ÉTATS-UNIS (TEXAS)
Le régime applicable à l'IVG résulte :
- de l'arrêt de la Cour Suprême fédérale Roe versus Wade, au niveau fédéral ;
- du recueil des lois (Statutes) du Texas pour cet État.
1. L'arrêt Roe versus Wade
Cet arrêt 20 ( * ) a été rendu le 22 janvier 1973 par la Cour Suprême fédérale dans une affaire qui opposait une femme déboutée en première instance par le tribunal de district, et le procureur de Dallas, Henry Wade.
La loi du Texas incriminait le fait de recourir à un avortement (to procure an abortion) , ou d'essayer d'y recourir, et limitait l'interruption de grossesse à la seule possibilité « d'un avortement effectué ou tenté sur avis médical dans le but de sauver la vie de la mère » (an abortion procured or attempted by medical advice for the purpose of saving the life of the mother) .
La plaignante faisait observer :
- qu'elle n'était pas mariée et qu'elle était enceinte ;
- qu'elle souhaitait mettre un terme à sa grossesse par un avortement « effectué par un médecin qualifié et habilité dans des conditions cliniques sûres » ;
- qu'elle ne pouvait pas obtenir une interruption de grossesse légale au Texas parce que sa vie ne semblait pas menacée par la poursuite de sa grossesse ;
- et qu'elle n'avait pas les moyens de se rendre dans un autre État pour recourir à une interruption de grossesse légale dans des conditions sûres.
Elle soutenait également que les lois du Texas étaient inconstitutionnellement vagues et qu'elles la privaient de l'exercice du droit constitutionnel au respect de la vie privée.
Dans son arrêt, la Cour Suprême fédérale américaine observe que si la Constitution ne fait pas explicitement référence au droit à la vie privée, elle-même en a cependant reconnu l'existence dans une série de décisions. Aussi constate-t-elle que le droit constitutionnel au respect de la vie privée « est suffisamment large pour comprendre la décision d'une femme d'interrompre, ou non, sa grossesse » (is broad enough to encompass a woman's decision whether or not to terminate her pregnancy) .
Ce droit n'est toutefois pas absolu, la Cour reconnaissant également aux États fédérés le droit d'adopter leur propre législation en la matière, du fait qu'ils ont un « intérêt légitime à sauvegarder la santé, à maintenir des normes médicales et à protéger la vie potentielle » (a State may properly assert important interests in safeguarding health, in maintaining medical standards, and in protecting potential life) . Au-delà d'un certain stade de grossesse, ces intérêts respectifs deviennent suffisamment impérieux pour justifier une législation applicable aux facteurs intervenant dans la décision d'avortement (at some point in pregnancy, these respective interests become sufficiently compelling to sustain regulation of the factors that govern the abortion decision) .
La Cour conclut que le droit au respect de la vie privée peut servir de base à la décision d'avoir recours à une interruption de grossesse, mais que ce droit n'est pas inconditionnel et qu'il mérite d'être examiné en tenant compte des intérêts essentiel de l'État lorsque ce dernier adopte un régime le concernant 21 ( * ) .
2. L'exemple du Texas
Les dispositions relatives à l'avortement sont codifiées au chapitre 171 du recueil de lois du Texas (statutes) .
a) Les cas d'interruption de grossesse
• L'interruption de grossesse avant 20 semaines
La loi permet l'interruption de grossesse. Elle interdit toutefois au médecin d'effectuer, de tenter ou d'occasionner un avortement (abortion) sans avoir préalablement déterminé l'âge probable à compter de la fécondation de l'« enfant non-né » (unborn child) . La fécondation ne doit pas remonter à 20 semaines ou plus, l'IVG est donc autorisée jusqu'à 20 semaines.
• Péril pour la vie de la femme
L'IVG est possible si le médecin estime que compte tenu d'un « jugement médical raisonnable » un élément complique à tel point l'état médical de la femme que, pour prévenir sa mort ou un risque sérieux de handicap physique substantiel et irréversible d'une fonction corporelle majeure autre qu'une condition psychologique de la patiente, il est nécessaire d'interrompre sa grossesse, y compris après 20 semaines.
