Recueil des notes de synthèse
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D'AVRIL À JUIN 2018
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AVERTISSEMENT Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs, à partir de documents en langue originale, par la division de la Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat. |
AVANT-PROPOS
Au cours du deuxième trimestre 2018, la Division de la Législation comparée a procédé essentiellement à des recherches en matière de droit public et de droit pénal.
À la demande conjointe de la Commission de l'Aménagement du Territoire et du Développement durable et de la Commission des Lois, elle s'est penchée sur l'inscription des enjeux environnementaux dans les Constitutions d'un large échantillon de pays d'Europe, d'Amérique du Nord et du Sud et d'Asie. La préparation des débats sur la révision constitutionnelle l'a conduite également à analyser le mécanisme de taglia-leggi italien.
À la demande de la Commission des Lois, dans la perspective de la réforme pénale à venir, elle s'est intéressée à la place des jurés populaires dans le procès pénal d'une part, à la distinction entre crimes et délits et sa traduction dans l'échelle des peines, d'autre part.
À la demande de la Commission de la Culture, de l'Éducation et de la Communication, la division a traité différents modèles d'organisation du service public audiovisuel en Europe, sans négliger les questions de financement et d'encadrement de l'offre des contenus.
Enfin, elle a élaboré des synthèses sur la réglementation applicable à deux professions : les herboristes, à la demande de la Mission commune d'information sur l'herboristerie, et les ministres du culte, sur saisine de M. André Reichardt, Sénateur du Bas-Rhin.
LA FORMATION DES MINISTRES DU CULTE
À la demande de M. André Reichardt, sénateur du Bas-Rhin, la division de la législation comparée a mené une recherche sur la formation des ministres du culte dans six pays européens, l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas.
1. La formation des ministres d'une Église d'État : le cas des pasteurs luthériens au Danemark
Le Danemark se distingue du restant de l'échantillon analysé en n'ayant pas prononcé de séparation de l' Église et de l'État. Le luthéranisme est encore aujourd'hui religion d'État. La Constitution danoise n'a pas été amendée sur ce point depuis 1849. Son article 4 prévoit que l'Église évangélique-luthérienne est l'église nationale ( Folkekirken ) danoise et qu'elle est, en tant que telle, soutenue par l'État. Le souverain danois doit obligatoirement en être membre en vertu de l'article 6. Tous les Danois enregistrés comme membres, soit encore 76 % de la population environ, doivent acquitter l'impôt d'église ( kirkeskat). En sont dispensés les non-membres. Toutefois, tous les contribuables danois participent indirectement à l'entretien de l'Église nationale via les subventions accordées sur le budget de l'État en application des dispositions constitutionnelles, qui financent notamment les formations du personnel religieux et l'entretien courant des églises. Le ministre des cultes et le Parlement décident des questions administratives et économiques regardant l'Église danoise, tandis que les évêques demeurent la seule autorité en matière de doctrine et de culte.
Toutefois, l'absence de séparation de l'Église et de l'État est conjuguée avec la protection de la liberté de croyance et de culte assurée par le chapitre VII de la Constitution danoise. Aussi les citoyens ont-ils le droit de s'unir en communautés ( forene sig i samfund ) pour célébrer leur culte de la façon qui s'accorde avec leurs convictions, pourvu que rien n'y soit enseigné ou entrepris qui contrevienne aux bonnes moeurs et à l'ordre public (art. 67). La dispense de toute contribution personnelle à une confession autre que la sienne est sanctuarisée (art. 68). Le principe d'égalité est décliné en matière religieuse de telle sorte que personne ne puisse, sur le principe de sa foi ( trosbekendelse ) ou de son origine, être privé d'accès à la complète jouissance de ses droits civiques et politiques. Réciproquement, personne ne peut invoquer sa foi ou son origine pour se soustraire à l'accomplissement des obligations civiques communes (art. 70).
La position des communautés religieuses ( trossamfund ) s'écartant de l'Église danoise est régie par la loi, conformément à l'art. 69 de la Constitution. Cela ne signifie pas que tout culte ou toute association à but cultuel doit être au préalable approuvé par l'État. La liberté de religion et la liberté d'association suffisent pour écarter tout régime préventif de ce type.
Néanmoins, pour bénéficier de certains droits, les communautés religieuses doivent avoir été reconnues ( anerkendt ) avant 1970 ou approuvées ( godkendt ) depuis cette date, par décret royal, en tenant compte de leur taille, de leur degré d'organisation et de leur pérennité probable 1 ( * ) . C'est le cas pour que les mariages religieux produisent un effet légal, pour que les prédicateurs étrangers reçoivent un permis de séjour, pour établir des cimetières propres et pour bénéficier d'exemptions fiscales.
Les cultes réformés, catholique et juif, avaient déjà fait l'objet d'un privilège partiel dès 1682 dans un faubourg de Copenhague. Ont été reconnues ensuite les églises méthodiste, nationale suédoise, orthodoxe russe, anglicane, baptiste et nationale norvégienne avant la fin des années 1950. Les approbations se sont multipliées dans les dernières décennies. Depuis 1998, un comité consultatif examine les demandes de reconnaissance. Il est indépendant du ministère des cultes et composé d'experts en droit, en théologie, en sociologie et en histoire des religions.
En ce qui concerne l'islam, une mosquée ahmadi a été approuvée en 1974 et le Centre culturel islamique en 1977. Aujourd'hui, le ministre des cultes recense 28 communautés musulmanes approuvées et 38 congrégations connexes ( tilknyttede menigheder ), souvent regroupées autour d'une mosquée. On peut distinguer les milieux turcs, arabes, pakistanais, bosniaques, albanais, chiite et ahmadi. 95 % des communautés musulmanes reconnues disposent d'un ou plusieurs imams permanents, qui pour les trois quarts d'entre eux sont des étrangers disposant d'un permis de séjour pour prédication ( forkyndervisum ), dont tous ceux qui dépendent de la fondation turque. 2 ( * )
La formation du personnel religieux de l'Église danoise fait l'objet de dispositions légales et réglementaires, en vertu de sa position constitutionnelle. Pour les autres confessions, elle est laissée à l'autonomie interne de la communauté.
Après un master universitaire de théologie, les aspirants aux fonctions de pasteur ( præster ) de l'Église danoise poursuivent leur préparation théologique et pastorale pendant 19 semaines comprenant des stages. Les enseignements de préparation visent tous les aspects de l'activité de pasteur : participation aux conseils de paroisse, prédication, liturgie, tâches ecclésiastiques, administratives et d'enseignement. Les formations théoriques et pratiques des candidats, ainsi que la formation continue des pasteurs en poste, sont assurées par le Centre de recherche et d'enseignement de l'Église danoise ( Folkekirkens Uddannelses- og Videnscenter - FUV ). 3 ( * ) Établissement sous la tutelle du ministre des Cultes, qui lui fixe des objectifs et évalue sa performance, le FUV est né le 1 er janvier 2014 de la fusion des deux séminaires de Copenhague et Aarhus, et d'un Centre pédagogique théologique. Il est financé par un fonds d'État spécial ( Fællesfonden ).
2. Le modèle concordataire de l'Europe du Sud : l'acclimatation de la prééminence sociale du catholicisme au principe de séparation de l'Église et de l'État en Espagne et en Italie
Le poids historique, culturel, social et politique de l'Église catholique en Italie ne peut être sous-estimé, malgré les tensions fortes qui ont existé entre les autorités religieuse et civile dans la foulée de l'Unification italienne en 1860-1861 et malgré l'opposition structurante entre la Démocratie chrétienne et le Parti Communiste dans la seconde moitié du XX ème siècle. L'évolution du cadre juridique a permis de passer d'un statut de religion d'État à une simple prééminence de fait, qui ne remet en cause ni la liberté d'exercice des autres confessions et l'égalité des citoyens italiens, ni la séparation de l'Église et de l'État. Les accords particuliers conclus entre l'Église catholique et l'État italien pour régler leurs relations peuvent servir et ont déjà servi de modèles pour les autres confessions.
La matière religieuse fait l'objet d'une grande attention dans la Constitution italienne. L'article 3 pose un principe d'égalité et de non-discrimination sur le fondement de la religion. Ce principe est complété par la reconnaissance de la liberté de culte et de croyance, à la fois individuelle et collective, la liberté de promouvoir la diffusion de sa religion et d'en célébrer le culte en privé et en public, tant que les rites ne sont pas contraires aux bonnes moeurs (art. 19). Il est précisé que le caractère ecclésiastique ou la finalité religieuse d'une association ou d'une institution ne peut justifier ni des limitations légales spéciales, ni des charges fiscales ou financières particulières pour leur constitution, l'octroi de la capacité juridique ou pour toute forme d'activités (art. 20).
