NOTE DE SYNTHESE
L'absence de procédure d'appel constitue l'un des principaux
reproches formulés à l'encontre de la cour d'assises
française. Pour y remédier, la réforme de la
procédure criminelle actuellement envisagée se propose de :
- remplacer les cours d'assises par des tribunaux criminels
départementaux composés de plusieurs magistrats professionnels et
de plusieurs citoyens assesseurs ;
- créer un double degré de juridiction en matière
criminelle, puisque les décisions des tribunaux criminels
départementaux pourraient faire l'objet d'un appel devant les cours
d'assises, qui continueraient à comporter trois magistrats et neuf
jurés.
Cette réforme amène naturellement à s'interroger sur la
participation des citoyens aux décisions des tribunaux criminels dans
les principaux pays étrangers et sur ses conséquences. Celle-ci
ne constitue d'ailleurs pas une solution universellement adoptée. Ainsi,
les Pays-Bas ont aboli le jury populaire en 1813 après l'occupation
française, et le Japon l'a supprimé en 1943.
Pour analyser les modalités et les conséquences de la
participation des citoyens aux décisions des tribunaux criminels, on a
retenu six pays. Outre les
Etats-Unis
où le droit à
être jugé par un jury est inscrit dans la Constitution, il s'agit
de l'
Allemagne
, de l'
Angleterre
et du
Pays de Galles
, de
la
Belgique
, de l'
Espagne
et de l'
Italie
.
Cet examen fait apparaître que
la participation des citoyens aux
décisions des tribunaux criminels
:
- s'effectue selon des modalités très variables ;
- empêche en général l'appel
.
I - LES CITOYENS PARTICIPENT AUX DECISIONS DES TRIBUNAUX CRIMINELS SELON DES MODALITES TRES DIVERSES.
1) Seules les infractions pénales les plus graves sont jugées par des tribunaux comportant des citoyens.
Certes,
plusieurs pays confient à des juges non professionnels le soin de juger
les infractions pénales les moins importantes, mais il s'agit alors
d'une participation permanente. En outre, les juridictions pénales de
base sont, dans ce cas, exclusivement ou presque, composées de citoyens.
En revanche, la participation occasionnelle des citoyens à
l'administration de la justice par le biais de jurés ou de
citoyens-assesseurs n'est prévue, dans les six pays
étudiés, que pour les infractions pénales les plus graves.
En effet, tous ces pays ont établi une classification des infractions
qui détermine la compétence des différentes juridictions
pénales. Or, la définition des infractions les plus graves,
c'est-à-dire de la compétence des tribunaux criminels où
siègent des citoyens, varie d'un pays à l'autre.
Ainsi, aux Etats-Unis, l'accusé a un droit constitutionnel à
être jugé par un jury dès que la peine encourue
dépasse six mois d'emprisonnement. En revanche, dans les pays
européens, les citoyens interviennent pour le jugement d'infractions
punies plus sévèrement. En Italie par exemple, le jury juge
l'homicide sous toutes ses formes ainsi que, plus généralement,
toutes les infractions punies d'une peine d'emprisonnement de plus de
vingt-quatre ans.
L'Espagne constitue un cas particulier. En effet, le jury populaire n'y a
été institué que récemment : c'est une loi
organique du 22 mai 1995, entrée en vigueur six mois plus tard, qui l'a
créé. Dans une première phase, sa compétence est
expressément limitée à certains crimes. La
sélection a été réalisée de façon
à exclure les affaires qui risquent d'être trop complexes. Les
crimes pour lesquels le " tribunal du jury " n'a pas reçu
compétence restent soumis au tribunal pénal auparavant
compétent pour tous les crimes, l'" audience provinciale "
exclusivement composée de magistrats professionnels. Toutefois,
l'élargissement progressif des compétences du " tribunal du
jury " est prévu.
2) Les modalités de la participation des citoyens aux décisions des tribunaux criminels diffèrent.
a) Les tribunaux criminels associent magistrats professionnels et citoyens dans des proportions variables.
En
Allemagne, les tribunaux criminels comportent trois magistrats professionnels
et deux citoyens-assesseurs. En Angleterre et au Pays de Galles, ils se
composent de douze jurés et d'un magistrat professionnel. En Belgique,
les jurés sont également douze, mais ils ont associés
à trois magistrats professionnels. En Espagne, le tribunal du jury
rassemble neuf jurés et un magistrat professionnel. En Italie, la cour
d'assises réunit six jurés et deux magistrats professionnels.
Aux Etats-Unis, la composition des tribunaux criminels varie selon qu'il s'agit
de tribunaux fédéraux ou de tribunaux d'Etats. Dans le premier
cas, les douze jurés sont associés à un magistrat
professionnel. Dans le second, le nombre de jurés varie entre six et
douze selon les Etats et le juge, bien qu'il doive posséder une
formation juridique, n'est pas un juge professionnel.
b) Le rôle des jurés ou des citoyens-assesseurs n'est pas le même dans tous les pays.
En
Angleterre et au Pays de Galles, en Espagne et aux Etats-Unis, le jury ne
statue que sur la culpabilité, la peine est fixée ensuite par le
magistrat
.
