Service des études juridiques (Décembre 2008)
ALLEMAGNE
Le principe d'inaliénabilité des collections publiques n'est pas juridiquement reconnu. En revanche, un grand nombre de musées respectent le code de déontologie du Conseil international des musées (ICOM) et souscrivent à la position commune sur l'aliénation des collections , adoptée par les comités directeurs d'ICOM-Allemagne et de la Fédération des musées allemands. Ces deux documents, qui ne sont pas juridiquement contraignants, n'envisagent l'aliénation des oeuvres que dans des situations exceptionnelles et recommandent qu'elle soit très strictement encadrée . |
1) Les fondements juridiques
La mission et les obligations des musées ne sont pas légalement définies, l'appellation « musée » n'est pas juridiquement protégée, et aucun texte normatif n'affirme le principe d'inaliénabilité des biens détenus par les musées , qu'il s'agisse d'établissements publics ou privés. Toutefois, deux documents émanant des professionnels et dépourvus de valeur juridique encadrent les opérations de cession réalisées par les musées : le code de déontologie du Conseil international des musées et la position commune sur l'aliénation des collections.
a) Le code de déontologie du Conseil international des musées
Le code de déontologie du Conseil international des musées , qui fixe les normes auxquelles les musées et leurs personnels doivent se soumettre, bien que n'ayant aucune valeur normative, est respecté par les 3 700 adhérents de ICOM-Allemagne, organisation qui rassemble le plus grand nombre de musées et de professionnels en Allemagne.
Ce code a été adopté le 4 novembre 1986, puis modifié en 2001 et révisé en 2004. Il accepte le principe d'aliénation des collections, mais encadre toutes les opérations de cession. En effet, selon ce code, les collections des musées ne sont pas des actifs financiers, et les sommes résultant de leur cession doivent « uniquement être employées au bénéfice de la collection et, normalement, pour de nouvelles acquisitions ».
Ce code prévoit également que le déclassement d'un objet ne doit se faire « qu'en toute connaissance de l'importance de l'objet, de sa nature (renouvelable ou non), de son statut juridique ; aucun préjudice à la mission d'intérêt public ne saurait résulter de cette cession ». De plus, « la décision de cession doit relever de la responsabilité de l'autorité de tutelle agissant en concertation avec le directeur du musée et le conservateur de la collection concernée. »
b) La position commune sur l'aliénation des collections
En septembre 2004, les comités directeurs d'ICOM-Allemagne et de la Fédération des musées allemands, qui représente 450 musées (1 ( * )) ont adopté et publié une position commune sur l'aliénation des collections .
Ce document, qui n'est pas juridiquement contraignant, rappelle en préambule que la mission première des musées est la conservation et le développement des collections, et que l'aliénation des collections ne peut donc être qu'exceptionnelle. Il déclare également que l'aliénation d'une oeuvre appartenant à une collection publique est en principe impossible . Il prévoit cependant que celle-ci peut être exceptionnellement autorisée pour un objet « interchangeable ou remplaçable ». La valeur du bien en question par rapport à l'ensemble de la collection est appréciée grâce à la « conception de la collection » de l'établissement. Ce document de référence, qui lie le musée sur le long terme, définit la mission et l'activité de ce dernier, notamment au travers de ses collections principales.
La position commune sur l'aliénation définit la procédure selon laquelle les cessions sont réalisées. Les biens dont l'aliénation est envisagée doivent être évalués au regard de leur importance scientifique ou artistique, voire de leur valeur comme témoignage historique, par un expert spécialisé et hautement qualifié. Quelle que soit la nature de l'opération envisagée (vente, échange, etc.), ils doivent ensuite être proposés à au moins trois autres musées, puis, en cas de réponse négative, au Land et éventuellement au pays d'où ils proviennent.
Les biens sont classés en trois catégories selon leur valeur assurée :
- plus de 250 000 € ;
- entre 1 000 et 250 000 € ;
- moins de 1 000 €.