Plus originales sont les dispositions sur la reconnaissance et l'organisation des confessions. L'article 7 reconnaît l'Église catholique comme entité distincte de l'État italien et, comme lui, indépendante et souveraine dans son propre domaine. Leurs rapports sont réglés par les Accords du Latran ( Patti Lateranensi ) de 1929, les modifications ultérieures acceptées par les deux parties ne nécessitant pas de révision constitutionnelle.
Après avoir posé le principe que toutes les confessions religieuses étaient également libres devant la loi, l'article 8 règle le sort des religions autres que la confession catholique. Elles disposent de l'autonomie interne, le droit de s'organiser selon leurs propres statuts, dans la mesure où ils ne sont pas contraires à l'ordre juridique italien leur étant reconnu. Il est prévu que leurs rapports avec l'État soient réglés par des lois sur la base d'une entente avec leurs organes représentatifs. Il est important de souligner que les Concordats avec l'Église catholique constituent des traités internationaux, alors que les ententes et accords avec les autres confessions ne relèvent que de l'ordre interne italien.
Il faut donc distinguer trois cas en Italie pour la régulation, en général, des rapports entre l'État et les églises, et en particulier, de la formation des ministres des cultes : celui de l'Église catholique, celui des confessions qui ont conclu une entente avec l'État et celui des confessions qui n'ont pas conclu d'accord avec l'État.
Toutefois, il faut relever que la Cour constitutionnelle italienne veille scrupuleusement à la liberté religieuse et à l'égalité des confessions. Elle a par exemple déclaré inconstitutionnelle l'appartenance obligatoire aux communautés israélites et en conséquence toute la réglementation de l'organisation de la religion juive datant de l'époque fasciste maintenue en vigueur jusque dans les années 1980, ce qui a ouvert la voie à un accord entre l'État et la communauté hébraïque. 4 ( * ) Elle a reconnu un principe de laïcité à plusieurs reprises à partir de 1989, notamment pour écarter toute obligation de suivi de cours de religion catholique dans les écoles publiques. 5 ( * ) Ce principe de laïcité doit être interprété comme une neutralité de l'État qui doit garantir la liberté de religion, dans un régime de pluralisme confessionnel et culturel. La Cour constitutionnelle protège également les confessions qui n'ont pas conclu d'entente avec l'État. Ainsi, elle a censuré des lois régionales des Abruzzes et de Lombardie en matière urbanistique qui subordonnaient à l'existence d'une entente avec l'État l'octroi de certains bénéfices financiers à des institutions religieuses. 6 ( * )
Les Accords du Latran, du 11 février 1929, qui régissent les relations entre l'Église catholique et l'État Italien, ont été modifiés par l'Accord de Villa Madame du 18 février 1984 valant nouveau concordat. 7 ( * ) Les articles 2, 3, 9 et 10 de l'Accord de 1984 sont particulièrement importants pour la question de la formation du clergé.
La République italienne reconnaît à l'Église catholique la pleine liberté d'accomplir sa mission pastorale, éducative et caritative, d'évangélisation et de sanctification. Elle assure en particulier à l'Église catholique la liberté d'organisation (art. 2 al. 1). 8 ( * ) La nomination des titulaires des offices ecclésiastiques est librement effectuée par l'Église catholique (art. 3 al. 2). De ces dispositions se déduit la pleine autonomie d'organisation interne de l'Église, en particulier dans le recrutement et l'affectation des prêtres.
En outre, la République italienne garantit à l'Église catholique le droit d'instituer librement des établissements d'enseignement de tout ordre et de tout degré. Leurs élèves sont traités de façon équivalente à celui des établissements publics (art. 9 al. 1). Les instituts universitaires, séminaires, académies, collèges et toute autre institution pour religieux ou dédiée à la formation dans les matières ecclésiastiques ne dépendent que de l'autorité ecclésiastique et sont régis par le droit canon (art. 10 al. 1). Enfin, l'État italien reconnaît les titres et diplômes en théologie conférés par les facultés approuvées par l'Église catholique, ainsi que dans d'autres matières ecclésiastiques 9 ( * ) définies en accord avec l'État italien (art. 10 al. 2). 10 ( * )
Ainsi la formation des prêtres et religieux catholiques est-elle intégralement confiée à l'Église sans interférence possible de l'État. Il n'existe pas de formation théologique dans les universités d'État. Au-delà des prestigieuses facultés théologiques romaines qui forment l'élite du clergé, toutes les régions ecclésiastiques italiennes disposent de centres de formation théologique ouverts aux laïcs et aux religieux. Les diplômes des facultés de théologie catholique sont reconnus par l'État italien depuis les accords du Latran de 1929 sur le fondement du constat de l'équivalence de la durée des études, du nombre de cours et des examens prévus avec les formations civiles de même niveau. 11 ( * )
En application de l'Accord de Villa Madame fut également défini un nouveau mode de financement par l'État du personnel religieux : le « 8 pour mille ». 12 ( * ) Applicable à l'Église catholique, il est étendu aux autres églises qui concluent des accords avec l'État. Ce dispositif accorde au contribuable italien la faculté de flécher à sa discrétion 0,8 % du produit de son impôt sur le revenu (IR) annuel à l'État pour des programmes sociaux, vers l'Église catholique ou vers l'une des 11 communautés religieuses chrétiennes, juive, bouddhistes et hindouiste 13 ( * ) qui ont conclu un accord avec l'État, ce qui n'est pas le cas en revanche du culte musulman. Si le contribuable ne choisit aucun destinataire privilégié, 0,8 % du produit de son IR est reversé à l'État et à toutes les églises bénéficiaires, proportionnellement à la part qu'elles reçoivent des sommes fléchées par les contribuables qui ont exprimé leur choix. Les églises peuvent consacrer les sommes reçues à la formation et à l'entretien du personnel religieux ou à des actions caritatives, sociales, éducatives, patrimoniales ou culturelles.
La procédure pour conclure une entente entre l'État et une communauté religieuse est régie par des dispositions législatives. 14 ( * ) La première étape est la reconnaissance de la personnalité morale à l'institution cultuelle ( enti di culto ) par décret du Président de la République sur proposition et après instruction du ministre de l'intérieur. Ensuite, les institutions cultuelles reconnues qui sont intéressées par la conclusion d'un accord doivent en faire requête au Président du Conseil. Une commission interministérielle est chargée de conduire les pourparlers avec les représentants de l'institution cultuelle. Le texte négocié est soumis à l'aval du Président du Conseil. Après signature de l'accord, un projet de loi d'approbation est enfin déposé au Parlement. Chaque accord est donc validé par une loi spécifique mais le Parlement ne peut apporter que des modifications de pure forme au texte négocié ou bien le rejeter. 15 ( * )
En dehors même des questions financières déjà évoquées, la régulation des rapports de l'État italien avec les autres confessions par la voie de conventions bilatérales s'inspire largement du modèle du nouveau concordat avec l'Église catholique de 1984. En particulier, les églises jouissent de l'autonomie interne et sont responsables de la formation, du recrutement et de l'affectation de leurs cadres religieux. C'est ce qu'a confirmé le législateur italien en considérant que la formation des ministres du culte faisait partie des activités religieuses ou cultuelles propres à chaque confession. 16 ( * )
La reconnaissance académique par l'État italien des titres et diplômes conférés par les différents instituts universitaires confessionnels dépend des dispositions contenues dans les accords bilatéraux. Elle a eu lieu pour les Vaudois-Méthodistes, Baptistes et Luthériens (licence et formations communes dispensées à la Faculté théologique vaudoise de Rome), pour la religion juive (licence rabbinique et diplôme de culture juive délivrés par le Collège rabbinique italien de Rome et les autres écoles approuvées par l'Union hébraïque), pour les Adventistes du 7 ème jour ( licence et diplôme en théologie et culture biblique délivrés par l'Institut adventiste de Florence), pour l'Église apostolique en Italie (licence et diplôme en théologie et culture biblique délivrés par son centre d'études théologiques). Un décret du ministre de l'éducation après avis du Conseil national universitaire a procédé à l'habilitation de chaque diplôme visé dans les accords.
Les religions sans entente conclue avec l'État italien ne sont pas dépourvues de statut juridique. Elles restent sujettes à la législation ancienne sur les cultes autorisés. 17 ( * ) L'application du principe d'égalité conjugué à la liberté de culte les laisse maîtresses de s'organiser selon leur propre statut. Elles jouissent aussi de la possibilité de se faire reconnaître par l'État comme des institutions cultuelles dotées de la personnalité morale. Il n'existe aucune raison de traiter différemment des autres les religions dépourvues d'entente en matière de recrutement, de formation et d'affectation de leur personnel religieux puisque ce sont des éléments de l'organisation interne et des activités directement liées au culte, dans laquelle l'État n'a pas à intervenir. En revanche, la répartition d'une fraction de l'impôt ou la reconnaissance des diplômes relèvent de la prérogative exclusive de l'État qui peut décider de les subordonner à la conclusion d'un accord avec la partie intéressée, dès lors que toutes les communautés religieuses sont libres de s'engager dans le processus contractuel.
