mots ou les images enregistrés servent un
intérêt public qui l'emporte sur tout autre
". Elle
insiste sur le fait que la notion de vie privée est relative, certaines
personnes étant particulièrement exposées au regard du
public, soit à cause de leur position, soit à cause de la
publicité dont elles s'entourent.
La BSC fait paraître ses décisions dans un bulletin mensuel. Elle
peut également obliger les chaînes à les publier, sous la
forme qu'elle désire, dans un court communiqué diffusé
après les informations du soir par exemple.
Les plaintes ne sont pas recevables si le plaignant dispose d'une voie de
recours devant les tribunaux. Elles doivent être déposées
dans un délai de trois mois ou de six semaines selon qu'elles concernent
une émission de télévision ou de radiodiffusion.
La commission fait publier ses décisions au cours des émissions,
sous la forme qu'elle souhaite et à l'heure qu'elle désire. Cette
publication prend souvent la forme d'une déclaration de 200 mots,
diffusée après les informations du soir.
Tous les membres de la commission sont nommés par le ministre
compétent pour l'audiovisuel.
2) La presse écrite
a)
L'institution de la Commission des plaintes en matière de presse
A la suite des travaux menés après la deuxième guerre
mondiale par la Commission royale sur la presse, le
Conseil de la presse
(
Press Council
), chargé d'élaborer un code de bonne
conduite et de censurer les conduites journalistiques indésirables, fut
créé.
Sa composition très partisane et l'absence de tout pouvoir de sanction
l'empêchèrent d'agir efficacement.
C'est pourquoi le gouvernement chargea en 1989 la commission Calcutt de
proposer de nouvelles solutions. Dans son rapport rendu en 1990, la commission
suggérait le remplacement du
Press Council
par une institution
plus crédible, la
Commission des plaintes en matière de
presse
(
Press Complaints Commission : PCC
). Celle-ci fut mise
en place au début de l'année 1991.
La PCC a établi un
code de bonne conduite
. Toute plainte pour
infraction à ce code peut, dans le délai d'un mois suivant la
publication incriminée, lui être soumise.
En matière de vie privée, le code de la PCC condamne
l'utilisation du téléobjectif et des écoutes
téléphoniques seulement lorsque les informations obtenues ne
servent pas l'intérêt général. De plus, la
condamnation des photographies prises au téléobjectif sans
autorisation ne s'applique qu'aux clichés pris dans des
propriétés privées, dans des chambres d'hôtel ou
dans les parties des hôpitaux où les malades sont soignés
ou logés. Le code ne s'oppose donc pas à la réalisation de
clichés de l'extérieur d'une propriété
privée, du hall d'un hôtel ou de la salle d'attente d'un
hôpital par exemple.
D'après le code, sert l'intérêt général toute
information permettant de :
- "
détecter ou mettre en évidence un crime ou une
infraction sérieuse ;
- " protéger la santé et la sécurité du
public ;
-
" empêcher le public d'être abusé par les propos
ou les actes d'un particulier ou d'une organisation ".
Cette définition, très extensive, permet à la presse
d'affirmer que l'information selon laquelle les enfants du Premier ministre
fréquentent une école donnée sert l'intérêt
général car les électeurs doivent savoir si le Premier
ministre accorde ses actes à ses paroles.
b) Les critiques apportées au fonctionnement de la Commission
La PCC est très critiquée, notamment parce qu'elle ne dispose
d'aucun réel pouvoir de sanction : elle ne peut pas infliger
d'amendes, et les éditeurs ne peuvent pas être contraints de se
soumettre à ses recommandations. En général,
c'est-à-dire dans environ 85 % des cas, le journal publie une
excuse ou un rectificatif à la suite d'une plainte
considérée comme justifiée. Si le différend n'est
pas réglé de cette façon, la commission rend une
décision officielle que l'éditeur a l'obligation de publier
intégralement.
Ainsi, en septembre 1995, Buckingham Palace se plaignit d'un article paru dans
la revue
Business Age
dans lequel la fortune de la Reine était
citée comme la première du pays, estimant qu'il y avait confusion
entre la fortune personnelle de la Reine et celle de l'institution royale. La
PCC confirma la plainte de la Reine et indiqua que la revue aurait dû
expliquer le mode de calcul de la fortune royale et vérifier ses
informations auprès de Buckingham.
En 1992, Sir David Calcutt, qui avait présidé la commission dont
les travaux ont été à l'origine de la création de
la PCC, fut chargé de rendre un rapport sur le fonctionnement effectif
de la PCC. Au début de l'année 1993, il s'exprimait ainsi :
"
La PCC n'est pas un régulateur efficace de la presse
(...).
La PCC telle que constituée est, par essence, un organe
créé par l'industrie (la presse), dominé par l'industrie,
mettant en oeuvre un code de conduite élaboré par l'industrie, et
qui s'avère particulièrement favorable à
l'industrie
".
Il se montrait partisan de la mise en place d'un tribunal chargé de
réprimer les manquements à la déontologie professionnelle.
D'autres ont proposé de donner à un médiateur ou à
une autre commission de la presse le pouvoir d'imposer des amendes ou d'exiger
des compensations financières au profit des plaignants.
Après le décès de la Princesse de Galles, le
président de la PCC a annoncé la publication d'un nouveau code,
plus sévère. Celle-ci est annoncée pour le début de
l'année 1998. Le nouveau code devrait notamment étendre la notion
de " propriété privée " pour y inclure des lieux
comme les églises ou les restaurants et limiter l'utilisation du
téléobjectif.