Celui-ci est alors lié, mais pas toujours de façon absolue, par
le verdict du jury. En Angleterre et au Pays de Galles, la jurisprudence ne lui
reconnaît qu'exceptionnellement la possibilité de demander au jury
de réviser son verdict. En Espagne en revanche, le magistrat peut
retourner au jury le procès-verbal des réponses aux questions qui
lui sont posées si les différentes réponses sont
contradictoires ou s'il constate un vice. De même aux Etats-Unis, le juge
peut, s'il estime que les preuves sont manifestement insuffisantes, prendre la
décision d'accquitter l'accusé bien que le jury ait rendu un
verdict de culpabilité. En pratique, il n'exerce cette faculté
que rarement.
Dans ces trois pays, la peine est donc fixée par le seul magistrat. Aux
Etats-Unis toutefois, le jury peut jouer un rôle dans la
détermination de la peine, dans certains Etats lorsque l'accusé
est susceptible d'être condamné à mort. Il peut alors
recommander ou non la peine de mort.
En Allemagne et en Italie, les magistrats et les juges citoyens ont les
mêmes pouvoirs
.
Ils statuent donc ensemble sur la
culpabilité puis sur la peine
.
Cependant, les magistrats professionnels tranchent seuls les questions de droit
qui se posent pendant les débats.
En Belgique, les jurés statuent sur la culpabilité puis se
joignent aux magistrats professionnels pour déterminer la peine
.
Les magistrats peuvent avoir à participer à la décision
sur la culpabilité avec le jury si celui-ci s'est prononcé
à une trop faible majorité. Quelque soit l'auteur de la
décision sur la culpabilité (jury seul ou jury et magistrats), le
jury et les magistrats déterminent ensemble la peine.
c) Les jurés ne motivent pas toujours leurs décisions.
En
Allemagne et en Italie où les citoyens et les magistrats professionnels
délibèrent ensemble, les décisions doivent être
motivées. En Italie, l'obligation de motiver les décisions
judiciaires est inscrite dans la constitution.
De même, la récente loi espagnole prévoit la motivation des
décisions du jury.
En revanche, en Angleterre et au Pays de Galles, en Belgique et aux Etats-Unis,
le jury n'a pas à motiver son jugement, la culpabilité devant
être établie selon les pays, "
au-delà de tout
doute raisonnable "
ou d'après
" l'intime
conviction ".
II- LE PLUS SOUVENT, LES DECISIONS DES TRIBUNAUX CRIMINELS NE SONT PAS SUSCEPTIBLES D'APPEL.
1) L'Espagne et l'Italie ont créé un double degré de juridiction en matière criminelle.
La loi
espagnole créant le jury populaire insiste dans son exposé des
motifs sur la nécessité de créer un double degré de
juridiction en matière criminelle. Les jugements du " tribunal du
jury " peuvent donc faire l'objet d'un appel devant la chambre
pénale du tribunal supérieur de justice de la communauté
autonome. Le procès en appel est alors jugé par trois magistrats
professionnels de niveau élevé.
Toutefois, l'appel ne porte que sur les décisions du président du
" tribunal du jury ", le verdict du jury ayant préalablement
fait l'objet d'un contrôle juridique de la part du magistrat. Par
ailleurs, les crimes qui échappent à la compétence du
" tribunal du jury " continuent à être jugés par
l'" audience provinciale ", dont les décisions ne sont pas
susceptibles d'appel.
En revanche, en Italie, les appels des jugements des cours d'assises sont
portés devant les cours d'assises d'appel. Elles sont
constituées, comme les cours d'assises, de deux magistrats et de six
jurés. Cependant, les jurés des cours d'assises d'appel sont
tirés au sort sur une liste spécifique : ils doivent,
contrairement aux jurés de cours d'assises, être titulaires d'un
diplôme de fin d'études secondaires.
2) Les autres pays limitent beaucoup les recours en matière criminelle.
a) L'Allemagne et la Belgique excluent toute possibilité d'appel.
La seule voie de recours qui existe est la cassation. En Belgique, le président de la cour d'assises a l'obligation d'informer le condamné de sa faculté de se pourvoir en cassation.
b) En Angleterre et au Pays de Galles, comme aux Etats-Unis, le principe du double degré de juridiction n'est pas admis mais la loi organise certains recours.
En
Angleterre et au Pays de Galles, le système des recours est assez
complexe. En outre, il a fait l'objet d'une modification législative
récente en juillet 1995, mais celle-ci n'est pas encore entrée en
vigueur.
Actuellement, les recours qui ne se fondent pas exclusivement sur une question
de droit doivent être autorisés, soit par le tribunal qui a
émis le jugement, soit par la juridiction de recours. Ceci explique le
faible nombre des recours. Dans la pratique, il est beaucoup plus facile de
fonder un recours sur une question de procédure ou sur la peine, qui
relèvent de la compétence du juge, que sur le verdict du jury.
Aux Etats-Unis, les voies de recours, assez nombreuses, sont limitées
aux seuls points de droit. Le juge peut ordonner un nouveau procès
"
dans l'intérêt de la justice
" si des erreurs
de procédure doivent être corrigées. Quant aux cours
supérieures, elles ne peuvent être saisies que pour sanctionner
des erreurs de droit.