Parmi les confessions ne disposant pas encore d'accord avec l'État, on trouve l'islam. Les projets d'accords ne se sont pas encore concrétisés depuis 1993. Quelques formations d'imams sont organisées par des associations islamiques en Italie mais cela reste marginal par rapport à l'autoformation et aux imams formés à l'étranger. Comme dans d'autres pays européens, la constitution d`un islam italien est devenu un enjeu du débat public. Cependant, le Pacte national pour un islam italien, signé le 1 er février 2017 entre les associations musulmanes et le ministère de l'intérieur, qui prévoit notamment la création de cursus pour la formation d'imam, semble rester essentiellement une déclaration d'intentions et le contexte politique demeure peu propice à sa concrétisation. Il faut cependant noter les projets du Centre culturel islamique italien auprès de la Grande mosquée de Rome de constitution d'un organisme de formation.
Le cadre des relations entre les confessions et l'État en Espagne fut profondément modifié à la disparition du régime franquiste, lors de la transition démocratique. Le catholicisme perdit son statut de religion d'État avec la proclamation de la nouvelle Constitution en 1978. L'article 16 du texte garantit la liberté idéologique, religieuse et de culte des individus et des communautés sans autre limitation, dans leurs manifestations, que celles qui seraient nécessaires au maintien de l'ordre public protégé par la loi (al. 1). Il ne sera établi aucune religion d'État. Toutefois, les pouvoirs publics tiendront compte des croyances religieuses de la société espagnole et maintiendront des relations de coopération avec l'Église catholique, seule expressément nommée, et les autres confessions (al. 3).
Le législateur intervint dès 1980 pour préciser très exactement les contours et les modalités d'exercice individuel et collectif de la liberté de culte. 18 ( * ) Il précise que les croyances religieuses ne peuvent constituer un motif d'inégalité ou de discrimination devant la loi. Aucun motif religieux ne peut être allégué pour interdire à quiconque l'exercice d'un travail, d'une activité, d'une charge ou d'une fonction. 19 ( * )
Au-delà du détail des éléments dont se constitue la liberté de religion et de culte pour l'individu, le législateur précise que, pour son exercice collectif, elle comprend le droit des églises, confessions et communautés religieuses à :
- établir des lieux de culte et de réunion à des fins religieuses ;
- publier et propager sa foi ;
- maintenir des relations avec ses propres organisations et avec d'autres confessions, aussi bien sur le territoire espagnol qu'à l'étranger ;
- désigner et former les ministres de son culte. 20 ( * )
De façon significative, la désignation et la formation du personnel religieux sont associées au coeur des éléments proprement religieux du culte protégés de toute ingérence. Elles participent au noyau de liberté religieuse reconnue à toutes les confessions, avant même l'autonomie organisationnelle, dont elles participent également mais qui n'est littéralement protégée que pour les églises, confessions et communautés religieuses inscrites dans un registre public tenu par le ministre de la Justice. Cette inscription sur requête accompagnée de pièces justificatives (expression des fins religieuses, conditions d'établissement en Espagne, données d'identifications, régime de fonctionnement et organes représentatifs) implique la reconnaissance de la personnalité morale. 21 ( * )
Les églises reconnues reçoivent pleine autonomie pour établir leurs propres normes d'organisation, de fonctionnement et de gestion de leur personnel, dans le respect des droits fondamentaux reconnus par la Constitution. Elles peuvent créer et développer des associations, des fondations et des institutions diverses pour l'accomplissement de leur vocation. 22 ( * )
Enfin, le législateur prévoit de compléter le cadre légal général par des accords de coopération bilatéraux avec les églises reconnues bénéficiant d'un enracinement notoire en Espagne. Validés par des lois spécifiques, ces accords pourront étendre aux églises reconnues les mêmes bénéfices fiscaux qu'aux institutions sans but lucratif. 23 ( * )
De même qu'en Italie, il faut distinguer le cas de l'Église catholique de celui des autres confessions. Le régime des accords bilatéraux introduit par la loi de 1980 s'inspire du modèle concordataire et l'étend aux autres confessions, à cette différence que les concordats sont des traités internationaux. Quelques jours après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1978, qui sépara l'Église et l'État, quatre accords ont été signés le 3 janvier 1979 entre le Saint-Siège et l'Espagne pour réviser le concordat de 1953. Parmi les très nombreuses dispositions, il faut signaler que le premier accord sur les affaires juridiques reconnaît à l'Église catholique le droit d'exercer sa mission apostolique, lui reconnaît l'exercice libre et public de ses activités cultuelles, juridictionnelles et d'enseignement ( magisterio ) dans son domaine propre. 24 ( * )
En matière de formation, le quatrième accord avec le Saint-Siège qui porte sur l'enseignement et les affaires culturelles est essentiel. 25 ( * ) En vertu de cet accord, l'Église catholique peut établir des séminaires mineurs diocésains et religieux, qui pourront être traités comme des écoles, des collèges et des lycées, s'ils respectent le régime légal des établissements d'enseignement scolaire. De plus, les universités et autres centres de formation universitaire établis par l'Église catholique sont reconnus par l'État. Leurs étudiants sont traités comme ceux des universités d'État.
En particulier, l'Église catholique peut établir toute université, faculté, institut supérieur ou centres des sciences religieuses pour assurer en pleine autonomie et conformément au droit canon la formation des prêtres religieux et séculiers. La validation et la reconnaissance des diplômes et titres académiques 26 ( * ) délivrés dans ces organismes dépendent d'un accord subséquent entre l'Église et l'État repris dans un décret royal. Le nouveau système d'équivalence avec les titres et diplômes (licence, master, doctorat) de l'enseignement supérieur public a été publié en 2011. 27 ( * ) Enfin, les universités d'État peuvent avec l'accord de l'autorité ecclésiastique compétente établir des centres d'études supérieures de théologie catholique. D'après la conférence épiscopale espagnole, la moitié environ des universités publiques espagnoles ont signé des accords avec l'évêché en matière de théologie dogmatique, de pastorale, d'histoire de l'Église. Le contenu des cours et le choix des enseignants donnent lieu à un accord entre les autorités religieuses et académiques. 28 ( * ) Par exemple, il existe des chaires de théologie dans les universités Complutense et Carlos III de Madrid, dans celles de Grenade, Murcie ou Valence, qui complètent le réseau des universités pontificales (Comillas, Salamanque) et des facultés de théologie dépendant de l'Église. 29 ( * )
Trois des confessions minoritaires en Espagne ont fait usage de la possibilité de conclure des accords bilatéraux de coopération avec l'État après avoir été inscrites aux registres des institutions religieuses reconnues. Ces trois conventions avec la Fédération évangélique protestante, avec la Fédération des communautés israélites et avec la Commission islamique ont été approuvées par le Parlement espagnol simultanément en 1992. 30 ( * ) Elles s'inspirent clairement du modèle concordataire.
Toutefois, si les trois confessions minoritaires bénéficient d'avantages fiscaux, ainsi que de la prise en charge de l'enseignement de leur religion à l'école et de l`entretien des conseillers spirituels - aumôniers ( asistencia religiosa ) qu'elles désignent dans les prisons, les hôpitaux et l'armée, elles ne bénéficient pas exactement du même soutien financier que l'Église catholique, qui reçoit 0,7 % du produit de l'impôt sur le revenu des contribuables qui le souhaitent, conformément à l'accord de 1979 avec le Saint-Siège sur les affaires économiques. 31 ( * ) C'est un dispositif analogue à celui de l'Italie, à la différence que l'alternative pour le contribuable se pose uniquement entre l'Église catholique et les politiques sociales de l'État, d'une part, qu'en l'absence de décision du contribuable, les 0,7 % sont reversés au budget général de l'État sans affectation.
Calqués sur un même modèle, les trois accords bilatéraux reconnaissent notamment aux communautés protestante, juive et musulmane la possibilité d'établir et de gérer des écoles primaires et secondaires, ainsi que des universités et des centres de formation confessionnels. Comme le culte catholique, les trois communautés peuvent organiser des cours d'enseignement religieux dans les universités publiques avec l'accord des autorités académiques.
Le législateur a confié au gouvernement espagnol en 2007 la mission de définir les modalités de reconnaissance de l'équivalence avec les diplômes civils des diplômes académiques de théologie et de ministre du culte qui seraient décernés dans des centres d'enseignement supérieur dépendant des confessions parties à un accord bilatéral avec l'État. 32 ( * ) Cette disposition n'a pour l'heure été appliquée qu'aux diplômes des centres et facultés de théologie protestante dépendant de la Fédération évangélique. Cela vaut notamment pour les licences et masters des facultés protestantes évangélique - baptiste de Madrid et adventiste de Valence. 33 ( * )
Aucun centre de théologie islamique de niveau universitaire, ni aucun cursus similaire dans une université publique n'existe en Espagne. Les imams se forment largement par eux-mêmes ou sont recrutés à l'étranger, au Maroc notamment. On peut signaler néanmoins quelques initiatives adjacentes. Le gouvernement espagnol a constitué en 2005 une Fondation pour le pluralisme et le vivre-ensemble ( Fundación Pluralismo y Convivencia ) pour des projets culturels et éducatifs destinés à faciliter l'intégration des confessions non-catholiques qui ont conclu un accord de coopération avec l'État. Avec l'université d'enseignement à distance espagnole, l'UNED, la Fondation avait notamment mis en place brièvement en 2010-2012 des cours sur les aspects sociaux et légaux de l'islam en Espagne, l'islam et les principes de la démocratie et les droits de l'homme et la religion en Espagne.
