AVERTISSEMENT Trois indications terminologiques doivent être formulées sur l'appellation des sociétés de journalistes et de leurs équivalents dans les États étudiés. Recours à la dénomination « société de journalistes » Le terme de « société de journalistes » ( SDJ ) est ici employé au sens français pour désigner toutes les entités, quelle que soit leur forme juridique, dont les compétences sont analogues à celles des sociétés de journalistes qui existent en France. Il vise donc par extension, dans la Note de synthèse qui constitue la première partie de la présente étude, aussi bien les SDJ françaises que leurs équivalents européens dotés de statuts différents mais investis de missions comparables. Usage des termes « conseil de rédaction » et « comité de rédaction » pour traduire des dénominations étrangères Dans chacune des analyses relatives à un pays , qui figurent dans la seconde partie de l'étude, on aura recours à la traduction française d'un des deux termes qui désignent les homologues des organes des SDJ dans la langue de chaque pays considéré à savoir : - « conseil de rédaction » utilisé en néerlandais ( redactieraad ) et en portugais ( conselho de redacção ) ; - et « comité de rédaction » employé en Allemagne, en Autriche ( Redaktionsausschuss ), en Espagne ( comité de redacción ) et en Italie ( comitato di redazione ). Non utilisation de l'expression « comité de rédaction » dans son acception française Dans la présente étude, le terme de « comité de rédaction » n'est jamais utilisé dans l'acception français e qui se réfère à un comité chargé de définir la ligne éditoriale d'une publication ou de valider une sélection d'articles. |
NOTE DE SYNTHÈSE
•
Il n'existe pas, dans notre pays, de
régime général applicable aux sociétés de
journalistes
ou de rédacteurs dans la presse écrite.
Aucune disposition n'impose non plus la création de comités ou de
conseils de rédaction dans les journaux, quel que soit le secteur auquel
ils appartiennent (presse quotidienne régionale, quotidiens nationaux,
hebdomadaires, presse d'information spécialisée etc.).
Cette situation s'explique par les circonstances dans lesquelles ces sociétés sont apparues en France où elles ont été constituées pour défendre l'indépendance de diverses rédactions , au cas par cas, en plusieurs vagues depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. Les premières ont en effet vu le jour à la Libération. D'autres furent créées dans les années 1950 et 1960, souvent à cause de la persistance de divergences de vues entre la rédaction d'un journal et l'éditeur ou le propriétaire de celui-ci.
En France, la dénomination de « société de journaliste » (SDJ) ou celle, synonyme, de « société de rédacteurs » (SDR) s'applique à des entités juridiques dotées de statuts très divers : sociétés civiles à capital variable, sociétés en nom collectif ou associations relevant de la loi de 1901 notamment. Du reste, SDJ et SDR ne sont pas seulement présentes dans le secteur de la presse écrite objet de cette étude. On en dénombre en France et plus généralement en Europe dans d'autres médias audiovisuels (radios, télévisions et agences de presse) qui relèveraient d'une analyse spécifique.
Du fait de la liberté de constitution de ces entités et de la variété de leurs statuts on ne dispose pas, en France, d'un recensement national des SDJ et de leurs équivalents. La question de leur dénombrement se pose, peu ou prou, dans les mêmes termes dans les pays auxquels cette étude est consacrée. On retiendra toutefois, pour donner un ordre de grandeur, que le Forum français des Sociétés de journalistes - qui ne réunit cependant pas toutes les SDJ existant dans notre pays - regroupe pour sa part 25 d'entre elles en ce qui concerne la seule presse écrite, auxquelles ils convient d'ajouter celles qui ne sont pas membres de cette association, outre les sociétés de journalistes créées dans d'autres secteurs, tels que l'audiovisuel.
Découlant, en France, d'un statut propre ou d'un accord conclu avec l'éditeur d'un titre, les compétences de chaque SDJ sont spécifiques. Dans le secteur de la presse, une SDJ se donne le plus souvent pour objet principal de préserver l'indépendance éditoriale du journal où travaillent ses membres. Elle dispose parfois, du fait d'un accord particulier avec le propriétaire du titre, d'un droit de regard sur la nomination du rédacteur en chef ou sur celle du directeur de la rédaction. Quelques sociétés possèdent une fraction du capital de la société d'édition.
« Sentinelles », « espaces de discussion et de pédagogie », ou « interlocuteur singulier considéré par la direction » 1 ( * ) , les SDJ font entendre les vues de leurs membres sur la marche du journal et défendent « les droits moraux de ceux qui produisent l'information » 2 ( * ) .
