LE DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS AUX ÉLECTIONS LOCALES

Cette note a été publiée dans le rapport d'information de Mme Esther BENBASSA, sénatrice , fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-ressortissants de l'Union européenne résidant en France, n° 142 (2011-2012) - 30 novembre 2011

Ce rapport est disponible sur internet à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l11-142/l11-142.html

Retrouvez également dans ces pages une note publiée en décembre 2005 sur le même sujet :

Lc.154 (décembre 2005)

Remarque terminologique

Dans la présente note, le terme « étranger » est, par commodité, synonyme de l'expression « étranger ressortissant d'un État non membre de l'Union européenne ».

NOTE DE SYNTHÈSE

Depuis la transposition de la directive 94/80/CE du 19 décembre 1994 relative au droit de vote aux élections municipales, les citoyens de l'Union européenne qui résident dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité peuvent voter et sont éligibles aux élections municipales dans cet État, dans les mêmes conditions que les nationaux.

La France a transposé cette directive par la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998. Les ressortissants des pays de l'Union européenne y votent aux municipales depuis 2001. Quant aux autres étrangers, ils ne jouissent pas du droit de vote.

La présente étude 1 ( * ) est consacrée au droit de vote des étrangers qui ne sont pas citoyens de l'Union européenne aux élections locales . Elle analyse les règles en vigueur dans douze pays de l'Union européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède), ainsi qu'en Suisse. Elle fait le point, tant pour les municipales que pour les autres élections locales, sur le droit de voter (électorat actif) et celui d'être élu (électorat passif).

Elle ne traite pas des modalités pratiques d'exercice du droit de vote telles que les démarches à effectuer pour être inscrit sur les listes électorales. Elle n'évoque pas non plus, pour chaque pays, la proportion des étrangers résidents qui, compte tenu des lois en vigueur, peuvent voter ou être élus. Ce point mérite d'être souligné car dans certains États, les communautés étrangères les plus importantes numériquement ne participent pas nécessairement aux scrutins locaux.

L'examen met en évidence, en premier lieu, quatre types de régimes en matière de droit de vote (électorat actif) aux élections municipales à savoir ceux qui :

- dénient aux étrangers le droit de vote (Allemagne, Autriche et Italie) ;

- accordent le droit de vote aux ressortissants de certains pays, soit sous condition de réciprocité et moyennant une durée minimale de résidence fixée au cas par cas (Espagne et Portugal) soit parce qu'ils ont la nationalité d'un État membre du Commonwealth (Royaume-Uni) ;

- octroient ce droit à tous les étrangers qui ont résidé de façon continue sur leur territoire pendant une durée minimale (Belgique, Danemark, Luxembourg, Pays-Bas, Suède et plusieurs cantons suisses) ;

- ou reconnaissent ce droit sans condition de résidence en soumettant les étrangers au régime des nationaux (Irlande).

Il montre aussi, en second lieu, que seuls le Danemark et la Suède autorisent les étrangers à voter et être élus aux élections locales autres que les élections municipales.

A. DROIT DE VOTE ET ÉLIGIBILITÉ AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES

1. Le droit de vote : éventail des solutions possibles

On examinera les différents régimes, depuis ceux qui refusent le droit de vote, jusqu'à ceux qui assimilent en la matière les étrangers aux nationaux.

Le détail des conditions posées par chaque législation nationale (par exemple, la nécessité d'être en situation régulière...) figure dans les fiches monographiques par pays, ci-après.

• Allemagne, Autriche et Italie dénient aux étrangers le droit de vote

Dans ces trois pays, les tentatives d'élargissement du droit de vote aux étrangers ont échoué.

En Allemagne et en Autriche, le juge constitutionnel estime que l'élargissement du corps électoral aux étrangers est impossible sans révision constitutionnelle préalable. En 1989, les Parlements de Hambourg et du Schleswig-Holstein avaient donné le droit de vote aux étrangers, mais la Cour constitutionnelle a jugé ces modifications incompatibles avec la Loi fondamentale. De même, en 2003, le Land de Vienne avait modifié son code des communes et donné le droit de vote aux conseils d'arrondissement aux étrangers, mais la Cour constitutionnelle a censuré cette disposition.