Le même type de cours se retrouve dans le projet de diplôme en Religion et droit dans la société démocratique porté par l'Université de Saragosse et l'Université internationale Menéndez Pelayo, avec la contribution de la Commission islamique espagnole. Le dispositif reste mince et ne peut pas prétendre répondre à la question de la formation des imams en Espagne.
3. La reconnaissance institutionnelle des communautés religieuses et le soutien des pouvoirs publics aux formations théologiques en Allemagne et en Autriche
En Allemagne , l'article 140 de la Loi fondamentale de 1949 prévoit que les dispositions des articles de la Constitution du 11 août 1919 relatives à la liberté religieuse et à l'autonomie religieuse font partie intégrante de l'actuelle loi fondamentale. En application de l'article 137 de la Constitution de la République de Weimar, ainsi réintégré dans le bloc de constitutionalité allemand, il n'existe pas d'Église d'État et la liberté de former des communautés religieuses est garantie. Leur autonomie interne de gestion et d'administration est assurée dans la limite des lois qui s'imposent à tous. En particulier, les communautés religieuses disposent de leurs offices et fonctions comme elles l'entendent sans participation de l'État ou de la société civile.
En outre, la personnalité morale de droit public ( Körperschaft des öffentlichen Rechts ) peut être accordée aux communautés religieuses. En 1919, bénéficiaient officiellement de ce statut les Églises réformées, l'Église luthérienne, l'Église catholique, la Communauté juive, l'Église vieille catholique, les Baptistes et les Mennonites. Par l'octroi d'un tel statut, l'État leur garantit le bénéfice de certains droits, notamment la collecte d'impôts parmi leurs fidèles.
Après avoir obtenu la personnalité morale de droit public, les communautés religieuses peuvent se voir reconnaître le statut d'établissement public du culte ( Körperschaftsstatus ), ce qui leur ouvre des droits supplémentaires, notamment le droit de gérer des jardins d'enfants ou des maisons de retraite et celui de dispenser des cours de religion, comme le permet l'article 7 al. 3 de la Loi fondamentale. Les représentants d'une communauté religieuse doivent s'adresser aux autorités compétentes du Land pour obtenir le statut d'établissement public du culte. Ce statut ne leur sera accordé que si leur constitution et le nombre de leurs fidèles laissent supposer que l'existence de cette communauté religieuse perdurera dans le temps.
Il convient de souligner que les communautés religieuses musulmanes ne bénéficient pas de la personnalité morale de droit public en Allemagne ; ces communautés prennent la forme d'associations organisées ( organisierte Vereine ). La liste des communautés religieuses ou associations promouvant une croyance religieuse ou philosophique ( Religions- und Weltanschauungsgemeinschaften ) est établie par les Länder .
En vertu des normes constitutionnelles, l'État allemand n'intervient pas dans les affaires internes des communautés religieuses et la formation des ministres du culte s'exerce en principe sous le contrôle des autorités religieuses. Cela ne signifie pas l'absence totale d'intervention des pouvoirs publics, qui apportent au contraire un soutien financier et institutionnel essentiel. Les ministres du culte protestants, catholiques et juifs sont formés dans leur très grande majorité dans les nombreuses facultés de théologie des universités publiques dispensant des diplômes d'État.
En ce qui concerne le clergé catholique, le Concordat de 1933 est encore en vigueur. Il prévoit que les facultés théologiques catholiques existant dans les universités publiques soient maintenues 34 ( * ) . En outre, l'Église catholique est libre de créer ses propres séminaires et collèges théologiques ou philosophiques, qui dépendent exclusivement d'elle, si aucune subvention publique n'est recherchée. 35 ( * ) Par exception au principe d'autonomie interne, le Concordat de 1933 reprend des éléments de la législation contraignante de la période du Kulturkampf pour prévoir que le personnel religieux souhaitant exercer des fonctions en Allemagne ou une activité pastorale ou éducationnelle doit :
- posséder la nationalité allemande ;
- avoir obtenu un diplôme de niveau baccalauréat permettant d'étudier dans un établissement d'enseignement supérieur ;
- avoir étudié la philosophie et la théologie pendant une durée d'au moins trois ans dans une université publique allemande, un établissement universitaire ecclésiastique allemand ou dans une école pontificale à Rome. 36 ( * )
En réalité, la crise des vocations en Allemagne nécessite de recourir à des candidats étrangers et dans les faits, l'administration est souple et accorde assez facilement des dispenses. 37 ( * ) Leurs diplômes étrangers n'étant souvent pas reconnus en Allemagne, il peut être requis d'eux qu'ils obtiennent un diplôme d'État (université) ou d'église (séminaire) sur le territoire allemand.
Pour les protestants, la réglementation de la formation et de l`entrée en fonction des pasteurs revient au synode de l'Union des Églises évangéliques. Une nouvelle version de la loi ecclésiastique sur la formation des pasteurs a été adoptée le 11 novembre 2017. Il est prévu deux volets, le premier consacré à l'étude des sciences théologiques qui débouche sur le passage d'un examen pour obtenir le titre de maître en théologie, et le second axé autour d'un service préparatoire effectué au sein d'une paroisse ( kirchlicher Vorbereitungsdienst ). 38 ( * )
En outre, il existe un séminaire de formation des rabbins et cantors à l'Université de Potsdam : le cours Abraham Geiger ( Abraham Geiger Kolleg ). Cette formation bénéficie du soutien du gouvernement fédéral, de la Conférence permanente des ministres de l'éducation des Länder et du Land de Brandebourg. Elle vise à former des rabbins ou rabbines pour les communautés juives d'Europe centrale et orientale, mais plus particulièrement pour l'Allemagne.
Enfin, s'il n'existe actuellement aucune disposition réglementant la formation des imams, il est possible d'étudier la théologie islamique au sein d'universités publiques depuis 2011. En s'appuyant sur les recommandations pour le développement de la théologie et des sciences de la religion au sein des universités émises en 2010 par le Conseil scientifique, un organe consultatif en matière d'enseignement supérieur et de recherche 39 ( * ) , le gouvernement fédéral a décidé de financer pendant cinq ans les postes d'enseignement dans les centres de théologie islamique ( Zentren für islamische Theologie ) créés au sein de cinq universités publiques 40 ( * ) et proposant des parcours de licence et de master. Après des évaluations positives du bilan de ces instituts sur la période 2011-2016, le Ministère fédéral de l'Éducation et de la Recherche a décidé de financer les cinq instituts pour cinq années supplémentaires jusqu'en 2021, pour un montant d'environ 36 millions d'euros.
En novembre 2017, s'est ouverte à l'Université Goethe de Francfort, l'Académie pour l'islam dans les sciences et la société ( Akademie für Islam in Wissenschaft und Gesellschaft ) 41 ( * ) . Cette Académie a pour but de renforcer la position des études de théologie islamique dans le système universitaire allemand, ainsi que la coopération entre les cinq centres de théologie islamique allemands tout en permettant un plus grand dialogue avec la société. Le Ministère fédéral de l'éducation et de la recherche finance le fonctionnement de l'Académie à hauteur de 8,5 millions d'euros pour les cinq années à venir.
Les catégories employées en Autriche sont très proches de celles du droit allemand. Toutefois, les relations entre les confessions et l'État autrichien sont réglées par des lois spécifiques, plus que par un texte unique. De ce point de vue, on se rapproche des exemples italiens et espagnols : un concordat avec l'Église catholique et des accords de reconnaissance validés par la loi pour les religions minoritaires.
La liberté de religion et de conscience est garantie à tout citoyen depuis la loi fondamentale de l'empire sur les droits généraux de 1867. 42 ( * ) En outre, toute église ou communauté religieuse reconnue par la loi dispose du droit à l'exercice public du culte. Elle règle et administre ses affaires internes de façon autonome et reste en possession et jouissance de ses biens pour l'exercice de ses missions de bienfaisance, d'enseignement et de culte. Elle demeure tenue au respect des lois générales de l'État. 43 ( * )
La reconnaissance par la loi autrichienne d'une Église ou d'une communauté religieuse lui confère le statut de personne morale de droit public ( Körperschaft des öffentlichen Rechts ), analogue à celui du droit allemand. Il appartient aux représentants d'une religion sur le territoire autrichien de déposer une demande de reconnaissance auprès du Bureau des cultes ( Kultusamt ), rattaché à la Chancellerie fédérale autrichienne. La reconnaissance par la loi autrichienne d'une communauté religieuse est conditionnée notamment par le respect des critères suivants :
- l'existence avérée d'une communauté confessionnelle sur le territoire autrichien pendant une durée d'au moins 20 ans, dont 10 ans sous une forme organisée, et une inscription auprès des autorités nationales en tant que communauté confessionnelle depuis au moins 5 ans ;
- l'apport de la preuve que la communauté religieuse en question représente au moins 0.2 % de la population autrichienne d'après le dernier recensement.