Le praticien doit mettre un terme à la grossesse de telle façon qu'il offre la meilleure chance pour l'« enfant non-né » de survivre, sauf si l'état médical de la patiente nécessite l'emploi d'une autre méthode.
• Anomalie foetale sévère
La limite de 20 semaines ne s'applique pas aux interventions effectuées du fait d'une anomalie foetale sévère.
b) Consentement « informé » (informed consent)
Un médecin ne peut effectuer une interruption de grossesse sans le consentement volontaire et informé de la femme sur qui elle sera pratiquée. Cette condition est remplie si :
- le médecin devant effectuer l'interruption informe la patiente de son nom, des risques médicaux particuliers associés à la procédure abortive employée, de l'âge gestationnel probable de l'« enfant non-né » (unborn child) au moment où l'avortement (abortion) sera effectué et des risques médicaux associés au fait de porter l'enfant à terme ;
- le praticien devant effectuer l'avortement (abortion) ou son représentant (agent) informe la femme enceinte que des prestations d'assistance médicale sont disponibles pour le soin prénatal, la naissance de l'enfant et le soin néonatal, que le père est tenu d'aider à l'entretien/la charge de l'enfant sans que n'entre en compte le fait qu'il propose de payer l'avortement (without regard to whether the father has offered to pay for the abortion) , et que des entités publiques et privées délivrent des conseils en matière de prévention des grossesses et des recommandations médicales pour l'obtention de contraceptifs, y compris la contraception d'urgence pour les victimes de viol ou d'inceste ;
- le même praticien ou son représentant fournit à la femme enceinte le « document d'information » publié par le ministère texan de la Santé (voir infra ) et lui présente son contenu ;
- si, avant que toute sédation ou anesthésie ne soit administrée à la patiente et au moins 24 heures avant l'intervention (ou au moins deux heures si la femme atteste qu'elle vit à 100 miles [environ 160 kilomètres] ou plus du centre d'IVG le plus proche), le praticien :
. effectue une échographie sur la femme enceinte,
. expose l'image en qualité suffisante et de façon que la femme puisse la voir,
. explique oralement et de façon compréhensible pour une personne profane les résultats de l'échographie, y compris les dimensions de l'embryon ou du foetus, l'existence d'une activité cardiaque, de membres externes et d'organes internes,
. et doit rendre audibles les battements du coeur pour que la femme puisse les entendre dans une qualité suffisante et lui expliquer oralement l'auscultation cardiaque de façon compréhensible pour une personne profane.
La femme enceinte doit remplir et signer une attestation relative au consentement volontaire et informé, une copie de cette attestation remise au praticien étant versée à son dossier médical.
La femme enceinte peut choisir de ne pas consulter le « document d'information » qui lui a été remis, de ne pas regarder les images de l'échographie et de ne pas écouter l'auscultation cardiaque (to hear the heart auscultation) .
Elle peut également choisir de ne pas recevoir l'explication orale des résultats de l'échographie si :
- sa grossesse est la conséquence d'une agression sexuelle, d'un inceste ou de toute autre violation du Code pénal ayant été dénoncée aux autorités chargée du respect de la loi ou ne l'ayant pas été s'il existe des raisons de penser qu'une dénonciation la mettrait en danger ;
- elle est mineure et a obtenu le droit d'interrompre sa grossesse au terme d'une procédure judiciaire qui la soustrait à l'autorisation parentale ;
- ou si le foetus souffre d'une anomalie médicale irréversible.
Le praticien peut effectuer une interruption de grossesse sans avoir préalablement recueilli le consentement informé en cas d'urgence médicale. Dans ce cas, il :
- verse au dossier médical de la patiente une attestation certifiant cette urgence ;
- et, au plus tard 30 jours après que l'avortement (abortion) est effectué, certifie au ministère de la Santé l'état médical spécifique qui a constitué l'urgence.
c) Le « document d'information » publié par le ministère texan de la Santé
Ce document gratuit, qui doit être publié en vertu du recueil des lois du Texas :
- reprend certaines informations fournies à la femme enceinte lorsqu'elle donne son consentement volontaire et informé ;
- est publié en anglais et espagnol, dans une forme facilement compréhensible et dans une typographie clairement lisible ;
- est révisé chaque année en vue d'une éventuelle mise à jour.