En Italie, plusieurs décrets du président de la République rédigés après consultation du conseil d'État ont annulé les délibérations de conseils municipaux étendant le droit de vote aux étrangers.

• Espagne et Portugal accordent le droit de vote aux ressortissants de certains pays sous réserve de réciprocité et de durée de résidence

Les constitutions espagnole et portugaise prévoient que le droit de vote peut être accordé aux étrangers sous réserve de réciprocité et moyennant une condition de résidence dans le pays.

Les citoyens de neuf États (Équateur, Nouvelle-Zélande, Colombie, Chili, Pérou, Paraguay, Islande, Bolivie et Cap-Vert) peuvent voter aux élections municipales en Espagne lorsqu'ils y résident légalement depuis au moins cinq ans, dans la mesure où, en vertu d'un accord bilatéral, les Espagnols peuvent voter dans ces pays dans des conditions analogues. Il en va de même pour les Norvégiens qui ne doivent, pour leur part, avoir résidé que trois ans au-delà des Pyrénées.

Au Portugal, le même principe de réciprocité s'applique mais la durée minimale de séjour requise pour pouvoir exercer le droit de vote est de deux ans pour les nationaux des États lusophones et de trois pour ceux des autres pays. Actuellement, peuvent participer aux élections locales portugaises les ressortissants de neuf États : Brésil, Cap-Vert, Argentine, Chili, Islande, Norvège, Pérou, Uruguay et Venezuela.

• Belgique, Danemark, Luxembourg, Pays-Bas, Suède et certains cantons suisses octroient le droit de vote aux étrangers à la condition qu'ils aient résidé sur leur territoire pendant plusieurs années

La Suède, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique ont respectivement élargi le droit de vote aux élections locales à tous les étrangers en 1975, 1981, 1983, 2003 et 2004. Ce droit est subordonné à une durée minimale de résidence comprise entre trois et cinq ans, hormis dans deux cas particuliers puisque Danemark et Suède permettent aux Islandais et aux Norvégiens de voter sans condition de durée de résidence en vertu d'accords bilatéraux particuliers.

De même, les cantons de Neuchâtel, du Jura, de Vaud, de Fribourg et de Genève accordent le droit de vote aux étrangers qui résident sur leur territoire pendant une durée qui varie entre un et dix ans, tandis que les cantons d'Appenzell Rhodes-extérieures et des Grisons laissent aux communes (qui ne l'ont du reste pas toutes exploitée) la possibilité de donner le droit de vote aux étrangers.

• Le Royaume Unis et le droit de vote des ressortissants d'États du Commonwealth et assimilés

Le Royaume-Uni accorde le droit de vote aux élections locales aux citoyens du Commonwealth résidant sur son territoire, sous réserve qu'ils y séjournent légalement.

• L'Irlande ne subordonne pas le droit de vote aux élections municipales à une durée minimale de résidence distincte de celle des nationaux

Depuis 1963, la loi électorale accorde le droit de vote aux élections locales aux étrangers.

Initialement, l'exercice de ce droit était subordonné à une condition de résidence d'au moins six mois dans le pays. La loi électorale de 1992 a supprimé cette condition, de sorte que les étrangers doivent désormais remplir les mêmes conditions de résidence dans la circonscription et d'inscription sur les listes électorales que les nationaux.

2. L'éligibilité

Les étrangers qui disposent du droit de vote sont éligibles aux assemblées municipales :

- dès lors qu'ils répondent aux critères posés pour devenir électeurs au Danemark, en Espagne, au Luxembourg, aux Pays-Bas 2 ( * ) et au Portugal (sous réserve, pour ce pays, d'une limitation aux seuls ressortissants du Brésil et du Cap-Vert et d'une durée de séjour plus longue que pour le seul électorat), en Suède et dans les cantons de Neufchâtel, du Jura, de Vaud et de Fribourg ;

- s'ils ont la nationalité de l'un des États membres du Commonwealth et assimilés au Royaume-Uni ;

- et sans restriction en Irlande.