Elles agissent également en matière de déontologie journalistique grâce à l'élaboration de « chartes déontologiques » qui précisent les valeurs spécifiques sur lesquelles se fonde le journal où travaillent leurs membres et les conditions dans lesquelles ces principes sont mis en oeuvre au sein la rédaction afin de préserver l'identité éditoriale du titre.
Élus par leurs pairs, les journalistes qui représentent les sociétés de rédaction exercent leurs fonctions de manière bénévole et sont, le plus souvent, dépourvus de moyens spécifiques analogues aux « heures de délégation » dont bénéficient les représentants du personnel. De même ne jouissent-ils pas d'un régime de protection particulier en matière de sanction ou de licenciement.
• Sont étudiées ci-après
les
dispositions en vigueur concernant les SDJ ou leurs
équivalents dans dix pays européens
:
Allemagne
,
Angleterre
,
Autriche
,
Belgique
(communauté
flamande et communauté française),
Espagne
,
Italie
,
Pays
-
Bas
,
Portugal
,
Suisse
(Suisse alémanique et
Suisse romande) et
Suède
. Pour chacun d'eux on
évoquera tout d'abord, lorsqu'ils existent, les principes
généraux relatifs à l'organisation des
sociétés de journalistes puis on examinera, à titre
d'exemple, les dispositions applicables à un grand journal.
• Compte tenu des différences de
structures entre les médias
le champ de la présente
étude est limité aux journaux de la presse écrite
quelle que soit leur nature (quotidiens, hebdomadaires, magazines, journaux de
la presse régionale, presse d'information spécialisée
etc.).
L'étude présente les règles en vigueur (lois, règlements, conventions collectives, statuts d'une SDJ), sachant qu'il peut exister une marge entre les textes et leur application concrète.
• Pour l'ensemble des systèmes juridiques
étrangers sont étudiés :
- les principes généraux d'organisation (textes applicables au niveau national et traits généraux de l'organisation et des statuts des sociétés des journalistes ou de leurs équivalents ;
- un exemple de SDJ ou de son équivalent dans un journal du pays considéré (textes de référence, organisation, statuts et compétences de celle-ci).
•
Quatre observations
principales
résultent de cette étude. Elles
concernent : le
régime de création
des SDJ,
l'organisation de leurs
structures
, leurs
compétences
et leur action en matière de
concertation et de
médiation
.
1. Liberté ou obligation de création : une grande diversité de situations et un nombre très variable de SDJ
a) Liberté, obligation, incitation : trois régimes de création
En matière de création des SDJ , la plus grande variété existe : la constitution d'une société peut être facultative , obligatoire ou encouragée . Dans trois cas, l'Angleterre, la Suède et la Suisse, il n'existe pas de SDJ. Dans les autres, ces entités résultent :
- d'une obligation légale comme au Portugal ;
- ou d' une convention collective nationale applicable à la presse (Italie et Pays-Bas) ;
- ou bien d'une décision unilatérale des journalistes (Belgique, communauté française) ;
- ou encore des statuts de la rédaction établis conventionnellement par les journalistes et l'éditeur (Allemagne et Autriche).
L'exemple de la communauté francophone de Belgique est spécialement original puisque les éditeurs sont fortement incités à reconnaître l'existence d'une SDJ afin de pouvoir bénéficier de l'aide publique à la presse quotidienne.
On constate aussi que dans les pays où les conseils de rédaction sont rares, comme en Allemagne ou en Autriche, ceux qui existent concernent des titres dont le tirage est important.
Le seuil à compter duquel il est obligatoire de créer dans une rédaction une SDJ ou son équivalant s'échelonne quant à lui entre 5 journalistes au Portugal, 10 en Italie et 15 dans la presse quotidienne aux Pays-Bas.
b) Un effectif variable dans chaque État
Le nombre des SDJ s'avère très varié dans chaque cas considéré et il n'existe pas de statistiques publiques sur le sujet. Sur la base d'estimations collectées auprès d'organisations professionnelles, la situation se présente comme suit.
En Allemagne , on compte au moins 9 journaux dotés d'un statut de la rédaction ( Redaktionsstatut ) qui prévoit la création d'un comité de rédaction ( Redaktionsauschuss ). Tous ne sont pas actifs. Inversement, il existe des comités « informels » de rédacteurs, qui ne disposent pas d'un statut écrit mais qui jouent un rôle effectif dans les négociations avec les éditeurs du journal.
En Belgique , communauté flamande , existent 2 comités de rédaction dans la presse écrite toute entière et quatre entités qui en assument les compétences dans le cadre d'un régime juridique spécifique (fondation, association sans but lucratif, association de fait). Dans la communauté française , on compte 8 sociétés de rédacteurs au sens strict du terme et une structure représentative des journalistes qui s'en rapproche.
