2. Perception progressive de la France par le biais de la culture
Les relations culturelles franco-coréennes sont
indissociables, du moins au départ, des relations diplomatiques.
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25
Histoire de l'Eglise de Corée, Paris, Librairie
Victor PALME, 1874, Tome 1, p. X.
La France, le premier pays occidental à avoir établi des
contacts avec la Corée, se trouve parmi les derniers à nouer des
relations diplomatiques bilatérales. Le traité d'amitié et
de commerce, signé le 4 juin 1886 et ratifié le 30 mai de
l'année suivante, marque le début des relations diplomatiques
entre les deux pays (cf. le contenu du traité en annexe 3). Conclu
grâce à la volonté des Coréens sans aucune influence
extérieure, il se distingue ainsi des autres traités
signés par la Corée avec les puissances occidentales. Alors que
le Consul général anglais à Séoul dépend de
l'Ambassade de Grande-Bretagne en Chine, le premier diplomate français
en Corée, Victor COLLIN de PLANCY
26
, communique directement
avec le Ministère des Affaires Etrangères à Paris.
Il traite des questions commerciales et culturelles, sans s'immiscer dans les
affaires politiques, contrairement aux diplomates des autres pays. A la
différence de sa politique vis-à-vis de l'Indochine, la France,
dont la présence ne poursuit aucun intérêt politique ou
économique, entretient avec la Corée une relation essentiellement
culturelle, et cela dès l'origine.
Il est intéressant de noter que le premier diplomate français
est le créateur du fonds d'études coréennes en France. Non
seulement il collectionne les livres du pays, dont il fait don d'une partie aux
" Langues O' ",
mais il sait aussi inculquer l'amour
des
livres coréens à son adjoint, Maurice COURANT.
Arrivé à Séoul en 1891, ce dernier se lance dans une
Bibliographie coréenne : tableau littéraire de la
Corée.
Le résultat sera la publication, en 1894, de trois
gros volumes, suivi d'un supplément en 1901
27
. Il s'agit d'un
recensement de tous les livres coréens connus directement de lui ou
relevés dans les sources écrites, de leur analyse
accompagnée d'extraits et d'une reproduction des illustrations, de
façon à faire connaître la culture du pays.
Leur amour de la Corée et le résultat de leurs recherches font
d'eux les pionniers de l'activité linguistique et culturelle qui a pour
but, encore de nos jours, de favoriser l'équilibre des relations
bilatérales, à savoir approfondir la connaissance des
Coréens sur la France, tout en faisant découvrir aux
Français la culture coréenne.
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26
Diplômé de chinois de l'Ecole Nationale des
Langues Orientales Vivantes en 1876, il est nommé l'année
suivante élève-interprète en Chine. Après y avoir
passé 10 ans, il est envoyé à Séoul, en 1887, pour
la ratification du traité. Il y sera en poste pendant trois ans, en tant
que chargé d'affaires de France.
27
Un défricheur méconnu des études
extrêmes-orientales, Maurice COURANT (1865-1935) dans Journal Asiatique,
CCLXXI, pp. 43-150. Cette bibliographie a été
réalisée, en bonne partie, grâce aux ouvrages
rapportés par le premier explorateur de la Corée, Charles
VARAT.
La première école de langue française
28
fut
créée en octobre 1895 par Emile MARTEL, diplômé de
l'Ecole des Mines de Saint-Etienne. Cette école comptait trente-quatre
élèves avec un professeur coréen, Yang-Hwa LEE et deux
assistants. On dénombrait en tout vingt-six diplômés
jusqu'à sa fermeture à la fin de l'occupation japonaise, qui a
entraîné la suppression de tout enseignement des langues
étrangères. Certains étudiants sont allés au Japon
pour pouvoir continuer leurs études ; ils ont été les
premiers professeurs de français en Corée.
Entre-temps, les occupants japonais ont importé bon nombre de mots
d'origine française; coréanisés ensuite, très
usités encore aujourd'hui. Ce sont des mots comme : atelier, ballet,
bourgeois, conte, coup d'état, coupon, début, encore (= bis !),
modèle, montage, parasol, profil, restaurant (qui sonne plus chic que le
même mot coréen), savon....
Quelques-uns ont changé de sens avec une connotation culturelle assez
négative : cabaret, salon, café... pour désigner les
endroits où les hommes consomment l'alcool en présence des
hôtesses (leurs patronnes sont appelées
" Madame "
). Le mot
" avec "
a même
créé un nouveau terme avec un suffixe local :
" Avec-jok "
signifie des amoureux, ainsi que le mot
" Rendez-vous "
désigne automatiquement les
rencontres
d'amoureux.
La perception de la France par la population n'a commencé qu'à
l'issue de la guerre de Corée, d'abord à travers des produits
cosmétiques utilisés sur place. La poudre COTY
représentait, pour les femmes des années cinquante, une sorte
d'évasion de la misère quotidienne.