B. DROIT DE VOTE ET ÉLIGIBILITÉ AUX ÉLECTIONS LOCALES AUTRES QUE LES MUNICIPALES

1. Le droit de vote

Parmi les treize États étudiés qui accordent, de surcroît, le droit d'être éligibles aux autres élections locales aux étrangers figurent le Danemark (pour les élections régionales), la Suède (pour les élections à l'équivalent des conseils généraux) et les cantons du Jura et de Neuchâtel (pour les élections cantonales).

2. L'éligibilité

L'éligibilité des étrangers aux autres élections locales est reconnue par le Danemark (pour les élections régionales) et la Suède où les critères posés sont ceux applicables aux élections municipales (v. supra ).

Le tableau ci-après récapitule l'ensemble de ces éléments

TABLEAU DE SYNTHÈSE

Le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales
et les principales conditions auxquelles il est soumis

ÉTATS

Droit de vote

Éligibilité

Communes
et équivalents

Autres élections locales

Communes
et équivalents

Autres élections locales

ALLEMAGNE

non

non

non

non

AUTRICHE

non

non

non

non

BELGIQUE

résidence 5 ans

non

non

non

DANEMARK

Islandais et Norvégiens : régime des nationaux
autres : résidence 4 ans

ESPAGNE

résidence 3 ou 5 ans + réciprocité 1

non

résidence 3 ou 5 ans + réciprocité 1

non

IRLANDE

régime des nationaux

s. o.

régime des nationaux

s. o.

ITALIE

non

non

non

non

LUXEMBOURG

résidence 5 ans

s. o.

résidence 5 ans
+ commune 6 mois

s. o.

PAYS-BAS

résidence 5 ans

non

résidence 5 ans

non

PORTUGAL

résidence
lusophones 2 2 ans
autres 3 3 ans + réciprocité

s. o.

résidence
lusophones 2 4 ans
autres 4 5 ans + réciprocité

s. o.

ROYAUME-UNI

Commonwealth

s. o.

Commonwealth

s. o.

SUÈDE

Islandais et Norvégiens : régime des nationaux
autres : résidence 3 ans

C

A

N

T

O

N

S

S

U

I

S

S

E

S

Neufchâtel

résidence

canton 1 an

(cantonales)

résidence

canton 5 ans

résidence
canton 1 an

non

Jura

résidence

Suisse 10 ans
canton 1 an
commune 30 jours

(cantonales)

résidence
Suisse 10 ans
canton 1 an

résidence

Suisse 10 ans
canton 1 an
commune 30 jours

non

Vaud

résidence

Suisse 10 ans
canton 3 ans

non

résidence

Suisse 10 ans
canton 3 ans

non

Fribourg

résidence

canton 5 ans

non

résidence
canton 5 ans

non

Genève

résidence

Suisse 8 ans

non

non

non

Appenzell

oui dans 3 communes sur 20

non

oui dans 3 communes sur 20

non

Grisons

oui dans 15 communes sur 186

non

oui dans 15 communes sur 186

non

Bâle

non (aucune commune sur 3)

non

non

non

Berne

non

non

non

non

Lucerne

non

non

non

non

s. o. : sans objet (il n'y a pas d'autres élections car la commune, ou son équivalent, est la seule collectivité locale)

1 Équateur, Nouvelle-Zélande, Colombie, Chili, Norvège, Pérou, Paraguay, Islande, Bolivie, Cap-Vert 2 Brésil et Cap-Vert

3 Argentine, Chili, Islande, Norvège, Pérou, Uruguay et Venezuela

4 Aucun État n'a signé d'accord de réciprocité

LE DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS AUX ÉLECTIONS LOCALES


* 1 Elle met à jour l'étude de législation comparée LC 154 de décembre 2005.

* 2 Le délai de cinq ans s'apprécie dans ce cas à la date d'entrée au conseil municipal, alors qu'il est calculé en fonction de la date de la déclaration de candidature pour l'octroi du droit de vote.

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