Le respect de ces critères sera contrôlé par le Bureau des cultes, qui procédera ou non à la reconnaissance officielle d'une religion sur le territoire autrichien. Seize Églises ou communautés religieuses ( Kirchen und Religionsgesellschaften ) bénéficient actuellement d'une reconnaissance par la loi autrichienne. 44 ( * )
En dehors du cas particulier du culte alévi, la Communauté religieuse islamique d'Autriche ( Islamische Glaubensgemeinschaft in Österreich - IGGÖ ) est l'instance représentative officielle de la religion musulmane en Autriche, conformément à la loi fédérale du 2015 sur les relations extérieures des communautés religieuses islamiques, modifiant la précédente loi sur l'islam datant de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1912. 45 ( * )
L'IGGÖ se compose entre autres d'un Conseil supérieur ( Oberster Rat ), d'un Conseil consultatif ( Schurarat ), ainsi que d'un tribunal arbitral ( Schiedsgericht ). Elle dispose d'une Constitution interne ( Verfassung ). Après avoir été rejeté une première fois par le bureau des cultes en 2008, le nouveau projet de constitution de l'IGGÖ a été retravaillé et finalement approuvé dans sa nouvelle version en novembre 2009. Le Conseil supérieur ( Oberster Rat ) est l'organe administratif de l'IGGÖ. Il est composé de 15 membres élus par le Conseil consultatif 46 ( * ) , dont les membres sont eux-mêmes désignés par les représentants des communautés locales ( Kultusgemeinden ) en proportion du nombre de fidèles qu'ils représentent. 47 ( * ) Un Mufti, exerçant traditionnellement une fonction de jurisconsulte en droit musulman, est rattaché au Conseil supérieur en tant qu'organe consultatif. Il est élu parmi les membres du Conseil consultatif à la majorité simple des suffrages du Conseil supérieur. L'exercice de cette fonction est conditionné par la possession d'un diplôme universitaire d'études islamiques 48 ( * ) .
La formation des ministres du culte fait l'objet de dispositions spécifiques dans les différents traité ou lois organisant les cultes reconnus par l'État autrichien. Il s'agit d'assurer les conditions du soutien financier de l'État et la préservation des cursus de théologie diplômants au sein des universités publiques.
En vertu du Concordat de 1933 conclu entre la République d'Autriche et le Saint Siège , l'État garantit l'existence de facultés de théologie. La formation scientifique du clergé est assurée par les facultés de théologie catholique fondées par l'État et financées par lui, notamment à Vienne, Graz, Innsbruck et Salzbourg.
L'organisation interne et les pratiques d'enseignement au sein de ces facultés sont fondamentalement encadrées par la Constitution apostolique Deus Scientiarum Dominus de Pie IX sur les universités et facultés d'études ecclésiastiques du 14 mai 1931 comme dans l'ensemble des établissements d'obédience catholique. La nomination et l'admission de professeurs et d'enseignants ne peut avoir lieu sans l'accord des autorités ecclésiastiques compétentes. Les diplômes académiques décernés par les universités pontificales de Rome sont reconnus en Autriche. 49 ( * )
En vertu de la loi fédérale de 1961 sur les relations extérieures de l'Église protestante évangélique, l'État autrichien garantit l'existence d'une faculté de théologie protestante à l'Université de Vienne, composée d'au moins six chaires, dont une consacrée à la théologie systématique luthérienne et une autre à la théologie réformée. L'ensemble du corps enseignant de la faculté de théologie protestante doit appartenir à l'Église protestante. Lors de la nomination d'un professeur à l'une de ces chaires, la Commission universitaire chargée de la nomination doit s'enquérir de l'avis des autorités compétentes de l'Église protestante. 50 ( * )
Par exception, la loi de 1890 sur les relations extérieures de la communauté juive semble ne pas contenir d'éléments sur la formation des rabbins autrichiens. 51 ( * ) De fait, les membres du grand Rabbinat viennois ont fait leurs études ( Rabbinatsstudium ) à l'étranger (Allemagne, États-Unis, Israël, Belgique).
La réécriture de la loi sur l'islam en 2015 après trois ans de débat visait à prendre en compte le pluralisme religieux grandissant sur le territoire autrichien. Sur le modèle des confessions catholique et protestante, l'État autrichien s'est engagé à créer une formation en théologie musulmane à l'Université de Vienne, chaque communauté religieuse islamique officiellement reconnue pouvant prétendre à la création d'une filière lui étant consacrée. 52 ( * )
Le 1 er janvier 2017 a été créé l'Institut d'études théologiques islamiques ( Institut für Islamisch-Theologische Studien ) à la Faculté de philologie de Vienne ; la première rentrée a eu lieu à l'automne 2017. Il est destiné notamment à former les futurs théologiens, imams ou enseignants de la religion musulmane directement sur le territoire autrichien.
L'Institut propose une formation en Licence et en Master. Il est également possible d'y entreprendre une thèse. L'admission dans ces formations est soumise aux conditions générales d'admission à l'Université de Vienne. Il est requis des étudiants étrangers une certification de maîtrise de la langue allemande de niveau C1. Il est tout à fait possible de s'inscrire en Licence sans maîtriser la langue arabe.
Il n'est pas prévu toutefois d'obligation légale de formation dans l'institut de l'université de Vienne pour être autorisé à exercer les fonctions d'imam. Il est certes prévu un encadrement du financement par l'étranger, et donc indirectement du recrutement d'imams étrangers. Le financement des besoins religieux des membres de la communauté religieuse doit être réalisé sur le territoire autrichien par le biais de la communauté religieuse entière ( Religionsgemeinschaft ), des congrégations locales ( Kultusgemeinden ) ou de leurs membres individuels. Cette mesure a pour effet d'interdire le financement direct des imams et des organisations cultuelles par des fonds étrangers, sans empêcher la constitution d'une structure de droit autrichien qui pourrait jouer le rôle d'intermédiaire avec des financiers ou des gouvernements étrangers. 53 ( * )
Enfin, le législateur a prévu des cas de révocation des personnes exerçant des fonctions au sein des communautés musulmanes. Une personne qui exerce des fonctions au sein d'une congrégation locale et qui aurait été condamnée de manière définitive par un tribunal autrichien pour une ou plusieurs infractions pénales punies de minimum un an d'emprisonnement doit être démise de ses fonctions par la communauté. Cette obligation trouve également à s'appliquer si ladite personne a un comportement qui présente une menace pour la sécurité publique, l'ordre public, la santé et la morale, ou les droits et libertés d'autrui. 54 ( * )
4. La neutralité inclusive en matière religieuse et les progrès difficiles des formations d'imams aux Pays-Bas
Le protestantisme réformé est au coeur de la naissance des Pays-Bas au XVI ème siècle par sécession de l'empire espagnol. Toutefois, le Sud du pays est toujours resté catholique et les Pays-Bas ont été connus pour leur politique de tolérance qui en a fait un refuge à la fois pour des libres penseurs, pour les communautés juives expulsées d'Espagne et du Portugal, pour les mouvements protestants hétérodoxes en délicatesse avec le luthéranisme, pour les huguenots français persécutés et pour les jansénistes. Une très large autonomie interne, ainsi que la police sur leurs membres, était reconnue aux diverses communautés et églises, dès lors qu'elles ne troublaient pas l'ordre public, prêtaient allégeance au pouvoir de La Haye et s'abstenaient d'une participation politique active. Ce n'est que pendant la période révolutionnaire sous influence française que, pour la première fois, fut prononcée la séparation des Églises et de l'État sans prééminence de la religion réformée, que juifs et catholiques reçurent l'égalité des droits civiques et que toutes les facultés de théologie furent fermées.
