Service des études juridiques (Décembre 2008)
NOTE DE SYNTHÈSE
Le principe d'inaliénabilité du domaine public , qui existe depuis l'Ancien Régime, s'applique en particulier aux collections des musées publics et a été consacré par la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France. Plusieurs articles de cette loi ont été codifiés, de sorte que ce principe figure désormais à l'article L. 451-5 du code du patrimoine : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables . »
L'article L. 451-8 du même code précise toutefois qu'« une personne publique peut transférer, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie de ses collections à une autre personne publique si cette dernière s'engage à maintenir l'affectation à un musée de France. »
La loi de 2002 sur les musées a également introduit la possibilité de procéder au déclassement d'un bien faisant partie des collections des musées de France , mais cette faculté est exclue pour les objets donnés, légués ou acquis avec l'aide financière de l'État.
Le déclassement est subordonné à l'avis de la Commission scientifique nationale des musées de France , dont la composition et le mode de fonctionnement ont été fixés par le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 pris pour l'application de la du 4 janvier 2002. Cette commission est composée de trente-cinq membres. Elle statue en séance plénière et à la majorité des trois quarts après avoir examiné la demande motivée de la personne morale propriétaire ainsi que l'avis motivé de la direction régionale des affaires culturelles et de la commission scientifique régionale des collections des musées de France (ou interrégionale le cas échéant). Pour l'instant, cette commission n'a pas eu à connaître de projet de déclassement. En effet, les professionnels du monde des musées sont opposés à la remise en cause du principe d'inaliénabilité des collections publiques.
En novembre 2006, le rapport sur l'économie de l'immatériel, remis par MM. Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, proposait d'autoriser la vente et la location de certaines oeuvres des musées, mais selon des modalités très encadrées.
En mars 2007, s'inspirant de l'une des recommandations de ce rapport, une proposition de loi était déposée à l'Assemblée nationale par M. Jean-François Mancel, qui préconisait le classement des oeuvres en deux catégories : les « trésors nationaux », inaliénables, et les oeuvres « libres d'utilisation », susceptibles d'être louées ou vendues après l'accord d'une commission du patrimoine culturel prévue à cet effet par décret. L'auteur de cette proposition présentait la liberté de gestion comme la solution aux problèmes de financement rencontrés par les établissements culturels pour entretenir leurs réserves et acquérir de nouvelles oeuvres.
Dans le cadre fixé par la lettre de mission adressée le 1 er août 2007 par le président de la République et le Premier ministre au ministre de la culture, M. Jacques Rigaud a été chargé par ce dernier, au mois d'octobre suivant, de mener une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner certaines oeuvres de leurs collections. Dans son rapport, remis le 20 janvier 2008, M. Jacques Rigaud conclut en indiquant qu'il ne propose pas « d'étendre la portée de l'exception d'aliénabilité des collections publiques au-delà d'une mise en oeuvre sincère et expérimentale du déclassement rendu possible par la loi de 2002 », le principe général d'inaliénabilité des collections publiques étant une conséquence de la nature de service public des musées.
Ces circonstances justifient l'analyse des règles applicables à l'étranger. Les pays suivants ont été retenus : l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ainsi que les États-Unis .
Pour chacun de ces pays, on a d'abord présenté les textes qui fondent le caractère inaliénable des collections publiques ou qui, au contraire, permettent les opérations de cession. Pour les pays qui entrent dans la seconde catégorie, la pratique est développée dans une seconde partie. L'analyse a été limitée aux dispositions régissant les biens meubles.
L'examen des dispositions étrangères révèle que :
- même lorsqu'il est explicitement reconnu par la loi, le principe d'inaliénabilité des collections publique n'est pas absolu ;
- dans les cas où les opérations de cession ne sont pas expressément interdites par la loi, elles sont encadrées et restent limitées.
1) Lorsqu'il est explicitement reconnu par la loi, le principe d'inaliénabilité des collections publiques n'est pas absolu
Le principe d'inaliénabilité des collections publiques est énoncé par les textes espagnols et italiens. Il s'applique aussi à certains musées nationaux anglais.
Les législations les plus restrictives, celles qui régissent les collections publiques espagnoles et italiennes, admettent quelques assouplissements à la règle de l'inaliénabilité, en particulier pour autoriser les cessions entre l'État et les collectivités territoriales.
Au Royaume-Uni, les différents musées nationaux ne sont pas tous régis par la même loi. La Wallace Collection , issue d'une collection privée, est intangible. Le principe d'inaliénabilité s'applique essentiellement aux collections de la National Gallery . Les autres musées nationaux, même s'ils ne sont pas astreints au principe d'inaliénabilité, ne peuvent céder leurs oeuvres que dans des cas précis, prévus par la loi (objets sans rapport avec les principales collections par exemple). Malgré ces restrictions, les transferts d'oeuvres entre musées nationaux sont possibles (y compris pour la National Gallery ) et peuvent s'effectuer sous forme de ventes, d'échanges ou de dons.
2) Lorsqu'elles ne sont pas expressément interdites par la loi, les opérations de cession sont encadrées et restent limitées
C'est le cas en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas ainsi que pour la plupart des musées publics anglais. C'est également le cas aux États-Unis , où la plupart des grandes collections sont privées, mais gérées sans but lucratif, dans le seul intérêt du public.
Sans être astreints au respect du principe d'inaliénabilité, les musées s'engagent en effet à respecter divers textes (codes de déontologie, recommandations professionnelles, directives administratives, etc.) qui limitent les possibilités d'aliénation .
En règle générale, les cessions doivent concerner des oeuvres qui constituent des doubles ou qui n'ont pas leur place dans la collection considérée. Elles doivent prendre la forme de dons ou d'échanges, plutôt que de ventes. De plus, si de telles opérations ont lieu, elles doivent se dérouler dans des conditions de transparence optimale, c'est-à-dire de préférence aux enchères, et leur produit doit servir avant tout à enrichir les collections.
Par ailleurs, les cessions doivent être réalisées conformément à une procédure rigoureuse et détaillée , qui encadre l'activité des gestionnaires des collections.
Le Danemark et les Pays-Bas sont les deux pays qui ont le plus formalisé la politique d'aliénation des musées publics : le premier par le biais des directives de l'Agence du patrimoine, qui est chargée d'appliquer la loi sur les musées, et le second par l'intermédiaire du code de l'Institut pour la protection du patrimoine culturel. Dans ces deux pays, les gestionnaires des musées sont invités à rationaliser leurs collections. C'est dans cette perspective, c'est-à-dire pour améliorer à la fois la qualité et la composition des collections, que des cessions sont envisageables. Ces opérations ne peuvent avoir lieu qu'à l'issue d'un travail de documentation approfondi. Il faut souligner que les directives de l'Agence danoise du patrimoine recommandent aux responsables des collections de n'y faire entrer que les pièces qui correspondent à leurs plans d'acquisition, afin de limiter les cessions ultérieures.
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Dans l'ensemble, les textes étrangers apparaissent donc moins stricts que les dispositions françaises. Cependant, les musées, même lorsqu'ils ne sont pas soumis au principe d'inaliénabilité, pratiquent, surtout en Europe, une politique de cession prudente .