L'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES DANS LES PARLEMENTS ÉTRANGERS

1. Présentation générale

Dans la lignée des travaux de la Conférence annuelle du Centre européen de recherche et de documentation parlementaire (CERDP) à Helsinki les 18 et 19 octobre 2018, la division de la législation comparée a mené une recherche sur l'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et plus généralement l'analyse prospective, sur un vaste échantillon de 12 parlements (Allemagne, Autriche, Canada, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Israël, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni et Suède).

Il en ressort que très peu de parlements étrangers se sont dotés d'un organe dédié, dont les parlementaires sont membres, sur le modèle de l'OPECST ou de la Délégation à la prospective. Hormis le cas particulier de la Commission du futur du Parlement finlandais, la prospective à long terme et la réflexion sur les choix scientifiques et technologiques à caractère stratégique sont renvoyées par défaut à la commission permanente compétente, en général la Commission de l'éducation qui couvre également l'enseignement supérieur et la recherche.

Ces sujets pointus et de long terme cadrant difficilement avec l'organisation des travaux d'une commission parlementaire contrainte par le calendrier législatif, ils sont souvent laissés de côté et ne bénéficient pas d'une expertise supplémentaire particulière au sein des services. Néanmoins, on doit relever l'initiative de l'Estonie qui a décidé de créer une structure dédiée, rattachée au secrétariat général et présentée comme le think tank du Parlement. En outre, certaines chambres comme le Bundestag ont vu la possibilité d'établir des partenariats avec des organismes de recherche externes auxquels elles délèguent le traitement de ces questions.

2. Trois cas significatifs : la Finlande, l'Allemagne et l'Estonie

Les organisateurs de la Conférence du CERDP avaient retenu quatre modèles d'analyse parlementaire des choix scientifiques et de la prospective en Allemagne, en Estonie, en Finlande et en France. Ce choix était judicieux car il s'agit bien des quatre pays les plus en pointe sur le sujet et leurs quatre modèles sont nettement distincts.

a) La Commission du futur finlandaise

La Finlande accorde une grande importance à la réflexion prospective de long terme. Afin de prendre en compte les enjeux de prospective et de choix technologiques, le Parlement finlandais a créé en 1993 une Commission du futur rassemblant dix-sept membres du Parlement (sur 200). Initialement conçue comme une structure temporaire, elle a été pérennisée puis transformée en un organe permanent en 2001.

Il ne s'agit pas d'une commission législative, mais d'un organe sui generis quoiqu'il soit compté parmi les commissions permanentes du Parlement. Elle produit des rapports et des résolutions contraignantes pour le gouvernement, ainsi que des avis à l'adresse des commissions législatives. Elle produit deux rapports majeurs par législature : le rapport sur le futur et un rapport sur le respect des engagements pris par la Finlande en vertu des Objectifs des Nations Unies de développement durable à l'horizon 2030. Le thème du rapport sur le futur de chaque législature est défini par le gouvernement qui prépare une étude préalable soumise au Parlement. Le thème retenu pour la présente législature est la révolution du travail en Finlande. Une fois approuvé, le rapport sur le futur lie les gouvernements, présents et à venir, dans leur action. Le gouvernement répond d'ailleurs de l'application des résolutions adoptées dans un rapport annuel.

Disposant également d'un pouvoir d'auto-saisine, la Commission du futur s'intéresse particulièrement aux transformations du processus de décision démocratique et à l'analyse des répercussions de la technologie sur la société. Elle organise d'ailleurs des débats ouverts au public afin de développer la démocratie participative.

Toutefois, plutôt que de donner une vision concrète et précise de ce que sera l'avenir, de déterminer des stratégies et de préconiser des choix, la Commission du futur tient plutôt à tracer des scénarios alternatifs pour le futur et repérer les signaux encore faibles aujourd'hui des technologies de rupture de demain. La Commission du futur ne réalise pas elle-même de travail d'évaluation scientifique.