Toutefois la fondation du Royaume des Pays-Bas et la constitution de 1815 sont marquées par l'appui du pouvoir politique à l'Église réformée. La constitution d'un État-nation néerlandais au XIX ème siècle est associée à la figure du pasteur ( dominee ) formé à l'université et rémunéré par l'État, autant que la III ème République française a pu être attachée à la figure de l'instituteur. La formation du citoyen néerlandais passait par son éducation morale qui devait être assurée par les membres d'une Église réformée placée sous le contrôle du ministère des Cultes. La révision libérale de la Constitution en 1848 garantit néanmoins l'égalité de droits entre les églises et accorda au nom de la liberté de culte plus de latitude à chaque confession pour s'organiser, y compris à l'Église catholique. 55 ( * )
À partir de la fin du XIX ème siècle, le système social et politique des Pays-Bas se transforme pour adopter une structure en piliers autonomes et indépendants de l'État ( verzuiling ) où les institutions sociales (partis, syndicats, journaux, radios, écoles, universités, clubs sportifs...) se répartissent entre entités protestantes, catholiques, libérales et socialistes. L'émancipation des citoyens catholiques, longtemps dans une position sociale, si ce n'est juridique, de second rang est passée par une mobilisation collective du pilier catholique. De nos jours, une compénétration plus large quoique partielle entre protestants et catholiques a permis l'émergence d'un pilier chrétien, dont le parti chrétien-démocrate CDA, systématiquement membre de toutes les coalitions au pouvoir, est aujourd'hui la meilleure illustration.
Le moment décisif pour définir le cadre contemporain des relations entre les religions et l'État néerlandais coïncide avec la révision constitutionnelle de 1983. Celle-ci approfondit la séparation des églises et de l'État néerlandais :
- en posant comme principe premier l'égalité de toutes les croyances religieuses entre elles et avec les philosophies de vie non-religieuses, sans aucune discrimination ;
- en levant les anciennes contraintes strictes pesant sur l'exercice public du culte - concrètement, en autorisant par exemple les processions religieuses catholiques ;
- en supprimant la disposition constitutionnelle garantissant depuis 1815 le financement des traitements, pensions et autre revenus pour les personnels religieux. La loi du 7 décembre 1983 mettant fin au lien financier entre l'État et les églises 56 ( * ) a ensuite validé un accord entre l'État et 12 communautés protestantes, juives et catholique 57 ( * ) , par lequel l'État leur accordait une somme forfaitaire de 250 millions de florins en guise de compensation finale et définitive.
Si aucun texte spécifique ne définit la séparation des Églises et de l'État en droit néerlandais, la jurisprudence et la doctrine la font naturellement découler des articles 1 er et 6 de la Constitution qui garantissent respectivement l'égalité des droits sans discrimination et la liberté de culte et de conviction. Les sujets de la liberté de culte sont aussi bien les individus que des collectifs avec ou sans la personnalité morale. 58 ( * ) Ils restent responsables de leurs actions en cas d'infraction au cadre légal. La loi peut poser des règles en matière d'exercice de ce droit à l'extérieur de certains bâtiments ou dans des lieux déterminés pour protéger la santé publique, préserver la liberté de circulation et pour prévenir des désordres.
La séparation des églises et de l'État implique que l'État reconnaisse la liberté d'organisation des communautés religieuses et que celles-ci ne jouent en retour aucun rôle formel dans le processus de décision politique. L'État doit respecter l'autonomie des institutions et se garder de toute interférence dans la profession de foi ou le contenu du culte ; il ne doit pas en particulier intervenir dans l'organisation interne des institutions religieuses. Les « communautés confessionnelles » ( kerkgenootschappen ) jouissent de la personnalité morale en vertu du code civil néerlandais, qui leur accorde également la liberté de s'organiser selon leurs propres statuts, pour autant qu'ils ne contreviennent à aucune loi. 59 ( * )
Selon le professeur Van der Brug 60 ( * ) de l'université de Tilburg, le modèle néerlandais se caractérise par la « neutralité inclusive » de l'État par rapport aux communautés religieuses. La séparation entre la sphère privée et publique y est moins tranchée que dans un modèle plus strictement laïque et l'on y tolère plus largement les manifestations publiques de la religion, y compris dans les prestations de serment ou les formules rituelles d'introduction des lois signées par la main du souverain « par la grâce de Dieu ».
La loi de 1983 sur le rachat pour solde de tout compte des dettes contractées par l'État auprès des églises ne signifie pas que leur serait désormais systématiquement interdit tout soutien financier. Un soutien financier des pouvoirs publics est possible au cas par cas, en l'absence de toute disposition légale contraire, par exemple pour soutenir des activités sociales et culturelles, notamment à des fins éducatives, estimées utiles localement et servant à ce titre l'intérêt général. Seules les activités à motif religieux, proprement liées au culte, sont exclues au nom de la séparation de l'Église et de l'État ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État néerlandais. 61 ( * ) Des subventions publiques ou des avantages fiscaux sont également permis pour l'entretien d'un patrimoine historique et pour garantir la mise à disposition de conseillers spirituels-aumôniers dans les institutions publiques (armée, hôpitaux, prisons).
Des universités d'inspiration confessionnelle, comme l'Université libre d'Amsterdam créée par le courant protestant orthodoxe en 1880 ou l'Université Radboud de Nimègue fondée par le pilier catholique en 1923, sont financées sur fonds publics. La justification se trouve dans l'article 23 de la Constitution néerlandaise accordant une très large liberté d'éducation et d'enseignement. Des formations en théologie, essentiellement catholique ou protestante de diverses obédiences, peuvent être instaurées dans les universités publiques ou privées financées par l'État et aboutir à des diplômes (licence, master, doctorat) reconnus. Aux églises de décider en revanche du cursus, du niveau de diplôme et de l'expérience professionnelle qu'elles requièrent pour devenir ministre de leur culte ou occuper des offices à responsabilité en leur sein.
C'est le traitement égal de tous les groupes religieux ou philosophiques qui prime. Cela prohibe toute discrimination et toute manifestation de préférence ou de partialité. En matière de soutien à des activités portées par des organisations religieuses, cela implique qu'on ne pourrait exclure une organisation religieuse reconnue du bénéfice d'un dispositif d`aide proposé à d'autres, si celle-ci souhaite en bénéficier, ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État néerlandais. 62 ( * )
Dans la droite ligne de leur tradition historique, les autorités néerlandaises se sont préoccupées dès le début des années 1980 de l'encadrement religieux des communautés musulmanes immigrées (Turcs, Marocains, Surinamais d'origine pakistanaise, puis Bosniaques notamment). La question de l'intégration se posa très tôt sous l'angle de l'intégration de l'islam dans la société néerlandaise, de l'émancipation collective des musulmans sur le modèle de l'émancipation précédente des juifs et des catholiques. 63 ( * ) Dans ce processus, l'imam est considéré devoir jouer un rôle moral essentiel pour guider la communauté sur le modèle du pasteur protestant du XIX ème siècle. Les Pays-Bas considérèrent rapidement que ce type d'intégration par la religion ne pouvait réussir que si les imams connaissaient la société néerlandaise et adhéraient à ses valeurs structurantes. De ce point de vue, le recrutement d'imams étrangers formés à l'étranger (Turquie, Égypte, Arabie Saoudite) n'était pas satisfaisant sur le principe et il a donné dans la pratique l'occasion de plusieurs scandales médiatiques, avant même l'assassinat de Theo van Gogh en 2004. C'est pourquoi la formation de cadres religieux de l'islam aux Pays-Bas ( polderimams ) y demeure une question d'actualité depuis 15 ans. 64 ( * )
Deux résolutions furent présentées au Parlement néerlandais en 2004 pour inciter fortement le gouvernement à agir alors que les craintes concernant la radicalisation des jeunes générations grandissaient. La motion de la députée chrétienne-démocrate Sterk adoptée en mai 2004 demandait qu'il soit posé comme condition à l'exercice de la fonction d'imam aux Pays-Bas le suivi d'une formation d'imam néerlandaise. 65 ( * ) La motion du député social-démocrate Bos, tombée pour raison de procédure, demandait qu'à partir de 2008, il ne soit plus accordé d'autorisation de séjour à des imams étrangers et que les permis en cours ne puissent être prolongés au-delà de 2008. 66 ( * ) Malgré un large soutien politique, ces résolutions ne purent être traduites en obligations légales, pour des raisons pratiques, précisément l'inexistence de formations d'imam aux Pays-Bas, alors que les pasteurs et les prêtres pouvaient obtenir leurs diplômes (licence, master) dans les facultés de théologie des universités.