La guerre a provoqué une cassure de la tradition culturelle
coréenne. Le grand vide qui s'est ensuivi, associé à la
présence américaine, a entraîné un appel d'air qui a
profité aux cultures occidentales, notamment française. Les
intellectuels coréens ont été séduits par les
grands mouvements littéraires et philosophiques en provenance de France.
De nombreux ouvrages ont été traduits en coréen et,
grâce à ces traductions, la lecture des romans français
(BALZAC, FLAUBERT, MAUPASSANT, ZOLA, DAUDET...) a permis de populariser la
littérature française auprès des Coréens.
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28
Cf. Cent ans de l'enseignement du français en
Corée, dossier paru dans Centenaire des relations
franco-coréennes, Fondation culturelle franco-coréenne - Alliance
française Séoul 1988, pp. 28-37.
A titre d'exemple, on peut citer ce fameux texte d'Alphonse DAUDET,
La
dernière classe
, qui
" émeut des
générations d'écoliers japonais et
coréens "
(Jean HOURCADE
)
29
. Cet instituteur
lorrain qui voulait enseigner à son village
" la plus belle
langue du monde "
mais qui se trouve obligé, par la
défaite de son pays, de laisser sa place à un étranger
venu de Berlin, frappe les Coréens attachés au patriotisme et au
sens du devoir.
La dernière classe
de
DAUDET,intégré chaque année au programme scolaire,
constitue non seulement l'un des textes les mieux connus, mais reflète
l'image des Français, peuple fier de sa langue nationale.
L'engouement dont bénéficie le roman français continue de
se faire sentir de nos jours, comme en témoignent les achats importants
de droits de traduction (La Corée est devenue le premier marché
d'exportation du livre français en Asie). L'enseignement des beaux-arts
à l'école a fait aussi connaître la richesse artistique de
la France. La mode et la haute couture, ainsi que le cinéma, ont
complété l'image raffinée de la culture française.
La présence du Japon francophile a également favorisé la
pénétration de cette culture, mais partiellement, car
adoptée et adaptée à la manière japonaise. Ainsi,
la littérature, la peinture, la chanson française, ont
été introduites en Corée par des Coréens qui
connaissaient la langue-culture japonaise et qui s'intéressaient
à la France. Par exemple, l'impressionnisme français a
été introduit par les artistes coréens ayant suivi leurs
études dans les instituts de beaux-arts à Tokyo dès 1910.
De même, la variété française a été
connue grâce aux disques réédités au Japon. Les
Coréens écoutaient PIAF, MONTAND, BREL, GRECO, ADAMO..., les
faisaient écouter dans les cafés,
" salons de
musique ",
nombreux après la guerre. Ces chansons sont toujours
appréciées et représentent une partie de la culture
française. Certains Français sont étonnés de
constater, en Extrême-Orient, la longévité d'auteurs et
d'interprètes dont la vogue en France s'est beaucoup estompée. La
raison en est simple : les jolies mélodies et leurs paroles
poétiques ont touché la sensibilité de ces habitants
lointains, qui restent fidèles à leur choix.
Pour que cette présence culturelle se concrétise, il a fallu
qu'une minorité coréenne fût rentrée, après
ses études en France, pour occuper des postes de responsabilité,
principalement en faculté, ou bien dans les affaires artistiques. En
constituant une partie de l'intelligentsia du pays, ces personnes ont
joué un rôle essentiel pour la diffusion de la langue-culture
française. Un exemple : Jeong-Ok KIM, diplômé de
français à l'Université Nationale de Séoul,
études de filmologie à la Sorbonne (1953-1956), responsable d'un
groupe théâtral à Séoul qui présente
régulièrement des pièces françaises adaptées
en coréen.
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29
Le Français, les Français et... les autres,
Antony SIDES, 1993, p. 104.
Dans un milieu cultivé,
" avoir un goût à la
française "
est une expression courante qui exprime bien
l'association de la France à l'idée de raffinement. De la
même façon, beaucoup de commerces de luxe, en particulier dans le
prêt-à-porter ou les produits cosmétiques, prennent des
noms français comme
" La beauté, Ballade,
Françoise, Printemps, Rose, De bons... "
; les voitures haut de
gamme portent souvent des noms comme
" Grandeur, Prestige, Prince
Royal, Le Mans... "
marqués tels quels sur les carrosseries.
Tout ce qui est original se réfère également à la
France :
" French bakery, French style... ".
A partir de la fin des années quatre-vingts, les produits
français sont introduits massivement, soit importés (Chanel, Yves
Saint-Laurent, Christian Dior...), soit fabriqués sous licence (Lacoste,
Pierre Cardin...). Ils bénéficient tous d'une image de marque
prestigieuse. En somme, l'attraction exercée par la culture
française est toujours associée à l'idée de
raffinement et de bon goût.