Pour soutenir le travail de cette commission, le Parlement a en outre un accord avec le Centre finlandais de recherche sur le futur de l'université de Turku.

b) Le Bureau allemand pour l'évaluation technologique

En Allemagne , le Bundestag a constitué un Bureau pour l'évaluation de l'impact des techniques ( Büro für Technikfolgen-Abschätzung - TAB ), qui est considéré comme un organe à la disposition de la Commission de l'éducation, de la recherche et de l'évaluation technologique.

Le TAB conseille le Bundestag sur les enjeux afférents à la recherche, il conçoit et met en oeuvre des projets d'évaluation des choix technologiques, il exerce une veille sur les principaux développements technologiques en cours.

C'est la commission qui passe commande ou qui agit comme filtre lorsqu'une autre commission ou un groupe politique souhaite demander une étude au TAB. Celui-ci forme une équipe purement scientifique sans représentant politique ou parlementaire dirigée par un centre de recherche de l'Institut de Technologie de Karlsruhe, le Centre pour l'évaluation technologique et l'analyse des systèmes, sélectionné sur appel d'offres. Ce partenariat contractuel date de 1990.

Les analyses et les rapports scientifiques sont pilotés par l'Institut de Technologie de Karlsruhe mais conduits en collaboration avec plusieurs autres centres de recherche avec l'Institut Fraunhofer pour l'innovation. Cet institut allemand spécialisé dans la recherche en sciences appliquées est à l'origine, par exemple, du format mp3. Depuis septembre 2018, sont également sollicités deux autres instituts universitaires spécialisés dans la prospective. Pour mener son action, le TAB dispose d'un très important budget de 2,6 millions d'euros.

La partie allemande regrette toutefois que la méthode de travail même encourage une division du travail trop stricte et trop étanche entre le domaine scientifique et le domaine politique sans véritable dialogue ou fertilisation croisée. L'impact des rapports du TAB et sa contribution au travail législatif restent donc limités, de l'aveu de nos collègues allemands.

c) Le Centre de prospective du Parlement estonien

En Estonie , l'analyse prospective a fait l'objet d'une loi spécifique de 2016. En application de ses dispositions, un Centre de prospective a été créé au sein du Parlement estonien. Rattaché au secrétariat général, il fait partie des services et ne constitue pas une commission parlementaire.

Le centre a comme mission d'analyser les développements sur le long terme susceptibles d'affecter la société, d'identifier de nouvelles tendances d'évolution sociale et de concevoir différents scénarios possibles. Dans ce cadre, il élabore un plan d'action qu'il transmet à la Commission des affaires économiques. Le centre rend, en outre, un rapport annuel sur l'état de l'application de la loi sur la prospective et informe les organes parlementaires des travaux de veille et d'analyse menées au secrétariat général. Les travaux menés sont rendus publics et un travail de communication et de diffusion des résultats est entrepris par le centre.

Le Centre de prospective peut être saisi par tout intéressé : des propositions d'étude ou de veille peuvent lui être envoyées par les commissions parlementaires mais aussi par les groupes politiques, les représentants des entreprises et les représentants du domaine de la recherche et de la technologie. Cependant, ces propositions d'études doivent être solidement étayées et ne peuvent être intégrés au plan d'action du centre qu'en concertation avec la Commission des affaires économiques.

Le centre est dirigé par un conseil de cinq membres. La Commission des affaires économiques, une organisation représentant des entreprises désignée par la commission, le Président de la République d'Estonie, l'Association des recteurs des universités et l'Académie des sciences envoient chacun un membre siéger au conseil du Centre de prospective.

Le Centre de prospective dispose d'un budget d'environ 750 000 euros. Il n'a pas passé d'accord avec un organisme de recherche externe mais il dispose, en tout état de cause, de la faculté de demander la réalisation d'études et d'enquêtes à des organismes extérieurs. C'est encore une structure très jeune mais le Parlement estonien fonde dessus de grands espoirs.

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