Il y avait aussi des obstacles juridiques sérieux à toute obligation de formation pour exercer la fonction d'imam, comme l'ont clairement indiqué plusieurs commissions officielles. La Commission consultative sur l'immigration, saisie par le gouvernement néerlandais du sujet de l'entrée et du séjour d'étrangers exerçant des fonctions religieuses, a considéré que la formation et le recrutement des cadres religieux relevaient de l'organisation interne et donc de la sphère réservée des églises. 67 ( * ) La commission De Ruiter sur la formation des imams avait adopté la même position de principe. 68 ( * ) Dès lors qu'il n'existe aucune menace à l'ordre public, à la santé publique ou à l'autorité de la loi, l'État ne peut intervenir pour encadrer la pratique religieuse que s'il y est invité par la communauté elle-même. En outre son intervention doit être proportionnée. Dans le contexte d'absence de formations d'imams adaptées aux Pays-Bas, imposer une obligation de formation (motion Sterk) ou refuser systématiquement les autorisations de séjour pour les imams étrangers (motion Bos) reviendrait à poser des obstacles démesurés à l'exercice de la liberté de culte garantie par l'article 6 de la Constitution néerlandaise et par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. 69 ( * )
Nonobstant ces obstacles juridiques, le gouvernement néerlandais sous l'impulsion de la ministre libérale de l'intégration Rita Verdonk franchit un cap décisif dans la foulée des résolutions parlementaires de 2004. 70 ( * )
Premièrement, deux organes représentatifs des musulmans néerlandais furent reconnus formellement comme partenaires de dialogue avec les autorités et comme les instances responsables de la sélection des conseillers spirituels - aumôniers ( geestelijk verzorger ) musulmans pour les prisons, les armées et les écoles. L'Organe de contact des musulmans et des autorités ( Contactorgaan Moslims en Overheid - CMO ) qui rassemble 10 associations de mosquées sunnites et représente 84 % du culte fut reconnu en 2004 et le Groupe de contact de l'Islam ( Contactgroep Islam - CGI ) qui rassemble chiites, alévis et ahmadis fut reconnu en 2005.
Le deuxième pas décisif fut la décision d'accorder temporairement des subventions aux universités et aux hautes écoles professionnelles de l'enseignement supérieur néerlandais qui mettraient en place, sur une base volontaire, des formations reconnues par l'État d'imam, de théologiens islamiques et de conseillers spirituels-aumôniers musulmans. Un soutien financier à la mise en place de formations religieuses est permis dès lors qu'il respecte le principe d'égalité de traitement garanti par l'article 1 er de la Constitution néerlandaise et autant que cela est nécessaire pour assurer l'exercice effectif de la liberté de culte. Trois institutions répondirent à l'appel de l'État :
- dès 2005 l'Université libre d'Amsterdam ( Vrije Universiteit - VU ), prestigieuse université privée mais financée sur fonds publics et très liée depuis 1880 au pilier protestant du pays ;
- puis en 2006, l'Université de Leyde, la plus ancienne et la plus renommée des universités publiques du pays, et la Haute école professionnelle InHolland.
Elles mirent en place différentes formations de licence et de master adaptées en s'inspirant des formations existantes en théologie, de conseiller spirituel - aumônier ou en religion et philosophie de vie ( Religie en Levensbeschouwing ). Ces formations ont reçu l'accréditation nécessaire de l'agence publique d'évaluation de la qualité de l'enseignement supérieur, la NVAO 71 ( * ) , commune aux Pays-Bas et à la Flandre. L'obtention de cette accréditation conditionne la reconnaissance du diplôme par l'État et le bénéfice de fonds publics.
Cette expérience n'a pas été concluante : l'Université de Leyde en 2011 a réintégré sa formation de théologie islamique dans son parcours de sciences des religions - parcours études islamiques sans visée professionnalisante et avec une approche critique et non religieuse ; InHolland a décidé en 2013 de démanteler progressivement jusqu'en 2018 sa licence en 4 ans d'Imam/conseiller spirituel islamique. La VU a connu également de sérieuses difficultés. 72 ( * ) Cependant, son programme est apparu le plus robuste et a permis la professionnalisation de la fonction de conseiller spirituel-aumônier musulman dans les prisons, les hôpitaux et l'armée. Les autorités néerlandaises restent fermement engagées et ont poussé l'organisation représentative CMO et la VU à collaborer pour l'ouverture d'un nouveau cursus d'imam à Amsterdam en 2017-2018.
Un bilan de ces premières expériences a été dressé. 73 ( * ) Tout en reconnaissant le bénéfice d'avoir initié un mouvement de longue haleine d'acclimatation de la théologie islamique à la société néerlandaise, les autorités constatent que beaucoup moins d'étudiants que prévu ne se sont inscrits. Entre 2005 et 2012, 400 étudiants se sont inscrits dans les formations dédiées avec un fort taux d'échec ou d'abandon. Cela a pour conséquence que les formations ne sont pas rentables pour les universités même avec la subvention de l'État et que les besoins en imams et aumôniers musulmans ne peuvent être satisfaits.
En outre, d'après les évaluations, très peu d'opportunités de travail sont offertes aux imams formés aux Pays-Bas car ils seraient vus défavorablement par les communautés musulmanes locales et ne pourraient entrer en compétition avec les diplômés d'universités théologiques arabes. Ils seraient perçus comme trop modernes, à deux titres, comme s'ils étaient au service du gouvernement néerlandais ce qui suscite la défiance et parce qu'ils adoptent une approche herméneutique questionnant les textes sacrés sur le modèle de la critique protestante, ce qui déstabilise les fidèles plus familiers d'un style dogmatique, mais aussi les étudiants en première année. Les formations néerlandaises ne semblent pas mettre assez l'accent sur les sources textuelles classiques et la maîtrise de l'arabe, même si l'approche herméneutique critique qu'elles privilégient paraît davantage de nature à créer un islam proprement néerlandais par percolation des nouveaux imams vers les fidèles.
Enfin, l'hétérogénéité de la communauté musulmane demeure, et les réflexes nationaux traditionnels restent forts : les mosquées turques recrutant des imams turcs, avec l'appui du gouvernement turc; de même les mosquées marocaines recruteraient volontiers des hafiz d'origine arabe qui, dédiés dès leur enfance à la religion, connaissent le coran par coeur ainsi qu'un grand nombre de hadiths. 74 ( * )
* 1 Ægteskabloven (Loi sur le mariage) du 4 juin 1969.
* 2 L. Kühle, « De godkendte muslimske trossamfun - og de nye tendenser », Religion i Danmark 2017 , Århus, pp. 7-32.
* 3 Lov om folkerkirkens institutioner til uddanelse og efteruddannelse af præster (Loi sur les institutions de l'Eglise danoise pour la formation et la formation continue des pasteurs), du 16 mai 1990 ; bekendtgørelse om Folkekirkens Uddannelses- og Videnscenter, décret du 10 janvier 2018.
* 4 Corte costituzionale, décisions du 13 juillet 1984 n° 239 et du 13 juillet 1988 n° 43.
* 5 Corte costituzionale, décision du 11 avril 1989, n° 203.
* 6 Corte costituzionale, décisions du 19 avril 1993 n° 195 et du 8 juillet 2002 n° 346.
* 7 Ce traité international a été transposé en droit italien par la loi du 25 mars 1985 n° 121.
* 8 Sont aussi garantis l'exercice public du culte, l'exercice du magistère spirituel et la justice ecclésiastique.
* 9 Concrètement les diplômes en Écriture sainte.
* 10 On peut aussi noter que les nominations des enseignants de l'université catholique du Sacré Coeur de Milan, et des instituts qui en dépendent, sont soumises à l'agrément de l'autorité ecclésiastique (art. 10 al. 3).
* 11 R. Mazzola, « Les pouvoirs publics et la formation des cadres religieux en Europe. Le cadre politico-normatif italien », in F. Messner (ed.), Public Authorities and the Training of Religious Personnel in Europe , Comares (Granada), 2015.
* 12 Loi du 20 mai 1985, n° 222, art. 47-48.
* 13 L'union des églises méthodistes et vaudoises, l'Union des églises adventistes du septième jour, l'Assemblée de Dieu en Italie (pentecôtiste), l'Inion des communautés hébraïques italiennes, l'Église évangélique-luthérienne d'Italie, l'Union chrétienne évangélique baptiste d'Italie, l'Archidiocèse orthodoxe - Exarchat pour l'Europe méridionale, l'Église apostolique en Italie (pentecôtiste), l'Union bouddhiste italienne, l4union hindouiste italienne et l'Institut Bouddhiste italien - Soka Gakkai.
* 14 Loi du 23 août 1988, n°400 et décret législatif du 30 juillet 1999 n° 303.
* 15 Presidenza del Consiglio dei Ministri, L'esercizio della libertà religiosa in Italia , juillet 2013, p. 18.
* 16 Loi du 20 mai 1985, n° 222, art. 16.
* 17 La loi du 24 juin 1929 n° 1159 et le décret royal du 28 février 1930 n° 289.
* 18 Ley Orgánica 7/1980 de Libertad Religiosa, du 5 juillet 1980.
* 19 Art. 1 er loi organique de 1980 précitée.
* 20 Art. 2 (2) loi organique de 1980 précitée.
* 21 Art. 5 loi précitée. En vertu de la première disposition transitoire de ladite loi, les églises qui jouissaient de la personnalité morale avant son entrée en vigueur, continuent d'en bénéficier.
* 22 Art. 6 loi précitée.
* 23 Art. 7 loi organique de 1980 précitée.
* 24 Acuerdo entre el Estado español y la Santa Sede sobre asuntos jurídicos du 3 janvier 1979 (art. I. 1).