En Italie , tous les quotidiens nationaux dont la rédaction est de dix journalistes ou plus doivent être dotés d'un comité de rédaction. Les autres journaux, parmi lesquels figurent nombre d'hebdomadaires, dont la rédaction ne comporte pas un tel nombre de journalistes ont un simple représentant ( fiduciario ). Le nombre total des comités de rédaction s'élèverait à 400 pour l'ensemble des médias (quotidiens, agences de presse, sites web, radios et télévisions nationales et locales).
Aux Pays-Bas leur nombre est estimé à 60 environ, tandis qu'au Portugal , au moins 11 titres sont dotés d'un comité de rédaction.
On n'en compte, semble-t-il, ni en Angleterre, ni en Suisse, ni en Suède.
2. Des structures diverses dans leur organisation
Très diverse , la structure des SDJ et de leurs équivalents se répartit entre trois grands groupes : le premier dans lesquels la SDJ est une association à but non lucratif créée volontairement par les journalistes , le deuxième où la SDJ est reconnue contractuellement en vertu d'un accord de l'éditeur et des journalistes de la rédaction en question, et le troisième où elle est créée en vertu de la loi ou de la convention collective nationale ;
a) Quelle forme juridique : association ou statut sui generis ?
La forme juridique des SDJ est très liée au degré d'obligation existant pour leur création.
Dans les États où il n'existe pas d'obligation générale de création , elles revêtent souvent la forme d' associations à but non lucratif .
Dans ceux où elles sont obligatoires, du fait de la loi ou d'une convention collective et dans ceux où elles résultent d'un accord amiable entre rédaction et éditeur leur régime est sui generis , le plus souvent lié aux statuts de la rédaction eux mêmes.
b) Représentation de la rédaction, désignation et révocation des organes des SDJ
L'assemblée générale de la rédaction désigne les organes dirigeants des SDJ et de leurs équivalents qui se composent, en règle générale, d'un conseil de 3 (Italie) à 7 (Pays-Bas) membres élus par l'assemblée générale de la rédaction.
Le quorum est souvent élevé et l'électorat réservé aux membres disposant d'une ancienneté suffisante , souvent un an au moins dans la rédaction. L' éligibilité est parfois soumise à des conditions plus strictes : deux ans au moins d'ancienneté dans la rédaction pour le Telegraaf aux Pays-Bas.
Les membres de la rédaction en chef ne sont pas éligibles dans au moins quatre des exemples retenus ( Süddeustche Zeitung , Die Presse , De Morgen et PÚBLICO ).
L'organe représentatif de la rédaction rend compte chaque année à l'assemblée générale de celle-ci . Au surplus, une majorité qualifiée de cette assemblée réunie à cette fin peut demander l'organisation de nouvelles élections ( Süddeutsche Zeitung) , voire modifier, par un vote, la composition de l'organe représentatif de la SDJ ( El País ). Aux Pays-Bas, il est également loisible à cette assemblée, de donner un mandat impératif sur un objet déterminé aux membres de l'organe dirigeant de la SDJ.
c) Protection des membres des organes dirigeants
En Belgique où il n'existe pas d'obligation légale ou conventionnelle de créer une SDJ , le droit positif ne confère pas de protection spécifique au titre de leurs fonctions aux membres des organes dirigeants de celles qui existent.
En revanche dans plusieurs autres pays une protection particulière est reconnue aux membres élus :
- au Portugal où tout licenciement les concernant du fait de leur activité à ce titre est déclaré nul par la loi ;
- en Italie, où les mutations et les licenciements qui les touchent ne peuvent avoir lieu qu'avec l'accord d'une organisation professionnelle de journalistes et, à défaut, d'une commission paritaire qui statue en appel ;
- ou encore aux Pays-Bas où ces mesures doivent être avalisées par un conseil paritaire.
L' étendue de la protection est variable : elle correspond à la durée du mandat pour la presse non quotidienne au Portugal, couvre l'année qui suit la fin des fonctions des membres élus en Italie et dure même deux ans après le terme du mandat aux Pays-Bas.
3. La préservation de l'indépendance éditoriale et la protection des journalistes
Les compétences des SDJ ont pour objet d'assurer le respect de la liberté d'information. Elles tendent à préserver l'indépendance éditoriale et assurer la protection des journalistes afin de favoriser la liberté d'information .
a) Préservation de l'indépendance de la rédaction
La préservation de l'indépendance de la rédaction procède de l'exercice de trois principaux types de compétences : le choix du rédacteur en chef et de ses adjoints, l'information de la rédaction sur la politiqué éditoriale et enfin la possibilité de faire respecter le statut de la rédaction.
La SDJ ou son équivalent est informée au moins vingt-quatre heures avant à la nomination du directeur du titre en Italie.