Pour les biens des deux premières catégories, la procédure se déroule en deux étapes. La direction du musée en accord avec l'autorité de tutelle choisit les biens dont elle souhaite se défaire et propose une forme de cession, qui peut être un prêt de longue durée, un échange, un don, une vente ou un déclassement. La décision est prise par une commission dans laquelle les membres du musée ainsi que ceux de l'autorité de tutelle ont l'interdiction de siéger. La composition de la commission varie en fonction de la valeur des biens.
Pour les biens dont la valeur assurée dépasse 250 000 € ; la commission, dite « grande commission », est composée de sept ou neuf membres nommés par la Conférence permanente des ministres de l'éducation et des affaires culturelles (2 ( * )) des Länder .
Pour les biens dont la valeur assurée est comprise entre 1 000 et 250 000 € ; il s'agit d'une « petite commission », composée de trois spécialistes des musées et réunie en tant que de besoin. Sa composition varie selon la catégorie et l'emplacement géographique du musée concerné.
Les délibérations et les décisions des commissions sont consignées dans un dossier.
Pour les biens de la dernière catégorie (valeur assurée inférieure à 1 000 €), la direction du musée peut prendre seule la décision, dès lors que la procédure respecte la « conception de la collection » et que l'opération fait l'objet d'un rapport détaillé.
Les produits financiers de l'aliénation doivent exclusivement servir à l'acquisition de nouvelles oeuvres.
2) La pratique
L'aliénation des collections publiques constitue un sujet de controverse. Du reste, lors de la présentation de la position commune, certains musées avaient fait part de leur opposition.
En 2006 , en rupture avec une pratique durable selon laquelle les institutions publiques ne s'autorisaient pas à aliéner des biens appartenant à leurs collections, deux tentatives de cession ont suscité de vives réactions.
Le gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg avait ainsi projeté de vendre à des collectionneurs privés environ 3 500 manuscrits médiévaux de la bibliothèque du Land afin d'obtenir des fonds pour la rénovation du château de Salem.
La commune de Krefeld avait, quant à elle, l'intention de vendre le tableau le plus célèbre du musée de la ville, l'un des tableaux de la série « Le Parlement de Londres », de Claude Monet, pour financer la transformation du musée consacré à l'empereur Guillaume I er . Elle y a renoncé, car le produit de cette vente aurait dû être affecté en priorité au remboursement des dettes de la ville.
Le président de la commission de la culture et des médias du Bundestag ainsi que le ministre fédéral de la culture ont fait part à l'époque de leurs inquiétudes et ont appelé les Länder et les communes à adopter une conduite responsable qui ne soit pas dictée par des impératifs budgétaires à court terme.
La commission d'enquête du Bundestag sur « La culture en Allemagne », qui a rendu son rapport final le 11 décembre 2007 après quatre ans de travaux, rappelle ces deux affaires et fait part de ses inquiétudes. Elle souligne la nécessité de mieux protéger les collections publiques et propose, comme solution d'attente, d'inscrire les collections publiques à l'inventaire des trésors culturels nationaux , qui est tenu par le délégué du gouvernement fédéral pour la culture et les médias (BMK) en application de la loi fédérale du 8 juillet 1999 sur la protection des biens culturels allemands contre leur sortie du territoire. D'après cette loi, les biens inscrits ne peuvent sortir du territoire que si le BMK donne l'autorisation après consultation d'une commission de cinq experts. Pour l'instant, cet inventaire contient presque uniquement des biens faisant partie de collections privées.
À plus long terme, la commission d'enquête recommande la création d'un inventaire national des biens culturels.
Le Conseil allemand de la culture, qui est l'organe par l'intermédiaire duquel les fédérations culturelles s'expriment, demande une réforme de la loi du 8 juillet 1999 sur la protection des biens culturels allemands contre leur sortie du territoire. Il devrait prendre prochainement position sur ce rapport .
* (1) La Fédération des musées allemands rassemble des établissements publics et privés. 56 % des musées allemands sont sous la tutelle d'une autorité publique.
* (2) L'éducation et la culture relèvent de la compétence des Länder, et la Conférence permanente des ministres permet d'harmoniser les politiques régionales.