* 25 Acuerdo entre el Estado español y la Santa Sede sobre enseñanza y asuntos culturales du 3 janvier 1979 (art. VIII à XIII).
* 26 En théologie, droit canon, écriture sainte, histoire ecclésiastique, littérature chrétienne, philosophie notamment.
* 27 Real Decreto 1619/2011 du 14 novembre 2011.
* 28 M. Rodríguez Blanco, « Public Authorities and the Training of Religious Personnel in Spain », in F. Messner (ed.), Public Authorities and the Training of Religious Personnel in Europe , Comares (Granada), 2015.
* 29 R. González Martín & J.L. Paradas Navas, « La presencia de la teología católica en las universidades públicas españolas en los albores del siglo XXI », Misceláneas Comillas , Vol. 73 (2015), 145, pp. 277-287.
* 30 Leyes 24/1992, 25/1992, 26/1992 du 10 novembre 1992.
* 31 Acuerdo entre el Estado español y la Santa Sede sobre asuntos éconómicos du 3 janvier 1979 (art. II).
* 32 Ley Orgánica 4/2007 du 12 avril 2007 modifiant la loi organique sur les Universités, 11 ème disposition additionnelle.
* 33 Real Decreto 1633/2011 du 14 novembre 2011.
* 34 § 19 Reichskonkordat (RK) du 20 juillet 1933.
* 35 § 20 RK de 1933.
* 36 § 14 RK de 1933.
* 37 M. Pulte « Public Authorities and the Training of Religious Personnel in Europe - The German Perspective », in F. Messner (ed.), Public Authorities and the Training of Religious Personnel in Europe , Comares (Granada), 2015, pp. 109-123.
* 38 Kirchengesetz über die Ausbildung der Pfarrerinnen und Pfarrer in der Evangelischen Kirche der Union (Pfarrausbildungsgesetz - PfAG), entrée en vigueur le 1 er janvier 2018.
* 39 Wissenschaftsrat, Empfehlungen zur Weiterentwicklung von Theologien und religionsbezogenen Wissenschaften an deutschen Hochschulen , 29 janvier 2010.
* 40 Les universités Goethe de Francfort, d'Erlangen, de Münster, d'Osnabrück et de Tübingen déjà renommées pour leurs facultés de théologie et de sciences religieuses.
* 41 Bundesministerium für Bildung und Forschung, "Akademie für Islam in Wissenschaft und Gesellschaft startet", Pressemitteilung, 4 octobre 2017.
* 42 Staatsgrundgesetz über die allgemeinen Rechte der Staatsbürger für die im Reichsrathe vertretenen Königreiche und Länder du 21 décembre 1867 (art. 14).
* 43 Loi fondamentale sur les droits généraux de 1867 précitée (art. 15).
* 44 Il s'agit des communautés catholique, alévie, vieille-catholique, arménienne, évangélique, méthodiste, mennonite, orthodoxe-grecque, islamique, juive, des témoins de Jehovah, mormonne, copte, bouddhiste, syriaque et néoapostolique.
* 45 Bundesgesetz über die äußeren Rechtsverhältnisse islamischer Religionsgesellschaften - Islamgesetz (Islamgesetz) du 25 février 2015.
* 46 Verfassung der Islamischen Glaubensgemeinschaft in Österreich, Art. 8 (2).
* 47 IGGÖ Verfassung, Art. 8 (3).
* 48 IGGÖ Verfassung, Art. 11.
* 49 Konkordat vom 5. Juni 1933 zwischen der Republik Österreich und dem Heiligen Stuhl du 5 juin 1933, art. V.
* 50 Bundesgesetz über äußere Rechtsverhältnisse der Evangelischen Kirche du 6 juillet 1961, art. 15.
* 51 Gesetz betreffend die Regelung der äußeren Rechtsverhältnisse der israelitischen Religionsgesellschaft du 21 mars 1890.
* 52 Islamgesetz 2015, art. 24 (1).
* 53 Islamgesetz 2015, art. 6 (2). L'article 31 al. 4 de la même loi pose cependant une exception au principe énoncé de telle sorte qu'au moment de l'entrée en vigueur de cette loi fédérale, les titulaires de fonctions religieuses en exercice qui seraient financés par des fonds étrangers puissent continuer à exercer leurs fonctions pendant un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi fédérale.
* 54 Islamgesetz 2015, art. 21.
* 55 Cf. W. Boender, « Het Nederlandse `imamopleidingdebat' in historisch perspectief », Tijdschrift voor Religie, Recht en Beleid, Boomjuridisch, 2014 (5) 2, pp. 26-48.
* 56 Wet beëndiging financiële verhouding tussen Staat en Kerk du 7 décembre 1983.
* 57 Sont parties à l'accord financier, après la constitution de fondations pour recevoir les fonds qui ne pourront servir à d'autre fins que l'entretien des personnels religieux qui avaient acquis des droits dans l'ancien régime constitutionnel : la Société baptiste générale, l'Église chrétienne réformée aux Pays-Bas, l'Église évangélique-luthérienne aux Pays-Bas, l'Église réformée aux Pays-Bas, l'Église réformée néerlandaise, l'Église rénovée néerlandaise, la province romaine catholique des Pays-Bas, la Fraternité des remontrants, l'Église vieille-catholique des Pays-Bas, la Communauté israélite néerlandaise, la Communauté israélite portugaise, l'Alliance des juifs libéraux des Pays-Bas.
* 58 C'est conforme à la jurisprudence de la CEDH sur l'application de l'article 9 de la Convention. CEDH, 27 juin 2000, association liturgique Cha'are Shalom Ve Tsedk c/ France.
* 59 Art. 2 :2 Burgelijk Wetboek (BW).
* 60 W. van der Brug, Het ideal van de neutrale Staat - Inclusieve, exclusieve en compenserende visies op godsdienst en cultuur (Oratie Rotterdam), Boom juridisch, 2009.
* 61 : ARRvS, 19 décembre 1996, AB1997, 414.
* 62 ARRvS 18 décembre 1986, AB 1987, 206 ; ARRvS 1er août 1983, AB 1984, 532.
* 63 Document d'orientation du ministère de l'intérieur sur la politique des minorités du gouvernement néerlandais (Minderhedennota), 1983, p. 110 : « Le culte a un rôle à jouer dans le développement et le renforcement de la dignité et de l'estime de soi et par conséquent, dans l'émancipation de beaucoup de membres des groupes ethniques » (« Godsdienst heeft en functie voor de ontwikkeling en versterking van de eigenwaarde en daarmee voor de emancipatie van veel leden van de etnische groeperingen »). Ces considérations ont été constamment réaffirmées dans les documents d'orientation successifs sur la politique d'intégration.
* 64 En décembre 2003 fut publié le rapport de la Commission De Ruiter sur la formation des imams, Imams in Nederland : wie leidt ze op ? , Rapport van de Adviescommissie.
* 65 Kamerstukken 2003/2004, 29 200 VI, nr. 155.
* 66 Kamerstukken 2004/2005, 29 854, nr. 10.
* 67 Adviescommissie voor Vremdelingenzaken, Toelating en verblijf voor religieuse doeleinden , juillet 2005, pp. 58-60.
* 68 Rapport De Ruiter précité de décembre 2003, p. 7. Magistrat, ancien garde des Sceaux, De Ruiter était à l'époque professeur de droit à l'Université d'Utrecht.
* 69 L'obstacle conventionnel est particulièrement important en matière contentieuse, car seul le Parlement est compétent en matière de contrôle de constitutionnalité stricto sensu aux Pays-Bas et le juge néerlandais s'appuie sur les traités internationaux, interprétés au prisme de la constitution néerlandaise, pour assurer la protection des droits fondamentaux. La neutralité et la non-interférence de l'État sont consacrées par la jurisprudence de la CEDH qui considère qu'une ingérence poussée avec les affaires internes d'un culte ou l'exercice de pressions est contraire à la liberté de culte. Cf. CEDH, 14 décembre 1999, Sérif c/Grèce ; 26 octobre 2000, Hasan & Chaush ; 13 décembre 2001 Église métropolite de Bessarabie c/Moldavie.
* 70 Brief van de Minister voor Vreemdelingenzaken en Integratie aan de Voorzitter van de Tweede kamer der Staten-General, 10 décembre 2004, 2004-2005, 29 800 VI, nr. 91.
* 71 Nederlands-Vlaamse Acreditatieorganisatie.
* 72 À cela s'ajoute les doutes à l'égard de l'Université islamique de Rotterdam, institution privée, dont la formation d'imam a été créée en 2000 mais qui a attendu 2010 pour être accréditée, faute de présenter des professeurs suffisamment qualifiés et maitrisant le néerlandais. Son recteur a été à l'origine d'un scandale en 2014.
* 73 Regioplan, Evaluatie Islam- en Imamopleidingen in Nederland , décembre 2012.
* 74 W. Boender, article précité de 2014, pp. 42-43.