Elle peut prendre position sur la définition du profil souhaitable du candidat voire sur le nom du candidat proposé par la direction :
- par un avis préalable et confidentiel en rédigeant une fiche de poste ( De Telegraaf aux Pays-Bas) ;
- par un vote du comité de rédaction ( De Morgen en Belgique) ou de la rédaction elle-même sur le nom pressenti ( Die Presse en Autriche) ;
- ou en émettant un avis défavorable au candidat proposé par la direction au poste de rédacteur en chef et en exposant par écrit les motifs qui justifient l'hostilité des deux-tiers de la rédaction ( El País ).
La SDJ peut proposer son propre candidat en cas de vacance du poste de rédacteur en chef ( Le Soir en Belgique) voire même présenter un candidat alternatif à celui de la direction ( De Telegraaf aux Pays-Bas).
De façon symétrique, les organes de la SDJ sont appelés à émettre un avis sur le renvoi du rédacteur en chef par l'éditeur du titre.
S'agissant de la vie du journal , la SDJ est, par l'intermédiaire de ses organes constitutifs, informée :
- de toute modification de la ligne rédactionnelle du titre ( Le Soir en Belgique) ;
- ou de la situation financière (cas de l'Italie et de Die Presse en Autriche)
Toutefois ses compétences ne peuvent empiéter sur celles des comités d'entreprise en vertu de la loi autrichienne, des statuts du conseil de rédaction de De Morgen et de ceux du comité d'entreprise de la Süddeustsche Zeitung .
b) Protection des journalistes
La société des journalistes exerce précisément, dans plusieurs pays, des compétences se rapprochant de celles des représentants du personnel, en ce qui concerne l'embauche et la carrière des journalistes. Ainsi les organes de la SDJ ou de son équivalent :
- contrôlent l' application de la convention collective nationale des journalistes au sein du journal en Italie ;
- peuvent formuler, dans le même pays, un avis sur l' amélioration des conditions de travail , à la demande d'un journaliste ;
- sont informés préalablement aux mouvements de personnel ( Süddeutsche Zeitung en Allemagne) ;
- émettent un avis avant l' embauche d'un journaliste au Portugal ou déterminent une procédure de recrutement des journalistes ( Le Soir en Belgique) ;
- donnent un avis sur l' accession aux classes élevées de qualification professionnelle (cas de la presse non quotidienne au Portugal) et participent à la désignation des chefs de rubrique ( Süddeutsche Zeitung en Allemagne).
Dans plusieurs des cas examinés, la SDJ joue un rôle en matière de sanctions disciplinaires et de déroulement de la procédure de licenciement. Elle est à ce titre informée avant le licenciement d'un journaliste ( Le Soir en Belgique) et elle rend un avis sur :
- les sanctions disciplinaires (dans la presse non quotidienne du Portugal) ;
- la mutation d'un journaliste sans son consentement (cas de l'Italie).
La SDJ émet enfin, par l'intermédiaire de ses représentants, un avis lorsqu'un journaliste invoque la clause de conscience . Ceci vaut tant au Portugal que pour El País en Espagne et pour De Morgen en Belgique.
Par surcroît les organes de la SDJ :
- participent à l' élaboration du code de conduite du journal au Portugal ;
- formulent enfin un avis en cas de divergence de vues entre la rédaction en chef et un journaliste au sujet d'une question de déontologie ( De Morgen en Belgique).
4. Un rôle de concertation et de médiation affirmé
Les représentants de la SDJ sont aussi, parfois, appelés à conseiller la rédaction et chef et à dialoguer avec celle-ci, voire à interposer leur médiation dans les conflits qui surviennent au sein du journal.
Les représentants de la SDJ peuvent être explicitement reconnus comme les organes de concertation de la rédaction avec l'éditeur ( De Morgen en Belgique) ou ceux qui définissent la procédure de négociation collective sur la politique de déroulement de carrière des journalistes comme dans la presse quotidienne aux Pays-Bas.
C'est pourquoi ils procèdent à une concertation des points de vue de l'éditeur et d'un journaliste concerné par une modification de ses fonctions, une mutation, ou un licenciement ( Le Soir en Belgique).
La fonction de médiation entre la rédaction et la société éditrice est explicitement reconnue aux organes de la SDJ par les statuts d' El País en Espagne et de la Süddeutsche Zeitung en Allemagne.
La SDJ concilie enfin les différends individuels et collectifs en Italie et transmet à la rédaction en chef les réclamations et propositions des journalistes qui concernent une question de portée collective ( Süddeutsche Zeitung en Allemagne).
* 1 Bertrand VERFAILLIE, Sociétés de rédacteurs, sociétés de journalistes. Les rédactions ont-elles une âme ? , mars 2008, p. 8.
* 2 Id. , p. 6.