Les informations qu'il contient sont également rendues disponibles sur un site internet du ministère.
Intitulée « A woman's right to know », la brochure est composée de plusieurs parties : - « Le développement de votre bébé » (Your baby's development) , qui présente à différents stades de la gestation l'évolution du foetus (désigné par le document comme un « baby » dès la conception), accompagnée d'une représentation de sa forme ; - « Les risques liés à l'avortement » (Abortion risks) , lesquels comprennent, selon la brochure, la mort, les risques physiques, les risques sur la santé mentale, le risque de stérilité future et le risque de cancer du sein ; - « Prendre une décision éclairée » (Making an informed decision) , indiquant les différentes étapes avant de pouvoir bénéficier d'une interruption de grossesse, les aides médicales et sociales, les services de soutien à l'enfance, les services d'adoption ; - « Les procédés d'interruption de grossesse et leurs effets secondaires » (abortion procedures and side effects) , pour chaque trimestre de grossesse sont présentées les techniques, les procédures et leurs complications possibles ; - « grossesse et naissance de l'enfant » (pregnancy and childbirth) , indiquant les complications et risques liés à la grossesse et à l'accouchement ; - « après un avortement » (after an abortion) , qui précise la conduite à tenir (appeler le médecin, se rendre aux urgences) si surviennent certains événements (perte de sang, douleurs ...). |
d) Régime pénal applicable à l'avortement illicite
L'article 1.07 (26) du Code pénal texan définit comme une personne physique (individual) un être humain qui est en vie, y compris un « enfant non-né » à chaque stade de la gestation depuis la fécondation jusqu'à la naissance (a human being who is alive, including an unborn child at every stage of gestation from fertilization until birth) .
Son article 19.02 qualifie de meurtre (murder) le fait d'occasionner intentionnellement la mort d'une personne (an individual), ce crime constituant une « felony of first degree » que l'article 12.32 du même code punit d'une peine d'emprisonnement de 5 à 99 ans ou de la prison à vie.
En vertu de l'article 19.06 du même code, les dispositions relatives au meurtre ne sont pas applicables à la mort d'un « enfant non-né » si le fait incriminé constitue « un acte commis par la mère de l'"enfant non-né" [ou] une procédure médicale légale mise en oeuvre par un médecin ou un autre professionnel de santé autorisé, avec le consentement requis, si la mort de l'"enfant non-né" était le résultat attendu de la procédure [...] » .
Un médecin qui effectue intentionnellement 22 ( * ) un avortement en violation des dispositions relatives au consentement informé est passible d'une amende de 10 000 dollars (9 263 euros).
e) Prise en charge financière
L'amendement Hyde interdit l'utilisation de fonds fédéraux pour financer l'avortement, hormis en cas de viol, d'inceste ou de danger pour la vie de la mère.
La prise en charge des frais d'IVG dépend de l'assurance santé privée des femmes concernées, laquelle inclut ou non la couverture de ce risque.
Des fonds peuvent aider les personnes ayant des difficultés financières en prenant en charge, par exemple, le coût du trajet.
Enfin, un élu texan a dernièrement déposé une proposition de loi (bill 20) afin qu'une assurance-santé proposée par une « bourse d'échange médicale » 23 ( * ) (health benefit exchange) , ne puisse couvrir l'IVG qu'en cas d'« avortement » du fait d'une urgence médicale. Ce risque pourrait être couvert de façon optionnelle ou supplémentaire par un service d'assurance médicale autre qu'une couverture santé proposée par cette « bourse ». Ce même texte propose qu'une assurance médicale ne puisse concerner une IVG que si la couverture est fournie séparément de toute autre assurance médicale et qu'elle fait l'objet du paiement d'une prime séparée dédiée.
f) Contraception d'urgence
La contraception d'urgence sur le territoire américain comprend, outre la possibilité de pose d'un dispositif intra-utérin (DIU) dans les cinq jours, deux types de pilules (morning-after pill) :
- celles comportant de l'acétate d'ulipristal, accessibles uniquement sur prescription, dont le coût est d'environ 50 dollars (environ 46 euros) ;
- et celles comprenant du lévonorgestrel, accessibles en vente libre dans les drugstores et pharmacies, quel que soit l'âge de l'acheteur et sans qu'il soit nécessaire de produire une pièce d'identité, dont le prix est compris entre 35 et 50 dollars (soit entre 32 et 46 euros).
Il est également possible d'obtenir une contraception d'urgence auprès d'un centre de planning familial.
g) Statistiques relatives au Texas
Le nombre d'avortements au Texas est passé de 82 056 en 2006 à 55 287 en 2015, notamment du fait de l'adoption en 2013 d'une loi, déclarée contraire à la Constitution par la Cour Suprême fédérale des États-Unis d'Amérique en 2016, laquelle faisait peser des contraintes plus lourdes sur les cliniques puisque « les dispositions de la loi texane imposaient aux médecins effectuant des avortements en clinique de bénéficier d'un droit d'admission dans un hôpital à proximité pour leurs patientes et aux cliniques de disposer d'installations comparables à celles d'un hôpital » 24 ( * ) .
ÉVOLUTION DU NOMBRE D'IVG RÉALISÉES AU TEXAS (2006-2015)
Années |
Total |
2006 |
82 056 |
2007 |
81 079 |
2008 |
81 591 |
2009 |
77 850 |
2010 |
77 592 |
2011 |
72 470 |
2012 |
68 298 |
2013 |
63 849 |
2014 |
54 902 |
2015 |
55 287 |
Source : ministère texan des Services de santé
h) L'actualité législative de l'IVG au Texas
La question de l'IVG est régulièrement au coeur de l'actualité législative au Texas.
Trois mesures ont récemment été évoquées :
- en décembre 2016, une loi a été adoptée, laquelle visait à rendre obligatoires les funérailles du foetus en cas de fausse-couche ou d'avortement en hôpital ou en clinique. L'application de cette mesure a été suspendue par un juge fédéral avant son entrée en vigueur prévue le 19 décembre 2016, décision confirmée fin janvier. Une date d'audience au fond devrait être fixée prochainement ;
- la proposition de loi 25 vise à introduire dans le Code de procédure civile un chapitre excluant des motifs d'action en justice les naissances « préjudiciables » (wrongful birth) . Aux termes de ce texte aucune action en justice ne pourrait être intentée lorsqu'un enfant a vu le jour alors que ses parents auraient pu avoir recours à l'avortement s'ils avaient eu connaissance des informations connues par le praticien. Cette formule semble permettre à un praticien de ne pas faire part aux parents d'une éventuelle malformation dont il aurait connaissance ;
- la proposition de loi 415 vise, quant à elle, à interdire certaines modalités d'avortement sauf en cas d'urgence médicale. Un médecin pratiquant une telle intervention commettrait un crime de « state jail felony » , passible d'une peine d'emprisonnement de 180 jours et deux ans, et le cas échéant d'une amende de 10 000 dollars (9 263 euros), la femme enceinte et le personnel agissant sous les ordres du médecin ne pouvant être poursuivis.
Adoptées par le Sénat du Texas, ces deux propositions n'avaient pas encore été soumises à la Chambre des représentants de cet État à la date du « bouclage » de cette étude.
* 20 United States Supreme Court, Roe v. Wade (1973) n° 70-18.
* 21 «We, therefore, conclude that the right of personal privacy includes the abortion decision, but that this right is not unqualified and must be considered against important state interests in regulation» .
* 22 Au sens de l'article 6.03(a) du Code pénal texan, « une personne agit intentionnellement, ou avec intention, au regard de la nature de sa conduite ou des conséquences de sa conduite lorsqu'elle a la conscience objective ou le désir de s'engager dans cette conduite ou de provoquer cette conséquence » ( A person acts intentionally, or with intent, with respect to the nature of his conduct or to a result of his conduct when it is his conscious objective or desire to engage in the conduct or cause the result).
* 23 Institués par l'« Obamacare », il s'agit de marchés virtuels permettant aux particuliers et aux entreprises de comparer et de souscrire des contrats d'assurance.
* 24 https://www.washingtonpost.com/politics/supreme-court-strikes-down-texas-abortion-clinic-restrictions/2016/06/27/ba55d526-3c70-11e6-a66f-aa6c1883b6b1_story.html?hpid=hp_hp-banner-high_court-1014a-lede%3Ahomepage%2Fstory&utm_term=.f403407e3642